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Med Sci (Paris). 32(11): I–VI.

Prix Inserm 2016
Grand Prix 2016 : Jean-Laurent Casanova

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© Inserm/Delapierre, Patrick

Vers une théorie génétique des maladies infectieuses
par Emmanuelle Jouanguy

Génétique Humaine des Maladies Infectieuses, Inserm U1163, Hôpital Necker, Université Paris Descartes, Institut Imagine, 75015 Paris, France. emmanuelle.jouanguy@inserm.fr

Le Grand Prix Inserm 2016 de la recherche médicale a été décerné à Jean-Laurent Casanova (Inserm U1163, Hôpital Necker-Enfants Malades, Université Paris Descartes, Institut Imagine, Paris, Université Rockefeller, New York) pour ses travaux sur la prédisposition génétique aux maladies infectieuses.

« Do. Or Do Not. There is no Try ».

Maître Yoda1

« Bien qu’hybride, la génétique immunologique est féconde »

Alexandre Alcaïs2

Au cours de notre vie, nous sommes en contact avec des microbes contre lesquels nous devons lutter. Pour la grande majorité d’entre nous, ce combat se traduit par l’absence de symptômes ou par des manifestations bénignes, quelle que soit la nature de l’agent infectieux, bactéries, virus ou champignons. Cependant, une certaine proportion d’entre nous va présenter des manifestations cliniques sévères suite à l’infection par un microbe, suggérant que ce dernier, n’est pas suffisant pour expliquer à lui seul le développement de la maladie. Apporter une réponse à cette observation est devenue la quête de Jean-Laurent Casanova.

Né en 1963, Jean-Laurent Casanova est un pédiatre et immunologiste français. Il a fait ses études de médecine à la faculté de médecine Paris Descartes et obtenu en 1992 un doctorat en sciences dans les laboratoires de Philippe Kourilsky (Institut Pasteur - Paris) et de Janet Maryanski (Ludwig Institute for Cancer Research - Lausanne) où il a étudié la question de la diversité et de la sélection du répertoire du récepteur des lymphocytes T (TCR) chez la souris. Sa rencontre avec une petite fille atteinte d’infection disséminée par le BCG (BCG-ite) va le conduire à s’intéresser aux maladies infectieuses. La vaccination par le BCG, vaccin vivant au pouvoir pathogène très atténué, doit nous protéger contre la tuberculose. Pourtant, cette petite fille, par ailleurs en bonne santé et sans déficit immunitaire détectable, présentait une BCG-ite. Comment expliquer un tel tableau clinique ? Grâce à une recherche exhaustive de tous les cas rapportés dans la littérature et/ou suivis dans les services hospitaliers français, Jean-Laurent Casanova montre alors que ce tableau clinique rare, idiopathique, c’est-à-dire sans déficit immunitaire déjà décrit [1], s’accompagne d’une sensibilité accrue à Salmonella dans presque la moitié des cas et qu’il existe de plus une composante familiale (familles multiplex et/ou consanguines). Il soutiendra sa thèse de médecine sur ce sujet en 1995. Dans le même temps, il monte un groupe de recherche dans le laboratoire Inserm, associé au service clinique dirigé par Claude Griscelli puis par Alain Fischer à l’hôpital Necker-Enfants Malades. Son hypothèse est que les enfants avec une BCG-ite disséminée ont leur système de défense défectueux contre le BCG, ou plus généralement contre les mycobactéries. La preuve du principe est faite par l’identification de mutations dans le gène codant la chaîne 1 du récepteur de l’interféron (IFN) gamma, IFNGR1, comme première étiologie génétique responsable de BCG-ite disséminée idiopathique. Suite à cette découverte, Jean-Laurent Casanova et son équipe ont identifié des mutations dans 9 autres gènes, tous liés à l’axe IL12-IFNgamma [2], démontrant que l’intégrité de cet axe est essentielle au contrôle des infections mycobactériennes non tuberculeuses chez l’homme [3], alors que cet axe n’apparaît pas essentiel pour le contrôle d’autres infections.

