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Med Sci (Paris). 32(6-7): 612–618.
doi: 10.1051/medsci/20163206025.

Le renouveau de l’interleukine 2
Modèle revisité et nouvelles applications thérapeutiques

Yannick Jacques1* and Erwan Mortier1

1Centre de recherche en cancérologie Nantes-Angers (CRCNA), UMR Inserm 892 - CNRS 6299, Université de Nantes, IRS-UN, 8, quai Moncousu, BP70721, F-44007, Nantes, France
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Delphine Sauce).

L’IL-2 in vitro : un facteur central pour le développement des réponses immunes à médiation lymphocytaire

L’activité de l’interleukine 2 (IL-2) comme facteur de croissance des lymphocytes T (T cell growth factor, TCGF) a initialement été détectée dans les surnageants de lymphocytes périphériques activés par un mitogène, la phytohémagglutinine (PHA) [1]. Une application immédiate et importante de cette découverte fût la possibilité de faire proliférer à long terme les lymphocytes in vitro et, en particulier, l’établissement de lignées et de clones lymphocytaires T, ce qui facilita grandement l’étude des récepteurs lymphocytaires T (TCR) et de leur spécificité antigénique. En retour, la prolifération de ces lignées ou de ces clones T a servi de révélateur pour permettre la purification et la caractérisation biochimique de la cytokine. L’IL-2 a aussi été la première cytokine à être clonée, en 1983 [2].

L’IL-2 est produite essentiellement par les lymphocytes T de type auxiliaire (T CD4) activés, à la suite de l’activation de leur TCR et des signaux accessoires, et dans une moindre mesure par les lymphocytes T CD8, les cellules dendritiques, les lymphocytes NK (natural killer) et NK-T (natural killer T). L’expression de la cytokine est transitoire et elle est fortement régulée au niveau transcriptionnel. Son récepteur de haute affinité est composé de trois chaînes à domaine transmembranaire : (1) la chaîne α (CD25), qui est spécifique de l’IL-2 et qui a une faible affinité pour la cytokine (10-8 M) lorsque présente seule, possède un court segment cytoplasmique et est dépourvue d’activité de transduction de signal biologique ; (2) la chaîne β (CD122), qui a également une faible affinité pour l’IL-2 (10-8 M) lorsque présente seule, qui participe au récepteur de l’IL-15 ; enfin, (3) la chaîne γ (CD132), et qui est un élément commun à l’ensemble des récepteurs de la famille de cytokines dite « gamma commune » qui comprend, outre l’IL-2, l’IL-15, l’IL-7, l’IL-4, l’IL-9 et l’IL-21 [3]. La chaîne γ a une très faible affinité pour l’IL-2 (10-7 M) lorsque présente seule. La formation du récepteur de haute affinité (10-11 M) résulte donc d’un mécanisme coopératif de recrutement, par l’IL-2, du complexe trimérique α/β/γ, dans lequel l’hétérodimère β/γ est responsable de la transduction du signal par l’activation des voies Jak (Janus kinase)-1/Jak-3/Stat-5 (signal transducer and activator of transcription 5), PI3K (phosphoinositide 3-kinase) et MAPK (mitogen-activated protein kinases). Cet hétérodimère peut également être recruté et activé par l’IL-2 en l’absence de chaîne α, mais, dans ce cas, avec une affinité 100 fois plus faible (10-9 M).

