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Med Sci (Paris). 32(12): 1127–1129.
doi: 10.1051/medsci/20163212017.

L’auto-digestion est invitée à la table de l’Institut Karolinska
Prix Nobel de Médecine 2016 : Yoshinori Ohsumi

Patrice Codogno1*

1Institut-Necker Enfants Malades (INEM), Inserm U1151, CNRS UMR 8253, Université Paris-Descartes-Sorbonne Paris Cité, 14, rue Maria Helena Vieira da Silva, 75014Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Autophagie, Recherche biomédicale, Histoire du 21ème siècle, Humains, Japon, Personnel de laboratoire, Prix Nobel, Suède, physiologie, histoire

 

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Vignette (© https://www.nobelprize.org).

L’autophagie, un ensemble de mécanismes d’auto-digestion du matériel cellulaire par le lysosome, a été à plusieurs reprises discutée dans les colonnes de médecine/sciences sous forme de Synthèses [1, 2] () et de Nouvelles [3, 4] ().

(→) Voir les Synthèses de J. Puyal et al., m/s n° 4, avril 2009, page 383, et de P.E. Joubert et al., m/s n° 1, janvier 2011, page 41

(→) Voir les Nouvelles de P. Codogno, m/s n° 8-9, août-septembre 2004, page 734, et de P. Verlhac et al., m/s n° 6-7, juin-juillet 2015, page 594

Un numéro thématique de la revue lui sera consacré au début de l’année 2017 (m/s n° 3, volume 33, mars 2017). En octobre dernier, l’Institut Karolinska et l’Académie Royale des Sciences de Suède ont attribué le prix Nobel de Physiologie ou de Médecine au japonais Yoshinori Ohsumi, université de technologie de Tokyo, pour sa découverte des gènes ATG (autophagy-related) qui contrôlent la macroautophagie, seule forme d’autophagie qui, de façon significative, peut dégrader des macromolécules et des structures cytoplasmiques. Ce prix Nobel est décerné 42 ans après celui obtenu par Christian de Duve1,, dans la même discipline, pour sa découverte du lysosome. Christian de Duve introduisit le terme autophagie pour un phénomène cellulaire observé dès les années 1950 dans le foie et le rein par de nombreux auteurs dont lui-même. La signature remarquable de ce phénomène est la présence de vacuoles, dans le cytoplasme des cellules, dans lesquelles sont identifiables du matériel cytoplasmique comme du réticulum endoplasmique rugueux, des ribosomes et des mitochondries. Antérieurement à la découverte des gènes ATG au début des années 1990, les études essentiellement menées chez les mammifères, notamment dans les cellules d’origine hépatique, ont établi l’importance de l’environnement hormonal et des acides aminés dans la régulation de l’autophagie. Par ailleurs, les travaux de Per O. Seglen2, en Norvège au cours des années 1980 ont jeté les bases de la compréhension cellulaire et moléculaire de l’autophagie. Seglen visualisa par microscopie électronique la structure membranaire qui englobe le matériel cytoplasmique pour former la vacuole autophagique initiale (ou autophagosome). Il donna le nom de phagophore à cette structure pour souligner son unicité dans la cellule. Il identifia aussi un compartiment au point de rencontre entre l’autophagosome et les endosomes, l’amphisome, montrant de ce fait, du moins chez les organismes multicellulaires, le dialogue qui existe entre l’autophagie et l’endocytose. Enfin, il découvrit le premier inhibiteur de l’autophagie, la 3-méthyladénine, composé dont on sait aujourd’hui qu’il inhibe la phosphatidylinositol 3-kinase de classe III (PIK3C3 ou Vps34) nécessaire aux premières étapes de la formation de l’autophagosome. Malgré ces découvertes, les mécanismes moléculaires régissant la formation de l’autophagosome étaient toujours inconnus. En 1992, Yoshinori Ohsumi, alors au National Institute for Basic Biology à Okazaki, Japon, montra que le mécanisme de macroautophagie était conservé chez la levure Saccharomyces cerevisiae et qu’il était stimulé en réponse à une carence en azote. L’année suivante, par une sélection de survie appliquée aux levures en l’absence de source azotée, il identifia les premiers gènes ATG (qu’il appela à cette époque APG pour autophagy) [1]. Dès 1994, Michael Thumm3, en Allemagne et Daniel J. Klionsky4, aux États-Unis identifièrent respectivement des gènes AUT (autophagy) et CVT (cytoplasm to vacuole targeting) qui s’avérèrent être des gènes ATG. Fort heureusement la nomenclature consensuelle « ATG » fut introduite en 2003 [2]. Cette nomenclature s’applique à toutes les espèces quel que soit le phylum considéré. Néanmoins, chez les mammifères, certains de ces gènes et protéines sont plus connus sous d’autres nomenclatures telles que ULK1 (UNC51-like kinase-1) pour ATG1, Beclin 1 pour ATG6, LC3 (light-chain 3) pour ATG8, WIPI (WD repeat domain phosphoinositide-interacting protein 1) pour ATG18 par exemple. À la suite de ces travaux pionniers sur la génétique de l’autophagie, Ohsumi avec ses collaborateurs de l’époque, Noboru Mizushima et Tamotsu Yoshimori, montrèrent le rôle des protéines ATG dans la formation de l’autophagosome, notamment par le rôle de deux systèmes de conjugaison fonctionnant à l’instar du mécanisme d’ubiquitination des protéines, ATG12-ATG5 et ATG8-phosphatidyléthanolamine. Ces deux systèmes sont nécessaires de façon séquentielle pour l’élongation de la membrane pré-autophagosomale précédant la formation de l’autophagosome. À la fin des années 1990, Mizushima, puis le laboratoire de Beth Levine5 aux États-Unis, montrèrent la conservation des gènes ATG chez les mammifères. Les travaux de Beth Levine révélèrent que BECN1 (le gène codant la protéine Beclin 1) avait des propriétés de gène suppresseur de tumeur. Un peu plus tard, ce même laboratoire mit en évidence l’interaction entre Beclin 1 et Bcl-2, apportant ainsi un premier point de convergence moléculaire entre l’autophagie et l’apoptose. Le début des années 2000 vit aussi l’établissement des premiers modèles d’animaux transgéniques. En ajoutant la somme de connaissances générées par ces modèles murins à celle apportée par l’étude d’organismes modèles (Dictyostelium discoideum, Caenorhabditis elegans, Drosophila melanogaster, Danio rerio) et à l’étude de l’autophagie chez les plantes par de nombreux laboratoires dont celui de Yoshinori Ohsumi, il est apparu que l’autophagie était un mécanisme biologique vital. En fait, dès la fécondation, par l’élimination des mitochondries maternelles dans l’œuf, l’autophagie marque la biologie de son empreinte. Ensuite, au cours du développement et dans l’homéostasie des tissus et des organes, elle est présente et nécessaire. Si les capacités autophagiques déclinent au cours du vieillissement des organismes, sa stimulation ralentit le vieillissement, de la levure aux mammifères, et également l’apparition des maladies liées au vieillissement comme les maladies cardio-vasculaires et le diabète. Dans tous les phylums l’autophagie participe à l’immunité innée et à l’immunité acquise dans les espèces où ce mécanisme est apparu.

