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Med Sci (Paris). 2015 August; 31(8-9): 728–730.
Published online 2015 September 4. doi: 10.1051/medsci/20153108009.

L’adénocarcinome pancréatique : une tumeur dépendante des lipoprotéines

Sophie Vasseur1,2,3,4* and Fabienne Guillaumond1,2,3,4**

1Inserm U1068, Centre de recherche en cancérologie de Marseille, F-13288Marseille, France
2Institut Paoli-Calmettes, F-13009Marseille, France
3CNRS, UMR7258, F-13009Marseille, France
4Université Aix-Marseille, F-13009Marseille, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adénocarcinome, Cholestérol, Humains, Lipoprotéines, Tumeurs du pancréas, étiologie, physiologie

 

L’adénocarcinome canalaire pancréatique (ADKP) est un cancer de mauvais pronostic du fait de son diagnostic tardif et de sa résistance intrinsèque aux thérapies antitumorales existantes [1, 11]. À un stade avancé de la maladie, les patients développent un syndrome cachectique irréversible réduisant l’efficacité des thérapies anticancéreuses et dégradant leur qualité de vie ; seulement 5 % survivent au-delà de 5 ans. Cette cachexie cancéreuse, résultant d’un dialogue étroit et bidirectionnel entre les tissus métaboliques de l’hôte et la tumeur pancréatique, engendre des troubles métaboliques se caractérisant principalement par une protéolyse musculaire importante et des anomalies affectant aussi le métabolisme lipidique (lipolyse) et glucidique (néoglucogenèse) [2]. La tumeur pancréatique se caractérise par un stroma important, peu vascularisé, encerclant les cellules cancéreuses, les privant ainsi d’un apport suffisant en oxygène et en nutriments. Les cellules tumorales en expansion sont donc contraintes d’effectuer une reprogrammation métabolique pour pallier leurs besoins excessifs en énergie et en nutriments.

L’adénocarcinome pancréatique : un cancer unique en son genre

Le modèle expérimental murin Pdx1-Cre;K-RasG12D;Ink4a/Arffl/fl (PKI), reproduit fidèlement les caractéristiques de la pathologie humaine. Ce modèle, porteur d’une invalidation du locus Cdkn2a, codant pour deux suppresseurs de tumeur (Ink4a et Arf) et d’une activation constitutive de K-Ras spécifiquement dans le pancréas (sous l’effet de la recombinase Cre dirigée par l’expression de Pdx1, un gène maître de l’identité pancréatique), développe spontanément des adénocarcinomes canalaires pancréatiques [3]. Ces deux mutations sont retrouvées chez 80 à 95 % des patients atteints de cette tumeur.

Les régions hypoxiques, disséminées dans ces tumeurs murines, représentent en moyenne 20 % de la surface totale de la tumeur. Un tiers de ces régions est occupé par des cellules épithéliales tumorales présentant des changements phénotypiques caractéristiques de la transition épithélio-mésenchymateuse (EMT), qui leur confèrent des propriétés invasives [4]. Sur le plan métabolique, ces cellules hypoxiques ont un statut majoritairement glycolytique, elles produisent en excès du lactate, qui peut lui-même servir de substrat métabolique alternatif au glucose pour les cellules tumorales normoxiques avoisinantes. Dans le compartiment hypoxique, cette activité glycolytique exacerbée, associée à une dégradation de la glutamine, permet l’activation d’une 3e voie métabolique, celle des hexosamines, stabilisant les protéines protumorales grâce à des processus de O-N-acétylglucosaminylation [4]. Il existe donc une hétérogénéité métabolique intratumorale révélant la complexité de la reprogrammation métabolique qui ne se limite sûrement pas à une activation exacerbée de la glycolyse et de la glutaminolyse. L’accessibilité restreinte des cellules tumorales aux nutriments et à l’oxygène, due au proéminent stroma, et l’activation constitutive de K-Ras oncogénique, induisent des modifications métaboliques essentielles à l’expansion des cellules tumorales [5]. Définir précisément les mécanismes de reprogrammation métabolique constitue alors un véritable défi pour la découverte de nouvelles stratégies thérapeutiques.