À la suite de sa découverte, l’IL-2 a longtemps été considérée comme le facteur soluble ayant un rôle central dans le développement des réponses immunitaires (Figure 1A). Dans cette acception, basée exclusivement sur des observations expérimentales réalisées in vitro, les lymphocytes T naïfs n’expriment en fait que la chaîne γ du récepteur à l’IL-2. Leur activation par le complexe formé entre l’antigène et le complexe majeur d’histocompatibilité (Ag/MHC) et par les signaux accessoires (CD28/CTLA4 [cytotoxic T-lymphocyte-associated protein 4] associés à B7-2/B7-1) induit la production d’IL-2 par les lymphocytes T CD4 ainsi que l’expression des chaînes α et β du récepteur sur l’ensemble des lymphocytes T. L’IL-2 produite induit alors de manière autocrine ou paracrine la prolifération des lymphocytes T activés porteurs du récepteur de haute affinité pour la cytokine, puis favorise leur différenciation en lymphocytes de types auxiliaire (qui produisent différentes cytokines) ou cytotoxique (qui sécrètent de l’interféron γ [IFNγ], de la perforine, des granzymes, et sont capables de lyser des cellules cibles). L’IL-2 agit aussi de manière paracrine en promouvant la prolifération des lymphocytes B à la suite de leur activation induite après reconnaissance de l’antigène par leurs immunoglobulines de surface. Elle était également considérée comme le facteur responsable de la prolifération des lymphocytes NK (qui sont porteurs du récepteur β/γ) et de leur activité tumoricide avant que l’IL-15 ne fût identifiée en 1994. Enfin, la chaîne α (CD25), spécifique de la cytokine, est exprimée fortement par les cellules T anormales présentes dans certaines formes de néoplasies lymphoïdes, dont certaines utilisent l’IL-2 comme facteur de croissance, et par les lymphocytes T activés dans le contexte de nombreuses manifestations auto-immunes, inflammatoires et de rejet de greffes d’organes.

Le système IL-2 est donc naturellement apparu comme une cible de choix pour le développement de stratégies thérapeutiques visant soit à stimuler le système immunitaire (contexte de l’immunothérapie des cancers et des maladies infectieuses), soit, au contraire, en utilisant des anticorps antagonistes anti-CD25 et/ou anti-CD122, à inhiber son action (contexte du traitement de certaines néoplasies lymphoïdes, de maladies auto-immunes et inflammatoires, ou de prévention du rejet de greffe) [4].

Paradoxe in vivo : l’IL-2, facteur crucial pour l’homéostasie des lymphocytes T régulateurs et le contrôle des réponses auto-immunes et inflammatoires

Le modèle initial fondé sur des études in vitro a été mis à rude épreuve au début des années 1990 lorsque l’avènement des technologies d’inactivation génique par recombinaison homologue a permis l’évaluation du rôle du système IL-2 in vivo, chez la souris [57]. En effet, les souris, invalidées pour le gène de l’IL-2, ou de ses récepteurs IL-2Rα (CD25) ou IL-2Rβ (CD122), avaient des phénotypes très similaires, avec des réponses T et B modifiées mais pas de manière très spectaculaire et, contrairement à ce qui était attendu, ne présentaient pas d’immunodéficience. À l’inverse, elles présentaient la caractéristique commune de développer une hyperprolifération et une accumulation périphérique de lymphocytes T activés, accompagnées d’une lymphadénopathie, de la production d’autoanticorps et de profondes manifestations auto-immunes. Ces observations suggéraient donc que l’invalidation du système IL-2 entraînait la perte d’un (de) mécanisme(s) de régulation négative qui permet(tent) la contraction et la fin de la réponse immune, et qui soi(en)t impliqué(s) dans la tolérance immunitaire.

À la même époque, une sous-population de cellules T CD4 exprimant de manière constitutive l’IL-2Rα (CD25) fût identifiée chez la souris. Elle contribuait au maintien de la tolérance immunitaire en régulant, à la baisse et de manière non-spécifique, les réponses immunitaires contre les antigènes du soi et du non-soi [8, 44] ().

(→) Voir la Synthèse de G. Boursier et al., m/s n° 8-9, août-septembre 2012, page 757