1 Yoda était un Maître Jedi de la République Galactique qui parvint à survivre à la Guerre des Clones et la Purge Jedi. Il aida Luke Skywalker à devenir un Jedi (Star Wars, épisode V : L’Empire contreattaque). Film (1980) co-écrit par George Lucas et Lawrence Kasdan, et réalisé par Irvin Kershner.

2 Alexandre Alcaïs, Laboratoire de Génétique Humaine des Maladies Infectieuses, Inserm U1163, Université Paris Descartes, Institut Imagine.

Cette première découverte conduit Jean-Laurent Casanova à se poser la question plus générale de l’architecture génétique des maladies infectieuses et à formuler une véritable théorie génétique pour ces pathologies. Cette théorie complète la théorie microbienne, en spécifiant qu’en plus du microbe, la maladie infectieuse nécessite une permissivité de l’hôte. Jean-Laurent Casanova partage cette théorie avec Laurent Abel qu’il a rencontré dans les années 1990. Tous deux pensent que les maladies infectieuses sont aussi des maladies génétiques, et que cette contribution génétique diffère en fonction de la sévérité/chronicité de la maladie et de l’âge des patients [4]. En 2000, ils créent leur propre laboratoire, focalisé sur la génétique humaine des maladies infectieuses (GHMI) à la faculté de médecine de Necker. Depuis, l’aventure se poursuit. Leur association témoigne d’une complémentarité, aussi bien scientifique qu’humaine. En effet, bien que partageant la même hypothèse, leur approche est quelque peu différente : à Jean-Laurent Casanova, les infections sévères de l’enfant et la prédisposition mendélienne ; à Laurent Abel, les maladies infectieuses plus communes de l’adulte et la prédisposition plus complexe. La période 2008-2010 marque une étape importante pour le laboratoire GHMI, à la fois sur le plan organisationnel avec la création d’un second laboratoire à l’université Rockefeller à New York (2008) et, sur le plan technologique, avec l’avènement du séquençage à haut-débit (2009-2010). Jean-Laurent va ainsi faire de son laboratoire un pionnier dans l’utilisation de cette approche pour explorer les infections sévères de l’enfant, tout en percevant un deuxième intérêt majeur : cette technique va enfin leur permettre d’approfondir la question de l’architecture génétique d’une manière plus globale et plus synergique, en utilisant l’intégralité des données génomiques désormais disponibles. Il devient possible de mieux affiner cette théorie génétique, en particulier sur la question de la fréquence des variants génomiques en cause et de la pénétrance clinique qui leur est associée [5].

Après avoir apporté la preuve du concept de cette théorie génétique par l’étude des infections à mycobactéries qui sont toujours activement explorées dans le laboratoire, Jean-Laurent Casanova se lance, dès 2000, dans l’exploration de nouvelles infections sévères de l’enfant pour définitivement la valider. Il choisit de s’intéresser aux infections sévères à bactéries pyogènes, à champignons et à certains virus, en s’appuyant sur un formidable réseau de collaborateurs médecins et scientifiques à travers le monde. Sur ces différents projets, l’équipe de Jean-Laurent Casanova va alors identifier des maladies génétiques affectant la réponse immunitaire innée. Ainsi, l’immunité vis-à-vis des infections à pneumocoques est en partie sous le contrôle des récepteurs TIR [Toll-like récepteurs (TLR) et des récepteurs de l’IL-1 (IL-1R)], capables de reconnaître des motifs microbiens (acides nucléiques, glycoprotéines ou lipoprotéines) en ce qui concerne les TLR, ou de répondre à l’IL-1 en ce qui concerne l’IL-1R, et d’induire une réponse inflammatoire, notamment par la production de cytokines telles que l’IL-6 [6]. De même, la réponse immunitaire dirigée contre des infections cutanéo-muqueuses à Candida albicans est sous le contrôle de la réponse immunitaire dite Th17, c’est-à-dire liée à la production de cytokines de la famille IL-17 ou à la réponse à ces cytokines [7]. Un autre exemple est celui du cas des infections par l’Herpes simplex virus 1 (HSV1), un virus à tropisme large, puisqu’il peut infecter de multiples tissus/organes. La manifestation clinique classique, et bénigne, de l’infection par HSV1 est le bouton de fièvre. Cependant, certains enfants, par ailleurs en bonne santé, vont développer une atteinte cérébrale, ou encéphalite herpétique, manifestation rare mais très sévère. Un défaut de la voie TLR3-IFN de type I empêche le contrôle de la réplication virale, conduisant à une mort cellulaire accrue de certaines cellules cérébrales [8]. Enfin, récemment, Jean-Laurent et son équipe ont montré que la grippe, infection commune mais parfois mortelle, peut être aussi une maladie génétique, avec l’identification de mutations dans le gène IRF7, impliqué dans la production des IFN de type I par les cellules épithéliales pulmonaires et par les cellules dendritiques plasmacytoïdes [9].

