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Med Sci (Paris). 32: 23–28.
doi: 10.1051/medsci/201632s107.

Table ronde 3
Cohortes, registres, bases de données : quelles évolutions nécessaires ?

MeSH keywords: Biais (épidémiologie), Études de cohortes, Collecte de données, Bases de données factuelles, Conception du protocole de recherche épidémiologique, Humains, Pratique professionnelle, Maladies rares, Enregistrements, tendances, normes

 

Participent à la table ronde :

Zeina Antoun, GSK

Jean Donadieu, Registre national histiocytose/Registre national neutropénies/MARIH

Laure Jamot, RaDiCo

Thomas Sannié, Association Française des Hémophiles

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La table ronde est animée par François Meyer (Haute Autorité de Santé)

Table ronde 3
François Meyer
Je travaille à la HAS dont les missions s’inscrivent dans le champ des pratiques de soin, mais aussi dans celui de l’évaluation des technologies de santé, ou Health Technology Assessment (HTA). La HAS rend ainsi des avis et rapports aux instances chargées de prendre des décisions. En Europe, chaque État membre est maître de décider de l’organisation et du financement de son système de santé. On assiste toutefois à un développement des coopérations internationales sur ces domaines, même si les décisions et les critères restent spécifiques à chaque pays.

Nous parlerons aujourd’hui d’outils épidémiologiques. Au sens de l’arrêté du 6 novembre 1995 relatif au Comité national des registres (CNR), un registre est défini comme un recueil contenu et exhaustif de données nominatives intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de recherche épidémiologique et de santé publique par une équipe ayant les compétences appropriées.

Les études épidémiologiques visent, d’une part, à réaliser des mesures de l’incidence, de la prévalence, de la mortalité, de la morbidité, des facteurs de risque, etc., et, d’autre part, à mesurer l’impact des thérapeutiques. Ainsi, le recueil de données observationnelles (en complément des essais cliniques randomisés) pour l’étude des effets des produits de santé revêt une importance croissante dans l’ensemble des pays du monde. Les objectifs poursuivis peuvent être multiples : mesurer les conditions d’utilisation réelle d’un produit de santé par rapport à ce qui est recommandé ; étudier ses effets en termes de mortalité, de morbidité, de tolérance, de qualité de vie ; évaluer l’impact sur l’organisation du système de santé ; réaliser des études économiques.

Dans le cas des maladies rares, le recueil de données observationnelles ne prend tout son sens que s’il n’est pas limité à un pays. Les populations concernées étant faibles en nombre, il est important de développer des collaborations. Les institutions européennes équivalentes à la HAS sont organisées en réseau depuis une dizaine d’années. Un nouveau programme de coopération de quatre ans va débuter à travers l’European Network for Health Technology Assessment (EUnetHTA). Au niveau européen, la DG Santé a, de plus, financé une action conjointe sur les registres PARENT qui a produit, d’une part, un registre des registres, et, d’autre part, des recommandations méthodologiques pour la mise en place et la gouvernance de registres de patients en Europe : Methodological guidelines and recommendations for efficient and rational governance of patient registries (http://patientregistries.eu).

Des projets existent au niveau de l’EMA, pour promouvoir une introduction progressive de certains nouveaux médicaments dans le système de santé (Adaptive pathways). Dans ce cadre, des données pharmaco-épidémiologiques seront recueillies après la mise sur le marché initiale et complèteront le résultat des essais randomisés. Ces données seront prises en compte au cours d’une réévaluation du médicament, tant pour l’AMM que pour l’admission au remboursement et le prix.

Il existe également des projets à travers le partenariat public-privé IMI (Innovative Medicine Initiatives). Le projet « Get Real » étudie comment incorporer des données de la « vraie vie » dans le développement des médicaments, tandis que le projet « Adapt Smart » est un projet d’appui au projet des Adaptive pathways.

Je vais maintenant vous présenter rapidement les participants à cette table ronde. Jean Donadieu est à la fois clinicien en hématologie et immunologie pédiatrique ; médecin de santé publique, il a aussi travaillé à l’InVS (Institut de Veille Sanitaire) ; il est le coordinateur du registre national histiocytose et du registre national neutropénies.