Ces cellules régulatrices (appelées depuis lymphocytes T régulateurs, ou Treg) sont absentes dans les souris invalidées pour le gène de l’IL-2, de l’IL-2Rα ou de l’IL-2Rβ. Leur transfert adoptif chez ces souris dépourvues d’IL-2 ou de ses récepteurs, empêche le développement des syndromes auto-immuns [9], montrant ainsi le rôle essentiel du système IL-2 dans le maintien de ces cellules régulatrices. Le facteur FoxP3 (forkhead box P3) est un régulateur transcriptionnel essentiel pour la production des lymphocytes Treg [10]. Il est considéré comme le meilleur marqueur de ces cellules. Des souris déficientes dans la molécule FoxP3 sont dépourvues de Treg. Elles présentent un syndrome auto-immun qui est similaire aux souris invalidées pour le système IL-2 [11]. L’expression de FoxP3 est sous la dépendance, au moins partielle, de la signalisation initiée par l’IL-2 dans laquelle le facteur STAT5 (signal transducer and activator of transcription 5) joue un rôle essentiel. En effet, des souris invalidées, ou présentant des mutations de STAT5, présentent un déficit en lymphocytes Treg qui est associé à une auto-immunité [12]. L’existence des cellules Treg a également été montrée chez l’homme [13, 14] et des mutations dans le gène de FoxP3 entraînent l’absence de ces cellules et un syndrome auto-immun sévère (syndrome d’immunodérégulation, polyendocrinopathie, entéropathie auto-immune liée au chromosome X, ou IPEX) [15]. Le rôle du système IL-2 dans le développement des cellules Treg a été fortement suggéré par plusieurs études montrant que des patients, porteurs de mutations touchant le gène de l’IL-2Rα (CD25) et chez lesquels le récepteur CD25 n’est pas exprimé, présentent des désordres immunitaires semblables à ceux observés chez les souris, dont des manifestations auto-immunes, une lymphadénopathie et des infections virales persistantes [16]. Chez les patients cancéreux traités par de fortes doses d’IL-2 afin de stimuler leur système immunitaire (voir plus loin), il a été également observé une forte augmentation de la fréquence des cellules T périphériques CD4+CD25+ qui sont dotées de puissantes propriétés immunosuppressives [17, 18].

Ainsi, l’IL-2, considérée jusqu’alors comme étant un facteur requis pour la croissance des lymphocytes T et la stimulation des réponses effectrices de l’immunité, s’avérait, en fait, ne pas être indispensable pour ces fonctions. Au contraire, la cytokine apparaissait cruciale pour le maintien et la fonction des lymphocytes Treg qui limitent l’action des cellules effectrices, notamment pour prévenir les dérives réactionnelles auto-immunes. Le modèle qui prévaut à l’heure actuelle a donc radicalement évolué (Figure 1B). Le rôle principal, et exclusif, de l’IL-2 par rapport aux autres cytokines, repose sur son activité sur les cellules Treg périphériques. Elle est à la fois un facteur de survie pour ces cellules et critique pour leur activité suppressive. Elle contribue également au développement des lymphocytes Treg dans le thymus, mais cela, de manière redondante avec d’autres cytokines (IL-7, IL-15) [19]. Son rôle sur les T conventionnels apparaît plus complexe. Alors que l’IL-2 ne semble pas indispensable à la prolifération des cellules T et à l’acquisition de fonctions effectrices lors des réponses primaires, sa signalisation, pendant cette phase primaire, semble cruciale pour les réponses T CD8 mémoires ultérieures [20].

Les cellules T effectrices, tout comme les cellules Treg, sont dotées du récepteur trimérique de haute affinité pour l’IL-2 (IL-2Rα/β/γ). In vivo, la réponse préférentielle à l’IL-2 des cellules Treg par rapport aux cellules T effectrices peut s’expliquer par deux éléments principaux. Le premier est que les lymphocytes Treg expriment de manière constitutive le récepteur de haute affinité pour l’IL-2, alors que les cellules T effectrices ne l’expriment que de manière transitoire après qu’elles aient été activées. Le deuxième, qui a été suggéré plus récemment, pourrait être lié aux voies de signalisation qui sont mises en œuvre à la suite de l’activation du récepteur. Alors que l’activation des cellules effectrices requiert l’engagement des trois voies PI3K, MAPK et STAT5, celle des cellules Treg serait essentiellement dépendante de la voie STAT5, lui conférant une sensibilité accrue à l’IL-2 [21, 22].

