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Med Sci (Paris). 32: 14–18.
doi: 10.1051/medsci/201632s105.

Table ronde 2
Impact sociétal des nouvelles technologies de connaissance du génome

MeSH keywords: France, Dépistage génétique, Génome humain, Séquençage nucléotidique à haut débit, Humains, Inventions, Connaissance, Maladies rares, Changement social, Traitements en cours d'évaluation, tendances, génétique

 

Participent à la table ronde :

Didier Lacombe, Fédération Française de Génétique Humaine

Nicolas Lévy, Aix-Marseille Université et AP-HM

Sylvie Paulmier-Bigot, LEEM

Frédéric Revah, Généthon

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La table ronde est animée par Gert Matthijs (Université de Leuven)

Table ronde 2
Gert Matthijs
Au cours de cette table ronde, nous évoquerons les nouvelles technologies permettant de séquencer un génome entier. Le premier séquençage d’un génome humain – celui de James Watson – a été réalisé en 2008. La question de l’utilisation de cette technologie s’est alors posée. Entre-temps, les prix d’un séquençage ont drastiquement chuté. En effet, le séquençage du génome de James Watson a coûté 5 millions de dollars, alors qu’il coûte aujourd’hui 5 000 euros. Ces prix sont faux si le contexte d’utilisation du séquençage n’est pas pris en compte.

Le séquençage d’un génome est possible. La même technologie peut être utilisée pour réaliser des analyses ciblées. Dans la vie réelle, cette utilisation est plus développée. Elle permet par exemple de regarder tous les gènes impliqués dans une certaine maladie. Cette technologie présente alors un réel avantage en termes d’efficacité. Cette technologie peut également être utilisée pour créer de la capacité de séquençage. Dans le cancer du sein, cette plate-forme permet de séquencer des dizaines de patients en même temps.

Avec la technologie du séquençage, il est également possible de réaliser des exomes quand la maladie du patient n’a pas encore été identifiée. Cette utilisation s’inscrit entre les champs de la recherche et de la découverte. Le génome entier peut être séquencé pour, d’une part, faciliter l’accès aux données et, d’autre part, chercher des déficiences ou des défauts non connus qui ne sont pas liés à la partie codante du génome.

Dans la première partie de cette table ronde, nous discuterons des avantages de ces nouvelles technologies, en ne nous limitant sans doute pas aux maladies rares. Nous parlerons également de l’impact de ces technologies sur la recherche et la santé publique, car il serait intéressant de savoir si nous allons vraiment changer la société.

Dans un second temps, nous évoquerons les limites de ces nouvelles technologies. Plutôt que d’aborder leur dimension technique, nous discuterons de la gestion des données privées et de leurs impacts sur la santé publique. En 2014, j’ai publié avec Vermeesch Joris le livre « Comprendre la génétique et ses enjeux ».

Frédéric Revah
Je suis le directeur général du Généthon. Ce centre de recherche et développement a été créé en 1990 par l’AFM Téléthon pour travailler dans le domaine des maladies rares. À cette époque, il s’agissait de contribuer au déchiffrage du génome humain. Les premières cartes du génome humain ont été produites à Généthon entre 1992 et 1995. Nous étions donc au cœur des efforts visant à réaliser le déchiffrage du génome humain, et ainsi à mieux comprendre et identifier les gènes responsables de maladies rares.

À partir de la fin des années 1990, Généthon s’est réorienté vers l’exploitation des données issues du génome humain pour l’application thérapeutique, en particulier dans le domaine de la thérapie génique.

Aujourd’hui, ma contribution au débat portera sur la manière dont ces nouvelles technologies de séquençage ont pu donner naissance à de nouvelles approches thérapeutiques et à de nouveaux types de médicaments.

