Virus Émergents
Comment garder le contrôle ?

Le coronavirus responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient a profondément marqué l’actualité médicale de 2013. En 2009, une nouvelle souche de virus de la grippe A déferlait sur le monde entier depuis le Mexique. Avant cela, ceux du Sras et la grippe aviaire avaient provoqué des centaines de décès en Chine. Tous ont en commun d’être des virus dits émergents, c’est-à-dire des agents pathogènes jusqu’ici inconnus chez l’homme. Le grand public a parfois l’impression d’une multiplication ces dernières années de ces maladies graves. Que sait-on de ces « nouveaux venus » ? D’où viennent-ils ? Doit-on craindre le pire avec de futures pandémies ou bien les scientifiques vont-ils garder la main ?

Un réel danger ?

Les alertes aux nouveaux virus se sont multipliées depuis vingt ans, favorisées par l’évolution des modes de vie. Bien que le nombre total de décès demeure modeste en raison de leur inadaptation à l’organisme humain, la prudence reste de mise pour les scientifiques.

Le battage médiatique, en mai dernier, autour des deux premiers cas français d’infections respiratoires aiguës dues à un nouveau coronavirus, le MERS-CoV (Middle East Respiratory Syndrome coronavirus ) et le retour de la saison de la grippe, auréolés des mauvais souvenirs de la grippe A de 2010, sont autant d’éléments qui sèment le trouble dans les esprits. Mais d’où viennent ces nouveaux virus qui apparaissent, ou réapparaissent, en différents lieux de la planète ? Un virus émergent ne surgit, en effet, jamais du néant. « La définition noble du virus émergent, c’est le virus qui passe la barrière des espèces pour s’en prendre à l’homme », explique Arnaud Fontanet, chef de l’unité Épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur de Paris. Au départ, il y a toujours un réservoir animal où le pathogène est à l’origine confiné, comme les oiseaux sauvages dans le cas de la grippe aviaire, ou les chauves-souris et les rongeurs pour certaines fièvres hémorragiques.

Émergence et propagation

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sur les 335 nouvelles maladies infectieuses découvertes entre 1940 et 2004, 154 sont causées par des virus dont les trois quarts sont des zoonoses provenant de la faune sauvage, c’est-à-dire des infections transmissibles de l’animal à l’homme. Certaines modifications récentes de l’environnement ont favorisé leur mergence, à l’image de la fièvre Ébola, dont la première épidémie recensée date de 1976, suite à l’exploitation forestière, qui a mis des communautés rurales africaines en contact avec les grands singes, eux-mêmes déjà contaminés par les chauves-souris. Celles-ci reviennent très souvent dans l’histoire des émergences. Ce bioterroriste aux ailes membraneuses vit en larges colonies et héberge un très grand nombre de virus, avec lesquels il vit en symbiose. Les Hénipavirus, apparus en Malaisie et au Bangladesh, responsables d’infections respiratoires et d’encéphalites, ainsi que les virus Marbourg et Ébola, eux aussi responsables de fièvres hémorragiques, proviennent tous de ce réservoir animal.
Les virus fraîchement débarqués chez l’homme sont toutefois peu adaptés à leur nouvel hôte. Leur pouvoir de nuisance dépend alors de leur capacité à muter, en particulier au niveau de leurs protéines de surface, afin de se rendre plus compatibles avec notre espèce. La nouvelle souche de virus ainsi créée prend ensuite le pas sur les autres. Plus il y a de cas, plus la probabilité de ce genre d’événement est grande. Les virus responsables ont donc besoin « de contacts prolongés entre l’animal et l’homme. Or, depuis un siècle, la population humaine a été multipliée par quatre. Les élevages sont désormais intensifs, et je ne serais pas étonné qu’il y ait plus de virus émergents dans les prochaines années », fait remarquer Arnaud Fontanet. Ceux récemment observés sont tous des virus à ARNVirus à ARN
Ces virus utilisent un ou plusieurs brins d’ARN, positifs ou négatifs, en guise de patrimoine génétique.
. L’acide ribonucléique est, en effet, un support doté d’une grande fréquence de mutations et de recombinaisons. Ces modifications peuvent être légères, on parle alors de « shift », ou carrément déboucher sur de nouvelles souches de virus, il s’agit alors d’un « drift ». Même les petits changements ont leur importance car ils peuvent affecter l’efficacité des traitements. Ainsi, en septembre dernier, les chercheurs du Réseau SentinellesRéseau Sentinelles
unité 707 Inserm/Université Pierre-et-Marie-Curie
, en association avec le laboratoire Laboratoire BioscopeLaboratoire Bioscope
équipe d’accueil EA7310 Inserm, Université de Corse
, ont identifié un shift de quatre acides aminés entre les souches d’influenza A H3N2 – un des deux types d’influenza circulant actuellement avec le H1N1 - prélevées en Corse lors des hivers 2011-2012 et 2012-2013. Ce modeste changement expliquait pourquoi les vaccins s’étaient montrés moins efficaces d’une année sur l’autre. Un virus peut également émerger dans un pays où il était totalement absent, parce que des malades ou des animaux contaminés traversent les frontières, tel le virus du West Nile, originaire d’oiseaux sauvages d’Afrique de l’Est, qui désormais fait rage depuis dix ans en Amérique du Nord. Ce virus se transmet par des piqûres de moustiques et provoque des encéphalites dans ses formes les plus graves. Les virus influenza de la grippe constituent un cas d’école car ils répondent à tous ces critères à la fois. Ils disposent d’un génome réparti en huit segments sujets à de fréquentes mutations et recombinaisons, et voyagent très facilement. En outre, des virus peuvent s’échanger des « chromosomes » lors d’une co-infection aussi facilement que des cartes Paninis®...
Selon Bruno LinaBruno Lina
EMR 4810, laboratoire de Virologie et pathologie humaine, Hospices Civils de Lyon, Université Lyon 2
, qui dirige le laboratoire Virpath à Lyon, l’autre raison de l’émergence régulière de nouveaux virus influenza tient au fait qu’ils « infectent un spectre très large d’animaux, y compris des mammifères marins, bien qu’à la base ce soit une maladie de l’oiseau. Chez l’homme, seuls le H1N1 et le H3N2 circulent actuellement, alors que, chez l’oiseau, il y a potentiellement 144 souches différentes. » C’est de cette inépuisable réserve de virus aviaires que sont donc issus les célèbres H1N1 et H5N1. Si le premier s’est banalisé pour devenir le principal virus de la grippe saisonnière depuis son émergence en 2009, le second suit une trajectoire plus incertaine.
Selon Bruno Lina « ce virus au pouvoir pathogène élevé n’est aujourd’hui qu’un virus aviaire, inadapté à l’homme, provoquant des cas sporadiques de façon répétée du fait de l’extension incontrôlée et probablement incontrôlable de l’épizootie dans la faune aviaire ». En d’autres termes, le H5N1 se transmet mal à l’homme, mais quand il y parvient, il provoque une grippe très sévère. Ce virus est considéré par l’OMS comme une menace pandémique permanente. Depuis neuf ans, son taux de létalité est stabilisé autour de 60 %, ce qui rendrait catastrophique son adaptation à l’homme. Plusieurs scénarios sont possibles pour cette « humanisation », soit une mutation aléatoire procure un avantage évolutif à un virus alors qu’il est déjà présent chez l’homme, soit il s’agit d’une recombinaison entre des virus aviaire et humain au sein d’un hôte infecté par ces deux agents pathogènes.

