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Med Sci (Paris). 32(5): 441–444.
doi: 10.1051/medsci/20163205005.

L’hormone anti-müllerienne
Une hormone ovarienne exerçant une rétroaction hypothalamique ?

Sophie Catteau-Jonard,1,2,3* Didier Dewailly,1,2,3 Vincent Prévot,1,2 Irène Cimino,1,2 and Paolo Giacobini1,2

1Unité Inserm U1172, laboratoire du développement et plasticité du cerveau neuroendocrine, centre de recherche Jean-Pierre Aubert, 59045Lille, France
2Faculté de médecine, université de Lille, FHU 1000 Days for Health, 59045Lille, France
3Service de gynécologie endocrinienne et médecine de la reproduction, hôpital Jeanne de Flandre, CHU de Lille, avenue Eugene Avinée, 59037Lille, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adulte, Animaux, Hormone antimullérienne, Rétrocontrôle physiologique, Femelle, Hormone de libération des gonadotrophines, Humains, Hypothalamus, Souris, Neurones, Ovaire, Syndrome des ovaires polykystiques, métabolisme, pharmacologie, physiologie, effets des médicaments et substances chimiques

 

La reproduction des mammifères est contrôlée au niveau du cerveau par une petite population de neurones spécifiques de l’hypothalamus qui sécrètent de la GnRH (hormone de libération des gonadotrophines hypophysaires, aussi appelée LHRH, luteinizing hormone releasing hormone). Ces neurones, dont les corps cellulaires sont localisés dans la région préoptique1 (chez la souris et l’homme) et dans l’hypothalamus médiobasal (chez l’homme), envoient des projections vers l’éminence médiane de l’hypothalamus, qui constitue l’interface entre le système nerveux central et le système endocrinien périphérique. La GnRH est donc libérée dans les capillaires du système porte hypothalamo-hypophysaire puis véhiculée dans l’hypophyse antérieure où elle commande la sécrétion des gonadotrophines [1], l’hormone lutéinisante (LH) et l’hormone follicule stimulante (FSH), qui à leur tour, vont réguler l’activité gonadique [17] (). Chez les mammifères femelles, une partie de l’activité ovarienne est indépendante des gonadotrophines, à savoir la croissance folliculaire depuis son début jusqu’au stade des petits follicules à antrum. De nombreux facteurs interviennent dans ce phénomène, en particulier l’hormone anti-müllerienne (AMH), aussi connue sous le nom de müllerian-inhibiting substance, qui est un membre de la superfamille du TGF-ß (transforming growth factor-ß). Il s’agit une glycoprotéine homodimérique de 140 kDa, dont les deux monomères sont liés par des ponts disulfures. Chez la femelle, l’AMH est sécrétée par les cellules ovariennes de la granulosa2. Son rôle est de réguler négativement la transition des follicules primordiaux vers les follicules primaires [2] et de protéger les follicules en croissance d’une maturation prématurée, en s’opposant aux effets de la FSH [3].

(→) Voir la Nouvelle de L. Naulé et S. Mhaouty-Kodja, page 452 de ce numéro

Ce rôle de l’AMH semble perturbé chez les femmes ayant un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), leurs taux plasmatiques d’AMH étant 2 à 3 fois plus élevés que chez les femmes avec ovaires normaux [4]. Le SOPK est la pathologie endocrinienne la plus fréquente de la femme en âge de procréer ; elle touche près de 10% d’entre elles. Elle est responsable d’hyperandrogénie (augmentation inhabituelle de la production d’androgènes, hormones mâles, dans les ovaires), de dysovulation et donc d’infertilité [5]. Une caractéristique du SOPK est une élévation des taux sériques de LH, même si cette élévation n’est pas constante et reste inexpliquée [6].

La sévérité du phénotype du SOPK chez la femme est corrélée à la production d’AMH. Celle-ci est en effet plus élevée chez les patientes dysovulantes par rapport aux patientes avec SOPK mais ovulantes [7]. Chez les femmes avec SOPK, l’excès d’AMH est suspecté de jouer un rôle important dans l’anovulation3, en amplifiant l’effet inhibiteur de l’AMH sur l’action de la FSH [38].

L’AMH se lie à son récepteur spécifique de type II (AMHR2) qui s’hétéro-dimérise avec un récepteur de type-I (ALK[activin receptor-like kinase]2, ALK3 ou ALK6) et recrute des protéines Smad qui sont transloquées dans le noyau pour réguler l’expression des gènes cibles [9]. L’AMH est le seul ligand connu d’AMHR2, ce qui suggère que les tissus qui expriment ce récepteur sont très probablement les tissus-cibles de l’AMH. Chez les femelles, la distribution et la fonction d’AMHR2 n’ont pas encore été bien étudiées hormis son rôle dans les ovaires. Mais nous savons qu’il est exprimé dans des tissus extragonadiques incluant le cerveau [10]. Cela soulève la question d’éventuels rôles extra-ovariens de l’AMH, susceptibles d’être amplifiés dans le SOPK.

Nous avons montré, dans une étude publiée récemment dans la revue Nature Communications [11], que l’AMH induit la sécrétion de LH en stimulant l’activité des neurones hypothalamiques à GnRH exprimant le récepteur de l’AMH in vivo dans les espèces murine et humaine. Ces données mettent en avant l’AMH comme régulateur important du système à GnRH, ouvrant de nouvelles pistes pour l’exploration du rôle de l’AMH dans la fonction reproductive et pour la compréhension de la physiopathologie du SOPK.