Nicolas Lévy
Je suis professeur de génétique à Marseille ; je suis aussi chef de service du département de génétique médicale et directeur d’une unité de recherche Inserm-université dédiée aux maladies rares, en particulier aux maladies génétiques rares, voire ultra-rares, allant de l’identification des causes des mécanismes jusqu’au développement de preuves de concept et au développement thérapeutique. J’ai récemment cessé mes fonctions de directeur de la – très belle – Fondation maladies rares. J’ai donc repris mes fonctions à Marseille dans le contexte de la recherche et du soin. En parallèle, je porte un projet de création d’institut de médecine et de recherche translationnelle méditerranéen orienté uniquement vers les maladies rares.
Sylvie Paulmier-Bigot
Je représente le LEEM. Au sein de cette organisation professionnelle qui fédère les entreprises du médicament, je suis chargée de la coordination du Comité maladies rares présidé par Christian Deleuze. Ce comité regroupe diverses parties prenantes (industriels, associations de malades, académiques). Le sujet des maladies rares me tient beaucoup à cœur.
Didier Lacombe
Je suis pédiatre généticien et clinicien ; je dirige le service de génétique médicale du CHU de Bordeaux, après avoir dirigé le service de pédiatrie. Je dirige également une unité Inserm dédiée à la recherche translationnelle sur les maladies rares. J’ai beaucoup travaillé dans le cadre du PNMR1. Je dirige actuellement la Fédération française de génétique humaine, qui regroupe l’ensemble des sociétés dédiées à la génétique. Parmi elles figure l’ANPGM, dirigée par Benoît Arveiler. Nicolas Lévy le connaît bien puisqu’il travaille sur la structuration nationale des Nouvelles Générations de Séquençage (NGS), c’est-à-dire la réflexion sur des plates-formes dédiées aux maladies rares et au cancer.
Gert Matthijs
Les exomes permettront-ils de résoudre tous les cas de maladies rares ?
Didier Lacombe
Au cours d’une réunion organisée cet été au ministère de la Santé, il nous a été dit que l’exome ne relevait pas aujourd’hui de la pratique diagnostique courante. Comme il relève de la recherche, il n’est pas à ce jour financé dans le cadre du diagnostic en France. La stratégie actuelle consiste à développer des panels dans des pathologies particulières. Cette stratégie est plutôt pertinente comme étape intermédiaire (de 4 à 5 ans) – les pouvoirs publics en sont conscients. L’étape suivante consistera sans doute à passer à l’exome.

Le génome pose la question des incidentalomes, c’est-à-dire la découverte fortuite d’anomalies qu’on ne devrait pas caractériser. Les techniques d’études du génome de type CGH Array permettent de trouver la cause d’une anomalie du développement, mais cette cause inclut la délétion d’un gène qui prédispose au cancer à l’âge adulte. Il a ainsi fallu expliquer à la mère d’une enfant de trois ans que sa fille devrait être surveillée.

Je reçois très régulièrement des patients, qui se sont informés sur Internet et qui demandent pourquoi un exome n’est pas pratiqué. Grâce aux financements de la Fondation maladies rares, nous pouvons en faire passer quelques-uns dans le cadre de la recherche, mais la pratique de l’exome en diagnostic n’est pas encore courante en France. Il existe donc un décalage entre la pratique et la connaissance des patients sur cette nouvelle technologie, qui pose des questions éthiques.

Gert Matthijs
Le fait de ne pas avoir accès aux exomes à un prix compétitif vous fait-il râler ? Ou bien faut-il attendre que tout soit validé ?
Nicolas Lévy
Je partage les propos de Didier Lacombe, même si nous nous sommes inscrits dans une démarche visant à développer l’exome en diagnostic dès que cette technologie était disponible en France. Notre approche de l’exome se rapproche fortement de celle qui est appliquée aux panels. Nous réalisons des exomes au sens technologique du terme, mais nous explorons en priorité le panel bioinformatique d’une série de gènes pertinents par rapport à la pathologie de malades qui nous sont adressés. Si nous n’avons rien identifié dans le panel, nous ouvrons les données sur le reste de l’exome, en prenant le risque de faire des découvertes fortuites.

Ce sujet pose une vraie question conceptuelle. Le panel doit être pratiqué dans des pathologies hétérogènes pour lesquelles le nombre de gènes restant à identifier dans ce groupe de pathologies est relativement faible. Lorsque le nombre de gènes restant à identifier est considérable, il est beaucoup plus profitable en termes conceptuels – mais aussi en termes de coûts – d’aller sur de l’exome pour cibler directement les gènes connus par rapport à la pathologie, avant d’ouvrir les données de l’exome.