Scientifique de formation, Laure Jamot est responsable du pôle de Recherche Clinique de RaDiCo qui a labélisé à ce jour 16 cohortes.

Thomas Sannié est coordinateur administratif et financier du pôle de ressources ETP Île-de-France et président de l’Association française des hémophiles (AFH). Il a été membre du Comité exécutif de la Fédération mondiale de l’hémophilie. Il est le représentant des usagers au Conseil de surveillance de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.

Médecin de formation, Zeina Antoun exerce encore la médecine comme médecin vacataire à l’Hôpital Bichat-Beaujon dans le service des maladies infectieuses. Elle a mené une carrière importante en laboratoire pharmaceutique, en particulier chez GSK.

Jean Donadieu
Je suis effectivement le coordinateur de deux registres. J’ai été à l’InVS au démarrage de l’étude FranceCoag des hémophiles. Je participe aussi, en tant que clinicien, au registre des déficits immunitaires congénitaux au CEREDIH, et au registre des thalassémies.

Une base de données est à la fois un outil informatique et une collection de données. Dans l’acception commune, une base de données n’implique pas des critères méthodologiques très forts. Une base de données peut ne pas être exhaustive, et peut être biaisée. Elle constitue néanmoins le premier niveau de travail.

Les cohortes constituent le deuxième niveau. Elles supposent un suivi prospectif des patients.

À un troisième niveau, il y a, dans la dénomination française, des registres, qui supposent l’exhaustivité. Cette exhaustivité implique une recherche active des cas et des événements de santé de façon exhaustive sur un territoire donné. Cet effort méthodologique prend son sens pour produire des indicateurs de santé (incidence, taux de complications ou d’effet secondaire) sans biais. L’apport d’un registre est donc supérieur à celui d’une cohorte en degré de preuves. Tous les registres maladies rares sont des cohortes.

Dans le domaine des maladies rares, il n’est pas possible de multiplier les études sur les mêmes patients. Les registres permettent à la fois de produire des indicateurs de santé publique (incidence, taux de complication, accès aux médicaments, etc.), des indicateurs de recherche clinique (évaluation de médicament, évaluation des effets indésirables, etc.), en associant éventuellement une logique de recherche avec des biothèques et des laboratoires de recherche. Un tel dispositif est différent de celui en place pour les maladies plus fréquentes, comme le cancer, où il est possible de mener des essais thérapeutiques très larges indépendamment des registres ou des recherches.

Quelle que soit la base de données, le recueil de données ne présente un intérêt que s’il offre une qualité minimale. Or, la première qualité est l’absence de biais. Les registres offrent une approche non biaisée, objective et solide sur les maladies rares. La lutte contre le biais constitue un objectif majeur en termes de qualité. Cet objectif ne peut être obtenu qu’à travers des registres.

La question de l’organisation et de l’indépendance scientifique des structures doit également être posée. Cette indépendance ne veut pas dire isolement et doit venir de partenariat, et non de l’appartenance à une seule structure. En règle, un registre doit être mené par une structure indépendante des industriels pour garantir l’absence de biais, même si les industriels ont leur place. Un registre doit associer les patients, mais ne peut pas être mené par des associations de patients pour des raisons de confidentialité. Ainsi, un registre est au mieux porté par des structures académiques, dans le cadre d’un partenariat réunissant des industriels et des associations.

En outre, il nous faudra discuter des financements. L’époque est difficile. Les événements du 13 novembre nous ont rappelé que les priorités de la société sont en train d’évoluer. Les 12 000 postes débloqués pour la police et la justice seront pris dans d’autres secteurs, notamment dans la santé. Mais les efforts à réaliser doivent être répartis de manière équitable. Nous observons tous un désinvestissement des pouvoirs publics sur les registres. Les financements alloués aux deux registres dont je m’occupe ont diminué de 40 % en trois ans. Si cette baisse de financements publics perdure, nous devrons nous interroger sur la poursuite de nos travaux. Les industriels sont de plus en plus réticents à une participation financière, car les contraintes réglementaires sont croissantes. Il reste les associations de patients, mais qui ne peuvent pas porter l’intégralité du financement des registres.

