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Med Sci (Paris). 2016 January; 32(1): 21–26.
Published online 2016 February 5. doi: 10.1051/medsci/20163201005.

DOHaD
Les apports récents de l’épidémiologie

Cyrille Delpierre,1* Johanna Lepeule,2,3,4 Sylvaine Cordier,5 Remy Slama,2,3,4 Barbara Heude,6 and Marie-Aline Charles6

1Équipe cancer et maladies chroniques : inégalités sociales de santé, accès primaire et secondaire aux soins, UMR1027, université Toulouse III, 37, allées Jules Guesde, 31069Toulouse, France
2Université Grenoble Alpes, Institut Albert Bonniot, équipe d’épidémiologie environnementale appliquée à la reproduction et la santé respiratoire, F-38000Grenoble, France
3Inserm, Institut Albert Bonniot, équipe d’épidémiologie environnementale appliquée à la reproduction et la santé respiratoire, F-38000Grenoble, France
4CHU de Grenoble, Institut Albert Bonniot, équipe d’épidémiologie environnementale appliquée à la reproduction et la santé respiratoire, F-38000Grenoble, France
5Équipe recherches épidémiologiques sur l’environnement, la reproduction et le développement, Inserm U1085, Institut de recherche en santé, environnement et travail, université Rennes I, campus de Beaulieu, F-35042Rennes Cedex, France
6Inserm, UMR1153, centre de recherche en épidémiologie et biostatistiques, Sorbonne Paris Cité (CRESS), équipe de recherche sur les origines précoces de la santé et du développement de l’enfant (ORCHAD) ; Paris Descartes université, F-94807Villejuif, France
Corresponding author.
 

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Les recherches épidémiologiques dans le domaine de la DOHaD (developmental origins of health and disease) s’orientent actuellement dans différentes directions : la conduite d’études reliant environnement précoce et maladies autres que celles pour lesquelles une origine développementale est déjà bien établie, et autres que celles résultant d’une exposition à des facteurs tératogènes ; l’exploration de l’importance de la DOHaD dans les inégalités sociales en santé ; une caractérisation fine des conditions dans lesquelles se développent les enfants d’aujourd’hui, en particulier sur les plans nutritionnel, psychosocial et en ce qui concerne l’exposition aux toxiques de l’environnement ; l’étude des relations entre cet environnement et le développement fœtal et postnatal et la santé ultérieure des enfants ; la compréhension des mécanismes biologiques reliant expositions précoces et santé ultérieure avec, en particulier, l’espoir que le développement de l’épigénétique permettra d’identifier des marqueurs précoces. Les études épidémiologiques ont contribué de façon spectaculaire, dans les années récentes, à mieux connaître la contribution des expositions environnementales pendant la grossesse aux atteintes au développement de l’enfant, ceci grâce à la mise en place, dans de nombreux pays, et à la mise en commun, de cohortes mères-enfants, dans lesquelles les expositions sont mesurées de façon longitudinale pendant la grossesse et l’enfance, en parallèle avec l’évolution de la santé de l’enfant. Cette synthèse présente une sélection de travaux récents, privilégiant les domaines dans lesquels les équipes françaises sont plus impliquées, notamment l’étude de l’influence de l’environnement socioéconomique, de l’environnement nutritionnel et des expositions environnementales précoces (pesticides, pollution atmosphérique). Certains des points développés dans cette synthèse sont contextualisés dans la synthèse consacrée au concept de l’origine développementale de la santé ().

