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Med Sci (Paris). 32(10): 830–832.
doi: 10.1051/medsci/20163210013.

Réponse cellulaire à l’adénovirus 5
Une réponse aux dommages à l’ADN revisitée

Baptiste Nguyen,1a Georges Farkouh,1b Séverine Raquin,1c and Karim Benihoud2d

1M1 Biologie Santé, Université Paris-Saclay, 91405Orsay, France
2Vectorologie et thérapeutiques anticancéreuses, UMR 8203 CNRS, Université Paris-Sud, Institut Gustave Roussy, Université Paris-Saclay, 94805Villejuif, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adenoviridae, Infections à Adenoviridae, Protéines du cycle cellulaire, Phénomènes physiologiques cellulaires, Altération de l'ADN, Réparation de l'ADN, Enzymes de réparation de l'ADN, Protéines de liaison à l'ADN, Humains, Tumeurs, Protéines nucléaires, Protéines virales, Réplication virale, génétique, physiologie, thérapie

Le rôle antiviral du complexe MRN

La réplication, l’héritabilité et le maintien fidèle de l’ADN génomique sont indispensables à la vie. Les mécanismes de réparation de l’ADN, qui sont présents de la levure à l’homme, permettent de protéger le génome, notamment en réagissant aux cassures double brin (CDB) de l’ADN, qui peuvent mener à une instabilité génomique et à la tumorigenèse. Les cassures double brin sont détectées par le complexe MRN composé des protéines MRE11, RAD50 et NBS1 (Figure 1A). Ce complexe induit la formation de foyers de réponses aux dommages à l’ADN (RDA), en recrutant et activant la kinase ataxia telangiectasia mutated (ATM). Le signal est ensuite transmis via la phosphorylation des histones H2AX (γH2AX) par ATM, et aboutit au recrutement de la protéine d’échafaudage MDC1 (mediator of DNA-damage checkpoint 1). Celle-ci recrute alors différentes protéines, dont MRN et ATM, propageant et amplifiant les marques γH2AX sur plusieurs mégabases du génome [1]. La fin du processus de réponse aux dommages à l’ADN se caractérise par une phosphorylation globale de substrats (dans tout le noyau). Celle-ci est assurée par les kinases effectrices CHK1 (checkpoint kinase 1) et CHK2, qui phosphorylent p53 et induisent l’arrêt du cycle cellulaire via l’activation de la transcription de p21, un inhibiteur des kinases cycline-dépendantes (CDK). Le processus peut aussi se conclure par la réparation de l’ADN, la sénescence ou l’apoptose.

Les virus constituent une menace pour la viabilité cellulaire, mais également pour l’intégrité du génome cellulaire. Parmi ces virus, l’adénovirus possède un génome linéaire de 36 kb qui est délivré dans le noyau de la cellule hôte pour permettre sa réplication. Les extrémités de ce génome ressemblent à des cassures double brin, elles devraient donc être des cibles détectées par les complexes MRN. Cependant, en 2002, Stracker et al. remarquent que deux protéines précoces (ainsi appelées parce que traduites à partir de transcrits produits très rapidement après l’infection) de l’adénovirus 5 (Ad5), E1B-55K et E4-ORF3, inactivent les complexes MRN. Ainsi, la liaison de E1B-55k à MRE11 (avec l’aide d’une autre protéine adénovirale, E4-ORF6) permet la dégradation de celle-ci par le protéasome, tandis que la protéine E4-ORF3 modifie la localisation nucléaire de MRE11 et séquestre cette protéine [2]. En absence des protéines E4-ORF6 et E4-ORF3, la réponse aux dommages à l’ADN induit la formation de concatémères (association de plusieurs monomères) du génome viral, ce qui bloque la production de virions à l’étape d’assemblage. Cette étude montrait donc que l’Ad5, en inactivant les complexes MRN, prévenait l’activation de la réponse aux dommages à l’ADN par le génome viral et ses effets délétères sur la production virale. Plus récemment, ce modèle a été remis en cause par d’autres travaux montrant une activation globale de cette réponse dans tout le noyau des cellules infectées par l’Ad5 [35].

La réponse aux dommages à l’ADN, un mécanisme qui a plus d’un tour dans son sac

Afin de mieux comprendre les interactions entre l’Ad5 et la machinerie de la réponse aux dommages à l’ADN, l’équipe d’O’Shea (Salk institute, Ca, États-Unis) a étudié dans des cellules épithéliales pulmonaires, cibles naturelles de l’Ad5, les effets d’une infection par l’Ad5 sauvage ou par des mutants incapables d’exprimer les protéines précoces E1B-55K et/ou E4-ORF3 [6]. Par la technique d’immunoprécipitation de la chromatine, les auteurs ont observé qu’en absence des protéines précoces E1B-55K et E4-ORF3, les protéines MRE11 se fixaient au génome viral et activaient une réponse antivirale MRN-ATM, prévenant ainsi la réplication virale dès les premières étapes (comme indiqué précédemment, cette réponse induit une concatémérisation du génome viral qui bloque la production de nouveaux virions). À l’aide de Western blots, ils révèlent de plus que, contrairement à ce qui est observé lors de dommages à l’ADN cellulaire, l’activation MRN-ATM n’est pas amplifiée via les marques γH2AX, mais reste localisée (au génome viral) et ne se généralise pas (elle ne touche pas le génome cellulaire). La taille réduite du génome viral, mais également sa faible association avec des nucléosomes, pourraient expliquer le confinement de ces marques γH2AX (Figure 1B). Il faut noter que cette activité MRN-ATM localisée qui inhibe la réplication virale n’a pas d’effet sur la réplication de l’ADN cellulaire.