Il existe une grande différence entre ce qui relève du diagnostic et ce qui relève de la recherche. Si nous posions dans cette salle la question de la définition du diagnostic par rapport à la définition de la recherche concernant l’accès aux NGS, nous obtiendrions sans doute des réponses bien différentes. Le fait de différencier ce qui relève du diagnostic et de la recherche en prenant simplement en considération ce qui est connu versus ce qui n’est pas encore connu est, de mon point de vue, extrêmement limitant. Séquencer dans un contexte de pur diagnostic ou un contexte de pure recherche n’a pas beaucoup d’importance, car l’important est de parvenir à l’identification.

Gert Matthijs
Je ne suis pas tout à fait d’accord. Une réponse est attendue d’un diagnostic dans un délai assez bref. Pour lancer une recherche, une hypothèse est nécessaire. J’ai l’impression que les cliniciens sont en train de mélanger le diagnostic et la recherche. Ce sujet devrait être rapidement clarifié, car trop d’argent de la recherche est utilisé pour pratiquer du diagnostic « caché ». Le public doit être conscient de cette réalité pour que des dispositions soient prises au niveau politique.
Didier Lacombe
L’exome ne résout pas tout. Le taux de 40 % me semble juste. J’ai récemment discuté avec une famille très affectée qui a perdu deux enfants avec une forme d’arthrogrypose sévère. Comme elle souhaite avoir un nouvel enfant, elle est très en demande d’un diagnostic. Un projet de recherche sera lancé en France avec Judith Melki sur les arthrogryposes. J’ai reçu un email de Judith m’annonçant la découverte d’un nouveau gène. Avant que cette famille puisse bénéficier de cette avancée académique, une publication et une validation seront nécessaires. L’approche recherche et l’approche diagnostic doivent donc être séparées. La recherche va aboutir à de grandes implications dans le diagnostic, mais il faut être conscient du décalage entre les deux.
Gert Matthijs
Le diagnostic et la recherche doivent-ils être menés dans le même institut ?
Nicolas Lévy
Il est possible de mélanger le diagnostic et la recherche si le mélange est parfaitement organisé au départ. Les activités de séquençage dans un centre de génétique doivent être menées dans les mêmes locaux. Les outils et les compétences utilisés pour la recherche et le diagnostic sont les mêmes. En revanche, le circuit des données diffère. Dans le cas du diagnostic, un résultat doit être rendu aussi rapidement que possible au malade, en particulier si la variation identifiée donne accès à un traitement. En recherche, une validation est nécessaire. Cela ne doit toutefois pas nous empêcher, dès l’identification de la variation, de commencer à initier des actions de recherche et de prise en charge. Ainsi, le diagnostic et la recherche devraient être organisés dans les mêmes lieux, en s’appuyant sur les mêmes compétences et les mêmes outils. Il convient en revanche de différencier les circuits des données. La mise en place d’un système de traçabilité et de qualité sera bientôt la norme dans les laboratoires de recherche.
Gert Matthijs
Pour la recherche et la thérapie, qu’est-ce que cela change ?
Frédéric Revah
Une thérapie génique et d’ingénierie génétique présente un potentiel médical impressionnant puisqu’il s’agit d’une thérapie curative. Au-delà de la percée médicale et scientifique que représentent ces produits – dont certains sont aux portes de l’AMM – il existe une grande variété d’incidences, notamment en termes d’organisation du système de soins. On parle de thérapie personnalisée à l’extrême. Dans certains types de thérapie génique, des cellules souches sont prélevées dans le système hématopoïétique du patient ; un gène sain est introduit dans ces cellules avant qu’elles ne soient réinjectées au patient. Ce traitement hautement personnalisé ne peut évidemment être administré que dans des environnements hospitaliers spécialisés, offrant un vrai accompagnement clinique et technologique.

