2010


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Recommandations
La politique de réduction des risques chez les usagers de drogues fondée en France sur la mise en place d’un accès élargi au matériel d’injection, aux traitements de substitution aux opiacés, au dépistage du VIH et aux traitements antirétroviraux, a joué un rôle important sur la réduction de l’incidence du VIH, la baisse des décès liés aux usages de drogues et l’amélioration de l’accès aux soins pour les usagers de drogues. Mais, les résultats insuffisants sur l’infection par le VHC, l’émergence de nouvelles populations non couvertes par les dispositifs existants, le développement de nouvelles pratiques à risque ou le recours à l’injection par certains groupes d’usagers, ainsi que la hausse récente du nombre de décès liés aux usages de drogues, mettent en lumière les limites atteintes par cette stratégie.
Les risques et les dommages liés aux usages de drogues, notamment le risque de transmission du VIH, du VHC et VHB et d’autres maladies infectieuses, sont déterminés par plusieurs facteurs :
• des facteurs épidémiologiques (charge virale VIH, VHB ou VHC, modalités de partage de matériel, susceptibilité individuelle) ;
• des facteurs psychosociaux (connaissances et attitudes par rapport à la prise de risques, craving, intoxication), consommation d’alcool, troubles psychiatriques ;
• des facteurs environnementaux (usage « pressé » dans des lieux publics surtout dans le cas de pression policière, absence d’accès au matériel stérile, prisons).
L’injection d’opioïdes (héroïne, morphine, buprénorphine) ou de cocaïne qui entraîne des prises fréquentes, la persistance d’autres pratiques à risque comme le sniffing, le tatouage et le piercing et la surconsommation de stimulants et d’alcool qui facilite une prise de risque en particulier sexuelle, contribuent de façon significative à la transmission du VIH, VHC et VHB.
Il est essentiel de documenter l’impact des programmes disponibles en France sur des indicateurs de risques et de dommages liés aux usages de drogues et d’évaluer si d’autres stratégies thérapeutiques et politiques sanitaires en matière de réduction des risques mises en place à l’étranger ou à l’étude peuvent être envisagées afin de les réduire.
La politique de réduction des risques ne peut être considérée comme la seule mise à disposition d’outils, elle doit s’intégrer dans une stratégie plus globale de réduction des inégalités sociales de santé.
Dans cet objectif, une culture commune doit être recherchée pour tous les acteurs qui interviennent dans le champ de la toxicomanie : professionnels de santé (médecins libéraux, pharmaciens, médecins hospitaliers...) ; associations ; acteurs du champ médico-social et social. Les « acteurs généralistes » effectuent un travail de fond en assurant un accès aux soins et aux droits alors que des « intervenants spécialisés » interviennent sur des aspects spécifiques pour des populations particulières.

Définir un cadre pour faire évoluer les actions de réduction des risques

Développer un volet sanitaire et social dans les politiques publiques de réduction des risques

Les évolutions des usages et des dommages confortent la nécessité d’adapter en permanence la réponse sociétale à des comportements « à risques » bien identifiés. Les stratégies de réduction des risques, non entravées par une politique répressive inappropriée, permettent d’assurer un accompagnement social des usagers et une prise en charge de leur santé. En ce sens, le développement récent des Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) a été une étape importante, de même le rappel des missions de réduction des risques pour les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). L’implication d’associations ou d’acteurs militants qui assurent des interventions de proximité au plus proche des lieux de vie et des besoins des usagers est importante pour venir en aide aux populations les plus vulnérables telles que les mineurs en errance, les migrants, les femmes, les personnes détenues... La prise en charge des problèmes de santé des usagers de drogues ne peut être isolée de celle des problèmes sociaux.
Le groupe d’experts recommande de promouvoir cohérence et articulation des différentes politiques publiques sanitaires, sociales et pénales pour rendre efficace toute la stratégie de réduction des risques liés à l’usage de drogues. L’approche collective de la réduction des risques doit pouvoir faire face à la diversité des besoins de chaque usager de drogues par une réponse individualisée de la part de chaque soignant. Une politique gradualiste permet d’inscrire la réduction des risques dans une logique de continuum et non d’opposition avec les stratégies de prise en charge de la dépendance.

Promouvoir une egalité d’accès aux dispositifs de réduction des risques pour l’ensemble des usagers de drogues

Le dispositif de réduction des risques est bâti à la fois sur des structures, des programmes et des actions complémentaires. Il a pour objectif la prévention du risque infectieux par la mise à disposition de matériel d’injection stérile, la diffusion de messages préventifs, l’accès au dépistage parmi une population à haut risque, la prescription de traitements de substitution aux opiacés (TSO) et l’appui aux usagers dans l’accès aux soins, aux droits, au logement et à l’insertion professionnelle.
Les TSO, très majoritairement prescrits en France avec un faible seuil d’exigence par la médecine de ville, représentent un dispositif majeur de la réduction des risques. Environ 130 000 personnes ont reçu en 2007 un médicament de substitution aux opiacés dont la buprénorphine haut dosage (BHD) représente 75 à 80 % de l’ensemble.
La mobilisation des pharmaciens dans la vente libre des seringues a été forte mais des réticences persistent. Seulement une minorité d’entre eux ont accepté l’installation de distributeurs de Stéribox® sur la devanture de leur officine. L’accessibilité des seringues et des kits d’injection devrait être effective dans 100 % des pharmacies françaises.
Des automates, distributeurs, récupérateurs et échangeurs de trousses de prévention sont actuellement répartis sur le territoire. Installés sur la voie publique, gérés par le milieu associatif et/ou certaines municipalités, ces systèmes automatiques de récupération et d’échange permettent l’accès au matériel 24h/24. Fin 2006, il existait 255 points de distribution de trousses de type Stéribox® et 224 points de collecte de seringues dans 56 départements. Ce nombre est insuffisant, un tiers sont obsolètes et ont besoin d’être modernisés.
Les structures d’accueil de première ligne (boutiques, Caarud, bus...) sont des lieux de contact situés au plus près des usagers. Elles s’adressent aux usagers de drogues actifs, certains en grande précarité, et leur proposent des prestations diverses : petite restauration, soins infirmiers de première urgence, possibilité de se doucher et de laver son linge, échange de matériel de prévention des risques infectieux. Elles ne couvrent pas le territoire et sont en particulier absentes en périphérie des villes de province et en milieu rural. Les Caarud sont absents dans 25 départements et 2 départements n’ont ni Caarud ni Csapa. Le dispositif est essentiellement développé à Paris.
Le groupe d’experts recommande d’instaurer l’égalité d’accès des programmes existants à l’ensemble des usagers de drogues et en particulier les plus marginalisés par le déploiement du dispositif au niveau territorial. Il préconise en particulier le renforcement et la modernisation du réseau d’automates en étudiant la possibilité d’y associer plusieurs types de distribution (préservatifs, seringues...). Il serait également judicieux d’intégrer au dispositif de nouveaux outils adaptés à l’évolution des pratiques dès leur validation.