Conséquences thérapeutiques : de l’IL-2 à fortes doses en cancérologie à l’IL-2 à faibles doses dans le traitement des maladies auto-immunes et inflammatoires

Bien que les effets de l’IL-2 sur les lymphocytes Treg aient été établis dès la fin des années 1990, l’IL-2 a encore longtemps été considérée comme un facteur stimulant essentiellement les réponses effectrices et donc utilisée, en clinique, dans ce contexte (Figure 2). L’IL-2 a montré son efficacité dans le traitement de certains types de cancer (mélanome, carcinome rénal), avec cependant, un taux de réponse clinique relativement modeste (15 %), mais aussi des réponses complètes et à long terme, observées chez environ 8 % des patients, ce qui justifia son homologation par la FDA (Food and drug administration - Aldesleukin, Novartis). Son efficacité nécessite cependant de fortes doses qui sont responsables d’effets secondaires majeurs (syndrome de fuite vasculaire et atteinte des fonctions hépatique et rénale). L’IL-2 a aussi été utilisée dans les maladies infectieuses afin de stimuler les réponses immunitaires contre des pathogènes ou des virus [23, 24]. L’emploi de l’IL-2 pour le traitement des maladies auto-immunes ou inflammatoires n’était donc pas envisagé. Au contraire, différentes molécules antagonistes du système IL-2 ont été développées à des fins thérapeutiques dans ce type de pathologies [4].

L’observation récurrente que les patients porteurs de pathologies auto-immunes présentaient des déficits dans la population de cellules Treg [25] a toutefois progressivement stimulé la recherche afin d’identifier des facteurs pouvant restaurer cette population cellulaire à des fins thérapeutiques. Le fait qu’une importante stimulation du compartiment lymphocytaire Treg était notée chez les patients cancéreux traités par de fortes doses d’IL-2 [26] suggéra l’utilisation de la cytokine dans les pathologies auto-immunes, mais à des doses bien plus faibles afin d’éviter les effets toxiques qui avaient été observés et l’activation des cellules effectrices. Deux essais cliniques, dont les résultats furent publiés conjointement dans le New England Journal of Medicine, étayèrent le rationnel de ce type d’approche. Le premier se situe dans le contexte de réactivité auto-immune. Il concerne des patients atteints de vascularite associée à une infection chronique par le virus de l’hépatite C (HCV) [27]. Certains de ces patients ne répondant pas aux traitements antiviraux ont été traités par de faibles doses d’IL-2, pendant 2 mois. Une amélioration clinique fut observée chez 8 des 10 patients ainsi traités qui était associée à une augmentation des lymphocytes Treg circulants sans qu’il n’y ait d’impact sur les cellules T effectrices et avec une bonne tolérance au traitement. L’autre étude se situe dans un contexte de réactivité allo-immune. Elle concerne la maladie du greffon contre l’hôte (GVH) qui peut survenir après la transplantation de cellules souches hématopoïétiques aux patients leucémiques [28]. Des patients en phase active et chronique de la maladie, et résistants au traitement par corticoïdes, ont vu leur état clinique amélioré après traitement par de faibles doses d’IL-2. Dans ce cas également, le traitement par IL-2 était associé à une augmentation sélective des cellules Treg et une absence de toxicité.

Plusieurs études cliniques ont conforté ces premiers résultats dans différentes pathologies auto-immunes. Dans l’alopécie aréata (pelade), un défaut fonctionnel des cellules Treg est observé. Un premier essai clinique avec des faibles doses d’IL-2 a donc été réalisé. Conduit chez quatre patients, une repousse des cheveux significative et durable a pu être observée dans les zones affectées. Cette amélioration clinique est fortement corrélée à une infiltration par des lymphocytes Treg dans la peau au niveau de ces zones [29]. Un patient atteint de lupus érythémateux disséminé (SLE) et réfractaire à de multiples molécules/essais thérapeutiques a été également traité par de faibles doses d’IL-2 (4 cycles d’injection en sous-cutané). Une amélioration rapide et drastique de la maladie a pu être observée accompagnée, là encore, d’une expansion très forte de la population de cellules Treg [30]. Dans le diabète de type 1, des études préliminaires d’efficacité ont permis de déterminer, chez les patients, la dose d’IL-2 induisant une augmentation des lymphocytes Treg sans que ne soient affectées les cellules effectrices T ou NK. Elle a de plus permis de montrer une réduction de la composante T spécifique des cellules β du pancréas [31, 32]. L’ensemble de ces premières études indique donc l’intérêt des thérapies fondées sur des faibles doses d’IL-2 pour le traitement des maladies auto-immunes et inflammatoires. Elles montrent que son efficacité est corrélée avec une activation spécifique des cellules Treg permettant le rétablissement de la balance entre cellules T régulatrices et cellules T effectrices.