Pour conclure, avec la génétique humaine des maladies infectieuses, Jean-Laurent Casanova a développé un concept intégrant de façon synergique différents aspects de la génétique humaine, clinique, épidémiologique et évolutive, avec plusieurs disciplines comme l’immunologie, la microbiologie et la médecine [1012]. Sur le plan immunologique, cette approche intégrée permet d’identifier les voies de signalisation essentielles et redondantes de la réponse immunitaire en conditions in natura d’infection et de définir la spécificité de cette réponse, en particulier innée. L’identification des maladies génétiques associées aux infections sévères participe également à une meilleure compréhension de la pathogénie, notamment la contribution des cellules hématopoïétiques (cellules professionnelles de l’immunité) et non hématopoïétiques (cellules professionnelles du tissu ou de l’organe atteint) dans la mise en place d’une réponse immunitaire adaptée. Sur le plan médical, l’impact à long terme des travaux de Jean-Laurent Casanova est déterminant, puisque ceux-ci touchent à la prévention (conseil génétique, traitement prophylactique) et à la thérapeutique (nouvelles applications de molécules existantes, pistes pour le développement de nouvelles approches thérapeutiques visant à restaurer une réponse immunitaire déficiente dans un contexte où les résistances aux agents anti-infectieux sont de plus en plus fréquentes…) des maladies infectieuses, qui ont été et sont encore une cause majeure de mortalité dans le monde.

Prix International 2016 : Linda Fried

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© Inserm/Darmon, Éric

Prévenir la fragilité de l’âge
Gériatre mondialement connue, Linda Fried a mis au jour le syndrome de fragilité liée à l’âge. Dans la foulée, elle a aussi développé un programme de tutorat intergénérationnel qui pourrait le prévenir.

Dans les années 1980, l’humanité occidentale a fait face à un événement démographique sans précédent : la durée de vie s’est considérablement allongée. « On considérait ce flot de personnes âgées comme un désastre pour la société », se souvient Linda Fried, gériatre et épidémiologiste à l’université Columbia, à New York. Pour elle, ce fut plutôt un challenge à relever. Depuis, la scientifique a développé le concept de fragilité, « un nouveau syndrome biologique et clinique lié au vieillissement ». La chercheuse a ainsi identifié des critères cliniques simples qui, pris ensemble, permettent le diagnostic : fatigue, diminution d’appétit, faiblesse musculaire, ralentissement de la vitesse de marche et faible activité physique.