Adapter le dispositif de la réduction des risques à la spécificité des populations

Les dispositifs d’observation permettent d’identifier régulièrement des évolutions dans les profils et pratiques des usagers, les produits consommés ainsi que les dommages associés. Une nouvelle population d’usagers (jeunes, 16-25 ans) de psychostimulants (cocaïne, « free base » ou crack, amphétamines...) émerge en milieu festif et dans les quartiers populaires et les banlieues. Si la population est encore majoritairement masculine, la part des femmes augmente et notamment des très jeunes en grande précarité sociale. La banalisation du poly-usage dont l’alcool tend à favoriser l’expérimentation de nouveaux produits.
Depuis quelques années, un accroissement de l’usage de la cocaïne par injection est rapporté dans l’espace urbain. L’injection peut entraîner la prise compulsive et des problèmes sanitaires dus au surdosage sont de plus en plus visibles : accidents cardiaques, accidents vasculaires cérébraux, atteintes pulmonaires, troubles psychiatriques, sans oublier les risques de transmission des maladies infectieuses (VIH, VHC...). De plus, la demande de soin chez ces consommateurs ne se fait que très tardivement.
Des populations socialement précaires (certains groupes de migrants, jeunes en errance...) vivant dans des squats collectifs, ayant des pratiques variées d’usage de drogues, sont particulièrement difficiles à prendre en charge : situation illégale, problèmes linguistiques... Des associations effectuent « un travail de rue » qui vise à instaurer un dialogue avec ces usagers les plus marginalisés, afin de les mettre en confiance et les accompagner vers des structures de soins ou d’autres lieux d’accueil. Ces associations doivent être soutenues.
Le groupe d’experts recommande de prendre en considération les caractéristiques des populations d’usagers pour définir et adapter le dispositif de réduction des risques en particulier vis-à-vis des très jeunes, des migrants très marginalisés, des usagers ayant des troubles psychiatriques. Il convient de s’appuyer sur le savoir-faire des équipes de médiation qui vont à la rencontre de ces populations et les rendent plus visibles. Elles aident ainsi à l’adaptation du dispositif aux besoins identifiés, transmettent des messages de prévention et renforcent les liens avec les professionnels du champ sanitaire et social : éducateurs spécialisés, assistant(e)s sociaux, médecins ou infirmier(e)s.

Adapter les outils et approches de réduction des risques à l’évolution des substances et nouvelles modalités de consommation

La politique de réduction des risques doit s’adapter à l’évolution des nouvelles modalités de consommation. Au cours des dernières années, l’inhalation de crack, l’injection de buprénorphine constituent de nouvelles sources de contaminations infectieuses par le VHC en particulier et entraînent d’autres effets sur la santé. De plus, ces consommations concernent une population souvent marginalisée et fortement dépendante. Les outils de réduction des risques doivent donc en permanence s’adapter à ces évolutions dans des populations cibles.
Les observations de terrains permettent d’identifier des sources de contaminations par le VHC liées à l’usage de drogues. Pour fumer le crack, les usagers utilisent des pipes très artisanales (doseur à alcool utilisé dans les cafés, canettes de soda transformées, filtres réalisés à partir de fils électriques). La pipe est habituellement utilisée plusieurs fois. Les problèmes rapportés par les usagers sont des brûlures et blessures des lèvres et des mains. Des travaux nombreux ont documenté l’implication du partage de la pipe à crack comme vecteur de transmission du VHC. Or, il existe un outil de prévention composé d’un doseur en pyrex, d’embouts, de filtres et de crèmes cicatrisantes. Ces kits spécifiques liés à l’usage du crack (voie fumée) sont en cours d’évaluation.
L’injection de buprénorphine (BHD), détournée de son usage comme traitement de substitution, est le fait d’une population ayant une dépendance sévère, polyconsommatrice de produits, souvent dépendante de l’alcool, présentant des syndromes dépressifs et sans domicile fixe. À cause des excipients des comprimés de BHD, l’injection peut s’accompagner de complications autour du site d’injection : abcès, nécrose tissulaire, œdèmes indurés des bras et des mains mais aussi des conséquences sanitaires graves : hépatite aiguë, hypertension, embolie pulmonaire... L’utilisation de filtres à usage unique permet d’éliminer en particulier les particules responsables des événements sanitaires fatals et de minimiser les risques associés à cette pratique. Ces outils sont donc à considérer dans la panoplie de mesures de réduction des risques disponibles pour les usagers de drogues qu’ils soient substitués ou non.
Le groupe d’experts recommande de prendre en compte l’évolution des pratiques d’usage et de consommation de substances pour améliorer les mesures déjà existantes et diffuser de nouveaux outils (kits d’injection, filtre à usage unique, kits d’inhalation pour le crack...).