La question du modèle économique se pose également. Un produit de thérapie génique sera administré une fois – ou un nombre limité de fois – pour obtenir une correction permanente. Un tel produit s’apparente plus à une greffe qu’à un médicament classique. La question de la fixation de son prix n’a toujours pas été résolue, alors qu’un certain nombre de produits s’approchent de l’AMM. Le prix de ces produits pourrait être fixé une fois pour toutes – le premier à avoir obtenu son AMM européenne, porté par une société de biotechnologie hollandaise, revendique un prix d’un million d’euros l’injection. Un tel prix est-il raisonnable ? Et notre système de santé est-il prêt à accepter ce niveau de prix ? D’autres prévoient un prix basé sur le résultat, une annuité payable en fonction d’un résultat thérapeutique objectivable. Ces modèles de fixation de prix restent à mettre à l’épreuve des faits, tant les systèmes de remboursement sont peu adaptés à ces nouvelles fixations de prix.

La question du modèle économique doit également prendre en compte le coût de la R&D, dans la mesure où le coût de développement de ces produits peut être important.

La capacité à développer ces produits dépend de compétences en recherche, de compétences en développement et de compétences médicales. En outre, la capacité à amener ces produits jusqu’aux patients dépend de manière critique de la production. Celle-ci présente une très forte valeur ajoutée, car ces produits sont difficiles à produire. L’enjeu industriel de cette production est considérable pour pouvoir maîtriser la mise à disposition de ces produits.

Gert Matthijs
Vous parlez surtout de la révolution dans les thérapies, qui ne sont pas nécessairement liées au séquençage. Le chiffre d’un million d’euros par patient que vous avez mentionné m’a fait plaisir car cela signifie que le diagnostic est quasiment gratuit. Le séquençage en diagnostic devrait donc avancer plus rapidement.

Les industries mesurent-elles les avantages du séquençage à haut débit ?

Sylvie Paulmier-Bigot
Les industriels ont effectivement mesuré les impacts positifs de ces nouvelles technologies. L’identification des gènes et des altérations à l’origine des maladies permet notamment de mieux connaître les pathologies, d’identifier plus facilement les malades, de mieux cibler les actions de prévention, et d’optimiser le taux de répondeurs. Ces nouvelles technologies ont une répercussion considérable sur le développement des futurs médicaments.
Gert Matthijs
Au niveau sociétal, pourquoi ne pas envisager de séquencer tout le monde ?
Nicolas Lévy
La question que nous devons nous poser est de savoir pourquoi nous devrions séquencer tout le monde. Cette solution n’aurait un intérêt que si elle a un impact direct sur la connaissance que l’on veut obtenir à partir de patients qui ont besoin de séquençage, ou bien sur la connaissance obtenue dans le cadre de programmes de recherche. À ce jour, je ne vois pas la nécessité de séquencer tout le monde. Un généticien médical ne peut pas s’inscrire dans une démarche visant à séquencer tout le monde parce que les outils sont disponibles.
Gert Matthijs
J’ai évidemment posé cette question pour susciter le débat. Si tout le monde était séquencé, le nombre de cancers serait multiplié par dix, ce qui coûterait bien plus que les dépenses liées aux maladies rares. Comment résoudre ce problème sociétal ?
Didier Lacombe
Aujourd’hui, le séquençage doit se limiter aux personnes pour lesquelles cette approche présente un réel intérêt, notamment en termes de prise en charge thérapeutique. Par ailleurs, je souhaiterais intervenir sur le dépistage néonatal systématique. Depuis trois à cinq ans, nos collègues nord-américains de l’American Society for Human Genetics (ASHG) envisagent à brève échéance de séquencer le génome de tous les nouveau-nés américains – notamment pour des raisons d’assurance. En Europe, nous considérons qu’une telle pratique systématique ne serait pas du tout raisonnable. En effet, l’interprétation bioinformatique d’un certain nombre de variants et polymorphismes sera difficile. De plus, d’un point de vue éthique, le séquençage conduira à identifier incidemment diverses pathologies. Partageant cette position, l’American College of Medical Genetics and Genomics (ACMG) considère que le séquençage devrait uniquement s’appliquer à certains gènes d’intérêt. Il a ainsi constitué une liste de 70 à 150 gènes, notamment de myocardiopathie et de QT long. Par ailleurs, vous savez que des recherches sont menées sur le gène de la longévité. Or, une centenaire présente une mutation dans un gène de myocardiopathie. Par conséquent, des questions se posent.

