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Published online 2015 September 4. doi: 10.1051/medsci/20153108014.

Rôles des sidérophores bactériens et de mammifères dans les interactions hôtes-pathogènes

Sophie Vaulont1,2,3,4* and Isabelle Schalk5,6

1Inserm U1016, institut Cochin, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014Paris, France
2CNRS, UMR8104, Paris, France
3Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Paris, France
4Laboratory of excellence GR-Ex 
5UMR 7242, université de Strasbourg-CNRS, ESBS, Strasbourg, France
6CNRS, UMR 7242, ESBS, Illkirch, France
Corresponding author.
 

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Vignette : sidérophore (© www.deacademic.com-Deutsch Wikipedia).

Le fer : fonctions et toxicité

Le fer possède la faculté d’acquérir et de perdre facilement des électrons passant ainsi de la forme ferreuse Fe2+ à la forme ferrique Fe3+, et inversement. Cette propriété assez unique lui procure un rôle essentiel dans les processus d’oxydation et de réduction dans le règne du vivant. De fait, que ce soit pour les cellules procaryotes ou eucaryotes, le fer est indispensable à de nombreux processus essentiels à la vie, tels que la synthèse d’ADN, d’ARN et de protéines, le transport d’électrons, la respiration cellulaire, la prolifération cellulaire et la régulation de l’expression des gènes [1, 2]. Ce métal existe essentiellement sous deux formes dans notre organisme : le fer héminique (95 % du fer), qui entre dans la constitution de l’hémoglobine, de la myoglobine et de certaines enzymes (cytochromes), et le fer non associé à l’hème (regroupé sous le terme de fer non héminique), interagissant avec certaines enzymes (comme la tyrosine hydroxylase pour la synthèse des catécholamines, la tryptophane hydroxylase pour la synthèse de la sérotonine et la ribonucléotide réductase pour la synthèse des nucléotides), les protéines à centre Fe/S1, les protéines chaperonnes et les protéines de transport et de réserve du fer (la transferrine et la ferritine) [54] ().

(→) Voir la Synthèse de B. Py et F. Barras, m/s n° 12, décembre 2014, page 1110

Les propriétés chimiques du fer le rendent également potentiellement toxique [3, 4]. Cette toxicité provient de la capacité du fer ferreux Fe2+ à engendrer des espèces activées de l’oxygène (ROS : reactive oxygen species) par la réaction de Fenton :

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Cette réaction catalyse la conversion du peroxyde d’hydrogène en radicaux hydroxylés hautement réactifs avec les protéines, les lipides et l’ADN, qui, s’ils ne sont pas détoxifiés par les systèmes antioxydants, peuvent conduire à des situations pathologiques de stress oxydant dont les implications dans les maladies métaboliques, neurodégénératrices, l’athérosclérose, le cancer et le vieillissement sont bien décrites [5]. C’est pour contourner ces problèmes de toxicité du fer ferreux et de faible solubilité du fer ferrique, que le fer circule dans notre organisme lié à des protéines (soit par interaction directe, soit via des groupements prosthétiques, comme l’hème ou les centres Fe/S) l’empêchant ainsi de catalyser des cycles d’oxydoréduction toxiques [6]. Cependant, il existe un pool de fer non associé à des protéines (appelé fer libre), en faible quantité, difficilement dosable et hautement réactif, qui doit être bien contrôlé [7]. Ce fer constitue un pool de fer transitoire, en mouvement permanent, dont la répartition dans la cellule est sensible à l’environnement (potentiel d’oxydoréduction, redox et pH) [8].

Le fer est aussi un nutriment essentiel pour les bactéries dont la virulence dépend de leur capacité à assimiler le fer de l’hôte. Comme nous allons le voir, au cours des infections, une véritable compétition pour le fer s’installe entre le pathogène et l’hôte, chacun luttant pour sa survie.

