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Med Sci (Paris). 2016 March; 32(3): 233–236.
Published online 2016 March 23. doi: 10.1051/medsci/20163203002.

Assemblages d’alpha-synucléine
Existe-t-il différentes souches ?

Dorian Sargent1* and Thierry Baron1**

1Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), Laboratoire de Lyon, unité « Maladies neuro-dégénératives », 31, avenue Tony Garnier, 69364Lyon Cedex 07, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Humains, Souris, Maladies neurodégénératives, Isoformes de protéines, Multimérisation de protéines, Structure quaternaire des protéines, Structure tertiaire des protéines, alpha-Synucléine, classification, métabolisme, composition chimique

 

De nombreuses études ont suggéré qu’il existait des ressemblances entre les maladies à prions, comme la maladie de Creutzfeldt-Jakob, et d’autres maladies neurodégénératives, telles que la maladie de Parkinson ou la maladie d’Alzheimer. Au cours de la maladie de Parkinson, l’alpha-synucléine, une protéine exprimée principalement dans le tissu nerveux, a la particularité de s’agréger, formant des lésions appelées corps de Lewy et neurites de Lewy, caractéristiques des synucléinopathies1. Braak et son équipe ont réalisé les premières observations montrant la présence précoce de ces agrégats dans le bulbe olfactif et dans les plexus nerveux intestinaux des patients parkinsoniens. Ces signes pathologiques précéderaient l’invasion, via le nerf vague, du système nerveux central, en particulier de la substance noire dont l’atteinte est à l’origine des troubles moteurs caractéristiques de la maladie de Parkinson [1, 2]. En 2008, une étude a montré la présence de corps de Lewy au sein de neurones mésencéphaliques fœtaux greffés, de nombreuses années auparavant, dans des cerveaux de patients atteints de la maladie de Parkinson [3, 4] ().

(→) Voir la Nouvelle de F. Lelan, m/s n° 1, janvier 2009, page 15

L’agrégation de l’alpha-synucléine serait donc capable de se propager des neurones de l’hôte la présentant, à ceux du greffon. Plus récemment, plusieurs équipes ont suggéré, dans des modèles expérimentaux in vivo, que la propagation de l’agrégation de l’alpha-synucléine se réaliserait selon un mécanisme qui ressemblerait à celui de la protéine prion, notamment dans un modèle transgénique murin de synucléinopathie développant une symptomatologie sévère [57].

Dans ce contexte, l’une des questions que se posent actuellement les chercheurs est la suivante : tout comme il existe des « souches » dans les maladies à prion, existe-t-il également des « souches » dans les pathologies associées à l’alpha-synucléine ? Les souches dans les maladies à prion se définissent, dans un hôte donné, (1) par la durée d’incubation de la maladie, après un challenge expérimental (administration) réalisé par injection intracérébrale d’homogénat de cerveau d’animal atteint d’une maladie à prion, (2) par la répartition des lésions induites au sein du système nerveux, mais aussi (3) par les caractéristiques moléculaires de la protéine prion accumulée dans le cerveau sous une forme pathologique, notamment sa résistance à la protéinase K2. Il existe plusieurs synucléinopathies chez l’homme, comme l’atrophie multi-systématisée, la démence à corps de Lewy et la maladie de Parkinson. Ces pathologies se différencient notamment par la nature et la localisation des lésions dans le cerveau des patients. Ces lésions sont ainsi détectées dans la substance noire dans la maladie de Parkinson, tandis qu’elles sont davantage localisées dans le cortex cérébral chez les patients atteints de démence à corps de Lewy. Dans l’atrophie multi-systématisée, les inclusions d’alpha-synucléine ciblent les oligodendrocytes, alors que ce sont les neurones qui sont atteints dans la maladie de Parkinson ou la démence à corps de Lewy. Cette diversité neuropathologique conduit ainsi à s’interroger sur l’existence possible de souches dans ces maladies.

L’alpha-synucléine humaine d’origine recombinante peut exister sous forme de fibres ou de rubans

En 2013, l’équipe de Ronald Melki est parvenue à produire expérimentalement deux types de structures d’alpha-synucléine à partir d’alpha-synucléine humaine recombinante sauvage : l’une en forme de rubans et l’autre en forme de fibres [8]. Ces deux formes structurales ont été différenciées par un ensemble de propriétés, incluant leurs caractéristiques physiques (temps de polymérisation, diffraction aux rayons X, etc.), leur résistance à la dégradation par la protéinase K, leur faculté à se lier aux membranes et à rentrer dans les cellules, et leur toxicité en culture cellulaire. Mais jusqu’à présent, aucune étude n’avait été publiée prouvant que ces différentes formes d’alpha-synucléine étaient capables de se comporter différemment in vivo, comme le feraient différentes souches de prion.

