Les anomalies chromosomiques de l’embryon sont une cause importante d’échec de développement de la grossesse. Et pourtant, aujourd’hui, en France, le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (anomalie du nombre de chromosomes) (DPI-A) sur des embryons issus de fécondation in vitro (FIV) est interdit. L’objectif du DPI-A est de permettre de caractériser des embryons au potentiel d’implantation le plus élevé et d’éviter la survenue de fausses couches. L’interdiction était compréhensible dans le passé, car le rapport bénéfique/risque n’était pas favorable. Plus récemment, des innovations technologiques dans le monde de la génétique et de la biologie de la reproduction entraînent un complet revirement des pensées. Pour comprendre ce revirement, l’histoire du DPI-A pourrait être présentée telle « une série » en plusieurs « saisons ».
La saison 1 relate comment une bonne idée ne donne pas forcément de bons résultats. Le DPI-A était alors pratiqué après biopsie d’une cellule provenant d’embryons âgés de 3 jours et utilisait, pour la recherche d’aneuploïdies, le DNA-FISH1 avec en général cinq chromosomes testés. Plusieurs études prospectives randomisées versus groupe contrôle (randomized controlled trial ou RCT) n’ont pas permis d’obtenir une augmentation du taux de naissances dans diverses indications, comme l’âge maternel avancé [1–3] ou les échecs d’implantation [4]. Le DPI-A a également été testé sur des couples de bon pronostic, dans l’objectif de ne transférer qu’un seul embryon, mais aucun bénéfice n’a été obtenu [5, 6]. Pire, deux études ont rapporté une diminution du taux de naissances [7, 8]. Pour clôturer cette première saison, au vu de l’absence de bénéfice obtenu et au nom de la minimisation du soin, plusieurs sociétés savantes internationales ont mis en garde contre le DPI-A [9–11].
La saison 2 pourrait s’intituler : pourquoi le DPI-A n’a pas été à la hauteur de ce que les praticiens attendaient ? Plusieurs hypothèses ont été formulées pour expliquer l’absence d’efficacité : (1) un possible effet délétère de la biopsie embryonnaire lorsque celle-ci est pratiquée au 3e jour ; (2) un nombre insuffisant de chromosomes testés en DNA-FISH (au-delà de cinq, les signaux se superposent sur un noyau interphasique) ; (3) le blastomère analysé au 3e jour n’est pas forcément représentatif de l’embryon dans sa totalité, en raison de l’existence de mosaïcisme2, conduisant à des faux positifs ou des faux négatifs ; (4) l’existence possible d’un phénomène de correction entre le moment de la biopsie et le développement ultérieur de l’embryon en blastocyste.
Le phénomène de mosaïcisme embryonnaire a été décrit dans plusieurs études qui se sont attachées à analyser l’ensemble des blastomères3 de l’embryon. Dans une compilation de 36 études en 2011 [12], portant sur l’analyse de 815 embryons pour plus de 8 chromosomes, seulement 177 (14 %) embryons présentaient un profil normal sur l’ensemble de leurs blastomères, 599 avaient un profil différent d’un blastomère à l’autre et 39 des anomalies complexes. Ce mosaïcisme concerne beaucoup trop d’embryons pour avoir une valeur pathologique. Ainsi s’achève la saison 2 sur une question essentielle : quelle est la constitution chromosomique normale d’un embryon au 3e jour de développement ?
La saison 3 est consacrée au développement des techniques d’analyse génétique sur cellule unique et aux modifications pratiques de la biopsie embryonnaire. L’apparition du DNA-FISH séquentiel a permis d’augmenter le nombre de chromosomes testés de 5 à 9 et de l’étendre à l’ensemble des chromosomes, avec l’apparition de la CGH-array (comparative genomic hybridization) ou de la qPCR (PCR quantitative en temps réel). L’augmentation de sensibilité qui en a résulté a permis de démontrer que l’utilisation du DPI-A apportait un bénéfice sur les taux de grossesses, en biopsiant des embryons de 3 jours [13]. Toutefois, une équipe a mis en évidence un effet délétère de la biopsie sur l’embryon lorsque celle-ci était pratiquée au 3e jour de développement en comparaison avec le 5e [14]. Ce résultat a encouragé les embryologistes à développer la biopsie du trophectoderme4 au stade de blastocyste.
Aujourd’hui, trois études prospectives randomisées (RCT), au design proche, sont disponibles dans la littérature [15–17]. Les couples comparés sont de bon pronostic, une biopsie est effectuée au stade de blastocyste et une analyse génétique de l’ensemble des chromosomes est appliquée. Les résultats obtenus sont éloquents : d’une part, près de 50 % des blastocystes sont porteurs d’aneuploïdies et, d’autre part, les taux de grossesses évolutives sont supérieurs et les taux de fausses couches inférieurs lorsque le DPI-A est appliqué. À noter qu’une de ces études [16] avait pour objectif de comparer le transfert d’un seul blastocyste avec DPI-A avec celui de deux blastocystes sans DPI-A. Les chances de succès, c’est-à-dire de naissance, ont été équivalentes, mais avec une réduction drastique de la survenue de grossesses gémellaires en faveur du DPI-A. Cette saison 3 se termine en concluant que le DPI-A appliqué au stade de blastocyste apporte un bénéfice direct pour les couples infertiles, tout en facilitant la pratique du transfert d’un seul embryon.
Notons que le DPI-A pratiqué au 5e jour (J5) comporte certaines limites : l’analyse génétique doit être effectuée très rapidement si l’on souhaite transférer l’embryon à J6, sinon elle doit être associée à une vitrification5 des blastocystes biopsiés. De plus, l’analyse génétique représente un coût additionnel à la tentative de FIV. Une étude médico-économique est donc nécessaire, comparant le coût du DPI-A au coût total des tentatives répétées qui aboutissent à un échec d’implantation ou à la survenue d’une fausse couche ou, encore plus grave, à la pratique d’une interruption médicale de grossesse (IMG) en cas d’aneuploïdie viable. Le coût psychologique est également à prendre en compte, car il est évident que les couples sont moralement épuisés et souvent déprimés, ce qui aboutit à de nombreux arrêts de travail.
Les professionnels de santé sont également à prendre en considération. En effet, il est difficile de transférer ou de congeler des embryons, tout en sachant que la moitié d’entre eux sont porteurs d’une aneuploïdie. Leur transfert nous conduit à exposer le couple à un risque de complication. Au regard de l’objectif d’amélioration de la qualité des soins, l’interdiction du DPI-A est devenue une contradiction incompréhensible, d’autant que dans certains cas, sa pratique n’ajoute aucun geste médical supplémentaire.
En France, le DPI ou diagnostic génétique préimplantatoire sur embryons issus de fécondation in vitro est autorisé à titre exceptionnel, pour des couples ayant un risque identifié de transmettre une maladie génétique d’une particulière gravité. Une biopsie d’embryon est donc pratiquée régulièrement dans 4 centres français. Cependant, seule la maladie génétique pour laquelle le couple est pris en charge est recherchée. Tristement, le taux de fausse couche obtenu après DPI avoisine les 25 %, en raison d’aneuploïdies qui auraient pu être diagnostiquées sur la cellule biopsiée. De plus, 2 centres ont déjà été confrontés à la pratique d’une interruption médicale de grossesse en raison d’une trisomie 21 diagnostiquée au stade fÅ“tal, alors que le diagnostic aurait pu être fait au stade embryonnaire. Le comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait pourtant rendu un avis positif quant à la recherche additionnelle de trisomie 21 dans le cadre du DPI.
La saison 4 pourrait s’intituler : amélioration de la cohérence du soin ?