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Med Sci (Paris). 32(12): 1103–1110.
doi: 10.1051/medsci/20163212014.

L’épissage des ARN pré-messagers : quand le splicéosome perd pied

Gwendal Dujardin,1* Élisabeth Daguenet,1* Delphine G. Bernard,2 Marion Flodrops,2 Stéphanie Durand,2 Aurélie Chauveau,2,3 Flaria El Khoury,2 Catherine Le Jossic-Corcos,2 and Laurent Corcos2a

1Centre de Regulació Genòmica (CRG), the Barcelona Institute of Science and Technology, Barcelone, Espagne
2Inserm U1078-ECLA, Université de Bretagne Occidentale, Institut Brestois en Santé Agro Matière (IBSAM), Faculté de médecine, 22, avenue Camille Desmoulins, 29200Brest, France
3Centre Hospitalier Universitaire de Brest, Boulevard Tanguy Prigent, 29200Brest, France
Corresponding author.
*Ces deux auteurs ont eu une contribution égale dans la préparation de ce manuscrit.
 

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L’épissage des ARN pré-messagers
Le cycle du splicéosome
L’épissage des ARN pré-messagers prend place dans le noyau cellulaire. Il est assuré par un complexe de plus de 200 protéines associées ou non à des petites ribonucléoprotéines, les snRNP (small nuclear ribonucleoprotein) U1, U2, U4/U6 et U5 [1]. Le macro-complexe ainsi formé, le splicéosome, assure l’excision des introns et la ligature des exons, en un cycle bien caractérisé faisant intervenir deux réactions consécutives de trans-estérification (Figure 1A). L’architecture du splicéosome et l’intervention séquentielle des différents complexes ont été déterminées par un ensemble de travaux faisant appel à des méthodes de biochimie analytique et structurale [2]. Dans une première étape, les séquences cibles de l’ARN sont reconnues par les snRNP U1 et U2, formant le complexe A. Ensuite, le recrutement de la tri-snRNP U4/U6.U5 permet la formation du complexe B qui, à la suite de nombreuses modifications à la fois structurales et conformationnelles, devient le complexe Bact (présentant une activité catalytique) au sein duquel a lieu la première étape de la réaction d’épissage et la formation du complexe C. La seconde étape de trans-estérification est alors réalisée, les exons mis bout à bout, l’intron dégradé et les snRNP sont recyclées. Une famille d’hélicases à ARN dépendantes de l’ATP est impliquée dans les transitions entre chaque étape du cycle, permettant un remodelage des complexes indispensable à la réaction d’épissage [3, 50] ().

(→) Voir également la Synthèse de P. De la Grange, page 1111 de ce numéro

Il est important de mentionner que le splicéosome existe sous deux formes partiellement superposables, le splicéosome « majeur » (voir plus haut), dont dépend la majorité des introns, et le splicéosome « mineur » qui prend en charge moins de 1 % des introns humains et utilise les snRNP U11, U12, U4atac, U5 et U6atac [4]. Les introns reconnus par le splicéosome mineur présentent des sites AT (site 5’) et AC (site 3’), ou des sites consensus reconnus par le splicéosome majeur, GT (en 5’) et AG (en 3’). Ces introns reconnus par le splicéosome mineur sont enrichis au sein des gènes impliqués dans la réplication et la réparation de l’ADN, dans la transcription, l’épissage et la synthèse protéique, mais sont absents des gènes du métabolisme énergétique et des voies de biosynthèse.