(→) Voir la Synthèse de M.A. Charles et al., page 15 de ce numéro

Niveau socioéconomique dans l’enfance et santé de l’adulte

Le lien entre un environnement socioéconomique défavorable durant l’enfance et une surmortalité – toutes causes confondues mais aussi résultant d’une cause spécifique (en particulier cardiovasculaire) – à l’âge adulte est bien démontré en épidémiologie sociale [1]. Ce lien est en partie expliqué par la situation socioéconomique et les comportements à risque à l’âge adulte. Une association entre l’environnement socioéconomique durant l’enfance, dit précoce, et les comportements à risque (tabac, alcool) à l’âge adulte est en effet retrouvée dans la littérature [2]. Néanmoins, la persistance du lien entre environnement socioéconomique précoce et mortalité, même après la prise en compte de facteurs tels que l’environnement pré- et périnatal, les comportements de santé, le statut pondéral [3], interroge sur le rôle d’autres mécanismes, notamment physiologiques. De récentes études ont ainsi montré un lien entre environnement socioéconomique précoce et perturbation de systèmes biologiques à l’âge adulte, tels que les systèmes de réponse au stress (axe hypothalamo-hypophysaire, production de glucocorticoïdes) [4, 55], les systèmes inflammatoire et métabolique [5]. Des travaux s’intéressant à des marqueurs plus généraux d’usure physiologique, comme la charge allostatique1 [6], et de vieillissement, comme la longueur des télomères [7], observent une usure physiologique globale et un vieillissement accélérés chez les personnes exposées à un environnement socioéconomique précoce défavorable. Des mécanismes épigénétiques pourraient être impliqués. Des études très récentes ont en effet mis en évidence une association entre environnement socioéconomique précoce et profil de méthylation globale de l’ADN à l’âge adulte [8] ; la nature des liens et leurs significations restent encore à élucider.

Ces études font appel à plusieurs indicateurs pour mesurer l’environnement socioéconomique précoce, comme la profession du père (le plus fréquent) mais aussi le niveau d’études des parents, le niveau des revenus, les conditions de logement. L’environnement socioéconomique précoce est ainsi une mesure indirecte (ou proxy) de nombreuses expositions, physiques, chimiques, nutritionnelles, psychosociales, etc. Faire la part des différentes expositions englobées dans ce terme de niveau socioéconomique précoce reste un enjeu important.

Des travaux ont récemment mis en évidence le lien entre l’adversité durant l’enfance, incluant les abus (physiques, sexuels, émotionnels), les négligences (physiques, émotionnelles) ou des dysfonctionnements familiaux, et le risque de mortalité prématurée [9] ou de cancer [10] à l’âge adulte. Ce lien était certes atténué après prise en compte des facteurs de confusion – tels que l’environnement pré- et périnatal –, et de médiation à l’âge adulte – tels que les comportements à risque, la santé mentale ou le niveau socioéconomique –, mais il persistait, rendant plausible un effet biologique précoce de l’adversité qui reste à expliciter. Un lien entre adversité précoce et charge allostatique à l’âge adulte, marqueur d’une usure physiologique globale (mesurée grâce à divers biomarqueurs de systèmes physiologiques [inflammatoire, endocrinien, cardiométabolique, respiratoire]), a ainsi été retrouvé à partir d’études de cohorte dans lesquelles les individus sont suivis sur une longue période [11], de même qu’entre adversité précoce, définie comme une mesure de stress parental, et profil de méthylation de l’ADN [12].

Le lien entre les conditions ou événements adverses durant l’enfance et la santé ultérieure pourrait être dû en partie aux conséquences à long terme du stress toxique, résultat d’une forte activation, fréquente ou prolongée, des systèmes de réponse au stress de l’organisme en l’absence de la protection d’une relation « tampon » de soutien avec un adulte capable d’atténuer l’effet biologique délétère d’un stress chronique potentiel [13]. La stabilité et la nature de la relation entre un enfant et ses caregivers (« aidants » en français) apparaissent comme des éléments fondamentaux dans la modulation et le contrôle des réponses physiologiques au stress, en amortissant les effets des variations de l’environnement de l’enfant [14]. De multiples travaux épidémiologiques montrent ainsi que des relations sécurisées et positives entre jeunes enfants et un ou plusieurs adultes, au cours du développement, impactent positivement l’estime de soi, la compétence sociale actuelle et future, le contrôle émotionnel ou l’état de santé mentale à l’âge adulte.