Expression d’AMHR2 dans le cerveau et sur les neurones à GnRH

Nous avons tout d’abord étudié l’expression de la protéine AMHR2 par immunohistochimie dans le cerveau des souris en âge de procréer (90 jours après la naissance). Nous avons observé que les cellules immunoréactives pour l’AMHR2 sont distribuées dans plusieurs régions du cerveau : au niveau des neurones du cortex, de l’hippocampe, et de l’hypothalamus dans lequel sont localisés les corps cellulaires et les axones des neurones à GnRH. De façon intéressante, l’expression d’AMHR2 dans l’hypothalamus est également détectée dans deux types cellulaires non neuronaux qui régulent la sécrétion de la neurohormone en interagissant étroitement avec les terminaisons des neurones à GnRH : les cellules endothéliales de l’éminence médiane [12] et les cellules gliales hypothalamiques appelées tanycytes [13].

Nous avons de plus trouvé que l’AMHR2 était exprimé dans les neurones à GnRH de fœtus humains et murins. Chez les sujets adultes murins et humains, une approche par double immunomarquage révèle qu’AMHR2 continue à être exprimé par plus de 50 % des neurones à GnRH de la région pré-optique hypothalamique.

L’AMH régule l’excitabilité et la sécrétion des neurones à GnRH

Pour déterminer si l’AMH agissait préférentiellement au niveau des corps cellulaires ou des terminaisons neuronales, nous avons étudié l’effet de l’AMH sur l’activité électrique du neurone à GnRH ainsi que sur la sécrétion de GnRH sur des tranches de cerveau murin contenant, respectivement, soit les corps cellulaires, soit les terminaisons neuroendocrines de ces neurones hypothalamiques. Au niveau des corps cellulaires, nous avons trouvé que l’AMH exerçait un puissant effet post-synaptique excitateur sur la moitié des neurones à GnRH, à la fois chez la souris mâle et la souris femelle. Cet effet stimulateur de l’AMH sur l’activité électrique du neurone à GnRH survient à des concentrations sub-nanomolaires. L’utilisation d’explants d’éminence médiane en survie a par ailleurs montré que l’AMH était également capable de moduler la sécrétion de GnRH par les terminaisons neuroendocrines.

L’administration intracérébroventriculaire d’AMH stimule la sécrétion de LH in vivo

Afin d’examiner les effets de l’AMH sur la sécrétion de la LH hypophysaire in vivo, nous avons administré directement de l’AMH dans le ventricule latéral du cerveau de souris femelles en diœstrus4, lorsque la sécrétion de GnRH est basale, et avons mesuré la sécrétion de LH, qui est un reflet de la sécrétion de GnRH. Nous avons analysé les concentrations plasmatiques de LH 15 et 30 minutes après l’administration de doses croissantes d’AMH et nous avons trouvé une augmentation rapide de la sécrétion de LH 15 minutes après injection. Cette sécrétion revient à l’état de base 30 minutes après l’injection. L’administration d’inhibiteurs des récepteurs de type I de l’AMH atténue significativement cette sécrétion, indiquant qu’elle dépend d’un signal passant par les récepteurs de l’AMH. Des prélèvements de sang répétés ont par ailleurs montré que le traitement à l’AMH entraînait une augmentation de la fréquence de la sécrétion pulsatile de LH chez la souris.

Les effets de l’AMH sur la sécrétion de LH ont été complètement bloqués par un traitement des souris par le cetrorelix (antagoniste du récepteur de la GnRH qui sature les sites anté-hypophysaires), ce qui exclut un effet direct de l’AMH au niveau hypophysaire et confirme une action centrale de l’AMH sur les neurones à GnRH.

Les taux d’AMH et de LH sont corrélés dans un modèle de souris SOPK

Utilisant un modèle de souris SOPK [14], nous avons mis en évidence une corrélation positive et significative entre AMH et LH chez ces souris (alors que leurs taux sériques d’AMH n’étaient pas différents de ceux des souris contrôles), un phénotype qui est retrouvé chez la femme avec SOPK [15]. Aucune corrélation entre FSH et AMH n’a été retrouvée.

Conclusion

Nous avons démontré que l’AMH, qui est anormalement élevée dans le sérum de femmes avec SOPK, était capable d’augmenter l’activité neuronale et la sécrétion de la GnRH. L’AMH était auparavant connue pour ses rôles cruciaux dans la différenciation sexuelle et les fonctions gonadiques. Cependant, les effets extragonadiques possibles de l’AMH sur l’axe hypothalamo-hypophysaire restaient jusque-là inexplorés. Ce travail démontre qu’une grande partie des neurones à GnRH exprime le récepteur de l’AMH à la fois chez la souris et l’homme, et que l’AMH stimule fortement l’activité électrique et de neurosécrétion de ces neurones chez la souris.

Cette étude met en évidence l’augmentation de la sécrétion pulsatile de LH par une action centrale de l’AMH sur les neurones à GnRH. Cette augmentation de la pulsatilité de la LH est une caractéristique pathologique retrouvée dans de nombreux cas de SOPK (Figure 1). Jusque là, l’augmentation de la fréquence des pics de LH dans le SOPK était attribuée à un défaut de rétroaction négative exercé par la progestérone, du fait d’une « androgénisation hypothalamique » dès la vie fœtale [16]. Ces résultats montrent de manière inédite que la sécrétion de GnRH hypothalamique est régulée par l’AMH et que cette régulation pourrait être impliquée dans la physiopathologie de la fertilité, ouvrant ainsi de nouvelles pistes de traitement du syndrome des ovaires polykystiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article

 
Footnotes
1 Un des noyaux de l’hypothalamus.
2 Couche de cellules folliculaires granuleuses, située autour de l’ovocyte et de la cavité folliculaire, sécrétant des œstrogènes.
3 L’anovulation est une absence complète d’ovulation alors que dans la dysovulation, l’ovulation est inconstante et non régulière.
4 Période de repos entre deux cycles œstraux.
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