Organisation d’une unité d’épissage
Plusieurs déterminants de séquence, présents dans les introns, permettent à la machinerie de « définir » les exons. Il s’agit des sites 5’, ou sites donneurs d’épissage, des sites 3’, ou sites accepteurs d’épissage, du site de branchement vers l’extrémité 3’ de l’intron, et d’une étendue de pyrimidines située entre le site de branchement et le site 3’ (Figure 1B). Les séquences consensus retrouvées au niveau des sites d’épissage sont suffisamment robustes pour que différents algorithmes informatiques puissent déterminer les jonctions introns-exons et donc prédire leur utilisation probable par le splicéosome. Néanmoins, ces séquences ne possèdent pas toutes la même capacité à attirer la machinerie d’épissage et, lorsque certaines d’entre elles ne sont pas reconnues par le splicéosome, l’épissage devient alternatif.
L’épissage alternatif
L’activité d’épissage peut être influencée par des protéines agissant via différents sites, présents dans les exons et dans les introns, voire par interaction directe avec le splicéosome. De façon générale, ces protéines se répartissent en deux familles principales, les protéines SR (riches en sérines et arginines) et les hnRNP (heterogenous nuclear ribonucleoproteins) qui respectivement favorisent ou réfrènent l’inclusion normale des exons [5]. Cette « règle », dérivée de l’observation, admet pourtant des exceptions, de sorte que les rôles positifs ou négatifs peuvent revenir respectivement aux hnRNP et aux protéines SR, en particulier selon l’environnement nucléotidique. Ces protéines peuvent lier des séquences introniques ou exoniques activatrices (les ISE [intronic splice enhancer] et les ESE [exonic splice enhancer]) ou inhibitrices (les ISS [intronic splice silencer] et les ESS [exonic splice silencer]), stimulant ou réduisant par là-même, la capacité des complexes du splicéosome à catalyser la réaction d’épissage, vraisemblablement par une interaction directe avec certains des composants du système (Figure 1B). Certains membres d’une même famille peuvent parfois présenter des spécificités d’expression tissulaire marquées comme, par exemple, les protéines NOVA enrichies au niveau du cerveau [6]. De fait, les prédictions informatiques de la position des sites d’activité des protéines SR et hnRNP sont sensiblement moins performantes que celles des sites consensus évoqués plus haut.

Plusieurs types d’épissage alternatif ont été caractérisés, dont l’événement majoritaire est l’exclusion d’un exon (dit exon cassette). Des exclusions mutuelles d’exons cassettes, la rétention de segments introniques ou l’activation de sites cryptiques dont la séquence et/ou l’environnement proche ne sont normalement pas reconnus par la machinerie d’épissage, ont également été identifiés (Figure 2) [7] ().

(→) Voir la Synthèse de L. Corcos et L. Solier, m/s n° 3, mars 2005, page 253

Les altérations de l’épissage des ARN : quand le splicéosome perd pied

Différents types d’altérations, touchant les séquences d’ADN (altérations en cis, Figure 3A) ou les protéines d’épissage (altérations en trans, Figure 3B ), peuvent conduire à des transitions entre les formes épissées, et donc à un épissage alternatif aberrant.

Du fait de la nécessité, pour la réaction d’épissage, de déterminants de séquence spécifiques, en particulier ceux relevant d’un consensus quasi-exclusif (par exemple les sites 5’ et 3’), toute mutation affectant ces sites sera très probablement à l’origine d’un événement d’épissage alternatif. D’autres types de séquences, comme les ESE, ESS, ISE, ISS avérés, ou des polymorphismes sans fonction décrite contribuent à la variabilité des événements d’épissage (Figure 3A).

Une mutation dans un gène codant une protéine ayant un rôle fondamental dans la réaction d’épissage, ou dans la biogenèse du splicéosome, peut également induire une dérégulation de l’épissage, globale ou spécifique (Figure 3B). Ce dernier point est d’ailleurs le plus intrigant : comment une variation d’un facteur clé du splicéosome n’induit-elle pas nécessairement une dérégulation globale, mais affecte-t-elle seulement un nombre réduit de transcrits ou est spécifique d’un tissu donné ? Nous allons, dans la suite, décrire les effets de quelques mutations, en distinguant mutations germinales et mutations somatiques.

Mutations germinales
Selon la base de données « Human Gene Mutation Database » (HMGD), les mutations altérant en cis les sites d’épissage représenteraient jusqu’à 30 % des mutations héritées [8].

Un cas emblématique de ce type d’altérations est celui des mutations du gène CFTR (cystic fibrosis transmembrane conductance regulator), qui sont à l’origine de la mucoviscidose. Deux cent vingt-huit mutations en cis affectent l’épissage du gène CFTR, soit 11,36 % de l’ensemble des 2 007 mutations de ce gène (selon la base de données cystic fibrosis mutation database). Ces mutations ont des effets phénotypiques variables (d’une atteinte majeure – poumons et système digestif – à une atteinte de sévérité très modérée, comme la seule agénésie1 des canaux déférents) selon le type d’allèles touchés et le site [9].