Une nouvelle approche expérimentale : influence de la forme et de la surexpression de l’alpha-synucléine

L’équipe de Baekelandt, en collaboration avec l’équipe de Ronald Melki, a étudié in vivo chez le rat, ces différents assemblages d’alpha-synucléine, après avoir inoculé au niveau de la substance noire l’alpha-synucléine recombinante humaine sous forme d’oligomères, de fibres ou de rubans [9]. Ces inoculations ont été réalisées en présence ou non d’une surexpression de l’alpha-synucléine humaine réalisée à l’aide d’un virus adéno-associé (AAV) [13] (Figure 1) ().

(→) Voir la Synthèse de A. Rossi et A. Salvetti, m/s n° 2, février 2016, page 167

En effet, dans les pathologies associées à des anomalies de repliement protéique, il est intéressant d’étudier l’effet d’une surexpression de la protéine impliquée, voire de mutations qu’elle peut subir. Ainsi, dans la maladie de Parkinson, certains patients ont leur gène codant l’alpha-synucléine dupliqué [10], voire tripliqué [11] ; la surexpression de la protéine, qui en résulte, est associée à la survenue de la maladie. D’autres anomalies génétiques, chez l’homme, peuvent être présentes et favoriser la maladie, notamment des mutations ponctuelles touchant la protéine. Les effets de telles anomalies peuvent être étudiés dans des modèles animaux transgéniques exprimant des gènes altérés. Une autre approche est l’utilisation des vecteurs viraux. Ils permettent une surexpression locale du transgène chez l’animal. L’équipe de Baekelandt a ainsi effectué des travaux sur la maladie de Parkinson en injectant, dans la substance noire de rats, des AAV permettant de surexprimer l’alpha-synucléine humaine normale avec pour conséquence un dysfonctionnement dopaminergique progressif [9].

Différences pathologiques et moléculaires observées in vivo avec les différents assemblages d’alpha-synucléine recombinante

La première expérience de l’étude de l’équipe de Baekelandt [9] montre, par tomographie, que les oligomères se disséminent plus aisément, une fois injectés dans la substance noire de rats, que les fibres et les rubans. Cependant, seuls les fibres et les rubans induisent, 4 mois après injection, l’apparition d’inclusions rappelant les corps et les neurites de Lewy au sein de la substance noire, et ceci de façon beaucoup plus importante pour les rubans. L’agrégation d’alpha-synucléine est, de plus, observée au sein d’oligodendrocytes uniquement pour la forme ruban et lorsque l’alpha-synucléine est surexprimée par des AAV. Il y a ainsi une différence quant à la capacité de ces différentes structures à induire la formation d’inclusions après inoculation chez le rat.

L’inoculation seule de fibres ou de rubans n’a pas provoqué de perte en neurones dopaminergiques, contrairement à l’injection d’AAV seul qui, elle, a entraîné la destruction de neurones dopaminergiques associée à un déficit moteur. Lorsque les AAV sont injectés avec chacune des formes d’alpha-synucléine, la destruction des neurones dopaminergiques et les déficits moteurs sont accentués. Par rapport au contrôle injecté avec l’AAV seul, les fibres diffèrent des rubans, en induisant une perte significative de projections et d’axones au niveau du striatum. Pourtant, le test comportemental réalisé sur ces animaux ne révèle pas de différences entre les atteintes motrices observées sur les animaux inoculés avec les fibres ou les rubans.

L’apparition d’un déficit moteur n’est pas associée obligatoirement à une mort des neurones dopaminergiques ou à une réduction du nombre de leurs axones dans le striatum. Les auteurs ont donc analysé la capacité de cellules primaires de cortex, prélevées chez le rat à la naissance, à générer un potentiel d’action en présence, ou non, d’alpha-synucléine in vitro. En utilisant des tests électrophysiologiques, ils ont ainsi observé que l’alpha-synucléine pouvait interférer avec l’émission de potentiels d’action, et cela de manière significative, lorsque la protéine se trouve sous la forme de fibres ou d’oligomères. En revanche, il ne semble pas y avoir de différences significatives entre les fréquences d’émission des potentiels d’action lorsque les cellules sont cultivées en présence des rubans. Ces résultats pourraient permettre d’expliquer la plus grande toxicité des fibres d’alpha-synucléine in vivo.