Nous avons participé à l’appel d’offres RaDiCo en 2010. Mais au moment où RaDiCo a ouvert son premier appel d’offres en 2014, les registres existants ont été exclus, ou devaient se dissoudre afin que RaDiCo reprenne leur portage. Pour FranceCoag et d’autres registres présentant une grande antériorité, ce n’était pas possible. Cette situation est problématique dans la mesure où RaDiCo draine environ un million d’euros par an – nos registres fonctionnent avec 10 000 euros. Ainsi, nous observons une attrition des registres labellisés. Les registres existants souffrent et sont menacés.

Laure Jamot
Je représente RaDiCo. Je travaille depuis une vingtaine d’années dans les maladies rares, dans la recherche clinique sur des projets maladies rares. J’ai rejoint RaDiCo en 2014. RaDiCo est financé par des fonds publics au titre du programme « Cohortes » des Investissements d’avenir. Cette structure constitue l’un des grands projets de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et du Fonds d’investissement d’Avenir pour la mise en place de cohortes. L’objectif de RaDiCo est de favoriser la mise en place et/ou de maintenir les cohortes qui existent déjà sur des maladies rares. Le modèle de RadiCo est de mettre à la disposition de la communauté scientifique des ressources humaines et techniques permettant de remplir cet objectif.

Un appel à projets a été mené en deux temps : une lettre d’intention, puis des projets complets qui ont été examinés par des experts étrangers afin d’éviter tout conflit d’intérêt. Suite à leurs retours, RaDiCo a sélectionné un nombre de cohortes qui lui paraissaient acceptables en termes de ressources humaines. RaDiCo comptant 12 personnes, nous avons fait le choix de soutenir 16 cohortes en 2014. Certaines d’entre elles sont nouvelles ; elles demandent par conséquent un travail complet de mise en place (écriture des protocoles, recherche des autorisations réglementaires, etc.). D’autres cohortes s’inscrivent dans la continuité ou en complément de projets existants comme la base de données RespiRare de la filière Respifil pour la cohorte RaDiCo-PID ou la JIR-Cohorte sur les maladies auto-immunes et auto-inflammatoires pour la cohorte RaDiCo-ACOSTILL.

L’un des enjeux majeurs de notre travail sera de mutualiser toutes les bases de données préexistantes afin, d’une part, d’améliorer la connaissance sur ces maladies rares, et, d’autre part, d’apporter un certain nombre de solutions techniques pour pouvoir travailler ensemble. L’interopérabilité constitue un principe essentiel dans ce domaine.

Dans le cas de cohortes avec plusieurs bases de données préexistantes (locales ou nationales), l’un des enjeux majeurs de notre travail sera de fusionner toutes les bases de données afin de ne pas perdre les données déjà recueillies et d’arriver à l’objectif d’amélioration de la connaissance de ces maladies rares.

Par exemple, la base de données RespiRare collecte environ 4 000 items cliniques différents. Pour mutualiser ses données avec d’autres registres/cohortes existants ou nouveaux sur les mêmes pathologies, il faut procéder à un mappage des champs de manière à identifier les items communs, à faire coïncider les champs entre eux bien qu’ils soient codés différemment dans ces bases, c’est-à-dire rendre les bases de données interopérables. Si les données (médicales et autres) étaient codées de la même façon – ce qui est assez rare (codes Orpha pour la description des maladies ; HPO pour les descriptions phénotypiques…), c’est-à-dire si la communauté s’accordait sur les ontologies à utiliser, alors les bases de données deviendraient réellement interopérables et on pourrait facilement mutualiser l’ensemble des données collectées.

Compte tenu du contexte de « maladies rares », RaDiCo a donc la volonté de standardiser au maximum la méthode de recueil (choix des ontologies) ainsi que les données recueillies (s’assurer d’un consensus sur les informations à collecter) et d’accompagner l’ensemble des investigateurs partenaires vers des standards de recueil de données reconnus au niveau français, et surtout au niveau européen. En corolaire de ces aspects, RaDiCo assure le contrôle qualité de la donnée et son data management.