Les enjeux liés aux modifications du statut nutritionnel maternel dans le contexte moderne d’abondance

L’évolution récente des habitudes alimentaires nous place dans un contexte qui est opposé à celui des conditions de privations nutritionnelles sur lesquelles étaient fondées les premières études qui ont conduit au développement des hypothèses DOHaD. La prévalence de l’obésité chez les femmes de 25 à 34 ans est ainsi passée, en France, de 5,5 % en 1997 à plus de 15 % en 2012 [15]. Une proportion grandissante de femmes commencent ainsi leur grossesse en état de surcharge pondérale [16]. Or, l’obésité entraîne des complications de la grossesse susceptibles de retentir sur la croissance fœtale et la santé à long terme de l’enfant [17]. Les femmes obèses ont ainsi plus de risque de souffrir de diabète gestationnel, d’hypertension, de prééclampsie ou de thrombose. Pour le fœtus, l’obésité maternelle est associée à un risque augmenté de malformations congénitales (pour des mères ayant une très forte obésité) et de bébé trop gros à la naissance (macrosomie) pouvant entraîner des difficultés lors de l’accouchement notamment lors du passage des épaules (dystocie des épaules).

Le diabète pendant la grossesse est particulièrement préoccupant en raison de ses conséquences potentielles sur les générations futures : le risque de surpoids des enfants de mères obèses est augmenté, notamment pour les filles, exposant ultérieurement leurs propres enfants à un environnement nutritionnel intra-utérin à risque [18].

Certaines données concernant les grossesses survenant dans la période suivant une intervention chirurgicale pour obésité sévère (chirurgie bariatrique), suggèrent que la perte de poids massive engendrée par ce type de chirurgie aurait des effets bénéfiques à court terme, à la fois sur le risque de complications de la grossesse et sur celui de macrosomie pour le nouveau-né, même si les risques de carences vitaminiques doivent être pris en considération dans le suivi médical de ces patientes [19]. À ce jour, une seule étude s’est intéressée aux risques à plus long terme. Elle a montré que le risque de surpoids des enfants de femmes ayant eu une chirurgie bariatrique, avant la grossesse, était diminué d’environ 50 % par rapport à leurs frères ou sœurs aînés, nés avant la chirurgie de leur mère, sans que le risque de maigreur ne soit augmenté chez ces enfants [20].

La prise de poids pendant la grossesse, qui a également augmenté dans le monde [21] et en France [16], s’accompagne, lorsqu’elle est excessive, d’une surnutrition précoce qui constitue également un facteur de risque important de bébé de gros poids à la naissance (quel que soit le statut nutritionnel en début de grossesse). Son impact pourrait varier selon la période de la grossesse considérée [22]. Pour l’enfant, une prise de poids excessive de sa mère pendant la grossesse est un facteur de risque de surpoids dans l’enfance et à l’âge adulte [23]. Inversement, une prise de poids insuffisante est facteur de risque de prématurité et de retard de croissance intra-utérin [24].

En dehors de la grossesse, la période périconceptionnelle représente une autre fenêtre d’exposition aux variations pondérales ou aux modifications nutritionnelles. Son rôle semble de plus en plus net chez l’animal et demande à être précisé chez l’homme [25].

La période postnatale précoce : une période critique pour la susceptibilité à l’obésité ?

Dès les premières observations de Barker à la fin des années 1980 [26] sur les liens entre croissance fœtale et risque cardiovasculaire à l’âge adulte (), la période postnatale précoce et la petite enfance sont apparues comme associées au risque de pathologies à long terme. En effet, un faible poids à un an était, comme un faible poids à la naissance, associé au risque de décès de cause cardiovasculaire [26]. En 2002, dans un contexte nutritionnel radicalement différent, une première publication attirait l’attention sur la rapidité de la prise de poids dans les premiers mois de vie comme un facteur de risque d’obésité ultérieure [27], une observation qui a été confirmée par la suite [28]. Les six premiers mois de vie semblent représenter la période critique pour ce phénomène [29].