Par ailleurs, plusieurs altérations en trans de la machinerie d’épissage ont été rapportées. Le premier exemple est illustré par le cas de l’amyotrophie spinale (SMA, spinal muscular atrophy), une maladie autosomique dominante caractérisée par une dégénérescence des motoneurones. Cette affection est due à des mutations du gène SMN1 (survival motor neuron 1) responsables d’une diminution d’abondance de la protéine SMN, impliquée dans l’assemblage des snRNP [10]. L’absence de SMN résulte en une altération globale du répertoire des snRNP avec de profondes conséquences sur l’activité de la machinerie d’épissage. Il existe un gène paralogue, SMN2, qui ne peut cependant pas complémenter le défaut du gène SMN1 en raison d’un polymorphisme C6T dans l’exon 7 responsable du saut de l’exon et conduisant à la synthèse d’une protéine instable (Figure 4A) [11].

Le second exemple porte sur la rétinite pigmentaire, une maladie génétique fréquente (avec une prévalence de 1/4 000) conduisant à une cécité progressive due à de nombreuses mutations distinctes avec une ségrégation essentiellement mendélienne, autosomique ou liée à l’X, récessive ou dominante. Certaines des mutations dominantes touchent des protéines du splicéosome, comme PRPF (pre-mRNA processing factor) 31, PRPF8, PRPF3 et hBRR2 (une hélicase essentielle pour l’épissage des pré-ARNm) en particulier (Figure 4B) [12]. Ces protéines sont impliquées dans l’assemblage ou le désassemblage du complexe tri-snRNP U4/U6.U5. La mutation c.2185C>T (correspondant à p.Arg729Trp sur la protéine) du gène PRPF6 est associée à un défaut d’assemblage du complexe du fait de la localisation nucléaire aberrante de la protéine dans les corps de Cajal, des sites où prennent place des modifications et l’assemblage de plusieurs snRNP [13]. L’épissage d’un ensemble d’introns dans les gènes MATN4 (matrilin 4), CBLN1 (cerebellin 1 precursor) ou AIP (aryl hydrocarbon receptor-interacting protein) est altéré, comme dans le cas de mutations d’autres gènes dont PRPF31, PRPF3, et PRPF8, indiquant que ces manifestations rétiniennes sont très sensibles à des altérations de la machinerie d’épissage.

Plusieurs autres pathologies affectant l’épissage en trans ont également été rapportées, dont une délétion du gène SF3B4 (splicing factor 3b subunit 4) associée au syndrome de Nager, une affection caractérisée par des dysostoses acrofaciales2 [14], ou encore la Clericuzio-type poikiloderma, une maladie associée à un défaut de maturation du snARN U6 [15]. En outre, plusieurs mutations affectant le fonctionnement du splicéosome mineur ont été caractérisées dont celles à l’origine d’une déficience en hormone de croissance [16] ou d’une forme de nanisme affectant le gène MOPD I (microcephalic osteodysplastic primordial dwarfism) [17], ou encore de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) [18].

Au-delà des mutations germinales, un large ensemble de mutations acquises ont été identifiées, en particulier dans les cancers.

Mutations somatiques
Les mutations de sites d’épissage survenues au niveau somatique sont relativement peu fréquentes dans les cancers [19], en comparaison des mutations germinales touchant des gènes de maladies génétiques, et d’incidence variable, plutôt faible dans le cancer du poumon [20]. Cependant, les sites d’épissage de l’exon 14 de l’oncogène MET sont souvent mutés dans les adénocarcinomes du poumon (3 %), conduisant à une exclusion de cet exon dans l’ARNm (Figure 4C) [21]. Dans les cancers, les mutations touchant des sites accessoires (ESE, ESS, etc.) seraient plus fréquentes que celles touchant des sites canoniques, à l’inverse des mutations germinales [22]. Au-delà des mutations en cis, les données de séquençage génomique à haut débit démontrent que les gènes codant des protéines d’épissage sont très fréquemment mutés, de sorte que chacun des 347 gènes intervenant dans les voies RNA splicing ou spliceosomal complex de la base de données Gene Ontology porte au minimum une mutation dans au moins un type de cancer [23], sans distribution spécifique selon les cancers. Certaines de ces mutations ont été décrites comme des mutations pilotes (drivers) oncogéniques. De façon remarquable, dans les syndromes myélodysplasiques (SMD), des hémopathies malignes pouvant évoluer en leucémie aiguë myéloïde (LAM), plus de la moitié des patients présentent une mutation acquise dans un gène codant une protéine d’épissage [24].