Un rôle social pour les personnes âgées « Vers la fin des années 1980, je voyais beaucoup de personnes âgées qui consultaient pour des soucis de santé, voire une dépression, raconte la gériatre. Mais quand je les écoutais attentivement, je comprenais qu’ils n’avaient pas de raison de se lever le matin. Le phénomène concernait une majorité de retraités, quelle que soit leur activité passée. » Ce constat l’a conduit à imaginer les Experience corps, une armée de retraités volontaires qui intervient en soutien scolaire dans les écoles publiques maternelles et élémentaires. Lancé en 1996, le projet concerne aujourd’hui 23 villes américaines et quelques pays étrangers. Dans l’État du Maryland, la scientifique et son équipe ont lancé un essai clinique randomisé. Il rassemble 700 adultes âgés, dont 350 sont engagés dans l’expérience. Les résultats, encore à l’étude, sont prometteurs. « Nous avons prouvé que l’engagement dans ce programme préserve la mémoire, les fonctions exécutives et la vitesse de marche des personnes âgées, affirme Linda Fried. Nous le voyons à partir de tests des capacités mentales ainsi qu’avec l’imagerie cérébrale, qui montre l’activation d’aires cérébrales qui n’étaient pas activées avant la participation au programme. À partir d’un an, il y a en effet une grande différence entre l’avant et l’après. C’est la première fois qu’on apporte la preuve de l’effet d’une intervention pour prévenir le déclin cognitif et la démence. » Les enfants accompagnés sortent eux aussi gagnants. L’étude montre qu’ils lisent mieux, ont moins de problèmes de comportement et sont dans une meilleure position d’apprentissage.
Redessiner la société En généralisant l’expérience, Linda Fried pourrait atteindre son but ultime : redessiner les contours de la société pour donner une vraie place à chacun. Un projet ambitieux, pour une chercheuse audacieuse. Après avoir étudié l’histoire et la philosophie à l’université, la jeune Linda est en effet passée d’un cabinet d’avocats aux dojos d’aïkido, où elle obtient une ceinture noire. Intriguée par la santé, c’est ensuite qu’elle tente d’intégrer des études de médecine. Or, à l’époque, elles sont majoritairement réservées aux hommes, les mandarins américains ne tolérant qu’un quota de 3% de femmes. Une étroite fenêtre dans laquelle se faufile la jeune littéraire, avec succès, pour devenir la scientifique de renom que nous connaissons aujourd’hui.
Prix d’Honneur 2016 : Catherine Barthélémy

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© Inserm/Delapierre, Patrick

Au bonheur des autistes
Catherine Barthélémy, pédopsychiatre et neuroscientifique, a contribué à déculpabiliser les mères et favoriser les progrès de leur progéniture, en modifiant son regard sur les enfants autistes et leur famille

Quand Catherine Barthélémy, jeune médecin à Tours, découvre l’autisme dans les années 1970, « on abandonnait le plus souvent ces enfants aux asiles psychiatriques », se remémore-t-elle. À l’époque, les mères sont accusées de souffrir de troubles affectifs qui rendent leur enfant psychotique. La professeure émérite de la faculté de médecine de Tours, et ancienne directrice de l’équipe Autisme de l’Inserm, a voué sa carrière à démontrer le contraire. « En tant que chercheur, médecin, pédopsychiatre et neuroscientifique, j’ai contribué, avec mon équipe, à faire la preuve que l’autisme est un trouble lié à l’anomalie très précoce du neurodéveloppement du cerveau. Un réglage particulier des décodeurs cérébraux des informations sociales altère les capacités du bébé à établir une relation avec d’autres humains. Cela n’a rien à voir avec une quelconque défaillance maternelle », résume-t-elle.