Les sidérophores bactériens

Pour acquérir de façon efficace le fer, les bactéries ont développé différentes stratégies de capture du métal qui dépendent de sa disponibilité dans l’environnement, de sa nature (ionique, héminique), et de son degré d’oxydation [9, 10]. Lorsque le fer est en quantité limitée, les bactéries produisent et sécrètent des sidérophores (du grec pherein et sideros signifiant « porter le fer »). Ce sont des molécules de faible poids moléculaire (200 à 2 000 Da), sécrétées par les bactéries dans leur environnement et capables de chélater avec une très haute affinité le fer ferrique Fe3+ [11, 12]. Les complexes sidérophore-Fe3+ sont ensuite récupérés par la bactérie grâce à des transporteurs membranaires spécifiques [1315]. Dans la bactérie, la dissociation du fer de son chélateur nécessite en général une réduction du fer Fe3+ en fer Fe2+ (le sidérophore ayant une plus forte affinité pour la forme ferrique Fe3+) et une dégradation ou une modification chimique du sidérophore le rendant moins affin pour le métal [16]. Il existe une très grande diversité de sidérophores bactériens avec plus de 500 chélateurs identifiés à ce jour, de structures chimiques différentes. Ils se répartissent en trois grandes familles selon la fonction chimique chélatrice : les phénolates-catécholates, qui possèdent un groupement acide 2,3-dihydroxybenzoïque (dihydroxybenzoic acid - 2,3-DHBA), les hydroxamates et les acides hydroxycarboxyliques (Figure 1) [11, 12]. Très souvent, les bactéries peuvent produire et sécréter un ou plusieurs sidérophores de structures chimiques différentes, mais elles peuvent aussi utiliser des sidérophores exogènes, produits par d’autres microorganismes, ce qui leur évite de les synthétiser.

Comme exemple de sidérophores, nous pouvons citer l’entérobactine (appelée encore entérochéline), produite par Escherichia coli (agent d’infections intestinales), un des plus puissants et des plus répandus des sidérophores, chélatant le fer via trois groupements 2,3-DHBA [17], la mycobactine, produite par Mycobacterium tuberculosis (agent de la tuberculose) [18] et les pyoverdines produites par Pseudomonas sp. (responsables d’infections en particulier pulmonaires dans le cas de Pseudomonas aeruginosa) [19]. La très forte affinité des sidérophores pour le fer leur permet de pirater le fer de l’hôte, le plus souvent celui qui est lié aux molécules de faible poids moléculaire, mais également, pour certains d’entre eux, celui qui est associé aux protéines de transport et de stockage du fer, la transferrine et la ferritine [20, 21].

L’arme anti-sidérophore de l’hôte : les sidérocalines

Durant une infection, l’hôte développe différentes stratégies pour se défendre et empêcher l’acquisition du fer par la bactérie. Il diminue par exemple l’absorption intestinale du fer ou augmente la production de lactoferrine par les polynucléaires neutrophiles présents sur les sites d’infections [22, 23]. Une autre stratégie consiste en la synthèse de sidérocalines (un sous-groupe des lipocalines), qui sont des protéines antibactériennes capables de lier spécifiquement les sidérophores [24, 25]. Les lipocalines sont des petites molécules sécrétées dont la structure tridimensionnelle conservée est capable de réagir avec une grande diversité de ligands hydrophobes [26]. Les caractéristiques des sites de liaison des sidérocalines assurent une large spécificité vis-à-vis de différents sidérophores, permettant ainsi une protection de l’hôte contre plusieurs pathogènes. Des sidérocalines ont été identifiées dans de nombreuses espèces animales et végétales, et il est généralement admis que ces molécules se développent et s’adaptent en fonction du milieu microbien. Pour déjouer cette défense de l’hôte, les bactéries développent plusieurs stratagèmes. En particulier, certaines bactéries produisent plusieurs sidérophores, dont certains ne sont pas reconnus par les sidérocalines (c’est le cas de la salmochéline et l’aérobactine) ; elles peuvent aussi acquérir le fer directement à partir de la transferrine ou de la lactoferrine, sans l’intervention de sidérophores, via des transporteurs membranaires spécifiques, ou encore utiliser un système d’acquisition des hèmes.

