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Med Sci (Paris). 32: 52–54.
doi: 10.1051/medsci/201632s215.

La Finlande : un héritage génétique idéalement mis en valeur

Bjarne Udd,1 Tuy Nga Brignol,2 and J. Andoni Urtizberea3

1Université de Tampere, Finlande
2AFM-Téléthon, Évry, France
3Hôpital Marin, Centre GNMH, FILNEMUS, Hendaye, France
 
Historique

À partir des années 1960, l’intérêt des cliniciens finlandais pour les maladies neuromusculaires (MNM) s’est considérablement développé dans les suites d’un projet de recherche national mené par Reijo Norio Celui-ci, destiné à valoriser le patrimoine génétique du pays, avait permis d’identifier et de répertorier de nombreuses maladies génétiques rares en Finlande [1]. Dans les années 1970, Juhani Rapola et Hannu Kalimo, tous deux neuropathologistes, avaient introduit de nouvelles techniques histochimiques de biopsie musculaire permettant ainsi, pour la première fois, de caractériser des maladies musculaires au-delà de la simple description du déficit musculaire et de l’analyse des arbres généalogiques. C’est à cette époque que de nouvelles entités ont été décrites en Finlande telles que le syndrome muscle-œil-cerveau (Muscle-Eye-Brain ou MEB syndrome) par la neuropédiatre Pirkko Santavuori [2] et la myopathie avec autophagie excessive liée à l’X (XMEA) par Hannu Kalimo [3]. Ces efforts ont également été facilités par le déploiement de nombreux neurophysiologistes dans l’ensemble des hôpitaux du pays disposant de consultations de neurologie. Heikki Lang a été un des pionniers en mettant en place, dès les années 80, un registre national des MNM en collaboration avec l’association de patients nouvellement créée, la Lihastautiliitto-Muskelhandikappförbundet (Association Finlandaise de Dystrophie Musculaire ou FMDA). Ce registre n’a toutefois pas résisté aux bouleversements induits par l’irruption de la génétique moléculaire dans le champ neuromusculaire. La FMDA a néanmoins survécu. Elle a étendu ses activités avec la création d’un centre de soutien aux familles dans la ville de Turku et est devenue membre associé de l’ENMC (European Neuromuscular Center).

À partir des années 1980, un des principaux neurologues d’adultes menant des travaux de recherche tant clinique que génétique sur les MNM aura été Hannu Somer. Celui-ci avait d’ailleurs obtenu son doctorat en étudiant la créatine-phospho-kinase (CPK) [4]. Vint ensuite l’époque triomphale des généticiens. Parmi eux, Leena Peltonen, une chercheuse qui poursuivra sa carrière au prestigieux Institut Sanger en Angleterre, avait utilisé avec profit les marqueurs de type microsatellite rendant ainsi les analyses de liaison plus faciles et plus robustes au sein de familles finlandaises concernées par des génopathies rares et complexes [5].

Parmi les autres pionniers finlandais de la génétique moléculaire moderne, on citera bien évidemment Albert de la Chapelle qui deviendra plus tard directeur de l’Institut de Génétique du Cancer à Cleveland, dans l’Ohio.

Les nouvelles possibilités de compréhension de l’étiologie des MNM rares offertes par les avancées en en biologie moléculaire, ont suscité un regain d’intérêt chez les neurologues. Ceux-ci ont examiné ou ré-examiné des familles atteintes de MNM rares, dont beaucoup d’entre elles ne correspondaient pas aux catégories de MNM alors répertoriées. Ce fut le cas, notamment, pour la forme finlandaise de neuropathie amyloïde causée par une mutation de la gelsoline (FAP5, Meretoja [6]).

la dystrophie musculaire tibiale (TMD, Bjarne Udd [7]) et la dystrophie musculaire des ceintures de type 2J (LGMD 2J, Bjarne Udd [8]).

Ces deux dernières entités étant la conséquence directe de mutations de la titine [9]. Par ailleurs, des thèses de doctorat soutenues par de jeunes médecins (comme Carina Wallgren-Pettersson [10] et Jaako Ignatius [11]) avaient permis de réelles avancées dans la compréhension des myopathies congénitales de type némaline et des amyotrophies spinales infantiles, respectivement. Parmi les trente-trois maladies appartenant au patrimoine génétique finlandais, seules trois sont autosomiques dominantes : FAP5, TMD et un nouveau type de SMA appelé Jokela (SMAJ) et causé par une mutation du gène CHCHD10 [12].