En présence des protéines précoces E1B-55K et E4-ORF3, qui inactivent les complexes MRN, les auteurs observent que le génome viral se réplique et que les protéines virales tardives sont produites, permettant ainsi la production de virions. Toutefois, après réplication du génome viral, une signalisation de type réponse aux dommages à l’ADN globale est déclenchée. Par imagerie de fluorescence, les auteurs montrent que la protéine ATM est recrutée, au départ, au niveau des foyers de réplication du génome viral, puis qu’elle diffuse dans tout le noyau pour activer les substrats de la réponse aux dommages à l’ADN cellulaire. Les auteurs en concluent que cette activation de la réponse aux dommages à l’ADN, qui survient malgré l’expression des protéines précoces E1B-55K et E4-ORF3, n’est pas dépendante des complexes MRN (Figure 1C).

L’étude de Shah et al. a donc révélé que, contrairement à l’activation MRN-dépendante d’ATM localisée au niveau du génome viral et qui inhibe la réplication virale, l’activation globale d’ATM MRN-indépendante n’a pas d’impact sur la réplication du génome viral [6]. Ce nouveau modèle décrivant les interactions entre l’Ad5 et la réponse aux dommages à l’ADN (Figure 1) permet de résoudre les contradictions observées dans les études précédentes. Comme le décrivaient Stracker et al. [2], il y a bel et bien une inhibition de la réponse aux dommages à l’ADN localisée (MRN-ATM) par les protéines précoces de l’Ad5, mais il y a également une réponse aux dommages à l’ADN globale (ATM mais indépendante de MRN), comme le décrivent Forrester et al. [3] (Figure 1C). Le rôle exact de cette réponse aux dommages à l’ADN globale indépendante de MRN et consécutive à la réplication virale reste à définir. Une possibilité est qu’elle pourrait, via l’induction de la production d’interféron de type I (IFNαβ), participer à la modulation de la réponse immunitaire à l’infection virale [7]. Plus généralement, il serait intéressant d’analyser si d’autres virus à ADN peuvent induire cette double réponse aux dommages à l’ADN, locale d’une part et globale d’autre part, ou si, au contraire, ce type de régulation est propre à l’adénovirus.

De nouvelles perspectives dans le traitement du cancer

Les résultats de l’équipe d’O’Shea ont également révélé que l’induction de dommages à l’ADN cellulaire par des drogues génotoxiques (étoposide et bléomycine) permettait la réplication du génome viral de l’adénovirus ∆E1B-55K/∆E4-ORF3, bien que ce virus soit incapable d’inhiber le complexe MRN. Cette réplication est possible parce que les cassures de l’ADN cellulaire et le génome viral étant en compétition pour la liaison des complexes MRN, les cassures double brin de l’ADN cellulaire séquestrent les protéines MRE11 et les complexes MRN. Sachant que les dommages à l’ADN sont une des marques les plus précoces du cancer, les auteurs proposent d’utiliser le mutant Ad5 défectif pour E1B-55K et E4-ORF3 comme nouvel agent biothérapeutique contre le cancer. Ce type de mutant devrait pouvoir se répliquer dans les lésions précancéreuses et les cellules tumorales présentant un fort taux de dommages à l’ADN, tout en évitant les effets toxiques (lyse cellulaire) de la réplication virale dans les cellules normales. Cet agent biothérapeutique pourrait être également utilisé en combinaison avec une drogue qui serait sélectivement agoniste ou antagoniste de la réponse aux dommages à l’ADN.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Ciccia A, Elledge SJ. The DNA damage response: making it safe to play with knives . Mol Cell. 2010; ; 40 : :179.–204.
2.
Stracker TH, Carson CT, Weitzman MD. Adenovirus oncoproteins inactivate the Mte11-Rad50-NbS1 DNA repair complex . Nature. 2002; ; 418 : :348.–352.
3.
Forrester NA, Sedgwick GG, Thomas A, et al. Serotype-specific inactivation of the cellular DNA damage response during adenovirus infection . J Virol. 2011; ; 85 : :2201.–2211.
4.
Blackford AN, Bruton RK, Dirlik O, et al. A role for E1B-AP5 in ATR signaling pathways during adenovirus infection . J Virol. 2008; ; 82 : :7640.–7652.
5.
Nichols GJ, Schaack J, Ornelles DA. Widespread phosphorylation of histone H2AX by species C adenovirus infection requires viral DNA replication . J Virol. 2009; ; 83 : :5987.–5998.
6.
Shah GA, O’Shea C. Viral and cellular genomes activate distinct DNA damage responses . Cell. 2015; ; 162 : :987.–1002.
7.
Brozostek-Racine S, Gordon C, Van Scy S, Reich NC. The DNA damage response induces IFN . J Immunol. 2011; ; 187 : :5336.–5345.