La plus étudiée des sidérocalines est la lipocaline 2 (encore appelée NGAL pour neutrophil gelatinase associated lipocalin, Lcn2 ou 24p3). C’est une protéine de 25 kDa, qui a été identifiée en 1996 dans les granules de polynucléaires neutrophiles puis dans de nombreuses cellules épithéliales, en particulier au niveau des cellules tubulaires proximales du rein. Elle est produite en réponse à différents stimulus physiopathologiques (inflammation, intoxication, infection, ischémie, transformation néoplasique). Chez l’homme, la protéine est détectée dans le sang et à un faible niveau dans les urines, étant filtrée par le glomérule et réabsorbée dans le tube proximal du rein [27].

En 2002, deux études publiées simultanément dans la revue Molecular Cell décrivaient les bases moléculaires du rôle de NGAL dans l’homéostasie  du fer. Tout d’abord, Yang et al. identifient dans les cellules eucaryotes une nouvelle voie d’import du fer, via un mécanisme d’endocytose impliquant NGAL, et indépendant du cycle d’endocytose transferrine/récepteur [28]. Goetz et al. découvrent la nature du ligand de NGAL : il s’agit du fer Fe3+ lié à des sidérophores bactériens (en particulier l’entérobactine de la famille des sidérophores de type catécholate, voir Figure 2 ) [29]. L’entérobactine (Ent) est un chélateur bactérien du fer extrêmement puissant avec une affinité de 1049 M-1 pour l’ion ferrique, qui peut par exemple pirater chez l’hôte le fer lié à la transferrine. Contrairement à cette dernière et à la lactoferrine, NGAL ne chélate pas directement le fer, mais reconnaît et lie uniquement des complexes sidérophore-Fe, empêchant ainsi les bactéries de les récupérer et par conséquent le fer, essentiel à leur croissance et leur prolifération. Le complexe NGAL-Ent-Fe3+ est stable à pH 4, ce qui permet à NGAL de séquestrer l’Ent-Fe3+ dans la plupart des liquides biologiques, même les urines acides. Le fer est ensuite libéré du complexe NGAL-Ent-Fe3+ dans les endosomes, après sa réduction en fer ferreux et le clivage protéolytique de NGAL [30].

Deux ans après ces travaux pionniers, le rôle de NGAL dans la réponse immunitaire innée est démontré in vivo. L’expression de la protéine NGAL est augmentée dans des conditions d’infection et d’inflammation par un mécanisme dépendant de TLR4 (toll-like receptor 4). NGAL intercepte les complexes sidérophores-Fe3+ et soustrait le fer aux pathogènes [31]. Les souris NGAL-/- sont très sensibles aux infections induites par une injection systémique de bactéries dont l’apport en fer repose essentiellement sur des sidérophores de type catécholate comme l’entérobactine d’E. coli. Dernièrement, le rôle protecteur de NGAL, produite par les cellules intercalées du tube collecteur du rein, a également été démontré au cours des infections du tractus urinaire [32]. Chez des souris dépourvues de ces cellules rénales spécialisées, l’expression de NGAL est considérablement diminuée, avec pour conséquence une moindre clairance bactérienne et une persistance de l’infection [32].