L’un des facteurs les plus fréquemment mutés est SF3B1 (splicing factor 3b subunit 1), dans 20 % des syndromes myélodysplasiques (SMD), et jusqu’à 80 % dans les formes sidéroblastiques, caractérisées par la présence de sidéroblastes en couronne dans la moelle osseuse3 [25] ().

(→) Voir la Nouvelle de F. Damm et al., m/s n° 5, mai 2012, page 453

Parmi les gènes exprimés et/ou épissés différemment lorsque SF3B1 est muté, figurent plusieurs gènes impliqués dans la pathogenèse des SMD (ASXL1 [additional sex combs like 1] et CBL [casitas B-lineage lymphoma]), dans l’homéostasie du fer et le métabolisme mitochondrial (ALAS2 [5’-aminolevulinate synthase 2], ABCB7 [ATP binding cassette subfamily b member 7] et SLC25A37 [mitoferrin-1]) ou encore dans l’épissage ou la maturation des ARN (PRPF8 [pre-mRNA processing factor 8] et HNRNPD [heterogeneous nuclear ribonucleoprotein D]) [26]. Le gène SF3B1 est également muté dans d’autres hémopathies myéloïdes, dans la leucémie lymphoïde chronique (10 à 15 %) [27], dans le mélanome uvéal (20 %) [28] et, à une moindre fréquence (4 %), dans les cancers du sein [29] et du pancréas [30]. De façon intrigante, seulement une fraction des événements d’épissage aberrants est commune aux différents cancers présentant une mutation de SF3B1 [31]. SF3B1 joue un rôle majeur dans la reconnaissance, par le splicéosome, du site 3’ accepteur d’épissage, en favorisant le recrutement de la sous-unité U2 snRNP sur l’ARN pré-messager ( Figure 1B et Figure 4D ). Des études de séquençage d’ARN (RNAseq) menées sur différents cancers [31] montrent que les mutations fréquentes de SF3B1 – toutes ciblées et faux sens – sont associées à la dérégulation d’un nombre restreint de jonctions d’épissage, pouvant conduire à la dégradation de certains de ces transcrits aberrants par la machinerie de contrôle qualité des ARNm (nonsense mediated mRNA decay). Ainsi, les mutations de SF3B1 « tromperaient le splicéosome » en permettant, quand la séquence intronique est favorable, l’utilisation d’un site de branchement alternatif en amont, conduisant à la sélection aberrante d’un site 3’ accepteur d’épissage cryptique (Figure 4D) [31]. Le nombre de transcrits variants reste cependant limité, car seuls les introns qui présentent certains déterminants de séquence semblent être les cibles de la forme altérée de SF3B1. L’impact fonctionnel de ces mutations dans le processus oncogénique nécessite encore d’être déterminé.

D’autres gènes de protéines d’épissage, ou de sa régulation, sont également affectés, notamment, dans les syndromes myélodysplasiques, les gènes U2AF1 (U2 small nuclear RNA auxiliary factor 1), ZRSF2 (U2 small nuclear ribonucleoprotein auxiliary factor 35 kDa subunit-related protein 2) et SRSF2 (serine/arginine-rich splicing factor 2) [32]. Les mutations dans certains de ces gènes, dont SF3B1 ou U2AF1, semblent jouer un rôle essentiel dans les étapes précoces de la maladie dans le cas, respectivement, de pathologies leucémiques ou d’adénocarcinomes du poumon [27, 33].