Enfin, RaDiCo souhaite favoriser la collection de données qui sont essentielles pour les patients et pour la société, mais qui sont peu recueillies aujourd’hui, comme les données médico-économiques et les données de qualité de vie. À cet égard, nous essayons au maximum d’intégrer les associations de patients dans les projets que nous soutenons. Celles-ci sont très impliquées pour certaines cohortes. Ainsi, l’association Vaincre les Maladies Lysosomales (VML) travaille en étroite collaboration avec RaDiCo sur le projet RaDiCo-MPS sur le protocole de l’étude de la cohorte, ainsi que sur la mise en place des notices d’information, des formulaires de consentement et des questionnaires médico-économiques et de qualité de vie. Nous invitons toutes les associations de patients à se rapprocher de RaDiCo pour travailler de manière synergique sur ces sujets pour chacune des 16 cohortes lorsque cela est pertinent.

François Meyer
RaDiCo lancera-t-il de nouveaux appels à projets ? Des financements pérennes sont-ils assurés pour les 16 cohortes retenues ?
Laure Jamot
RaDiCo est un projet ANR financé jusqu’au 31 décembre 2019. Aujourd’hui, nous n’avons pas de visibilité après cette date. Si RaDiCo venait à s’arrêter, nous ferions en sorte de rendre clé en main à chacun des investigateurs son projet avec sa structure de cohorte (comprenant la base de données) de manière à ce que la cohorte puisse continuer au-delà de RaDiCo, si besoin. Par ailleurs, RaDiCo promeut les Partenariats Public-Privé (PPP) pour chaque cohorte de manière à ce qu’ils puissent apporter des fonds qui seront utilisés pour la cohorte concernée. Certaines cohortes sont à l’horizon de 4 à 5 ans, tandis que d’autres, notamment sur les malformations oculaires, ont une durée de vie définie à 20 ans, d’où la nécessité de prévoir le maintien de la structure cohorte.

Le Conseil scientifique de RaDiCo décide des actions menées par notre plate-forme. Le lancement d’un nouvel appel d’offres au cours des mois à venir sera à l’ordre du jour du Conseil scientifique de janvier 2016. À terme, RaDiCo entend soutenir le plus de cohortes possible.

RaDiCo et la BNDMR sont deux projets différents, mais ils travaillent de concert. Soutenue par la DGOS, la BNDMR a pour objectif de collecter des données épidémiologiques sur les maladies rares de manière exhaustive, et notamment de collecter le set de données minimales (Minimal Data Set) pour toutes les maladies rares en France. La BNDMR poursuit un objectif de santé, tandis que RaDiCo poursuit un objectif de recherche. Néanmoins, l’un ne peut se faire sans l’autre. C’est pourquoi nous travaillons ensemble, avec comme objectif commun la standardisation du recueil des données et la mise en place d’une réflexion visant à professionnaliser le recueil des données au sein des établissements de santé. Nous souhaiterions ainsi définir et adopter des ontologies communes pour mutualiser au maximum toutes les données recueillies. Nous travaillons donc à l’interopérabilité avec la BNDMR.

Thomas Sannié
La création d’un registre répond à une demande des pouvoirs publics de pouvoir suivre des populations particulièrement exposées. De ce point de vue, les maladies rares peuvent présenter un enjeu important. L’État investit de l’argent dans les registres, car il est plus coûteux de suivre ces populations « maladies rares » quand celles-ci sont en dehors de tout outil chargé de les rassembler.

La force du registre FranceCoag est son exhaustivité – il inclut plus de 99 % de la population hémophile. Chaque mois, 50 inclusions sont réalisées au sein de ce registre. Cette collection de données inclut un registre et deux cohortes spécifiques. Ce registre répond à des objectifs épidémiologiques de vigilance, de pharmacovigilance et de recherche. Il est actuellement hébergé par l’InVS, mais cette situation va très prochainement évoluer. L’Institut n’a en effet plus vocation à être le porteur du registre de patients. C’est pourquoi un travail de transfert de cet outil est en cours auprès d’une unité de recherche universitaire avec l’Association Française des Hémophiles (AFH), la DGOS, la DGS et les professionnels de santé. Cependant, et malheureusement, la décision de transfert de FranceCoag n’a pas encore été prise par le ministère de la Santé.