La Finlande en quelques chiffres

  • 5,4 millions d’habitants (Figure 1)
  • 2 langues officielles : le finnois et le suédois
  • 330 000 km2 (taille comparable à celle de l’Italie)
  • 5 facultés de médecine (Helsinki, Tampere, Turku, Kuopio, Oulu)
  • Plus de 400 neurologues répartis dans les 5 hôpitaux universitaires, les 15 hôpitaux centraux et le secteur privé
  • Assurance nationale de santé : oui
  • Centenaire de l’Indépendance en 2017 après la révolution russe de 1917 (après 600 ans de rattachement à la Suède puis un siècle comme Grand-Duché autonome de l’Empire Russe)

L’ère de la génétique moléculaire

L’intérêt croissant des cliniciens finlandais pour les MNM provient en grande partie des nouvelles possibilités offertes par la génétique moléculaire pour expliquer la maladie et le cas échéant la traiter. Non seulement la cause de ces maladies peut être clairement identifiée, mais en plus, la découverte de gènes et protéines jusque là inconnus ouvre des perspectives tant pour la recherche fondamentale que pour une meilleure connaissance des mécanismes physiopathologiques de nombreuses maladies neuromusculaires. Sans la découverte de ces gènes morbides décrits en pathologie humaine, la biologie fondamentale n’aurait jamais atteint un tel niveau de connaissances et ce pour beaucoup des processus intracellulaires se déroulant dans les tissus musculaire et nerveux. Des propriétés fondamentales des protéines ont été mises au jour tout comme des réarrangements d’ADN parfois subtils tels que des expansions de répétitions nucléotidiques, des contractions de ces mêmes expansions, des anomalies d’épissage de l’ARN, ou des mécanismes fondamentaux de biologie cellulaire comme l’autophagie.

Parmi les multiples travaux originaux menés par des équipes finlandaises, on retiendra ceux, très féconds, sur la dystrophie myotonique de type 2 (DM2, ou PROMM). La recherche des expansions pathologiques au sein du gène ZNF9 a été menée en Finlande, en étroite collaboration avec Kenneth Ricker en Allemagne et avec tous les autres chercheurs réunis au sein du consortium international DM2 encouragé par l’ENMC [1315]. Il en est de même concernant le rôle-clé du filament de titine et des différents composants des filaments fins (nébuline, actine, tropomyosine, troponine et tropomoduline) dans le fonctionnement du sarcomère. La physiologie de ce dernier a largement bénéficié de la découverte des gènes correspondants en pathologie humaine. Par ailleurs, Anu Suomalainen [16], grande spécialiste de la mitochondrie, a également élargi ses recherches à la sphère neuromusculaire.

Nombre de ces travaux ont été accomplis grâce aux collaborations initiées et poursuivies par des chercheurs finlandais avec l’ensemble de la communauté myologique. Au cours de ces trente dernières années, ceux-ci ont collectivement publié plus de 600 articles en lien avec les MNM dans des revues scientifiques de très bon niveau. Un rendement impressionnant à tous points de vue.

Activités cliniques et de recherche

Le diagnostic étiologique des patients neuromusculaires finlandais repose désormais sur les techniques les plus récentes de génétique moléculaire et sur l’imagerie (RMN et/ou spectroscopie). La démarche est grandement facilitée depuis la labellisation en 2004 du centre de référence neuromusculaire national dans la ville de Tampere (Tampere NeuroMuscular Center ou TNMC) (Figure 2). Bjarne Udd, à l’origine de sa création, y a transféré l’essentiel des activités cliniques qu’il avait précédemment à Vaasa. Le TNMC est chargé d’étudier aussi le cas des patients sans diagnostic précis. Le TNMC a fourni un diagnostic génétique précis à plus de 1 000 patients au cours des dix premières années d’exploitation. Le centre est maintenant de plus en plus fréquenté par des patients en provenance de pays étrangers, preuve de son excellence en la matière. De nouvelles méthodes innovantes à visée diagnostique ont été mises au point telles que la technique immunocytochimique de double coloration de la myosine pour la séparation des types de fibre, ou le marquage immunohistochimique du canal chlore. Par ailleurs, le centre utilise en routine le séquençage de nouvelle génération (NGS) avec plusieurs panels de gènes ciblés. Le centre collabore activement avec les deux groupes de recherche les plus actifs en myologie en Finlande : celui de Bjarne Udd, dans le TNMC, et celui de Carina Wallgren-Pettersson à l’Institut génétique Folkhälsan d’Helsinki. A eux deux, ils ont ainsi pu décrire une nouvelle entité neuromusculaire par an au cours des 15 dernières années.