Plus largement, une analyse par fusion gene microarray menée sur 548 gènes de fusion – qui résultent de la fusion de gènes après translocations chromosomiques, les plus communes des altérations somatiques dans les cancers [19], a identifié plusieurs gènes de protéines d’épissage, dont DDX5 (DEAD-box helicase 5), FUS (fused in sarcoma), hnRNPA2B1 (heterogeneous nuclear ribonucleoprotein A2/B1), NONO (non-POU domain-containing octamer-binding protein) et SFPQ (splicing factor proline/glutamine-rich), suggérant l’existence d’altérations fonctionnelles dans les protéines correspondantes [34]. De plus, une étude récente a permis de mettre en évidence une surreprésentation (x 1,5) de mutations somatiques synonymes dans un ensemble de 16 oncogènes (parmi lesquels PDGFRA [platelet derived growth factor receptor alpha], EGFR [epidermal growth factor receptor], VEGFR2 [vascular endothelial growth factor receptor 2], NTRK1 [neurotrophic receptor tyrosine kinase 1], IL7R [interleukin 7 receptor], TSHR [thyroid stimulating hormone receptor], ELN [elastin], JAK3 [janus kinase 3], ITK [IL2 inducible T-cell kinase], GATA1 [GATA binding protein 1], RUNX1T1 [Runt-related transcription factor 1-translocation partner 1], ALK [anaplastic lymphoma kinase] et NOTCH2 [neurogenic locus notch homolog protein 2]), mais pas dans les gènes suppresseurs de tumeurs. La conséquence de ces mutations est une propension à augmenter les ESE et à diminuer les ESS [22]. Ceci est à rapprocher du fait que dans cet ensemble de gènes, les exons qui contiennent le plus de mutations synonymes ont également des sites d’épissage plus « faibles » que les autres exons. Une surreprésentation en ESE résultant de mutations doit donc conduire à une augmentation du taux d’inclusion de ces exons « faibles ». Néanmoins, il serait important de savoir si les mutations synonymes dans ces oncogènes présentent une spécificité vis-à-vis du type de cancer.

Par ailleurs, un ensemble d’altérations de la machinerie d’épissage, survenu au niveau somatique, a été identifié dans les maladies neuro-dégénératives, notamment les maladies d’Alzheimer et de Parkinson [35, 36].

L’épissage alternatif : une source de nouveaux marqueurs de la progression tumorale

Les altérations de l’épissage dans le cancer sont fréquentes [37]. Globalement, le nombre d’altérations d’épissage alternatif ne permet pas de distinguer spécifiquement les cancers solides entre eux, suggérant que ces modifications sont caractéristiques de l’état cancéreux. Toutes les grandes fonctions altérées dans le cancer sont le siège d’événements d’épissage alternatif [38], parmi lesquelles l’apoptose (gènes de caspases et de protéines de la famille de Bcl2 [B-cell lymphoma 2]) [39], l’angiogenèse (VEGFA [vascular endothelial growth factor A]) [40] et le pouvoir métastatique (CD44) [41]. En plus d’identifier des différences d’épissage alternatif entre tissus sains et tissus cancéreux, les analyses par séquençage d’ARN ont également permis de distinguer des sous-types de cancers du sein [42]. Une plus grande variabilité des produits d’épissage caractérise les cancers, alors que les profils d’épissage sont plus conservés dans les tissus sains [43]. Certains transcrits alternatifs sont de bons bio-marqueurs, parmi lesquels CD44, dont certains variants sont de pronostic favorable dans les cancers du côlon et du rectum [44]. Dans ces gènes, il est fréquent que les altérations d’épissage surviennent en dehors de mutations mais soient associées à des modifications d’activité des protéines d’épissage (voir plus haut). Il ne semble pas exister de profil de dérégulation d’épissage commun à tous les types de cancer, en dépit du fait que quelques gènes codant des protéines d’épissage susceptibles de contribuer à ces altérations soient communément affectés, comme SNRNPB (small nuclear ribonucleoprotein B) et DDX39A (DEAD-box helicase 39A), qui sont induits, ou CELF2 (CUGBP, elav-like family member 2) et SF1 (splicing factor 1), qui sont réprimés. Il n’est pour autant pas aisé de savoir si ces dérégulations participent, collectivement ou individuellement, aux premières étapes du développement cancéreux, ou si elles surviennent lors des étapes de promotion tumorale.