À ce stade, il est important de remarquer que l’autophagie fut d’abord considérée comme un mécanisme de dégradation non sélectif. Si cet aspect de l’autophagie est toujours avéré, on sait aujourd’hui que l’autophagie est un mécanisme aussi très sélectif par l’activité de récepteurs qui reconnaissent, d’une part, la machinerie autophagique, souvent la protéine LC3 ou la protéine ATG8 chez la levure, et, d’autre part, la cible soit par un motif protéique soit par reconnaissance de l’ubiquitine qui est ancrée sur la cible. La cible peut être une structure cellulaire (organites, agrégats protéiques) ou des microorganismes ayant envahi le milieu intracellulaire. Ces « phagy » sélectives peuvent avoir, par exemple, des fonctions cytoprotectrices comme l’agréphagie, la lysophagie ou la mitophagie (dans certaines circonstances), un rôle dans l’immunité innée comme la xénophagie (élimination de microorganismes) ou des fonctions métaboliques (lipophagie, ferritinophagie, mitophagie). Les travaux du laboratoire de Terje Johansen6, en Norvège en 2005 furent pionniers en identifiant le rôle de la protéine p62/SQSTM1 (Sequestosome 1), connue alors pour d’autres fonctions, comme récepteur d’agrégats protéiques avant leur élimination par autophagie. Les mutations du gène SQSTM1 sont responsables de la maladie de Paget7. Néanmoins l’implication de l’autophagie dans cette pathologie reste à établir. Des mutations ou des polymorphismes de gènes ATG sont retrouvés dans des maladies inflammatoires comme la maladie de Crohn où un polymorphisme du gène ATG16L1 est associé au développement de cette maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI). Citons aussi des mutations et polymorphismes dans des gènes de l’autophagie dans des formes familiales de maladie de Parkinson, dans l’asthme, le lupus érythémateux, et un syndrome cérébral (SENDA pour static encephalopathy with neurodegeneration in adulthood). Des délétions chromosomiques de la région contenant le locus de BECN1 sont retrouvées dans les cancers du sein, de la prostate et de l’ovaire. Des dysfonctionnements de l’autophagie sont associés à de nombreuses pathologies allant du cancer aux maladies neurodégénératives en passant par le diabète de type II, les maladies infectieuses et les maladies auto-immunes. Cibler l’autophagie constitue donc une nouvelle voie de recherche thérapeutique. À l’heure actuelle, les essais cliniques menés utilisent essentiellement la chloroquine, ou ses dérivés, qui bloque l’autophagie en s’accumulant dans le lysosome. Il n’est pas clair si les effets observés in vivo sont dus à l’activité de la chloroquine sur la voie autophagique ou plus généralement à son effet sur la perturbation de l’activité des compartiments acides. De nombreux aspects sont à prendre en compte pour traduire les connaissances sur l’autophagie en thérapies basées sur sa modulation. Tout d’abord, il faut réaliser que, dans de nombreuses situations, l’autophagie n’est pas un mécanisme égoïste ayant exclusivement une incidence sur le fonctionnement de la cellule qui la pratique. En fait, l’état autophagique d’une cellule peut influencer la réponse d’autres cellules. À titre d’exemple, l’autophagie des cellules stromales influence le métabolisme de cellules tumorales pancréatiques. De même, l’autophagie des cellules tumorales peut influencer la réaction immunitaire vis-à-vis des tumeurs. Ce dialogue existe aussi au niveau physiologique. Un état de jeûne déclenche non seulement l’autophagie dans certains organes périphériques mais aussi au niveau de l’hypothalamus pour contrôler la prise alimentaire. Plus généralement, le rôle de l’autophagie dans le dialogue entre les tissus périphériques et le cerveau est encore un champ de recherche peu exploré mais fascinant. Un autre élément de complexité de l’autophagie est la diversification des gènes chez les mammifères. Là où un seul gène est présent pour chaque ATG chez la levure, on en retrouve plusieurs pour de nombreux ATG chez les mammifères. Cette diversification atteste probablement de la sophistication de l’autophagie chez les mammifères. De même, l’expression des gènes de l’autophagie s’intègre dans un programme génétique plus large qui englobe les gènes impliqués dans la biogenèse du lysosome et aussi ceux qui contrôlent certaines voies métaboliques.