L’esprit de collaboration, l’ouverture à l’international et le travail en réseau ont été de tout temps des caractéristiques fondamentales des chercheurs et des cliniciens finlandais. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux animent ou ont animé plusieurs consortiums internationaux, notamment au sein de l’ENMC (myopathies congénitales, DM1, myopathies distales). C’est fort de cette tradition d’excellence et de coopération que le TNMC a naturellement rejoint Réseau Européen de Référence neuromusculaire (EURO-NMD en cours de constitution.

Les liens avec les équipes françaises, enfin, sont particulièrement forts et durables, notamment avec l’Institut de Myologie (autour des myopathies congénitales, des dysferlinopathies et autres myopathies distales, et de bien d’autres pathologies encore) mais aussi avec l’équipe d’Isabelle Richard à Généthon (titinopathies, myopathies des ceintures, etc.).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Norio R. Finnish disease heritage I: characteristics, causes, background . Hum Genet. 2003; ; 112 : :441.–456.
2.
Santavuori P, Somer H, Sainio K, et al. Muscle-eye-brain disease (MEB) . Brain Dev. 1989; ; 11 : :147.–153.
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Kalimo H, Savontaus ML, Lang H, et al. X-linked myopathy with excessive autophagy: a new hereditary muscle disease . Ann Neurol. 1988; ; 23 : :258.–265.
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Somer H, Dubowitz V, Donner M Creatine kinase isoenzymes in neuromuscular diseases . Neuropadiatrie. 1975; ; 6 : :239.–258.
5.
Varilo T, Paunio T, Parker A, et al. The interval of linkage disequilibrium (LD) detected with microsatellite and SNP markers in chromosomes of Finnish populations with different histories . Hum Mol Genet. 2003; ; 12 : :51.–59.
6.
Haltia M, Levy E, Meretoja J, et al. Gelsolin gene mutation-at codon 187-in familial amyloidosis, Finnish: DNA-diagnostic assay . Am J Med Genet. 1992; ; 42 : :357.–359.
7.
Udd B, Kääriäinen H, Somer H Muscular dystrophy with separate phenotypes in a large family . Muscle Nerve. 1991; ; 14 : :1050.–1058.
8.
Udd B, Vihola A, Sarparanta J, et al. Titinopathies and extension of the M-line mutation phenotype beyond distal myopathy and LGMD2J . Neurology. 2005; ; 64 : :636.–642.
9.
Hackman P, Vihola A, Haravuori H, et al. Tibial muscular dystrophy (TMD) is a titinopathy caused by mutations in TTN, the gene encoding the giant skeletal muscle protein titin . Am J Hum Genet. 2002; ; 71 : :492.–500.
10.
Wallgren-Pettersson C, Rapola J, Donner M Pathology of congenital nemaline myopathy . A follow-up study. J Neurol Sci. 1988; ; 83 : :243.–257.
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Ignatius J. The natural history of severe spinal muscular atrophy: further evidence for clinical subtypes . Neuromuscul Disord. 1994; ; 4 : :527.–528.
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Udd B, Meola G, Krahe R, et al. 140th ENMC International workshop: myotonic dystrophy DM2/PROMM and other myotonic dystrophies with guidelines on management . Neuromuscul Disord. 2006; ; 16 : :403.–413.
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Udd B, Meola G, Krahe R, et al. Report of the 115th ENMC workshop: DM2/PROMM and other myotonic dystrophies. 3rd Workshop, 14–16February 2003, Naarden. The Netherlands . Neuromuscul Disord. 2003; ; 13 : :589.–596.
16.
Tyynismaa H, Carroll CJ, Raimundo N, et al. Mitochondrial myopathy induces a starvation-like response . Hum Mol Genet. 2010; ; 19 : :3948.–3958.