élargir la palette des mesures et des approches dans un dispositif cohérent d’offres de services

Les programmes d’échange de seringues (PES) et les distributeurs constituent une mesure de réduction des risques qui a fait ses preuves en termes de réduction des comportements à risque avec une répercussion sur le risque infectieux (VIH, VHC). Des structures mettent à disposition des usagers du matériel d’injection stérile et du matériel servant à la préparation de l’injection, gratuitement ou non, avec comme objectifs la diminution du partage ou de la réutilisation des seringues, la réduction du nombre des seringues usagées abandonnées sur les lieux publics. Des études indiquent un impact majoré sur la réduction du risque infectieux par la combinaison des programmes d’échange de seringues et de traitements de substitution.
Par ailleurs, des centres d’injection supervisés (CIS) ont été expérimentés dans plusieurs pays et ont fait leur preuve sur la réduction des risques liés à l’injection (injections dans l’espace public, abcès, partage de seringues, overdose mortelle...) et l’accès aux soins.
Le groupe d’experts recommande de renforcer les liens entre différents programmes (PES, TSO, CIS le cas échéant...) dans un dispositif cohérent. Le groupe d’experts recommande de mener une étude des besoins pour l’ouverture d’un CIS afin de définir les objectifs spécifiques de ce dispositif (diminuer les overdoses mortelles, diminuer le nombre d’abcès, attirer des injecteurs à haut risque pour les (re)mettre en contact avec des structures de traitement...). La mise en place d’un CIS ne peut être envisagée que si ce dispositif répond à des besoins parfaitement identifiés tenant compte des évolutions de modalités d’usage de drogues qui peuvent varier d’un endroit à un autre : importance de l’injection en public, du nombre d’usagers de drogues par voie intraveineuse sans contact ou en rupture avec des structures de soin ; du nombre d’overdoses mortelles, des complications liées à l’acte d’injection (abcès). Ces centres, s’ils sont proposés, doivent être en mesure de couvrir ces besoins. Leur intégration dans un dispositif plus large, avec une bonne communication entre les services, est également indispensable. Enfin, pour garantir un fonctionnement adéquat, leur implantation doit reposer sur un consensus entre tous les acteurs locaux : santé, police, autorités politiques et administratives, population en général et voisinage immédiat, usagers eux-mêmes. Ceci demande une phase de préparation, d’explication, et de communication compte tenu des représentations souvent négatives qui prévalent pour ce type de dispositif. Une évaluation de la phase d’implantation est un élément important du processus d’acceptation des CIS.

Proposer un projet thérapeutique le mieux adapté au besoin individuel identifié

La relation au médecin constitue le principal support des différentes étapes du traitement de substitution et de tout autre traitement nécessaire à l’usager. Elle doit satisfaire les attentes et surmonter les difficultés dans le parcours de substitution. Fortement investie par les usagers, cette relation se présente comme un espace de négociations, d’ajustements du traitement et de l’attention portée à la personne dans ses difficultés au quotidien.
Pour le médecin, la mise en place du traitement de substitution peut viser la stabilisation de la santé et de la situation sociale de l’usager, l’arrêt des consommations, l’insertion sociale et professionnelle... La relation soignant-soigné s’adapte à la diversité et l’instabilité des situations des usagers au cours du traitement de substitution.
Pour l’usager, le traitement de substitution n’est pas un traitement au long cours comme les autres. Pour faire face aux aléas qui jalonnent sa vie et ses tentatives de s’en sortir, l’usager doit bénéficier d’un traitement régulièrement réajusté en particulier en ce qui concerne les dosages.
Le groupe d’experts recommande une plus grande prise en compte de la dimension chronique de la dépendance, de la durée de son traitement et des étapes de cette prise en charge à travers la mise en place d’un véritable projet thérapeutique. Une actualisation régulière de la situation des personnes et des objectifs du traitement doit être effectuée au cours du dialogue avec le médecin, afin d’optimiser la prise en charge et d’éviter les « mésusages ».

élargir la palette des options thérapeutiques en particulier pour les populations présentant une dépendance sévère

La méthadone et la buprénorphine sont inscrites dans la liste des médicaments essentiels de l’OMS. La France a été le premier pays à introduire le traitement à la buprénorphine haut dosage (BHD) de façon massive grâce à la médecine de ville. Actuellement, le traitement par la méthadone ne peut pas être initié par les médecins généralistes en France.
Dans plusieurs pays, la prescription de haut dosage de buprénorphine (pouvant aller jusqu’à 32 mg/jour) est effectuée pour les usagers ayant une dépendance sévère et pour lesquels une prescription de méthadone n’est pas possible (interactions médicamenteuses).
Certains usagers présentant une dépendance sévère et ayant subi de multiples échecs thérapeutiques ont des difficultés à passer d’un produit à action courte (héroïne) à un produit à action longue (traitement de substitution). Ils éprouvent également des difficultés à remplacer une substance injectable par une substance orale. Quelques pays ont montré l’efficacité de « l’héroïne médicalisée » par injection comme option thérapeutique pour des usagers dont les traitements de substitution ont échoué.
Le groupe d’experts recommande d’adapter le traitement de la dépendance aux besoins identifiés du patient et pour cela de pouvoir diversifier les options thérapeutiques. Tout d’abord, il recommande de développer l’accès à la méthadone dans tous les départements. En fonction des résultats de l’essai Méthaville, la primo-prescription de la méthadone pourrait être assurée en médecine de ville par des médecins volontaires, formés et habilités à cette prescription. Pour les patients avec une dépendance sévère, les plus à risque de transmission du VIH, VHC, VHB et qui ne peuvent pas être traités par la méthadone pour des raisons médicales, le groupe d’experts préconise d’envisager (après évaluation) dans un cadre médical strict, d’autres options thérapeutiques : dosages supérieurs de buprénorphine, d’autres formulations de médicaments de substitution déjà utilisées ailleurs (inhalation), et également l’héroïne médicalisée pour disposer d’une option de traitement par injection.