Dans la suite de l’étude, les auteurs ont cherché à mettre en évidence l’agrégation d’alpha-synucléine dans le cerveau de rats inoculés avec les différents assemblages de la protéine. Ils ont tout d’abord confirmé la présence d’agrégats d’alpha-synucléine, en la détectant au sein de la fraction insoluble en sarkosyl3,, et ce chez tous les groupes de rats. Ils ont ensuite étudié la résistance à la digestion par la protéinase K de la protéine provenant des cerveaux de rat inoculés avec les formes fibre et ruban. Il avait précédemment été montré, in vitro, que la forme fibre présentait une plus grande résistance à la digestion par la protéinase K par rapport à la forme ruban [8]. L’alpha-synucléine extraite du cerveau de rats inoculés avec les fibres résiste également à des concentrations plus importantes de protéinase K par rapport à la protéine extraite du cerveau de rats inoculés avec les rubans. Le maintien des caractéristiques de résistance différentielle suggère ainsi que la conformation de l’alpha-synucléine inoculée semble s’être transmise à l’alpha-synucléine endogène de l’hôte (Figure 1). Le fait que la forme fibre soit plus résistante à une digestion par la protéinase K pourrait contribuer à sa toxicité par rapport aux rubans.

Passage de la barrière hémato-encéphalique par l’alpha-synucléine recombinante

Certaines particularités des maladies à prion étant retrouvées dans la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson, ces découvertes génèrent de nouvelles questions d’ordre sanitaire. Des contaminations iatrogènes4 par les prions ont en effet été observées, notamment à la suite d’interventions neuro-chirurgicales (électrodes implantées dans le cerveau) ou après des traitements par hormones de croissance provenant de glandes hypophysaires humaines. Très récemment, une étude a suggéré la possibilité d’une pathologie liée à la β-amyloïde, une protéine qui joue un rôle central dans la maladie d’Alzheimer, chez des patients atteints de maladie de Creutzfeldt-Jakob en relation avec la prise d’hormone de croissance [12].

Dans la maladie de Parkinson, aucun cas de transmission de la maladie par des dérivés de tissus humains n’a été décrit jusqu’à présent. Cependant peu d’études ont été réalisées dans ce domaine. Baekelandt et ses collègues ont étudié la capacité des différents types d’assemblages d’alpha-synucléine recombinante à franchir la barrière hémato-encéphalique. Après des injections intraveineuses répétées chez le rat, ils ont pu constater, par des études en imagerie, que fibres, rubans et oligomères étaient détectables dans le cerveau des animaux 4 mois après les premières injections. En couplant les différentes formes d’alpha-synucléine avec un fluorochrome afin de pouvoir les tracer, les auteurs ont constaté que les rubans et les oligomères franchissent plus aisément la barrière hémato-encéphalique. L’apparition de dépôts d’alpha-synucléine et l’activation des cellules de l’inflammation montrent que fibres et rubans ont également diffusé au sein de la moelle épinière.

Conclusions

Ces résultats montrent des différences de neurotoxicité entre fibres et rubans d’alpha-synucléine in vivo, certaines de ces différences nécessitant l’utilisation d’un contexte particulier de surexpression de l’alpha-synucléine humaine par des AAV pour être mises en évidence. Le fait que les profils de digestion de ces différentes conformations d’alpha-synucléine aient été conservés après qu’elles aient été inoculées, suggère que la conformation initiale de la protéine exogène a été transmise à l’alpha-synucléine endogène. Ces résultats constituent un argument en faveur de l’existence possible de souches associées à différentes structures d’alpha-synucléine. Cependant, cette étude n’a pas permis d’observer de différences de répartition, ou de nature, des dépôts lors de l’agrégation de l’alpha-synucléine suite à l’inoculation. Aussi, il n’y a pas de différences dans les déficits moteurs révélés à 4 mois, après inoculation des fibres ou des rubans. D’autres études seront nécessaires afin de confirmer ces résultats et de pouvoir affirmer l’existence de souches dans les synucléinopathies.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Pathologies impliquant l’alpha-synucléine
2 La protéinase K est une endopeptidase qui coupe les liaisons peptidiques au niveau du carboxyle d’un acide aminé à chaîne latérale hydrophobe ou aromatique.
3 Le sarkosyl est un détergent qui ne désagrège pas les agrégats d’alpha-synucléine. Ceux-ci persistent ainsi au sein d’une fraction dite insoluble en sarkosyl, obtenue par resuspension du culot après ultracentrifugation en présence de ce détergent.
4 Occasionnés par le traitement médical.
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