(→) Voir la Synthèse de M.A. Charles et al., page 15 de ce numéro

De nombreuses études se sont par la suite intéressées aux relations entre le mode d’allaitement et le risque d’obésité à long terme, et concluaient, en général, à un effet protecteur faible de l’allaitement maternel [30] avec des résultats parfois contradictoires [31]. Le seul essai randomisé permettant d’évaluer les effets à long terme de la promotion de l’allaitement maternel en maternité, n’a pas montré d’effet sur le risque de surpoids de l’enfant lorsqu’il atteint ses 11 ans [32]. Outre des facteurs de confusion qui n’ont pas toujours pu être pris en compte de façon similaire dans les différentes études, les caractéristiques de l’alimentation des enfants non allaités par leur mère, qui servent de comparateur dans les études observationnelles, participent à la variabilité des résultats de ces travaux. La teneur en protéines des préparations infantiles, qui a été notablement réduite au cours des dernières années, est ainsi un facteur d’hétérogénéité. Un essai randomisé comparant l’effet sur le risque de surpoids à 6 ans, de deux préparations infantiles différant par leur teneur en protéines, a montré un effet protecteur de la formule contenant le moins de protéines [33]. L’âge du début de la diversification alimentaire a aussi été étudié dans ce contexte : une méta-analyse publiée en 2011 concluait à l’absence de lien évident avec le risque d’obésité [34]. Cependant, l’âge auquel l’enfant est évalué au cours du suivi pourrait être un facteur plus déterminant que l’âge de la diversification ou que la teneur en protéines des préparations infantiles, pour expliquer la variabilité des résultats entre ces études. Une publication japonaise récente, portant sur plus de 40 000 filles et garçons, a mis en évidence que l’association entre allaitement maternel et risque d’obésité de l’enfant n’apparaît clairement, dans cet échantillon, que vers l’âge de 7-8 ans, après le rebond d’adiposité, et que l’effet est plus marqué chez les garçons [35].

Une croissance pondérale rapide dans les premiers mois de vie s’observe également en cas d’obésité paternelle [36] ou lorsque la mère a été exposée pendant la grossesse à certains toxiques ayant une activité suspectée de perturbateur endocrinien. D’autres hypothèses que la piste alimentaire sont donc susceptibles d’expliquer le lien entre croissance précoce rapide et risque ultérieur d’obésité, notamment la piste génétique, depuis qu’il a été montré qu’un score de prédisposition génétique à l’obésité (calculé à partir des résultats des études d’association entre « génome entier » et obésité) est aussi associé à la vitesse de croissance postnatale précoce [37].

Exposition à la pollution et aux contaminants à faible dose
L’exemple des pesticides
Les pesticides sont des produits destinés à lutter contre des organismes nuisibles (animaux, végétaux, champignons), mais aussi à réguler la croissance des végétaux. Ils peuvent être regroupés selon leurs cibles majeures (principalement herbicides ou désherbants, fongicides, insecticides ou produits antiparasitaires, etc.). De nombreuses situations de travail peuvent entraîner une exposition aux pesticides. Les principales sources d’exposition de la population générale sont les utilisations au domicile (traitement des jardins, contre les parasites, etc.), la pollution de l’environnement de proximité (air, poussières, etc.), en particulier liée à l’usage de pesticides en milieu agricole, mais aussi en milieu urbain (espaces verts), ainsi que l’ingestion de résidus de pesticides présents dans les aliments et les boissons. Cette ingestion est souvent considérée comme la source majeure d’exposition aux pesticides dans la population générale [38].

De nombreuses études ont été conduites chez des femmes enceintes, exposées dans leur cadre professionnel, principalement des femmes travaillant en milieu agricole, à l’entretien des jardins, en milieu horticole, dans des serres, ou comme vétérinaires. Ces études ont mis en évidence un accroissement du risque de mort fœtale et de malformations congénitales chez leurs enfants. Deux synthèses de ces études, réalisées récemment, rapportent en particulier une augmentation significative du risque de fentes orales2 (37 %) [39] et d’hypospadias3 (36 %) [40]. La croissance fœtale ne semble pas être affectée, sauf peut-être lorsque les mères présentent une faible activité de la paraoxonase (due au polymorphisme de PON1, gène codant cette enzyme de métabolisation des insecticides organophosphorés). Par ailleurs, des altérations de la motricité fine et de l’acuité visuelle ont été mises en évidence chez des enfants de mères travaillant en horticulture [41]. Parallèlement, des méta-analyses ont mis en exergue une augmentation significative du risque de leucémie et de tumeurs cérébrales chez l’enfant lorsque la mère a été exposée, dans le cadre professionnel, aux pesticides pendant la grossesse [38].