Des troubles neurobiologiques
« L’autisme est une difficulté à communiquer avec les autres, à être dans une interaction réciproque, à s’adapter au changement, poursuit Catherine Barthélémy. Les personnes éprouvent aussi des difficultés sensorielles ». Ces maladies, désormais nommées « troubles du spectre de l’autisme », sont très variées et évoluent tout au long de la vie. Après ses études de médecine, pour en savoir plus, la tourangelle se spécialise en neurosciences. Au pied levé, la jeune mariée quitte sa ville pour un an au Collège de France, à Paris. Dans ce contexte très dynamique, elle œuvre à sa thèse en neurochimie, « un travail collectif et interdisciplinaire pour montrer les relations entre les éléments neuropsychologiques, comportementaux et neurobiologiques. » Elle prend goût à l’absence de cloison entre les neurosciences et la psychiatrie, la clinique et la recherche, les médecins et les familles. Pour ces dernières, l’hôpital de Tours, où elle revient vite, devient une seconde maison. En 1983, elle participe à la création d’Arapi, l’association pour la recherche sur l’autisme et la prévention des inadaptations, « un partenariat fondateur entre chercheurs et parents », témoigne-t-elle. Les premiers résultats, qui prouvent que les troubles autistiques sont liés à une maladie neurologique, tombent dans les années 1990.
Un environnement propice
Aujourd’hui, professeure émérite, Catherine Barthélémy poursuit ses travaux. « Quand les enfants sont placés en conditions favorables et confortables, où l’on évite de les mettre en échec, ils font des progrès. Avec des techniques d’imagerie cérébrale, nous observons une correspondance entre ces avancées et le fonctionnement du cerveau ». Le médecin joue aussi un rôle d’expert auprès de diverses instances et doit structurer la recherche au niveau national sur le sujet, tout en espérant « faire avancer la formation des soignants et les pratiques médicales ». Ici encore, son ouverture d’esprit est un atout. D’ailleurs, elle l’entretient une fois par semaine au moins, en tenant table ouverte aux artistes, ses amis, qui « ont compris que la différence est une richesse ».
Prix Opecst-Inserm 2016 : Martine Bungener

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© Inserm/Delapierre, Patrick

Favoriser le dialogue science-société
Économiste et sociologue de la santé, Martine Bungener a participé à la reconnaissance du savoir des malades et de leurs proches. Aujourd’hui, elle facilite l’échange entre ces derniers et les chercheurs.

Parfois reconnus comme experts de leur maladie, les patients et leurs proches ont accumulé une foule de savoirs qui peuvent être utiles aux chercheurs, notamment en leur ouvrant de nouvelles pistes. Vice-versa, les malades ont aussi besoin de connaître et de comprendre les résultats de la recherche. Martine Bungener, chercheuse au Cermes3, le Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société de Villejuif, s’est fait l’artisan de ce dialogue. Depuis plusieurs années, elle préside le Groupe de réflexion avec les associations de malades de l’Inserm. Baptisé Gram, il rassemble des associations de malades, des chercheurs et des administratifs de l’Institut. « C’est une instance de dialogue, un organe de rencontre ouvert et non hiérarchique, pérenne. Il permet une valorisation sociale de la recherche », précise la chercheuse, à la fois économiste et sociologue de la santé.

Le travail gratuit des proches
Son intérêt pour les sciences sociales de la santé remonte aux années 1970. À l’époque, elle est chargée d’étudier la croissance des dépenses de santé. « Mais c’est compliqué de compter des consultations lorsqu’on ne sait pas ce qu’il se passe dans le cabinet du médecin », évoque-t-elle. Au même moment, débute le système d’hospitalisation à domicile. En pénétrant avec les soignants chez les patients, elle met en évidence un transfert de coûts de l’Institution vers les familles. Elle révèle le « travail gratuit des proches, qui jouent un rôle d’auxiliaires du soin. Sans eux, l’hospitalisation à domicile ne peut pas bien se passer. Ce qui était invisible est devenu visible, mais n’est pas reconnu à sa juste valeur. L’hôpital reste un monde très hiérarchique où le savoir des patients et des proches est faiblement reconnu ». À l’heure du virage ambulatoire plébiscité aujourd’hui par les autorités sanitaires, ses travaux reviennent sur le devant de la scène.
La recherche, un acteur social
Pourtant, rien ne prédestinait l’intellectuelle à pareil sujet. Issue d’une famille « classique », elle fait toute sa scolarité dans un établissement privé « pas très ouvert sur le monde ». En 1967, après le bac, elle s’inscrit à l’université à Nanterre. Sans transition, elle vit « un choc culturel fabuleux » et adore ça ! Elle quitte alors sa connaissance du monde « très livresque » et, chaque matin, pour rejoindre les bancs de la fac depuis la gare, traverse un bidonville, qui la sensibilise davantage aux autres. Elle comprend que « les dysfonctionnements de l’économie ont des répercussions sur le monde social, la santé et la maladie ». Elle intègre ensuite une équipe de recherche en économie de la santé, puis participe à la création du laboratoire d’économie et de gestion des organisations de santé (Legos). Dès lors, elle ne cessera de s’intéresser aux fonctions sociales de la médecine. Désormais chercheur émérite, elle veut favoriser, notamment via le Gram, « l’avancée des connaissances dans le but d’être traduite en soins pour les malades ». Si elle regrette l’hostilité de certains chercheurs à une collaboration avec les patients, elle se réjouit du mouvement pris par d’autres. Au contact des malades, ils se disent remotivés, conscients de leur rôle social et trouvent un nouveau sens à leur métier.
Prix Recherche 2016 : Rosa Cossart