Au-delà de leur rôle fondamental dans le contrôle des réactivités auto-immunes, les lymphocytes Treg agissent également pour freiner les mécanismes inflammatoires. En particulier, ils produisent des molécules anti-inflammatoires, comme l’IL-10. L’IL-2, qui favorise leur développement, a un effet opposé sur les cellules T de type TH17 qui sont pro-inflammatoires. Elle inhibe en effet leur différenciation fonctionnelle (Figure 1A). À noter que le transcriptome de cellules mononucléaires issues du sang périphérique de patients traités avec de faibles doses d’IL-2 apparaît fortement orienté vers un profil anti-inflammatoire [27]. Ainsi, contrairement au modèle initial lui prédisant un rôle pro-inflammatoire, l’IL-2 pourrait s’avérer intéressante dans le traitement des maladies inflammatoires. Des études dans des modèles développés chez la souris ont récemment appuyé ce concept.

Nouvelles stratégies vers la manipulation de la balance T effecteurs/T régulateurs

Dans le cadre de l’immunothérapie anticancéreuse, l’utilisation actuelle de fortes doses d’IL-2 afin d’activer les cellules effectrices par l’intermédiaire du récepteur IL-2Rβ/γ présente plusieurs désavantages qui sont liés à l’activation concomitante du récepteur IL-2Rα/β/γ. L’un est l’induction de VLS (IL-2-induced vascular leak syndrome) reposant sur l’action de la cytokine sur les cellules endothéliales (Figure 3). Un autre est l’activation des Treg qui peuvent potentiellement contrecarrer les réponses T effectrices contre la tumeur. Des stratégies sont donc développées pour cibler et activer plus spécifiquement le récepteur hétérodimérique IL-2Rβ/γ, afin d’infléchir la balance vers l’activation des cellules effectrices. Une des approches utilise des formes modifiées de l’IL-2. Ainsi, une approche d’évolution moléculaire, combinant mutagénèse et sélection des mutants après expression et présentation à la surface de levures (yeast display), a permis de générer une IL-2 « superkine » [45] () qui présente une affinité très augmentée pour la chaîne IL-2Rβ [33]. Cette superkine, à des doses faibles, active aussi efficacement l’hétérodimère IL-2Rβ/γ que le trimère IL-2Rα/β/γ, et présente des activités antitumorales augmentées par rapport à l’IL-2 native dans des modèles expérimentaux. De même, une combinaison de mutations de l’IL-2 (No-a IL-2), portant sur sa région d’interaction avec la chaîne α de son récepteur [34] (Figure 3A), conduit à une baisse de son affinité pour le récepteur trimérique tout en conservant celle pour le récepteur hétérodimère. No-a IL-2 conserve les propriétés antitumorales de l’IL-2, mais avec des effets toxiques amoindris. Une deuxième approche est d’utiliser des anticorps dirigés contre l’IL-2 (comme le MAB602) qui favorisent l’interaction de l’IL-2 avec l’hétérodimère. Ces anticorps, en recouvrant le site d’interaction de l’IL-2 avec la chaîne α de son récepteur, dirigent spécifiquement la cytokine vers le complexe dimérique. Les complexes anti-IL-2/IL-2 ainsi formés se révèlent avoir à faibles doses des activités anti-tumorales augmentées par rapport à des doses fortes d’IL-2, avec des effets secondaires très réduits [35].