Dans la population générale, l’exposition à des pesticides non persistants, qui résulte de la proximité entre lieu de résidence et zones agricoles, ou d’un usage domestique de pesticides, a été associée chez l’enfant à une augmentation du risque de malformations congénitales, en particulier cardiaques, de la paroi abdominale et des membres, ou des anomalies du tube neural [38]. Des déficits du développement cognitif de l’enfant, des altérations de la motricité fine et de l’acuité visuelle, associés à des troubles du comportement, principalement de type hyperactivité, et à des comportements évocateurs de troubles autistiques, ont été associés à des expositions prénatales à certains insecticides organophosphorés (chlorpyrifos) [42]. L’exposition prénatale à des pesticides organochlorés persistants (DDT [dichlorodiphényltrichloroéthane], hexachlorobenzène), aujourd’hui essentiellement d’origine alimentaire, aurait un impact sur la croissance de l’enfant et la susceptibilité à développer une obésité. Enfin, une augmentation significative du risque de leucémie de l’enfant, à la suite d’une exposition durant la grossesse ou pendant l’enfance, au domicile, en particulier pour un traitement de l’habitat par des professionnels, a été rapportée dans ces méta-analyses [38].

Certaines classes chimiques de pesticides, comme les insecticides organochlorés (persistants), organophosphorés, les herbicides triazines, ont été mises en cause dans les altérations observées chez l’enfant mais des incertitudes persistent sur la nature des produits utilisés, en particulier pour les usages non professionnels de pesticides. Les utilisations au domicile ou les expositions de voisinage restent mal identifiées.

La pollution atmosphérique
La pollution atmosphérique est un mélange de milliers de composés présents sous forme gazeuse (oxydes d’azote, monoxyde de carbone, dioxyde de soufre, ozone, etc.) ou particulaire (poussières en suspension de composition chimique hétérogène). En milieu urbain, les principales sources de polluants atmosphériques, qui varient en fonction des polluants considérés, sont les processus de combustion (trafic routier, chauffage, industrie). Les incendies (agriculture, déforestation, etc.) participent également à cette pollution, celle-ci pouvant se propager sur de très longues distances.

Les études épidémiologiques portant sur les effets sanitaires des polluants de l’air, ont principalement considéré les polluants réglementés tels que le dioxyde d’azote (NO2) ou les particules ayant un diamètre aérodynamique inférieur à 10 ou 2,5 micromètres (respectivement PM10 et PM2,5). L’effet de ces polluants observé dans ces études peut être dû à certains de leurs constituants spécifiques (hydrocarbures aromatiques polycycliques [HAP] tels que le benzo(a)pyrène, métaux ou benzène) et à d’autres polluants non mesurés dont les concentrations sont corrélées à celles des polluants.

Un nombre relativement important d’études, dont le projet européen ESCAPE4, qui inclue environ 70 000 naissances, dans une douzaine de pays [43], ont rapporté une diminution du poids de naissance ajusté sur la durée de gestation, ou une augmentation de la proportion de nouveau-nés ayant un retard de croissance fœtale, en association avec une augmentation des niveaux de pollution auxquels les mères étaient exposées durant leur grossesse. Malgré la non prise en compte de certains facteurs de confusion (comme les facteurs météorologiques) dans la plupart des études ou l’existence d’erreurs de mesure possibles pour évaluer l’exposition, le niveau de preuve scientifique fourni par la littérature peut être considéré comme élevé. Le niveau de preuve est plus faible en ce qui concerne l’influence de la pollution atmosphérique sur le risque de naissance prématurée et de prééclampsie. Mais la littérature concernant ces problématiques est moins homogène. Les polluants atmosphériques sont aussi susceptibles d’augmenter les risques de malformations congénitales cardiaques et de mortalité dans la période postnéonatale.