Les voies d’acquisition du fer bactérien et les sidérophores : des outils ou des cibles en antibiothérapie

Étant donné l’importance du fer pour la croissance et la virulence bactériennes, de nombreuses équipes cherchent aujourd’hui à cibler ces molécules comme nouvelle approche thérapeutique pour les maladies infectieuses. Différentes cibles sont possibles et plusieurs voies sont étudiées, comme réduire la production de sidérophores, inhiber leur sécrétion ou le transport des complexes sidérophore-fer du milieu extracellulaire vers le cytoplasme de la bactérie, ou encore altérer les mécanismes qui contrôlent l’homéostasie du fer. Les travaux de l’équipe de Niederweis constituent un exemple prometteur dans le domaine. Après infection de souris Balb/c par une souche mutante de Mycobacterium tuberculosis déficiente pour l’export/recyclage des sidérophores, la charge bactérienne pulmonaire a été réduite de façon spectaculaire et le tissu ne présentait aucune lésion (Figure 3). Les souris infectées par cette souche survivent 180 jours, contrairement à celles qui ont reçu une souche sauvage [33, 34].

De nombreuses publications montrent que les voies d’acquisition du fer utilisant des sidérophores peuvent aussi être utilisées pour véhiculer des antibiotiques vers l’intérieur de la bactérie, une stratégie appelée « cheval de Troie » [35]. Un parfait exemple de cette démarche est l’albomycine : cet antibiotique naturel produit par Streptomyces et appartenant à la famille des sidéromycines, est constitué de deux entités reliées de manière covalente : un sidérophore et un antibiotique [36, 37]. La partie chélatrice de l’albomycine, qui a de fortes similitudes structurales avec le ferrichrome, un sidérophore utilisé par E. coli, permet à la molécule, après chélation du fer, d’entrer dans la bactérie via les transporteurs membranaires de ce sidérophore et d’atteindre sa cible. La présence de cette partie sidérophore augmente de façon très significative l’activité antibiotique de l’albomycine. D’autres molécules naturelles de ce type sont décrites dans la littérature comme les microcines [38]. Aujourd’hui, plusieurs équipes essaient de développer des molécules synthétiques de ce type (pour revue voir [35, 3840]). En effet, les voies d’assimilation du fer utilisant les sidérophores sont très exprimées durant une infection et peuvent donc être utilisées pour véhiculer des antibiotiques dans la bactérie, et ainsi augmenter l’efficacité de certaines drogues vis-à-vis de pathogènes peu perméables.

Il est également intéressant de remarquer que la très forte affinité des sidérophores pour le fer a conduit à l’utilisation de ces métabolites bactériens pour le traitement des surcharges en fer. Dès les années 1960, la déféroxamine (molécule d’origine naturelle, issue de Streptomyces pilosus et connue sous le nom de desféral) a été utilisée pour le traitement de patients atteints d’hémoglobinopathies comme la thalassémie [41]. Aujourd’hui, de nouveaux chélateurs synthétiques ont pris place sur le marché (défériprone et déférasirox). Outre le traitement des surcharges systémiques en fer (foie, cœur et glandes endocrines comme dans la thalassémie et les hémochromatoses génétiques), l’utilisation de ces chélateurs pour des surcharges en fer plus localisées, comme dans le cerveau chez des patients atteints d’ataxie de Friedreich ou certaines maladies neurodégénératives (comme la maladie de Parkinson), est aujourd’hui en plein essor [42].

Et si les mammifères avaient leur propre sidérophore ?

L’hypothèse de l’existence de sidérophores de mammifères repose sur la découverte du récepteur de NGAL identifié en 2005 par Devireddy et al. [43] et appelé 24p3R. Lors de ce travail, les auteurs font une constatation surprenante. Si le récepteur est capable de lier les deux formes de NGAL (apo- [forme libre] ou holo-NGAL [forme chargée en complexe sidérophore-Fe]), le phénotype conféré à la cellule eucaryote est en revanche très différent selon qu’elle reconnaît l’une ou l’autre forme. En présence du complexe d’holo-NGAL (NGAL-sidérophore-Fe3+), une augmentation du pool de fer intracellulaire est observée. En revanche, en présence d’apo-NGAL, les cellules meurent par une apoptose induite par la diminution du fer intracellulaire, un effet cytotoxique déjà décrit pour certains chélateurs du fer [44], avec un export du métal par exocytose dans le milieu de culture sous la forme d’holo-NGAL. Ainsi, sous sa forme holo-NGAL, ce dernier permet l’apport de fer à une cellule eucaryote via le détournement de complexes sidérophore-Fe bactériens. Sous sa forme libre (apo-NGAL) [45], NGAL va extraire le fer de la cellule eucaryote par un mécanisme indépendant des sidérophores bactériens (Figure 4).