Développer des stratégies de suivi médical et social des usagers

La promotion et l’accessibilité au dépistage du VIH, VHB et VHC chez les usagers de drogue, injecteurs ou non, sont à intégrer dans la stratégie de réduction des risques. La mise à disposition de kits de dépistage rapide pour le VIH, le micro-prélèvement pour le VHC, le dépistage des infections sexuellement transmissibles et la proposition d’une vaccination contre l’hépatite B sont autant de propositions qui favorisent l’entrée de l’usager dans le parcours de soins.
Outre les infections virales chroniques (VHC, VIH, VHB, VHD), la consommation d’alcool, de tabac, les maladies psychiatriques, les infections notamment cutanées sont des comorbidités, fréquentes dans la population des usagers de drogues et leur repérage doit être considéré comme une priorité. Une mesure non invasive de la fibrose du foie peut maintenant être effectuée par le FibroScan et cette mesure peut également constituer une incitation à entrer dans un parcours de soins.
Le groupe d’experts préconise de proposer systématiquement un dépistage (et re-dépister au moins une fois par an) du VIH, VHC, VHB à tous les usagers de drogues dans les dispositifs de première ligne ainsi que dans tous les lieux fréquentés par les usagers (et en particulier lors de la prescription de TSO). Les équipes doivent être sensibilisées au dépistage des affections virales et être formées à l’évaluation des typologies générales des pathologies psychiatriques et des situations nécessitant une orientation en psychiatrie.
Le groupe d’experts recommande des prises en charge adaptées, concomitantes et multidisciplinaires. Pour se rapprocher de l’usager, il préconise de mettre en place dans chaque département un centre de consultations ambulatoires « tout compris » intégré au Csapa, offrant des prestations allant du dépistage au traitement des hépatites virales et de l’infection à VIH avec la possibilité de vaccination antivirale B.
Le groupe d’experts rappelle que le traitement s’inscrit dans une prise en charge globale somatique, psychologique et sociale afin d’améliorer le fonctionnement personnel, social et familial du patient. L’accompagnement psychosocial doit être considéré comme un aspect supplémentaire et nécessaire de tout traitement.

Prévenir le passage à l’injection et promouvoir des modes d’administration à moindre risque

Les données de la littérature indiquent que les contaminations par le VIH/VHC surviennent tôt dans les trajectoires des usagers, probablement au cours des deux premières années d’injections. En France, on observe un rajeunissement de l’âge à la première injection qui s’accompagne d’une diversification des caractéristiques sociodémographiques, des profils de consommation et des modes d’entrée dans l’injection parmi les jeunes usagers. L’initiation constitue une période particulièrement sensible et critique dans la mesure où la façon dont une personne est initiée influence sa pratique et ses prises de risques ultérieurs.
Compte tenu de la plus forte contagiosité du VHC, le développement de stratégies visant à réduire la fréquence d’injection, prévenir ou différer son initiation, faire en sorte qu’elle se déroule dans des contextes moins risqués devrait permettre de soutenir une politique de lutte contre le VHC. La prévention du passage à l’injection et la promotion de modes d’administration à moindres risques constituent des approches complémentaires dans le dispositif existant.
Dans cette perspective, plusieurs pays ont expérimenté une approche fondée sur une intervention dite brève. Les résultats positifs observés se traduisent par une modification de comportements (réduction du nombre d’initiations, réduction du nombre d’injections, diminution des pratiques à risque lors de la préparation de l’injection).
En compléments des approches classiques d’information, d’éducation et de communication, le groupe d’experts recommande de développer des interventions brèves avec pour objectifs la prévention du passage à l’injection, la réduction des risques liés à l’injection ou la transition vers d’autres modes d’administration jugés à moindres risques. Pour être efficaces, ces stratégies d’intervention doivent être adaptées et appropriées aux circonstances et aux pratiques individuelles et prendre en compte l’environnement social des usagers.

Spécifier une politique de réduction des risques pour les femmes

Les populations féminines usagères de drogues présentent des risques particuliers : violence, prostitution, risques sexuels, grossesse. Le nombre de jeunes consommatrices de moins de 25 ans est en augmentation dans les structures de première ligne. Cependant, les femmes qui ont des enfants se présentent moins souvent que les hommes dans les lieux de soins, elles craignent le retrait de la garde des enfants et préfèrent « se débrouiller » seules sans cure ni traitement. Le placement des enfants dont la mère consomme des substances se traduit, en l’absence d’accompagnement spécifique, par la rupture pure et simple du lien entre la mère et l’enfant.
Tous les produits sont potentiellement dangereux pendant la grossesse et les polyconsommations accroissent les dangers pour le fœtus. Les conséquences périnatales sont particulièrement graves : prématurité, souffrance fœtale, mort in utero, syndrome de sevrage néonatal, mort subite du nourrisson, troubles de la relation mère-enfant. Cependant, un arrêt brutal, en particulier d’opiacés, peut être fatal pour le fœtus. Il est donc recommandé de proposer un traitement de substitution adapté qui favorise un meilleur suivi de la grossesse et de l’addiction. Diminuer ou interrompre ce traitement risque d’entraîner la prise de substances plus dangereuses pour le fœtus comme l’alcool (le syndrome d’alcoolisation fœtale). Déjà en 2004, une Conférence de consensus avait recommandé de ne pas réduire ou stopper les traitements lors de la grossesse : « Les femmes doivent être bien équilibrées en fin de grossesse et dans la période du post-partum, quitte à augmenter la posologie. Une posologie insuffisante du traitement de substitution favorise la consommation d’autres produits psychotropes, et tout particulièrement d’alcool et de tabac. De plus, la modification de la pharmacocinétique de la méthadone en fin de grossesse peut nécessiter une augmentation transitoire de posologie, en s’aidant si nécessaire des résultats de dosages plasmatiques ».
Le groupe d’experts recommande que les besoins des femmes soient reconnus dans les dispositifs de première ligne et centres de soins pour toxicomanes, de façon à leur offrir des services prenant en compte leurs risques spécifiques comme les grossesses non désirées, la perte de la garde de leurs enfants, les violences conjugales et les risques infectieux ainsi que les risques spécifiques pour l’enfant à naître en cas de grossesse. Il préconise de développer des programmes de prise en charge globale médico-sociale s’inscrivant dans la durée au-delà de la période de grossesse et des lieux d’accueil mère-enfant.