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© Inserm/Delapierre, Patrick

Quand l’hippocampe joue ses gammes
Lorsque la souris marche, une série de neurones organisés en réseau s’active dans son cerveau. Ce type d’activité intéresse spécialement Rosa Cossart*, de l’Institut de neurobiologie de la Méditerranée, à Marseille. Elle travaille aujourd’hui sur l’hippocampe, une région cérébrale connue pour jouer un rôle important dans les processus de mémorisation. « Nous y avons observé des séquences d’activation neuronale répétées quand l’animal se déplace, détaille-t-elle. On dirait que ces réseaux neuronaux, tels des musiciens, jouent des gammes. Ces gammes sont comme une mesure de la distance parcourue par l’animal. Et, dès que celui-ci est au repos, les neurones rejouent une petite partie de ces gammes. Un peu comme si, cette fois, il s’agissait d’accords ! ». Cette seconde activité de petits groupes de neurones devrait jouer un rôle dans l’encodage et la consolidation de la mémoire. Leur activité électrique est en effet fréquemment associée à une oscillation très rapide que l’équipe de Rosa Cossart a enregistrée avec une électrode fichée directement dans l’hippocampe. « Chez l’animal adulte, ce type d’activité électrique s’apparente à des briques élémentaires de mémoire, poursuit la chercheuse. Nous voulons maintenant étudier le phénomène au cours du développement ». Voilà en effet quinze ans que la scientifique veut comprendre l’organisation fonctionnelle des réseaux neuronaux. Par le passé, elle a montré comment, chez les épileptiques, les neurones inhibiteurs se coordonnent entre deux crises. Ingénieure de formation, Rosa Cossart applique ainsi avec succès sa logique mathématique aux neuro­sciences. 

* Unité Inserm 901/ Université Aix-Marseille

Prix Recherche 2016 : Xavier Jouven

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© Inserm/Delapierre, Patrick

Et la médecine devient mathématique
« L‘épidémiologie intégrative est exploratoire alors que l’épidémiologie classique est plutôt descriptive », explique Xavier Jouven*, du Paris-Centre de recherche cardiovasculaire. Le chercheur, à la fois cardiologue et statisticien, n’en revient pas des possibilités de son jouet. Avec une équipe médicale pluridisciplinaire d’une quarantaine de personnes, il a développé des modèles mathématiques capables de prendre en compte une foule de variables, certaines n’ayant a priori rien à voir avec le sujet étudié. Débuté voilà cinq ans, le projet le plus abouti porte sur le rejet de greffe du rein. « Il permet de repérer les personnes qui sont en train de faire un rejet à bas bruit, c’est-à-dire avant même que l’on puisse s’en rendre compte cliniquement », illustre le chercheur. L’administration d’un traitement adéquat permettra alors de sauver l’organe avant qu’il ne soit trop tard. « Faire tourner ce modèle mathématique nous a aussi permis de décrire une maladie inconnue – un nouveau type de rejet de greffe : le rejet humoral vasculaire -, d’identifier de nouveaux moyens de diagnostic et, surtout, de faire appliquer des critères plus performants sur le terrain », se réjouit Xavier Jouven. L’épidémiologie intégrative, qui mêle toutes les spécialités médicales, ouvre un champ de recherche considérable. De quoi enthousiasmer le triathlète de longue date, qui raconte, rit et pédale à la fois, sans s’essouffler. Son équipe a d’ores et déjà développé plusieurs modèles sur la mort subite, la santé globale dans les pays pauvres et la transplantation. Et ce n’est qu’un début !