Les progrès prodigieux réalisés par la biologie structurale des protéines ATG devraient fournir prochainement des outils moléculaires permettant d’agir « chirurgicalement » sur les différentes formes d’autophagies sélectives. Ces études structurales, associées à celle de la dynamique membranaire, devraient aussi permettre de mieux comprendre l’origine des composants lipidiques et la coordination du recrutement des ATG provenant de différentes sources cellulaires pour aboutir au site de production du phagophore. Un lieu identifié de ce recrutement est un domaine du réticulum endoplasmique appelé omégasome (du fait de sa forme qui évoque la lettre grecque oméga). Cette structure sert en fait de matrice pour l’élongation du phagophore. Les relations physiques et dynamiques entre l’omégasome et le phagophore sont encore à définir.

À l’autre bout de l’éventail des recherches sur l’autophagie se trouve la nécessité d’identifier des biomarqueurs de l’activité autophagique pour apprécier la nécessité et l’efficacité de sa modulation en réponse à des traitements. Comme souvent en physiologie ou en médecine, un organisme modèle apporte des réponses biologiques fondamentales et projette ce mécanisme vers la recherche de thérapies innovantes. L’autophagie n’échappe pas à cette règle, c’est sans aucun doute ce qui a guidé l’Institut Karolinska et l’Académie Royale des Sciences de Suède dans l’attribution du prix Nobel à Yoshinori Ohsumi.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Christian de Duve (2 octobre 1917-4 mai 2013) était docteur en médecine et biochimiste belge, il reçut le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1974.
2 Department of Cell Biology, Institute for Cancer Research, The Norwegian Radium Hospital, Oslo, Norvège.
3 Göttingen Graduate School for Neurosciences, Biophysics, and Molecular Biosciences, Allemagne.
4 Life Sciences Institute, University of Michigan, États-Unis.
5 The University of Texas, Southwestern Medical Center, Dallas, Texas, États-Unis.
6 Molecular Cancer Research Group, Department of Medical Biology, University of Tromsø – The Arctic University of Norway, Tromsø, Norvège.
7 La maladie de Paget est une pathologie de l’os caractérisée par l’augmentation de son remodelage.
References
1.
Puyal J, Ginet V, Vaslin A, et al. Les deux visages de l’autophagie dans le système nerveux . Med Sci (Paris). 2009; ; 25 : :383.–390.
2.
Joubert PE, Pombo Grégoire I, Meiffren G, et al. Autophagie et pathogènes. « Bon appétit Messieurs ! » . Med Sci (Paris). 2011; ; 27 : :41.–47.
3.
Codogno P. Les gènes ATG et la macro-autophagie . Med Sci (Paris). 2004; ; 20 : :734.–736.
4.
Verlhac P, Viret C, Faure M, et al. NDP52, autophagie et pathogènes. « Et le combat cessa faute de combattants » . Med Sci (Paris). 2015; ; 31 : :594.–597.
5.
Tsukada M, Ohsumi Y Isolation and characterization of autophagy-defective mutants of Saccharomyces cerevisiae . FEBS Lett. 1993; ; 333 : :169.–174.
6.
Klionsky DJ, Cregg JM, Dunn WA, Jr, et al. A unified nomenclature for yeast autophagy-related genes . Dev Cell. 2003; ; 5 : :539.–545.