Définir une politique de soins et de réduction des risques en milieu pénitentiaire

La réduction des risques infectieux en milieu pénitentiaire doit être considérée comme un enjeu important de santé publique. L’OMS soulignait dès 1993 l’importance de garantir pour chaque détenu le droit à un accès aux soins et à la prévention, identique à celui en milieu libre. En France, depuis 1994, l’organisation des soins aux détenus est intégralement transférée du ministère de la Justice au service public hospitalier. La circulaire de 1996 a permis en France de poser en milieu pénitentiaire les bases d’un dispositif de réduction des risques avec l’avènement des traitements de substitution aux opiacés et les progrès de la lutte contre le sida. Cependant, la question se pose de savoir si ce dispositif tel qu’il fonctionne actuellement est suffisant.
Considérés comme une mesure essentielle dans la lutte contre les risques infectieux en prison, les traitements de substitution aux opiacés sont prescrits en détention en France depuis 1996. Les études menées en prison ont montré un effet des traitements illustré par la diminution de la pratique d’injection et du partage du matériel, la baisse de la mortalité, la baisse du nombre d’incarcérations, le maintien dans un parcours de soins, après l’incarcération et une réduction des troubles du comportement en détention.
On constate une très grande hétérogénéité dans la dispensation des traitements de substitution. La proportion d’entrants et de détenus sous traitement de substitution, en augmentation, atteint 10 % des détenus actuellement. Dans de nombreux établissements pénitentiaires, il n’existe pas d’initiation de traitements de substitution aux opiacés ni par buprénorphine haut dosage (BHD) ni par méthadone malgré l’élargissement de la primo-prescription de méthadone à l’ensemble des praticiens des établissements publics de santé. Des pratiques courantes et croissantes de pilage, voire de mise en solution, de la buprénorphine haut dosage, compromettent l’efficacité de ces thérapeutiques et traduisent la difficulté des équipes intervenant en détention à se situer entre soin et pression sécuritaire. Le groupe d’experts insiste sur l’importance de l’initiation des traitements à l’entrée en détention et de leur dispensation sans rupture au cours de la détention. Il préconise de définir pour chaque détenu pris en charge un projet thérapeutique adapté à la sévérité de sa dépendance avec des posologies suffisantes et des durées de traitement suffisamment longues afin de permettre un maintien dans une filière de soins après l’incarcération. Il recommande des actions de formation pour le personnel soignant et des effectifs suffisants pour aboutir à une plus grande homogénéité des traitements en milieu carcéral.
Les traitements antirétroviraux pour le VIH et les traitements de l’hépatite C, en réduisant le réservoir viral, peuvent également être considérés comme participant à la réduction des risques infectieux puisque les prévalences de ces virus sont élevées en prison. Le dépistage des affections virales reste encore limité en milieu pénitentiaire, les consultations spécialisées insuffisantes dans beaucoup d’établissements (hépatologie, infectiologie, addictologie...). Le groupe d’experts insiste pour que les stratégies de dépistage du VIH, VHB, VHC et des infections sexuellement transmissibles soient améliorées, qu’il soit possible de réitérer facilement ce dépistage en cours de détention, en particulier avant la sortie et que la vaccination contre l’hépatite B pour les entrants non protégés soit proposée selon un calendrier vaccinal accéléré.
Les données récentes de l’étude Coquelicot (2006) montrent que des pratiques à risques infectieux perdurent en détention. Parmi les usagers de drogues incarcérés au moins une fois dans leur parcours, 12 % ont pratiqué l’injection en détention et 1 sur 3 a partagé son matériel d’injection. Par ailleurs, les pratiques de tatouage et de piercing sont fréquentes en prison parmi les usagers de drogues. La distribution d’eau de Javel, d’autres désinfectants et de préservatifs masculins avec lubrifiants est effectuée de manière partielle dans la plupart des prisons mais le plus souvent sans information à visée de réduction des risques. Une cinquantaine de prisons (établissements à forte concentration d’usagers de drogues) dans 12 pays d’Europe de l’Est ou de l’Ouest ont expérimenté une mise à disposition de seringues (accès anonyme ou remise en main propre par des personnels soignants ou des intervenants extérieurs). Dans certains pays ou établissements, il existe également une distribution de matériel renouvelable d’usage de drogues autre que les seringues (pailles, tampons alcoolisés, matériel à inhaler...), de matériel de piercing et tatouage stérile, de préservatifs féminins.
Le groupe d’experts recommande en premier lieu que conformément aux recommandations de l’OMS, le principe d’équité d’accès aux soins et aux mesures de réduction des risques entre prison et milieu libre soit appliqué. Il recommande par ailleurs, après un état des lieux des pratiques à risques en milieu carcéral, de pallier les carences constatées en France : distribution d’eau de Javel sans guide d’utilisation, insuffisance d’accès aux préservatifs, non prise en compte des risques infectieux liés à certains comportements fréquents en milieu pénitentiaire (sniff, tatouage, injections...), absence d’accès au matériel stérile.
La méconnaissance par les personnels intervenant en prison et par les détenus des enjeux sanitaires associés à certaines pratiques à risques conduit à suggérer que toute action nouvelle de réduction des risques en milieu carcéral soit précédée d’un travail de préparation et d’explication destiné à repérer les représentations et les modifier, et permettre l’adhésion des différentes catégories d’intervenants. Des actions de formation et de sensibilisation auprès des professionnels intervenant en détention devraient également permettre leur adhésion à une approche plus globale de la réduction des risques.