L’avidité des cellules tumorales pancréatiques pour les lipoprotéines en général et le cholestérol en particulier

Grâce à l’utilisation des souris PKI décrites ci-dessus, nous avons défini la signature transcriptionnelle de l’adénocarcinome canalaire pancréatique, signature à partir de laquelle une cartographie des voies métaboliques altérées dans cette tumeur a pu être établie. De manière surprenante, les voies impliquées dans le métabolisme lipidique sont les plus activées dans la tumeur, et en particulier celles qui sont associées au catabolisme des lipoprotéines (Figure 1A) [6]. Les lipoprotéines LDL (low-density lipoprotein), principaux réservoirs de cholestérol circulant de l’organisme, sont capturées par les cellules tumorales qui surexpriment à leur surface le récepteur des LDL, le LDLR (LDL receptor). Celui-ci est exprimé par les cellules tumorales pancréatiques quel que soit leur degré de différenciation. Par ailleurs, son expression est très supérieure à celle de l’enzyme limitante de la voie de synthèse du cholestérol, HMGCR (3-hydroxy-3-methylglutaryl-CoA reductase) [6]. Par conséquent, l’adénocarcinome canalaire pancréatique satisfait ses besoins en cholestérol en activant majoritairement la capture du cholestérol exogène au détriment de la voie de synthèse endogène. L’inhibition de la voie de synthèse, par les statines, ne serait donc qu’un coup d’épée dans l’eau pour limiter le contenu en cholestérol des cellules tumorales pancréatiques, face à l’entrée massive de cholestérol via le LDLR. D’ailleurs, aucun bénéfice thérapeutique des statines associées à la chimiothérapie par la gemcitabine1 n’a pu être observé chez des patients atteints d’adénocarcinome canalaire pancréatique avancé [7]. Nous avons montré que les tumeurs des patients atteints de ce cancer avec un risque élevé de récurrence tumorale ou métastatique expriment fortement le LDLR, ce qui signe un besoin massif en cholestérol des tumeurs les plus agressives [6].

Quelles sont les causes de cette surexpression du LDLR dans ces tumeurs ? Ce récepteur étant finement régulé, des études plus poussées sont nécessaires pour définir les mécanismes moléculaires qui modifient sa stabilité dans la tumeur pancréatique. Différents régulateurs post-transcriptionnels du LDLR ont récemment été découverts : d’une part les protéines ZFP36L1 et ZFP36L2, qui, par leur liaison aux régions non traduites en 3’du Ldlr, diminuent sa demi-vie [8], et, d’autre part, les ubiquitine ligases de type E3 spécifiques du LDLR, IDOL (inducible degrader of the LDLR), qui induisent son ubiquitination, puis sa dégradation [9] (Figure 1B). Enfin, les protéines sécrétées PCSK9 (proprotein convertase subtilisin/kexin 9), en se fixant sur la partie extracellulaire du récepteur, entravent, après l’internalisation de ce dernier, son recyclage de l’endosome vers la membrane plasmique, et favorisent sa dégradation dans le compartiment lysosomal [10] (Figure 1B). Quel que soit le processus à l’origine de l’expression massive du LDLR dans l’adénocarcinome canalaire pancréatique, nous avons démontré que son extinction bouleverse le ratio de cholestérol libre (forme active) et de cholestérol estérifié (forme stockée) dans la cellule tumorale [6]. La surcharge en cholestérol libre résultant de ce déséquilibre est associée à un ralentissement de la progression tumorale. De plus, cette perturbation métabolique induite par l’inhibition du LDLR sensibilise les cellules tumorales à la chimiothérapie.

En conclusion, le ciblage du LDLR ouvre donc une nouvelle fenêtre thérapeutique pour combattre l’adénocarcinome canalaire pancréatique. L’identification d’outils thérapeutiques déstabilisant le LDLR, ou bloquant son activité, constitue de réelles options pour le développement de nouveaux essais cliniques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Un antimétabolite analogue de la déoxycytidine.
References
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