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Med Sci (Paris). 32(11): 919–920.
doi: 10.1051/medsci/20163211001.

Les défis du microbiote

Patrice Debré1*

1Département d’immunologie, hôpital Pitié-Salpêtrière Centre d’immunologie et des maladies infectieuses de Paris (CIMI-Paris) université Pierre et Marie Curie (UPMC)/Inserm, UMRS113547-83, boulevard de l‘Hôpital, 75013Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Évolution biologique, Bovins, Femelle, Tube digestif, Helicobacter pylori, Interactions hôte-pathogène, Humains, Nouveau-né, Transmission verticale de maladie infectieuse, Métagénomique, Microbiote, Grossesse, Symbiose, immunologie, métabolisme, microbiologie, pathogénicité, physiologie, génétique, méthodes, tendances

 

Le terme microbiote désigne l’ensemble des bactéries qui habitent l’homme et cohabitent avec lui, et ce quelle que soit leur localisation anatomique, sur la peau, dans le conduit auditif, les bronches, la cavité vaginale, etc. Les recherches sur ces bactéries ont cependant essentiellement porté sur le microbiote intestinal, parce que c’est dans le tube digestif où on en trouve le plus grand nombre, mais aussi parce que c’est là où leur influence sur la physiologie de l’organisme semble déterminante. Il y a 100 milliards de bactéries dans 1 gramme de selles, autant que de cellules qui constituent notre cerveau. Entre la bouche et l’anus, sur une surface considérable de près de 400 m², plusieurs centaines de milliards de bactéries cohabitent, sans compter les virus et les champignons.

Nul ne peut comprendre le microbiote s’il ne s’est nourri des leçons que fournissent les multiples exemples des symbioses, des vies en commun, que la nature procure. En 1868, quelque neuf ans après la publication « De l’origine des espèces » par Charles Darwin, le botaniste suisse Simon Schwendener1, fit une curieuse découverte sur la nature des lichens : ils réunissent un champignon et une algue verte. Axée sur la compétition entre espèces, la théorie darwinienne trouve ici un contre-exemple, à moins d’admettre que la sélection naturelle s’exerce également sur leurs associations. À côté de l’interaction qui tue, le parasitisme, il en est une autre qui protège, la symbiose2. La vie n’existe que parce qu’elle est partenariale. L’un des principaux moteurs de l’évolution est représenté par la coévolution. Le microbiote en représente un magnifique exemple [1].

À la question de savoir pourquoi chercheurs et médecins n’ont pris que très récemment conscience de l’importance du microbiote, beaucoup affirment que le retard conceptuel s’explique par les difficultés technologiques. Jusqu’à une époque récente, il était en effet impossible de caractériser les populations bactériennes intestinales impropres à la culture sur les milieux usuels, notamment parce que la plupart d’entre elles sont rapidement détruites au contact de l’oxygène. L’histoire du microbiote n’est pas l’histoire d’une découverte, mais celle d’une conquête patiente, progressive, nourrie de concepts et de technologies imaginés dans différentes disciplines. Les premières expériences reposent sur des modèles d’animaux axéniques2 et faisaient suite à une remarque de Louis Pasteur qui formulait l’hypothèse qu’un animal ne peut vivre sans microbes. Parmi les expérimentations qui vont suivre, les caractérisations du microbiote doivent beaucoup aux travaux de Robert Hungate3 sur la digestion fermentative de la panse bovine [2]. Celui-ci peaufina une série de techniques efficaces et relativement simples à mettre en œuvre pour cultiver des bactéries anaérobies. Loin de rester cantonnés au monde de l’agriculture et de la médecine vétérinaire, les procédés de Hungate diffusèrent dans de nombreux laboratoires, dont ceux où l’on s’intéressait aux bactéries vivant en symbiose avec l’homme, et ont ainsi participé au regain d’intérêt pour l’étude du microbiote intestinal, qui s’est manifesté dans les années 1960. Parallèlement à ces avancées techniques, René Dubos4, convaincu de la diversité microbienne, décrivit dans une série de conférences qu’il donna en 1950 la relation homme/microbiote comme étant le résultat d’une longue coévolution ayant abouti à la sélection de bactéries « pures non-pathogènes » nous protégeant des infections. Si l’équilibre de l’écosystème interne vient à se rompre, leur virulence se réveille. Mais ce concept d’écosystème était encore au cours de ces années-là impossible à explorer : la plupart des bactéries échappaient aux techniques de culture traditionnelles et on sait aujourd’hui que ces techniques d’étalement sur milieu de croissance n’identifient pas plus de 20 % à 30 % des bactéries du microbiote. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que la croissance exponentielle des capacités de séquençage a laissé entrevoir une nouvelle solution, celle d’établir un catalogue global des séquences génomiques des populations microbiennes à partir de leur analyse après PCR. La métagénomique2 a bouleversé la vision du microbiote en donnant une assise objective et scientifique à des concepts que certains pionniers avaient défendus sans parvenir à se faire entendre. Elle a confirmé l’importance numérique de ces populations bactériennes, leur diversité et leur richesse fonctionnelle. Il est frappant de constater que, par son analyse de groupe, la métagénomique entre en résonance avec le concept d’écosystème tel que le défendait René Dubos ou Robert Hungate.