Sensibiliser, former et coordonner les différents acteurs intervenant dans le champ de la réduction des risques

L’inscription territoriale de la mise en place d’un dispositif visant à réduire les risques liés à l’usage de drogues ne se fait pas sans susciter un débat entre ceux qui mettent en place l’action publique et les riverains de ce dispositif. Par ailleurs, les forces de police qui interviennent sur le territoire d’implantation d’un dispositif, souvent mal informées, peuvent entraver l’accès des usagers. Les intervenants de rue (agents de proximité, animateurs de prévention, travailleurs de rue) sont des acteurs-relais chargés d’entrer en contact avec des usagers exclus du système de soins, afin de les réinscrire, à terme, dans le système de droit commun. Dans le même temps, ils doivent instaurer de bonnes relations avec le voisinage et les autres professionnels intervenant auprès des usagers de drogues à l’échelle du quartier.
Des formations communes des différents acteurs des champs sanitaire, social et judiciaire doivent être organisées au niveau territorial. Une des missions des agences régionales de santé publique (ARS) est de définir et financer des actions visant à promouvoir la santé, à éduquer la population à la santé et à prévenir les maladies. Dans le cadre de la réduction des risques, la formation des forces de police, magistrats et employés des services judicaires doit être organisée car, comme l’ont montré les études, un renforcement de la répression s’accompagne chez les usagers de drogues d’une augmentation des comportements nocifs. Les ARS doivent assurer une répartition territoriale de l’offre de soins permettant de satisfaire les besoins de santé de la population. À ce titre, elles mettent en œuvre un schéma d’organisation médico-sociale. Il serait important qu’une animation régionale inter-professionnelle ait lieu dans le champ des addictions ; dans des sessions de formation, seraient abordées les connaissances sur l’évolution des produits, des usages (aspects internationaux, nationaux, régionaux), les stratégies de prévention, de réduction des risques et de soin. L’objectif principal est de donner une culture commune en diffusant des données validées et d’éviter les cloisonnements et la mise en œuvre d’actions inappropriées (inutiles ou dangereuses) fondées sur des opinions subjectives.
Le groupe d’experts recommande de coordonner les acteurs en France, susceptibles d’intervenir dans ce champ : répertoire des réseaux, connaissance et agrément des médecins généralistes et pharmaciens, liste des associations... Il recommande également de prévoir des missions de médiation auprès des habitants des quartiers pour faciliter l’installation et l’acceptation des structures et des actions entreprises.

Développer des recherches

Pérenniser et améliorer le système de surveillance existant

La France s’est dotée depuis une quinzaine d’années d’un ensemble d’outils de surveillance des consommations de drogues parmi les plus performants en Europe : Baromètre Santé (Inpes) ; enquête Escapad (OFDT) ; enquête Espad (OFDT/Inserm) ; enquête Recap (OFDT) ; Ena-Caarud (OFDT) ; Trend-Sintes (OFDT) ; Coquelicot (InVS). Cet ensemble permet de documenter actuellement les grandes évolutions des usages de drogues et de certaines conséquences sanitaires et sociales.
Cependant, la plupart de ces enquêtes concernent l’évolution des produits consommés et très peu l’évolution des modalités d’usages. Par ailleurs, ce dispositif de surveillance n’offre que très peu de données sur les nouveaux injecteurs et sur les maladies infectieuses autres que celles fournies par les déclarations des usagers eux-mêmes.
Le groupe d’experts recommande de pérenniser les moyens nécessaires au maintien des dispositifs nationaux existants. Il préconise que les nouvelles études et enquêtes permettent de connaître le nombre de nouveaux injecteurs (ayant initié cette pratique depuis moins de deux ans) ou d’injecteurs âgés de moins de 25 ans (selon les normes des enquêtes de l’OEDT).
Afin d’obtenir un suivi rigoureux de la prévalence des maladies infectieuses en particulier du VHC, le groupe d’experts recommande d’intégrer dans les dispositifs de surveillance nationaux la détermination de cette prévalence par des marqueurs biologiques. La consommation d’alcool ayant des conséquences sanitaires importantes en ce qui concerne les hépatites, le groupe d’experts recommande de systématiser le questionnement sur les consommations d’alcool dans les enquêtes et études chez les usagers de drogues.
Les comparaisons entre différentes études et l’établissement de tendances évolutives des épidémies de VIH et de VHC dans la population des usagers de drogues sont rendues difficiles en raison de la diversité des périodes d’étude, de l’origine géographique, des populations étudiées, des modalités d’enquête, de la méthode d’analyse statistique et également des modalités de présentations des résultats. Le groupe d’experts recommande l’utilisation de standards conceptuels et méthodologiques européens dans tout projet d’étude en France. Il préconise une concertation des organismes producteurs de données et la mise à disposition (sur Internet) des données produites avec des indicateurs communs validés.