Abords thérapeutiques

Du fait du rôle central joué par l’épissage dans l’expression phénotypique, et des conséquences de ses altérations, l’épissage est une cible intéressante pour mettre en œuvre des stratégies correctives à visée thérapeutique. De très nombreuses approches expérimentales ont fait la preuve de leur potentiel, tout particulièrement dans les maladies génétiques. Elles reposent sur des corrections d’épissages aberrants soit au moyen d’oligonucléotides modifiés, ou de molécules vectrices d’ARN normal (trans-épissage) [7] ou, plus largement, sur l’utilisation d’agents pharmacologiques dirigés contre certaines protéines du splicéosome. Ces agents inhibent l’épissage en général ou modulent spécifiquement l’épissage alternatif affectant ainsi un nombre réduit de gènes requis pour la progression du cancer. Plusieurs catégories de tels agents peuvent être envisagées (pour revue, voir [45, 46]) :

  • des molécules ciblant spécifiquement des protéines du splicéosome comme SF3B1 (spliceostatine, pladienolide, meayamycine), ainsi que de nombreuses autres ;
  • d’autres composés aux effets moins spécifiques sur l’épissage, comme le clotrimazole, l’indole, les dérivés de la diospyrine, ou encore les camptothécines, le butyrate ou le valproate de sodium ou le resvératrol.

Du fait du couplage entre transcription et épissage, du rôle de modifications épigénétiques sur les activités transcriptionnelles et d’épissage [47], et de l’influence de paramètres épigénétiques sur l’activité du splicéosome [48], il serait intéressant d’évaluer également le potentiel correctif de « drogues épigénétiques » additionnelles (inhibitrices des ADN méthyl-transférases par exemple).

Conclusions

Dans cette revue, nous avons rappelé des généralités sur l’épissage des ARN pré-messagers, et nous avons choisi quelques exemples illustrant l’importance d’altérations de l’activité du splicéosome dans le développement de maladies génétiques et de pathologies comme les cancers. Il est intrigant de constater qu’en dépit d’altérations très fréquentes de certains gènes jouant un rôle central dans le mécanisme d’épissage (SMN, SF3B1), les conséquences semblent souvent restreintes à un nombre réduit de gènes cibles. Pour autant, notre compréhension incomplète de l’architecture et de la dynamique de fonctionnement du splicéosome restreint encore la mise en œuvre systématique de nouvelles stratégies correctives, bien que d’impressionnants succès expérimentaux aient été obtenus. En effet, l’utilisation d’agents pharmacologiques visant certaines protéines d’épissage, comme SF3B1, ou encore l’efficacité corrective d’oligonucléotides vis-à-vis de mutations germinales, laissent augurer de formidables avancées dans la prise en charge d’affections héréditaires, voire de certains cancers. Les développements bio-informatiques ont été déterminants pour décrypter le fonctionnement intégré de la machinerie d’épissage, en particulier pour élaborer des prédictions robustes quant à la reconnaissance et à la sélection de sites d’épissage. Néanmoins, le répertoire des altérations de l’épissage en cis et en trans n’est pas une entité finie, même si des événements récurrents sont retrouvés. Il sera majeur de pouvoir élaborer, grâce à la biologie systémique, des prédictions sur les événements d’épissage alternatif probables, prenant en compte la structure du splicéosome, en fonction des spécificités tissulaires et des altérations pathologiques, ainsi que les variations génomiques de simples nucléotides, autrefois considérées comme silencieuses. L’élaboration d’outils permettant d’inférer, à l’échelle des transcriptomes, la structure des protéomes correspondants constituera très certainement une avancée importante pour mieux comprendre les relations génotype-phénotype [49].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Défaut de développement au stade embryonnaire.
2 Les dysostoses acrofaciales sont un groupe de syndromes associant des anomalies de développement des extrémités, de la face et de la mâchoire.
3 Les syndromes myélodysplasiques (SMD) sidéroblastiques se différencient des autres SMD par la présence, dans la moelle osseuse, de plus de 15 % de sidéroblastes en couronne dans la lignée érythroïde, par une absence de dysplasie dans les autres lignées cellulaires et par un faible pourcentage de blastes myéloïdes (< 5 %). La présence de sidéroblastes en couronne dans la moelle osseuse est due à une accumulation pathologique de fer dans les mitochondries.
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