Pour l’AFH, un registre doit permettre de connaître la prévalence de la maladie, de suivre les besoins des patients et d’identifier les problèmes de santé liés à la maladie, de défendre et promouvoir des mesures prioritaires à engager (forces et lacunes de l’offre d’accompagnement de santé actuel et prévisible à moyen terme) pour affecter les ressources efficacement, d’obtenir des données fiables en termes de population concernée (nombre, répartition territoriale, âge, régime de traitement), de faciliter un rappel de médicaments en cas de problème de sécurité ou de qualité, et d’aider à la construction d’un réseau de travail et de communication entre professionnels, et entre professionnels et patients, d’être un outil de recherche clinique et translationnelle.

Les registres doivent donc réunir les caractéristiques suivantes :

  • 1. constituer un instrument de veille sanitaire : risques viraux, alerte sanitaire (pathologies sentinelles, en collaboration avec l’InVS), événements indésirables - en collaboration avec l’ANSM ;
  • 2. avoir une gouvernance ouverte et partagée, laquelle doit intégrer l’ensemble des acteurs des centres références, filières et associations de patients ;
  • 3. être centré sur le patient et collaborative : confidentialité des données, accès aux données aisées pour les professionnels de santé mais aussi pour les associations et fondées (médical, SHS [sciences humaines et sociales] ou information), qualité de vie, fardeau de la maladie, médico-économique, intégration par les patients eux-mêmes de données complémentaires à celles rapportées par les cliniciens ;
  • 4. s’appuyer sur un laboratoire de recherche universitaire : innovation ;
  • 5. être utiles pour les professionnels de santé pour qu’ils veuillent encore abonder le registre ;
  • 6. avoir un financement principalement par l’État, mais d’autres sources de financement possibles ;
  • 7. collaborer avec la BNDMR.

La DGOS est en train de réviser l’ensemble des financements des registres. Sa démarche ne doit pas servir de prétexte pour remettre en cause le financement nécessaire au bon accomplissement du travail par les acteurs concernés. Parallèlement, d’autres sources de financement peuvent être recherchées. Dans un cadre précis, en toute transparence, des travaux à partir de données de registres – répondant à la même rigueur scientifique – pourraient ainsi être financés par l’industrie pharmaceutique.

Zeina Antoun
Je partage les propos qui ont été prononcés, notamment sur la transparence des liens et l’intégrité scientifique des données collectées. Ces notions sont d’autant plus importantes que nous faisons face à des difficultés tant dans les plans de développement que dans la collecte de données en vie réelle.

Dans le passé et actuellement, les laboratoires pharmaceutiques mènent leurs propres études de suivi en vie réelle. Si les registres et cohortes publiques présentaient des critères de suivi et de qualité répondant à des demandes des autorités, ce serait beaucoup plus simple et moins coûteux.

Je suis aussi la porte-parole de l’Alliance pour la Recherche et l’Innovation des Industries de Santé (ARIIS). Nous sommes promoteurs d’une action visant à soutenir les PPP. À l’occasion de la Journée nationale des cohortes qui se tiendra en mars 2016, nous entendons donner de la visibilité à nos collègues internationaux, et leur présenter le meilleur des équipes françaises en termes de cohortes et de bases de données.

J’ai participé à la mise en place des premières cohortes dans le VIH. Depuis, de réels progrès dans la prise en charge ont été réalisés à partir de ces travaux. Nous savons que les études cliniques de développement ne peuvent pas répondre à tous les enjeux. L’accès à des données complémentaires de biomarqueurs ou de qualité de vie en vie réelle reste, de notre point de vue, un outil très précieux.

La partie contractuelle représente un enjeu majeur, car elle constitue un élément déterminant dans la mise en place de partenariats. De nombreux progrès ont été réalisés dans ce domaine depuis cinq ans. Ainsi, les délais de négociation d’un contrat ont été sensiblement réduits. Pour accélérer le processus, il importe d’identifier rapidement les personnes clés, comme le juriste, la personne chargée de la valorisation, etc.