Conduire des travaux épidémiologiques en milieu pénitentiaire

Il n’existe pas de données récentes sur l’usage de drogues en milieu carcéral. L’étude Resscom de 1998-1999, réalisée auprès des sortants de prisons, souligne la réalité de l’usage de substances psychoactives en détention : consommation de drogues illicites (moins fréquente qu’en milieu libre) et surtout de médicaments psychotropes et de traitements de substitution aux opiacés (TSO) détournés de leur usage. Dans l’étude Coquelicot (2004), 12 % des sujets interrogés, ayant été incarcérés, révèlent des pratiques d’injection pendant la détention. Dans le cadre de l’étude Pri2de, 32 % des établissements déclarent avoir fourni des soins pour des abcès liés à des pratiques d’injection (pouvant néanmoins être antérieurs à l’incarcération).
Si la prévalence du VIH et du VHC est plus élevée en milieu carcéral qu’en milieu libre, l’incidence de nouvelles contaminations n’est pas connue. De nombreuses pratiques à risque infectieux existent en prison et ne se limitent pas à l’injection. L’incarcération constitue un facteur de risque à part entière : le risque relatif de VHC est multiplié par 10 et le risque relatif de VHB multiplié par 4.
L’ancienneté des données épidémiologiques, les écueils méthodologiques dans leur recueil (auto-déclaration, données agrégées, échantillons limités) ainsi que le peu de connaissance de la réalité des pratiques à risque en détention conduisent le groupe d’experts à recommander des travaux épidémiologiques réguliers et méthodologiquement fiables portant sur l’usage de substances psychoactives à l’entrée et en détention ainsi que sur les prévalences et incidences des infections virales et sexuellement transmissibles.
Sur un plan qualitatif, il conviendrait d’identifier les pratiques à risque en détention en interrogeant les détenus mais également les professionnels exerçant en prison. Il n’existe pas de données concernant le sniffing en détention (bien que ce soit probablement le principal mode de mésusage des détenus substitués par la buprénorphine haut dosage). Le groupe d’experts préconise de réaliser un état des lieux identifiant et explorant la réalité des comportements à risque en détention afin d’expérimenter des interventions adaptées à ces pratiques à risque.

Mieux connaître par des études de terrain les besoins des usagers de drogues pour adapter les outils de réduction des risques

Des études montrent que certaines populations d’usagers de drogues sont particulièrement exposées au risque infectieux et confrontées à des problèmes spécifiques. Il s’agit, par exemple, des femmes confrontées à leur partenaire également usager de drogues, des détenus n’ayant pas accès aux outils de réduction des risques, des populations précaires ou migrantes sans logement, des personnes avec des comorbidités psychiatriques ou encore des primo-injecteurs. Ces populations sont difficiles à identifier ou à joindre car elles sont peu en contact avec les dispositifs de réduction des risques et de soins. Elles ont souvent des difficultés linguistiques ou de compréhension et des conditions de vie mal connues.
Par exemple, les besoins des femmes toxicomanes enceintes et avec enfants sont peu explorés dans le contexte français. Des recherches prenant en compte la parole des femmes et explorant leur trajectoire de vie, non seulement en termes d’addiction ou de risques, mais également comme femmes ou mères sont à promouvoir. La parentalité de manière générale chez les usagers de drogues, tant hommes que femmes, gagnerait à être mieux connue, afin d’évaluer les besoins qui en découlent et les prises en charge les plus adaptées.
Le groupe d’experts propose de privilégier des recherches articulant approches quantitative et qualitative permettant d’aborder les contextes d’existence, les modes et parcours de vie des usagers afin de cerner leurs besoins et d’y répondre par des interventions adaptées. Il préconise de développer des recherches-actions qui s’appuient sur l’expérience et le savoir des acteurs de terrains, des associations intervenant dans le champ, celles représentatives d’usagers. La mise en réseau avec des équipes de recherche académique s’avère indispensable pour aboutir à l’évaluation d’outils et de stratégies de réduction des risques adaptés aux évolutions.

évaluer les nouveaux outils de réduction des risques

Afin d’être efficace, la politique de réduction des risques doit prendre en compte les évolutions des pratiques (produits, modalités de consommations) et des profils des consommateurs ainsi que l’évolution des contextes de consommations.
Au cours des dernières années, la consommation de cocaïne, d’ecstasy, d’amphétamine a augmenté quel que soit le mode d’usage (injecté, sniffé, fumé). Les consommations sont fréquemment associées et l’usage de cannabis presque toujours présent. Cette diversité des consommations s’observe également dans l’espace festif, en particulier l’espace festif techno « alternatif ». Dans la population des usagers de drogues non injecteurs, la prévalence du VHC est plus élevée que dans la population générale. Ceci conduit à s’interroger sur des vecteurs de transmission en dehors de la pratique d’injection. Par exemple, le partage de la pipe à crack et les étapes de préparations (fabrication du filtre) sont suspectés comme des voies possibles de contamination.
Des outils de réduction des risques adaptés à ces nouvelles pratiques s’avèrent donc indispensables. Le groupe d’experts recommande d’évaluer de nouveaux outils avec une approche scientifique. Cette évaluation doit porter en particulier sur la composition de kits pour réduire les risques liés à l’inhalation de crack.
L’utilisation détournée de buprénorphine (BHD) sous forme d’injection concerne 15 % des patients qui sont sous traitement et également d’autres usagers. Cette pratique peut conduire à des complications sanitaires graves liées aux excipients injectés. L’utilisation de filtres à usage unique permet d’éliminer en particulier les particules responsables de ces événements sanitaires fatals et de minimiser les risques associés à cette pratique. Ces outils sont donc à évaluer dans la panoplie de mesures de réduction des risques disponibles pour les usagers qu’ils soient substitués ou non.
Diverses interventions concernant l’accompagnement à l’injection ou l’éducation aux risques liés à l’injection doivent faire l’objet également d’une évaluation. Ces interventions s’inscrivent dans une démarche d’évaluation participative et de mutualisation des savoirs, favorisant la responsabilité des individus concernés et l’implication des pouvoirs publics.