* Unité Inserm 970/Université Paris-Descartes

Prix Innovation 2016 : Benjamin Mathieu

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© Inserm/Delapierre, Patrick

Voir l’activité électrique des neurones
« Nous avons développé un microscope qui permet de mesurer optiquement avec une grande précision l’activité des neurones chez un animal entier, vivant et capable de bouger », se réjouit Benjamin Mathieu*, de l’Institut de biologie de l’École normale supérieure de Paris. Cet ingénieur, qui collabore étroitement avec physiciens et biologistes, a développé, entre autres, le logiciel et l’électronique du microscope. Il a aussi permis de le rendre accessible aux chercheurs avec une grande facilité d’utilisation. Voilà en effet dix ans qu’il travaille sur le sujet, et il « apprécie beaucoup d’offrir une technologie qui va avoir un impact important sur la science ». En parallèle, Benjamin Mathieu gère la plateforme d’imagerie de l’Institut de biologie. « Je suis tombé dans la microscopie par hasard », confesse-t-il. Recruté très jeune par l’Inserm, à tout juste 23 ans, il fait la rencontre de Stéphane Dieudonné, aujourd’hui directeur de recherche dans la même équipe. Le biologiste et l’ingénieur ont passé des nuits et des week-ends à développer leur machine spécifiquement dédiée aux neurosciences. « Une activité presque fusionnelle ! », s’amuse le jeune scientifique. Un pari réussi, puisqu’un deuxième système du même type équipe désormais le Centre de neurophotonique de l’université Laval, à Québec. Aujourd’hui, le duo veut passer à la vitesse supérieure et commercialiser l’appareil à plus large échelle. « Nous essayons de créer une start-up, mais c’est compliqué », reconnaît Benjamin Mathieu, qui apprécie pourtant ce nouveau défi.

* Unité Inserm 1024/CNRS/ École normale supérieure Paris

Prix Innovation 2016 : Céline Tomkiewicz-Raulet

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© Inserm/Delapierre, Patrick

Quand le gras déstocke ses polluants
Quelle influence les polluants peuvent-ils avoir sur l’évolution des cancers du sein ? Favoriseraient-ils, par exemple, l’apparition de métastases ? Agissent-ils directement sur la cellule cancéreuse ou par l’intermédiaire de cellules voisines ? C’est ce que cherche à savoir Céline Tomkiewicz-Raulet*, ingénieure de recherche à l’unité Toxicologie, pharmacologie et signalisation cellulaire, au Centre universitaire des Saints-Pères à Paris, qui gère également les aspects techniques et scientifiques du service commun de biochimie et biologie moléculaire de la Faculté des sciences fondamentales et biomédicales. Pour apporter des éléments de réponse, la chercheuse travaille sur deux types cellulaires distincts : une lignée de carcinome mammaire et une autre de tissu adipeux humain. « Les toxiques se fixent principalement dans les cellules adipeuses, explique-t-elle. Or, il y en a beaucoup dans le sein, y compris lorsqu’une tumeur s’y développe ». Stockés dans le gras de la poitrine, les polluants sont libérés à très faible dose. Céline Tomkiewicz-Raulet s’est plus spécialement intéressée aux dioxines, des polluants organiques persistants dans l’environnement. Sous-produits de divers processus industriels, ils contaminent l’homme essentiellement via sa consommation de produits animaux (viande, poisson, lait). Ces toxiques sont déjà accusés de provoquer une série de troubles sur les systèmes immunitaire et hormonal, allant jusqu’à entraîner des cancers. Mais l’ingénieure a également montré que, lorsqu’ils sont présents dans les cellules adipeuses, ils modifient l’évolution des cellules cancéreuses voisines. De quoi mieux comprendre l’influence de l’environnement sur ce type de maladies.

* Unité Inserm 1124/Université Paris-Descartes

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