Malheureusement, la France est encore loin d’une approche moléculaire systématique néonatale. Cette réflexion devra pourtant être menée, car le dépistage de certains gènes présente un réel intérêt. En France, cinq maladies sont dépistées à ce jour. La phénylcétonurie et l’hypothyroïdie sont de vraies réussites d’un point de vue biochimique. De mon point de vue, la mucoviscidose n’est pas le meilleur exemple de maladie pour laquelle un dépistage néonatal aurait dû être mis en place. Aujourd’hui, une vraie réflexion devrait être menée sur les gènes devant faire l’objet d’un dépistage systématique à la naissance.

ÉCHANGES AVEC LA SALLE
De la salle
Faut-il séquencer tout le monde ?
Gert Matthijs
Le séquençage de tout le monde ne présenterait pas un réel intérêt pour les maladies multifactorielles. Par ailleurs, l’utilisation d’exemples de séquençage réussi pour justifier une politique générale me semble dangereuse.
De la salle
À l’avenir, un « patient » porteur d’une mutation sera-t-il traité avant que la maladie ne se déclare ?
Nicolas Lévy
Indépendamment du dépistage systématique, l’objectif d’aujourd’hui est de pouvoir prévenir autant que possible l’apparition d’un phénotype potentiellement sévère lorsqu’on sait que la mutation est en grande partie responsable de cette pathologie. On parle de mutations « actionnables », sur lesquelles on peut avoir un véritable impact thérapeutique dès qu’elles sont détectées.
De la salle
La recherche en génomique pourrait-elle être intégralement financée par le diagnostic biologique ?
Nicolas Lévy
La recherche en génomique pourrait effectivement être financée de façon intégrale par le diagnostic biologique si la recherche et le diagnostic sont menés dans un même laboratoire. Ainsi, chaque patient aurait accès à un séquençage le plus efficient possible pour permettre d’identifier les caractéristiques génétiques liées à la maladie qu’il présente. Dans ce cas, il faudrait séparer les files actives (c’est-à-dire les malades connus et pris en charge dans une démarche de diagnostic par du séquençage haut débit) des collections d’échantillons qui sont dans les congélateurs des centres de ressources biologiques. Ces échantillons concernent des malades malheureusement perdus de vue ou pour lesquels beaucoup d’informations font défaut. Les informations cliniques doivent rester à l’origine de notre pratique de séquençage.
Frédéric Revah
Le fait de traiter un patient avant que la maladie ne se déclare ou au tout début des symptômes est parfois l’élément même permettant l’effet thérapeutique complet. Par ailleurs, il faut savoir que la possibilité de faire des essais cliniques en l’absence de traitement dépend d’un diagnostic aussi précoce que possible. Je pense notamment à l’amyotrophie spinale de type 1. Le diagnostic précoce de cette maladie dégénérative à évolution extrêmement rapide permet l’intervention thérapeutique et l’essai clinique.
Gert Matthijs
Pendant que nous discutons, d’autres vont agir. Pensez-vous que nous sommes en train de laisser passer le train ? J’estime que le système public devrait s’engager pour le séquençage néonatal et « préconceptuel ». La solution du dépistage ne devrait pas être écartée.
Nicolas Lévy
Sans vouloir minimiser les capacités de diagnostic, j’estime que la solution du dépistage n’aurait de sens que si l’on connaissait la signification des données séquencées. Or, seuls 3 à 5 % des données d’un génome peuvent réellement être interprétées à ce jour.
Gert Matthijs
Dans ce cas, il faut arrêter tout dépistage ou bien expliquer au public que les solutions offertes aujourd’hui ne sont pas valables. Je n’ai pas envie de perdre mon temps à crier dans le désert.
Ségolène Aymé
Les firmes réalisant du séquençage chez les gens non-malades vendent du vent car les résultats obtenus concernent des variants génétiques connus à faible valeur prédictive. La communauté des généticiens doit dire la vérité : la technologie de séquençage existe, mais nous ne savons pas interpréter la plupart des données. Les bases de données de variants génétiques contiennent entre 20 et 40 % de données erronées, que certains veulent utiliser en diagnostic. Ce n’est pas sérieux ! Les laboratoires doivent offrir un service diagnostique sur des données parfaitement validées et répondant aux besoins du patient.