Pour expliquer cet export par les cellules du fer par NGAL, les auteurs font l’hypothèse de l’existence d’un sidérophore de mammifères qui serait capable d’être lié et exporté des cellules eucaryotes par l’apo-NGAL. Ce sidérophore de mammifère a été purifié et sa structure chimique identifiée comme étant le 2,5-DHBA, un isomère du groupement de liaison du fer des entérochélines (le 2,3-DHBA, voir Figure 1 ) [46]. L’enzyme BDH2 (3-OH butyrate déshydrogénase), qui permet la synthèse du sidérophore, a été identifiée par analogie avec l’enzyme bactérienne (EntA) responsable de la synthèse du 2,3-DHBA. Dans les cellules de mammifère, la diminution de BDH2 obtenue par la stratégie de shARN (short hairpin) entraîne un défaut de production de 2,5-DHBA et fait perdre à l’apo-NGAL la capacité de lier le fer et, par la même, sa capacité à tuer la cellule par apoptose. Inversement, l’addition de 2,5-DHBA suffit à induire à nouveau la mort cellulaire. En l’absence de 2,5-DHBA, les auteurs observent également une accumulation intracellulaire de fer par rapport aux cellules contrôles ainsi qu’une augmentation du stress oxydant. De façon intéressante, si la quantité de fer est globalement plus élevée dans la cellule, elle est en revanche diminuée dans les mitochondries isolées (avec une diminution de l’activité des protéines Fe/S, des ROS mitochondriales et de la synthèse d’hème), suggérant un rôle important des sidérophores de mammifères dans le transport du fer vers la mitochondrie [46].

Des souris invalidées pour le gène codant pour l’enzyme BHD2 ont été générées et deux articles décrivent le métabolisme du fer et la réponse bactérienne chez les souris BDH2-/- [47]. Elles se caractérisent par l’absence de 2,5-DBHA dans les urines, développent une hyposidérémie (diminution du taux sérique de fer), une anémie microcytaire (diminution du volume globulaire moyen des globules rouges) et hypochrome (diminution de la concentration en hémoglobine des hématies) et une accumulation transitoire de fer dans la rate et le foie [47, 48]. Cette accumulation intracellulaire du fer s’explique, tout comme dans les modèles in vitro, par l’absence d’incorporation du fer dans les mitochondries. Lors d’un régime riche en fer, les souris mutantes montrent une sensibilité accrue à la surcharge martiale (avec 20 % de mortalité) et des dommages hépatiques très importants. L’ensemble de ces résultats suggèrent ainsi un rôle clé des sidérophores de mammifère dans le trafic du fer entre le cytosol et les mitochondries, organites les plus consommateurs de fer pour la synthèse d’hème et des centres Fe/S. L’implication de l’enzyme BHD2 dans le métabolisme du fer est renforcée par l’existence d’une séquence IRE (iron-response element) au niveau des séquences 3’ UTR de l’ARNm de cette enzyme, conduisant à une régulation par le fer via les protéines IRP (iron-regulatory protein) (pour revue sur le système IRE-IRP, voir [49, 50]) : en conditions de fer élevé, les taux d’expression de BHD2 sont ainsi diminués, permettant d’éviter une surcharge en fer mitochondriale et par là même une augmentation des ROS.

L’enzyme BDH2, et par conséquent le sidérophore 2,5-DHBA qu’elle synthétise, sont de nouveaux acteurs importants de l’homéostasie du fer. Ils sont nécessaires au recyclage correct du fer de l’hème de l’hémoglobine par les macrophages et à son transfert hors des cellules. Ce recyclage macrophagique permet d’apporter l’essentiel du fer nécessaire à l’érythropoïèse (soit environ 25 mg exportés par jour), l’absorption du fer au niveau intestinal étant limitée à 10-20 % (soit environ 1 mg/jour) par l’hormone du fer, l’hepcidine2 [5556].