Enfin, le plan international a été souligné à plusieurs reprises. Comme nous sommes des filiales de maisons-mères intervenant à l’échelle internationale, nous aimerions pouvoir leur apporter des cohortes françaises qui sont reconnues au niveau européen, à travers des projets de financement public-privé comme IMI (Innovative Medicine Initiative) ou d’autres initiatives.

ÉCHANGES AVEC LA SALLE
De la salle
Quelle est la position de la HAS sur une collaboration des laboratoires avec RaDiCo plutôt que la mise en place de registres de laboratoires qui sont souvent des cohortes ?
François Meyer
Le fait que ce soit un registre ou une cohorte n’importe pas ; on a parfois besoin de l’un ou de l’autre. Il importe de privilégier le recueil de données dans le cadre du suivi épidémiologique d’une maladie plutôt que de construire un registre spécifique d’un produit.
De la salle
Les critères principaux des études cliniques d’enregistrement sont-ils toujours pertinents pour les registres de suivi post-AMM ?
François Meyer
Ils sont complémentaires, car un certain nombre de données sont nécessaires avant l’AMM. J’ai précédemment cité le projet collaboratif « Get Real » qui vise à définir le meilleur usage de données observationnelles, venant notamment de registres ou de cohortes, dans le cadre du développement des médicaments. Les Adaptive pathways pour une entrée progressive des médicaments avec des données initiales d’études cliniques plus classiques sont également importantes. L’importance des données issues de registres, de cohortes ou de bases de données sera croissante dans les mois et les années à venir.
De la salle
Vous avez parlé de RaDiCo comme d’une structure qui apporte une aide plus humaine que financière pour les cohortes de patients. Envisagez-vous de développer une formation des personnels chargés de récolter les données des cohortes afin d’augmenter les moyens humains et de permettre une action à plus grande échelle ?
Laure Jamot
Cette question fait sans doute référence à la pédagogie qui devrait être faite auprès des investigateurs et des personnels qui recueillent les données cliniques lors de la mise en place des registres ou des cohortes. Lors de cette mise en place, nous travaillons beaucoup au développement d’un outil pédagogique permettant d’utiliser au mieux le recueil des données. En outre, un travail en amont est mené avec les investigateurs impliqués dans les cohortes pour bien définir les items cliniques à collecter, d’une part, et identifier un juste équilibre entre l’exhaustivité, et la donnée importante à recueillir, d’autre part. Nous savons que l’un des écueils majeurs des études cliniques est d’avoir une déplétion au fil du temps du remplissage de formulaires de recueil des données (case report form) pléthoriques.

Chaque cohorte de RaDiCo est gouvernée par un accord de consortium, avec un comité de pilotage et un comité scientifique. En outre, nous impliquons au maximum les filières, tout en veillant à avoir une certaine exhaustivité des centres concernés et une bonne représentativité des patients, afin de permettre une valorisation accélérée de ces cohortes par ce système de gouvernance.