Mener des études permettant d’évaluer des dispositifs incluant un ensemble d’outils validés

Les programmes de réduction des risques (programme d’échange de seringues, traitements de substitution aux opiacés) évalués de manière isolée présentent une efficacité certaine sur des paramètres proximaux (comportements à risque) et beaucoup plus modeste sur les paramètres distaux (incidence/prévalence VIH ou VHC). Les études ont montré que l’efficacité est renforcée lorsque plusieurs programmes sont associés. Ainsi récemment, pour la première fois l’étude sur la cohorte d’Amsterdam a pu mettre en évidence que la combinaison des programmes d’échange de seringues avec les traitements de substitution aux opiacés avait un effet sur l’incidence du VHC.
Les interventions préconisant une transition vers des modes d’administration de drogues à moindres risques sont également à intégrer dans le dispositif et à évaluer comme aide complémentaire. Depuis une dizaine d’années se sont développées des interventions dites « brèves » ciblant à la fois les individus et les contextes sociaux à travers le développement de compétences psychosociales spécifiques. Ces interventions montrent des résultats positifs en termes de changements de comportements (réduction du nombre d’injections et d’initiations, transition vers des pratiques à moindre risque). Le programme anglais Break the cycle se focalise sur les aspects psychosociaux de l’injection, notamment au cours de la période d’initiation. Initialement développé dans le cadre d’une intervention structurée en face à face, ce programme est aisément modulable, notamment en vue d’une approche en groupe ou par les pairs. Il propose par exemple aux usagers de drogues par injection de travailler auprès de leurs pairs non injecteurs en vue de les dissuader de commencer à s’injecter.
Le groupe d’experts recommande d’évaluer différents dispositifs intégrant plusieurs programmes en recherchant la meilleure combinaison de services afin de répondre au mieux aux besoins des usagers et aux évolutions de leur trajectoire.
Pour le décideur public, l’argument économique peut représenter un point fort pour la mise en place de dispositifs de santé. Le groupe d’experts recommande que les études d’évaluation des outils et des dispositifs de réduction des risques intègrent un volet économique quand leur méthodologie le permet. Il est ainsi attendu que les outils et dispositifs de réduction des risques fassent l’objet d’analyses de coût-efficacité, de coût-utilité ou de coût-bénéfice dans le but d’appréhender leur bien-fondé économique.

évaluer des programmes de médiation

Les contestations face à la mise en place d’actions de réduction des risques sont souvent extrêmement violentes (plaintes répétées, dégradations, violences, plus rarement actions en justice) et conduisent à l’engagement des acteurs politiques (soit pour défendre, soit pour contester aux côtés des riverains). Face à des contestations riveraines durables ou récurrentes, les types de médiations proposées sont relativement variés (travail de rue, réunions publiques, participation à des comités techniques sur sites) mais il n’existe pas de guide de bonnes pratiques.
Pourtant, il serait nécessaire d’identifier et de répertorier les différentes formes de médiation mises en place en France et en Europe face à des contestations d’actions de réduction des risques par exemple par la comparaison de plusieurs quartiers ayant connu des conflits d’usage ou d’implantation ou par des enquêtes approfondies qui iraient de l’identification de l’émergence de conflits jusqu’à leur mode de règlement éventuel.
Le groupe d’experts recommande d’évaluer des programmes de médiation afin que les actions menées en direction des riverains ou de l’environnement visent l’acceptabilité.

Développer des recherches concernant les traitements pharmacologiques de la dépendance sévère

En France, il existe principalement deux options thérapeutiques pour la dépendance aux opiacés : le traitement par la méthadone ou la buprénorphine haut dosage (Subutex). D’autres options thérapeutiques s’avèrent indispensables pour la dépendance aux stimulants ainsi que pour les dépendances sévères aux opiacés résistantes aux traitements classiques.
Le groupe d’experts recommande de poursuivre les recherches sur les traitements pharmacologiques pour la dépendance aux stimulants (cocaïne, amphétamines, crack), et de mettre en place des recherches cliniques et thérapeutiques pour les co-dépendances. Il préconise d’évaluer la mise en œuvre d’autres traitements non encore disponibles en France tels que la buprénorphine et/ou la méthadone injectable ou inhalable ou encore de comparer, dans des essais randomisés, l’héroïne médicalisée à la méthadone orale et à la buprénorphine haut dosage afin d’élargir la palette d’options thérapeutiques pour les usagers présentant des dépendances sévères.

promouvoir une recherche coordonnée en santé publique dans le domaine des addictions et de la réduction des risques

À ce jour, les recherches dans le domaine des addictions et de la réduction des risques effectuées en France sont éclatées, non coordonnées et manquent de financement dédié. La France ne dispose pas, à l’instar d’autres pays (Royaume-Uni, Australie, |$$|AAEtats-Unis...), d’une institution en mesure de susciter, initier, coordonner et financer des projets de recherche dans ce domaine.
Le groupe d’experts préconise la création d’une coordination des différentes équipes (secteur académique et acteurs de terrain) travaillant dans le champ des addictions et de la réduction des risques. Ceci permettrait d’évaluer les besoins de recherche dans ce domaine des addictions et de la réduction des risques liés à toutes les formes de dépendances (alcool, tabac, drogues licites et illicites, jeu...), d’ouvrir des appels d’offres cohérents en épidémiologie, sciences humaines et sociales, en clinique et recherche fondamentale. Le groupe d’experts recommande que le budget alloué aux actions et structures dans le champ des addictions comprenne une part réservée à l’évaluation et à la recherche prenant en compte le point de vue des associations opérant dans ce champ et celui des associations représentatives des usagers.

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