5 % de la population américaine ont les moyens de se payer leur génome, mais ils seront très déçus des résultats obtenus. Il ne faudrait pas qu’ils viennent ensuite se faire expliquer les résultats. Ce sujet me semble très marginal. En France, nous avons toujours eu une approche très prudente en terme de dépistage néonatal, et c’est très bien ! Il devrait en aller de même dans la génétique. Il y a déjà tant de besoins non assouvis en matière de diagnostics qui seraient réellement utiles aux patients et aux familles. Ainsi, nous devrions nous concentrer sur les vrais besoins.

Gert Matthijs
Les centres de fertilité proposent de plus en plus souvent ce genre de test, et les gens acceptent de payer pour cela. Faudrait-il installer une police ? Ou bien faudrait-il que les services médicaux sachent mieux proposer leur offre réduite en mettant en avant les explications qui peuvent l’accompagner ? Le séquençage du génome ne se limitera pas aux maladies rares et au cancer ; il faudrait ajouter en urgence le dépistage des porteurs pour proposer une offre valable et différente de celle qui est proposée sur Internet.

Par ailleurs, il faut savoir que Google et Facebook sont très intéressés par vos données. Je demanderai aux intervenants de s’exprimer en tant que citoyens sur ce sujet.

Sylvie Paulmier-Bigot
En tant que citoyenne, ce sujet peut m’effrayer. L’eugénisme représente en effet un danger considérable. Je suis quelque peu rassurée après avoir entendu que l’interprétation des résultats souffrait encore de nombreuses incertitudes.

Un autre sujet m’interroge. Si une personne qui n’est pas malade sait qu’elle a une altération sur un gène – avec des potentialités de développement de maladies –, elle va vivre toute sa vie avec une épée de Damoclès. L’impact sociétal de ces données pose une vraie question philosophique.

Nicolas Lévy
La question du diagnostic pré-symptomatique est parfaitement encadrée en France, à partir du moment où les gènes concernés par des mutations sont identifiés et caractérisés. Dans ce cas, des consultations pluridisciplinaires sont organisées avec des psychologues, des obstétriciens, des généticiens et des spécialistes d’organes. Ce problème reste néanmoins complexe à gérer au quotidien, en particulier lorsqu’il s’agit de pathologies graves, voire très invalidantes comme des maladies neurodégénératives.

S’agissant des données produites par de grandes entreprises comme Google et Facebook, je souhaiterais partager une réflexion sur le transhumanisme – selon lequel l’homme qui vivra 1 000 ans serait déjà né. Google, via Calico notamment, ne s’intéresse qu’à la longévité, en ayant la volonté de pouvoir identifier des signatures moléculaires inscrites dans une certaine forme de longévité. Le fait de vivre plus longtemps ne m’intéresse pas forcément. En revanche, vivre en meilleure santé aussi longtemps que possible serait intéressant. Les progrès de la médecine devraient permettre d’atteindre ce but, grâce à la génétique et aux nouveaux outils technologiques.

Gert Matthijs
Une question de la salle porte sur les conséquences d’un séquençage généralisé sur l’accès au travail et les primes d’assurance. Cette problématique me semble plus aiguë et plus urgente. La mise en ligne du génome reste un phénomène limité et trivial. Le problème est que cette avancée génétique est perçue comme majeure par le public. Il est temps que nous expliquions les intérêts médicaux de la génétique. Ce sujet s’apparente à une révolution que nous devrons maîtriser.
Liens d’intérêt

D. Lacombe déclare participer à des interventions ponctuelles pour les entreprises Shire, Genzyme, Biomarin.

S. Paulmier-Bigot déclare avoir un contrat de travail avec l’organisme Les Entreprises du Médicament (LEEM).

G. Matthijs, N. Lévy, F. Revah déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.