De la salle
L’intégration de données par les patients a été discutée à RARE 2011. Rien n’a-t-il été fait depuis ? Pourquoi ?
Thomas Sannié
L’intégration de données par les patients doit être perçue de manière extrêmement positive, cette intégration témoignant de l’implication d’une population concernée/association et de l’engagement d’un travail collaboratif qu’elle peut/pourrait mener avec les professionnels. Il reste encore visiblement un enjeu culturel et c’est pourquoi l’intégration de données par les patients prend du temps. Cependant, si elle n’était pas mise en place maintenant rapidement, des Living Labs tels que celui développé par l’Association Française des Diabétiques vont se multiplier. Les associations vont ainsi collecter des données de patients sur les enjeux de sciences humaines et de qualité de vie, et les utiliseront à raison. Cela serait, à mon sens, dommage car le recueil des données relatives aux sciences humaines doit être mené en parallèle du recueil des données biomédicales. En effet, les enjeux médicaux et en sciences humaines et sociales (SHS) sont les deux pans d’une même question : l’état de santé d’une population. L’enjeu collaboratif soignant/soigné est donc essentiel ainsi que l’ouverture des registres à des questions SHS.
Jean Donadieu
Nous parlons beaucoup d’interopérabilité car nous souhaitons tous que les systèmes d’information puissent communiquer entre eux. Les bases de données n’étant pas des robots, un temps humain est nécessaire pour analyser les données. FranceCoag fonctionne bien parce que le recueil des données est assuré par des moniteurs d’études, dont la mission est de recueillir, contrôler et saisir les données. Ce temps est incompressible pour assurer la qualité des informations. Dans la réalité, un simple clic ne suffit pas pour passer d’une base à une autre. Pour obtenir une base de données fiable en termes d’indicateurs, il faut éliminer les doublons. Les algorithmes informatiques seuls ne permettent pas d’effectuer cette tâche. Par rapport au coût de la santé, le coût du travail de monitoring n’est pas considérable. Ce travail est indispensable pour utiliser de manière pertinente des masses considérables d’informations.
François Meyer
Vous avez parlé de la réduction des financements et de la nécessité d’avoir des moyens humains pour le recueil et la vérification des données. La situation actuelle est-elle menaçante ?
Jean Donadieu
Clairement, la situation actuelle est très menaçante. Ce problème ne pourra pas être réglé en une table ronde d’une heure. Je plaide pour une remise à plat des financements sur ces projets.
Laure Jamot
L’un des grands enjeux des cohortes sur les maladies rares est l’intégration de toutes les données rétrospectives des patients relevant des files actives. En effet, l’incidence est tellement faible sur certaines pathologies que la mise en place de ces registres/cohortes n’aurait pas d’intérêt à court et moyen terme si on ne faisait que du prospectif. Il est crucial que les données soient propres et objectives et qu’elles puissent être utilisées. Après le travail de mappage des champs, les données doivent être vérifiées. Une réflexion devrait être menée au moment de la création de la base de données afin notamment de définir le système source qui sera utilisé. Ainsi, le travail de data management se fera au fur et à mesure de la collecte – ce qui évitera le nettoyage très laborieux des bases de données quelques années après leur création.
Thomas Sannié
Le maintien des registres va dépendre à la fois d’un argument scientifique – c’est-à-dire de la capacité des scientifiques à plaider leur existence et leur maintien – et d’un argument politique. Le rôle des associations de patients est essentiel pour soutenir les registres et faire en sorte qu’ils soient financés.
Ségolène Aymé
Je souhaiterais apporter à ce débat une vision plus synthétique de la situation en France. Le Comité national des registres se compose du comité d’évaluation et du comité stratégique. Le premier fonctionne. Il continue à s’assurer de la qualité des données, de leur gestion et de leur utilisation, et à rendre des recommandations aux registres qui soumettent leurs dossiers. En revanche, le comité stratégique n’a pas encore débuté son travail. Il commencera peut-être à travailler lors de la réunion du 19 janvier 2016. Nous sentons bien que l’appétit à définir une stratégie nationale des données est très modéré. C’est extrêmement dommageable, dans la mesure où ce sujet revêt de nombreux enjeux pour la recherche, la santé publique et le suivi de thérapies innovantes et coûteuses. Le faible intérêt pour ce sujet est incompréhensible. Nous devrions collectivement faire un effort de pédagogie vis-à-vis des institutions supposées s’intéresser à ce sujet, c’est-à-dire l’INCa, l’InVS et l’Inserm. Ces trois agences sont membres du comité stratégique. Il faudrait aider ce dernier à élaborer une stratégie et lui montrer que les acteurs ont la volonté d’avancer sur ce sujet. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir un paysage aussi éclaté. Les acteurs de terrain réalisent l’intégralité du travail sans aucun soutien. Les budgets des registres ont diminué de 40 % en trois ans. Suite au comité d’évaluation de la semaine dernière, je peux vous dire que l’avenir est encore plus sombre. Nous ne pouvons plus continuer à ne pas avoir de stratégie et à ne pas allouer de moyens.
François Meyer
La raréfaction des moyens ne rend que plus nécessaire la définition d’une stratégie.
Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.