(→) Voir la Nouvelle de R.J. Creuzot et I. Moraga, m/s n° 4, avril 2013, page 345

Une stratégie alternative repose sur l’utilisation de l’IL-15 qui, comme l’IL-2, utilise les chaînes IL-2Rβ (CD122) et IL-2Rγ (CD132) du récepteur comme éléments de liaison et de transduction de signal. Sa spécificité d’action est conférée par une autre chaîne qui lui est spécifique (IL-15Rα ou CD215). Son mode d’action dominant in vivo est un mode dit de « transprésentation ». L’IL-15 fixée à la chaîne IL-15Rα de son récepteur présent sur une cellule présentatrice (cellule stromale, dendritique ou monocyte/macrophage) active l’hétérodimère IL-2Rβ/γ sur une cellule répondeuse [36]. L’IL-15 est ainsi un facteur important qui active les effecteurs de la réponse immunitaire (principalement les cellules NK et les T CD8 mémoires), sans qu’elle ne stimule, contrairement à l’IL-2, les cellules T régulatrices. Son intérêt, comme molécule antitumorale, a été validé dans de nombreux modèles expérimentaux, et plusieurs essais cliniques ont été initiés chez l’homme dans différents contextes tumoraux [37]. Plusieurs stratégies sont à l’étude pour renforcer son action sur l’hétérodimère IL-2Rβ/γ, incluant l’utilisation de complexes IL-15/IL-15Rα solubles ou la molécule RLI (IL-15-IL-15 receptor fusion protein) [38].

Dans la perspective de l’induction de tolérance aux greffons et de traitement des maladies auto-immunes et inflammatoires, des stratégies sont entreprises afin de renforcer la spécificité d’action de l’IL-2 pour les cellules Treg qui présentent de manière constitutive le récepteur trimérique IL-2Rα/β/γ, par rapport aux lymphocytes NK et les T CD8 mémoires qui sont eux porteurs de l’hétérodimère IL-2Rβ/γ (Figure 3B). L’une d’elles est fondée sur une mutation de l’IL-2 humaine, dans sa zone de contact avec la chaîne β de son récepteur. Cette IL-2 mutée (BAY 50-4798) ne peut recruter la chaîne β du récepteur que si elle a préalablement inter-agi avec la chaîne α, se comportant ainsi comme un activateur spécifique du complexe trimérique IL-2Rα/β/γ [39]. Une autre stratégie développée plus récemment chez la souris, a consisté à utiliser un anticorps dirigé contre l’IL-2 (le JES6-1) qui, par une conjonction d’effets stériques et allostériques, modifie la capacité de l’IL-2 à recruter ses chaînes réceptrices et lui confère une forte sélectivité pour les cellules exprimant la chaîne α [40, 41]. L’intérêt de ces molécules a été validé chez la souris dans plusieurs modèles d’inflammation chronique ou de maladies auto-immunes [42].

Conclusions et perspectives

La réévaluation de la place du système IL-2 dans le concert des cytokines régulatrices de l’immunité innée et adaptative a eu progressivement pour conséquence de revoir le rationnel de son utilisation comme cible thérapeutique. L’enjeu actuel est de pouvoir manipuler, à façon, la balance entre lymphocytes T effecteurs et lymphocytes T régulateurs selon le contexte pathologique. Pour l’immunothérapie anticancéreuse, où l’objectif est de minimiser les effets secondaires liés à l’emploi de l’IL-2 à fortes doses, la stratégie s’oriente vers la conception de formes modifiées de la cytokine ou de cytokines alternatives (comme l’IL-15) ciblant plus spécifiquement les cellules effectrices par l’intermédiaire de son récepteur hétérodimérique IL-2Rβ/γ. Dans une approche totalement innovante, l’utilisation de doses faibles d’IL-2, ou de formes modifiées d’IL-2 ciblant spécifiquement les cellules Treg par l’intermédiaire du complexe récepteur trimérique IL-2Rα/β/γ, s’avère prometteuse pour le traitement des maladies auto-immunes et inflammatoires. Un grand nombre d’essais thérapeutiques, dont des essais de phase IIb en double aveugle, sont en cours de développement. Ils devraient montrer rapidement si l’IL-2 a bien un potentiel thérapeutique dans ce type de pathologie. Les perspectives ultérieures viseront à déterminer les doses et les schémas d’administration permettant d’assurer l’efficacité de la stimulation des cellules Treg sans induction des cellules effectrices [43].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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