Les procaryotes sont capables d’acquérir une immunité adaptative contre l’invasion d’éléments génétiques, tels que les plasmides ou les phages, via l’incorporation dans leur génome de courtes séquences d’ADN étranger (de 21 à 72 nucléotides [nt]), système appelé CRISPR-Cas (courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacée) [1, 2] . L’acquisition de ces séquences d’ADN étranger survient de façon adjacente aux gènes Cas qui ont pour rôle de cliver l’ADN étranger en fragments de petites tailles. CRISPR-Cas confère ainsi une résistance face à une seconde infection [14, 15] (→).
(→) Voir le Forum de D. Casane et P. Laurenti, m/s n° 6-7, juin-juillet 2016, page 640 et la Synthèse de Jacques P. Tremblay, m/s n° 11, novembre 2015, page 1014
En revanche, les eucaryotes subissent un phénomène analogue à celui des rétrovirus dans le cadre d’une coévolution antagoniste communément appelée « hypothèse de la Reine Rouge » [3]. Le principe de cette hypothèse consiste à considérer qu’une espèce évolue en permanence et ce, dans le but de maintenir son aptitude à lutter contre l’évolution de compétiteurs avec lesquels l’espèce co-évolue dans le cadre d’une course aux armements. À ce jour, le système CRISPR-Cas n’avait été observé que chez les bactéries et les archées [16] (→), mais pas chez des virus [1, 2].
(→) Voir la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 12, décembre 2014, page 1066
La découverte des virus géants d’amibes, vivant en compétition avec d’autres microbes, a contesté la définition classique d’un virus [4, 5]. Depuis leur découverte, les virus géants ont révélé des caractéristiques phénotypiques et génotypiques uniques qui vont à l’encontre de la définition classique d’un virus, les plaçant à proximité de certains microbes. Les mimiviruses au diamètre supérieur à 0,5 micromètre, sont aisément visibles avec un simple microscope optique. Ils possèdent un génome large et complexe qui contient des séquences provenant d’autres organismes [6]. En outre, leur infection possible par des virus, les virophages1,, qui se multiplient dans l’usine à virus des mimivirus, et la présence des éléments mobiles (transpovirons2,, polintons3) ont suscité de vifs débats sur l’origine de ces virus [7, 8]. De plus, les virophages, comme les bactériophages, peuvent s’intégrer au génome de mimivirus sous la forme de provirophage [9].
Un des virophages qui parasite la famille des mimivirus a été baptisé Zamilon [10]. Parmi les trois branches de l’arbre généalogique des mimivirus, une lignée (appelé lignée A) est résistante à Zamilon, alors que les deux autres lignées (B et C) y sont sensibles. Cette spécificité a été étendue aux 59 souches de la collection des mimivirus (dont 28 de la lignée A, 8 de la lignée B et 23 de la lignée C), qui ont été infectées par les virophages Zamilon ou Sputnik, un autre virophage [11]. Après 24 heures, une augmentation de l’ADN de Sputnik a été observée dans l’ensemble des trois lignées de mimivirus. En revanche, Zamilon a été capable de se répliquer uniquement avec les souches des lignées B et C de mimivirus, mais aucune souche de la lignée A. À l’instar des autres microbes intra-amibiens, nous avons supposé que mimivirus était également capable de développer un mécanisme de défense analogue à celui de CRISPR-Cas [11].
L’incorporation d’ADN étranger est l’une des conditions pré-requises dans le système CRISPR-Cas. Si notre hypothèse est exacte, les séquences spécifiques de Zamilon (absentes chez les autres virophages) doivent être retrouvées exclusivement chez les virus qui lui sont résistants. Ces séquences ont été utilisées pour dépister leurs traces dans les virus résistants [11] et les génomes de 60 souches de mimivirus ont été criblés à la recherche de ces séquences spécifiques. Une séquence de 28 nucléotides (nt), spécifique de Zamilon, et trois répétitions de 15 nt ont été retrouvées dans l’ensemble des génomes de la lignée A contrairement aux deux autres lignées (B et C). Ces séquences sont localisées dans un gène codant une transposase-A chez Zamilon, et sont intégrées dans le gène R349 de mimivirus et dans les gènes orthologues, chez tous les mimivirus de la lignée A. Nous avons supposé que ces séquences répétées représentent une mémoire immunitaire adaptative de type Lamarckien chez les mimivirus [14] (→).
(→) Voir le Forum de D. Casane et P. Laurenti, m/s n° 6-7, juin-juillet 2016, page 640
L’étude de l’environnement génomique au voisinage des séquences répétées de Zamilon a mis en évidence des ORF (open reading frame, cadre de lecture ouvert) conservés chez les mimiviruses. Ces ORF possèdent une similarité distante avec les Cas protéines qui sont de type hélicase et nucléase. Silencés par RNA interférence, l’inactivation des ORF contenant la séquence répétée d’ADN de Zamilon, ou des ORF proche des Cas protéines, a permis de restaurer la susceptibilité de la lignée A des mimiviruses à l’infection par Zamilon. En outre, l’expression des gènes a confirmé qu’ils codent une hélicase et une nucléase. Ce système de défense virale confère ainsi une immunité adaptative aux virus géants qui ont pu intégrer dans leur génome l’ADN du virophage infectant. Ce complexe a ainsi été nommé MIMIVIRE (mimivirus virophage resistance element) [11].
Selon l’hypothèse de la Reine Rouge [3], MIMIVIRE est un nouvel élément qui confirme que les virus géants doivent être considérés comme des microbes autres, en raison de leur capacité d’adaptation via un mécanisme évolutif de type Lamarckien, et leur aptitude à se défendre contre les éléments qui envahissent leur environnement amibien. Nos résultats montrent que les virus géants ont subi une évolution génétique, comparable à d’autres microbes, par la présence des transpovirons, l’incorporation des séquences de virophages, et le transfert d’un mobilome [12]. Nous avons ainsi décrit un système de défense anti-virophage qui, par son analogie fonctionnelle avec le système CRISPR-Cas, offre un nouvel exemple de la biologie singulière des virus géants. Ceci est la première démonstration qu’un virus peut avoir un système de défense, contre un autre virus, et renforce l’idée d’une quatrième branche du vivant, distincte des 3 domaines connus : eucaryotes, bactéries et archées [13].