Les effets de l’exposition in utero, ou postnatale précoce, à la pollution de l’air sur la santé ultérieure sont encore mal connus. Quelques études ont mis en évidence des associations entre l’exposition prénatale à la pollution atmosphérique et la santé respiratoire et le développement cérébral de l’enfant. Le risque d’asthme serait ainsi plus élevé chez les sujets ayant été exposés in utero, ou durant la première année de vie, au monoxyde de carbone et d’azote, au dioxyde d’azote et de soufre, ou aux particules PM10 [44]. L’exposition aux PM10 durant la première année de vie induit un effet délétère sur la fonction ventilatoire mesurée à 8 ans. Cependant, dans une autre étude, l’exposition aux PM10 entre 2 et 8 ans n’était pas significativement associée à la fonction ventilatoire mesurée à 8 ans [45]. Concernant le neurodéveloppement, deux études rapportent que l’exposition prénatale au dioxyde d’azote, au benzène et aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, pourrait altérer le développement cognitif évalué à 14 mois et à 5 ans [46, 47]. Dans ce type d’étude, la prise en compte de l’exposition postnatale, afin de dissocier les effets des expositions pré- et postnatales, reste un défi méthodologique encore peu pris en compte.

Les mécanismes qui pourraient expliquer les effets de l’exposition fœtale aux polluants environnementaux sur la santé ultérieure sont peu étayés. Le début de la grossesse correspond à une période d’intense remodelage épigénétique. Une hypothèse serait que l’exposition à des polluants environnementaux à cette période pourrait provoquer des altérations épigénétiques qui modifieraient la susceptibilité de développer des pathologies à court ou long terme ().

(→) Voir les 2 Synthèses de C. Junien et al., pages 27 et 35 de ce numéro

Chez l’adulte, l’exposition à la pollution atmosphérique pourrait affecter certaines marques épigénétiques [48]. Quelques études ont montré une association entre le poids de naissance et la durée de gestation d’une part, et différents profils de méthylation de l’ADN mesurés dans le sang du cordon [49] et dans le placenta [50], d’autre part. Ces associations suggèrent que les niveaux de méthylation pourraient varier dans le cas d’une croissance fœtale ralentie ou d’une durée de gestation raccourcie. Cependant, le rôle de l’exposition à la pollution atmosphérique sur les marques épigénétiques détectables dans le placenta ou le sang du cordon a rarement été étudié.

D’autres hypothèses, comme celle d’un effet des polluants atmosphériques sur la circulation fœto-placentaire sont explorées. Chez le rongeur, des travaux ont montré que l’exposition prénatale aux particules issues du trafic routier (les animaux étant exposés directement au trafic), affecte la fonction placentaire [51]. Chez l’homme, l’exposition aux particules PM10 et au dioxyde d’azote a été associée à des variations du poids du placenta ou du ratio fœto-placentaire [52]. L’exposition in utero de souris mâles à des particules de diesel provoque des taux de mutations (touchant les expanded simple tandem repeat (ESTR) DNA loci 5) plus élevés par rapport aux souris non exposées [53] et altère la qualité du sperme chez l’adulte [54].

Si des effets à court terme de l’exposition intra-utérine aux polluants atmosphériques (en particulier les particules fines) sur la croissance du fœtus ou le risque de prééclampsie ont été mis en évidence, encore trop peu d’études de qualité ont permis de conclure clairement à l’existence réelle d’effets à plus long terme de cette exposition sur la santé de l’enfant.

Conclusion

L’ensemble de ces résultats sont en faveur d’un rôle de l’environnement précoce sur la santé immédiate mais aussi future, qu’il s’agisse de l’environnement physique, chimique, nutritionnel ou encore psychosocial. Faire la part des différents facteurs de l’environnement susceptibles de modifier la santé, notamment à long terme, et définir les périodes d’exposition qui sont critiques, restent des enjeux majeurs. Les multiples mécanismes biologiques impliqués restent encore, pour une grande part, à identifier chez l’homme. Néanmoins, quelle que soit la nature de l’exposition considérée, des mécanismes épigénétiques sont actuellement évoqués afin d’expliquer comment l’environnement est susceptible de modifier des systèmes biologiques à long terme.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 La charge allostatique est un concept qui réfère aux conséquences biologiques négatives du stress sur l’organisme qui s’accumulent avec le temps.
2 Fente orale : malformation congénitale de la cavité buccale (fente palatine, labiale).
3 Hypospadias : malformation du fœtus masculin caractérisée par une ouverture de l’urètre sur la face inférieure du pénis au lieu de son extrémité.
4 Projet Européen FP7 : European study of cohorts for air pollution effects.
5 Locus très informatifs pour l’analyse de mutations de lignées germinales spontanées et induites.
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