Au vu de la similitude structurale entre le 2,5-DHBA et l’entérobactine produite par E. coli et de la forte compétition pour le fer entre l’hôte et le pathogène durant une infection, l’hypothèse selon laquelle le 2,5-DHBA pourrait être utilisé par les bactéries pour favoriser leur croissance chez l’hôte est apparue comme une évidence. En effet, les expériences ont montré que le déficit en 2,5-DHBA des souris BDH2-/- confère une certaine résistance à l’infection bactérienne par E. coli qui est perdue lorsque les souris sont prétraitées avec le 2,5-DHBA [48]. Pour faire face à cette capture de fer des bactéries via le 2,5-DHBA, les cellules de l’hôte diminuent leur production de BDH2. Cette répression est dépendante de TLR4 et implique le facteur de transcription Blimp-1 (B lymphocyte-induced maturation protein-1) [48]. Ainsi, la sidérocaline NGAL et l’enzyme BDH2 sont régulées de façon réciproque par TLR4, permettant une protection maximale contre les infections en augmentant la capture du fer en complexe avec les sidérophores bactériens, tout en diminuant la production des sidérophores de mammifères de la cellule hôte.

Les sidérophores de type 2,5-DHBA ne constituent certainement pas les seuls ligands de NGAL. En utilisant de nombreux tests de liaison qualitatifs et quantitatifs in vitro à partir des urines (qui sont riches en sidérocaline), l’équipe de Barasch montre que le simple groupement catéchol (le groupement 2,3-DHBA de l’entérobactine, voir Figure 1 ) est capable de former des complexes ternaires stables NGAL-2,3-DHBD-Fe [51]. En effet, in vivo, lorsque les auteurs injectent séparément à des souris de l’apo-NGAL et des complexes 2,3-DHBD-Fe, un complexe NGAL-2,3-DHBD-Fe est détecté dans la circulation sanguine. Le fer se retrouve alors distribué dans un certain nombre d’organes, en particulier le rein. À noter que les catéchols sont des métabolites abondants chez les mammifères. Ils dérivent des composants alimentaires (polyphénols), en partie grâce à l’activité métabolique des microorganismes, et sont excrétés en grande quantité dans les urines [52].

En conclusion, la découverte de ces deux sidérophores de mammifères, le 2,5-DHBA et le 2,3-DHBA, est importante dans le cadre de l’homéostasie du fer dans les organismes supérieurs. Pendant des décennies, les sidérophores ont été décrits comme pouvant être produits uniquement par les bactéries, les levures et les plantes. L’ensemble de la littérature résumé dans cette revue indique que les sidérophores seraient également présents sous des formes chimiques plus simples chez les mammifères et permettraient apparemment un transport du fer totalement indépendant de la transferrine [53]. Dans le cadre des interactions hôtes-pathogènes, chaque acteur est capable de pirater le sidérophore de l’autre pour acquérir le fer. Cela illustre à nouveau le rôle clé du fer dans le monde du vivant et montre la complexité de cette compétition entre l’hôte et le pathogène pour ce nutriment. De nombreuses questions subsistent pour le futur : existe t-il d’autres sidérophores de mammifères et quel est le rôle et l’importance de ces molécules en physiopathologie ?

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Les protéines à centres Fe-S [54] sont retrouvées dans tous les règnes du vivant et contiennent principalement des centres de type [2Fe-2S], [3Fe-4S] et [4Fe-4S].
2 L’hepcidine est une protéine synthétisée dans le foie sous la forme d’un précurseur et excrétée dans la circulation sous la forme d’un peptide mature très court de 25 acides aminés. Elle intervient dans la régulation de l’absorption intestinale du fer alimentaire.
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