La bouche héberge plus de 320 espèces différentes de bactéries commensales. Plusieurs millions de germes sont présents par millilitre de salive. De nombreuses bactéries ainsi piégées et avalées gagnent l’œsophage puis l’estomac dont l’acidité a sélectionné Helicobacter pylori. Mais c’est en aval du tractus digestif que résident la plupart de nos bactéries. Dans la dernière partie de l’intestin grêle, l’iléon, vit une population plus importante de microbes, de l’ordre de 108 bactéries par gramme de matière, qui fait de ces dernières la part essentielle de ce qu’on peut y trouver. La flore y est encore mal définie, car son examen nécessite des prélèvements par chirurgie ou intubation ; sa diversité est cependant proche de celle observée dans les selles. Le côlon vient ensuite, long de 1,5 mètre, où se concentre la majeure partie des bactéries de notre tube digestif. La diversité des bactéries du côlon est colossale et leur nombre considérable, mille fois supérieur à leur concentration dans l’iléon. La moitié de la matière qui constitue les selles correspond à des bactéries. Seules subsistent les anaérobies strictes.

Le microbiote intestinal est unique et propre à chacun de nous, même s’il comporte une grande diversité. Deux grands groupes bactériens dominent : les firmicutes et les bactéroïdes. Les deux tiers des espèces intestinales dominantes qu’héberge chaque individu adulte, lui sont totalement spécifiques, le tiers restant étant plus ou moins partagé selon les individus. Ces populations sont acquises au cours de la vie. Le nouveau-né naît stérile, sa condition in utero. Son intestin est colonisé de façon rapide et massive par un microbiote relativement simple qui dépendra d’ailleurs de l’accouchement par voie naturelle ou césarienne. L’environnement, le type d’alimentation, lactée en particulier dans le premier âge, et l’antibiothérapie influenceront par la suite sa composition.

Le microbiote a deux principales fonctions : la dégradation par les bactéries des aliments que leur hôte ne peut digérer, contribuant à lui fournir de l’énergie, notamment en dégradant l’amidon et les fibres végétales, et des vitamines ; le développement des systèmes de reconnaissance du système immunitaire, posant le problème de sa tolérance, modifiant le concept du soi et du non-soi, pour l’adapter à la reconnaissance des signaux du danger.

Au-delà de son rôle en physiologie, l’étude d’un certain nombre de pathologies dites non transmissibles révèle que le microbiote est sans doute responsable, au moins pour une part, de leur apparition. Obésité, cancer, troubles du comportement, mais aussi affections allergiques, inflammatoires et auto-immunes, sont autant de pathologies sous les feux de la rampe pour déceler l’origine de leur survenue ou de leur aggravation à travers l’étude des germes commensaux. La symbiose est aujourd’hui mise en cause dans nombre de maladies, sans doute parce qu’il existe des conditions particulières de l’hôte pour que les microbes qui vivent en nous deviennent pathogènes. Les Nouvelles et Synthèses de ce numéro thématique reprennent nombre de ces menaces pour tenter de les éclairer. Ces pathologies questionnent toutes le rôle des bactéries, de l’inflammation et de l’activation du système immunitaire, et des facteurs pouvant moduler leur fonction et composition, comme l’alimentation et l’hygiène. Au-delà d’une simple caractérisation de modification des flores intestinales dans diverses situations pathologiques, il s’agit de dépasser de simples corrélations pour comprendre l’influence de la dysbiose et des métabolites, qui pourraient en être responsables. En même temps que l’étude des interactions normales et pathologiques entre l’homme et ses bactéries commensales, de nombreuses recherches agro-alimentaires se poursuivent aujourd’hui pour trouver les aliments du futur qui nourriront nos bactéries et influenceront leur distribution. Probiotiques, prébiotiques, xénobiotiques, transplantations fécales, qui sont également présentés dans ce numéro, sont autant de moyens pour modifier notre microbiote et ainsi, possiblement, prévenir ou guérir les pathologies dont il pourrait être responsable.

Une analyse rigoureuse des mécanismes moléculaires et cellulaires de la symbiose et des interactions entre bactéries commensales et pathogènes pourrait ainsi faire naître de nouveaux espoirs thérapeutiques. Une meilleure gestion de la flore intestinale devrait permettre de mieux contrôler nombre de maladies métaboliques comme l’obésité, le cancer, les troubles du comportement ou les pathologies inflammatoires. C’est là un nouveau paradigme en microbiologie, qui devrait intéresser toutes les sciences de la médecine et de la biologie, qui devrait de fait favoriser une approche pluridisciplinaire, associant la métagénomique aux sciences sociales, la culture cellulaire à l’immunologie, les maladies infectieuses à l’étude du métabolisme énergétique. En effet, l’étude de l’écologie microbienne doit concilier une approche environnementale, qui inclut les différentes populations et territoires du monde, à une exploration des niches endogènes. L’homme, loin d’être une exception de la nature, doit son existence aux microbes, acteurs primordiaux des processus évolutifs du vivant.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Simon Schwendener (1829-1919) est un botaniste suisse spécialiste des lichens. Il décrit pour la première fois la coexistence d’un champignon et d’une algue au sein des lichens et émet l’hypothèse qu’il nommera la « dual hypothesis » en 1868.
2 Voir Glossaire page 922 de ce numéro.
3 Robert Hungate (1906-2004), microbiologiste ; il est le premier à avoir pu cultiver des bactéries anaérobies grâce à une méthode fondée sur l’utilisation d’agarose coulé en tube, méthode qu’il publia en 1973 [2].
4 René Dubos (1901-1982), médecin et biologiste français naturalisé américain ; il s’est intéressé aux relations entre bactérie et hôte et est en partie à l’origine de la découverte des antibiotiques.
References
1.
Debré P. L’homme microbiotique . Paris: : Odile Jacob; , 2015 : :288. p.
2.
Hungate RE, Macy J. The roll-tube method for cultivation of strict anaerobes . Bulletins from the Ecological Research Committee. 1973 ; :123.–126.