Mutation et adaptation

Tous les virus ne combinent pas à la fois, comme celui de la grippe, un taux de mutations élevé et une grande variété d’hôtes. L’Ébola est également un virus à ARN qui mute beaucoup mais dont les populations dominantes demeurent relativement stables. « Il y a une très forte nécessité d’adaptation à l’hôte qui fait que les mutants ne prennent pas facilement le dessus par rapport aux souches dominantes », explique Sylvain BaizeSylvain Baize
unité 1111 Inserm/ENS/ CNRS – Université Claude-Bernard Lyon 1, Centre international de recherche en infectiologie, équipe Biologie des infections virales émergentes (Ciri/Institut Pasteur)
, du Centre international de recherche en infectiologie (Ciri) à Lyon. Très adaptés à leurs hôtes d’origine, les virus responsables des fièvres hémorragiques « sont très “casaniers” et, de plus, trop pathogènes. Leur transmission plus difficile que pour les virus respiratoires et la forte vitesse d’évolution de la maladie sont heureusement un frein important à une propagation massive », précise-t-il. À titre d’exemple, « la fièvre hémorragique de Crimée Congo (CCHF), bien qu’elle ait fait son apparition dans les Balkans et que des portions de son génome aient été retrouvées en Espagne, ne représente pas directement une menace pandémique. Elle demeure néanmoins une maladie très préoccupante. » Le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV), qui défraye la chronique depuis 2012, ne semble pas non plus pressé de s’adapter à l’homme. Anne GoffardAnne Goffard
CHRU de Lille, Pôle de biologie pathologie génétique, Université Lille 2, Centre d’infection et d’immunité de Lille (CIIL), unité 1019 Inserm/CNRS, équipe Virologie moléculaire et cellulaire de l’hépatite C
, de l’Institut Pasteur de Lille, s’est occupée de l’aspect virologique lors de la prise en charge des deux patients français atteints par le syndrome et hospitalisés à Lille depuis mai dernier, dont l’un est décédé et l’autre encore en unité de soins intensifs. « Ce virus a émergé il y a un peu plus d’un an et les mutations qui pourraient le rendre plus pathogène ou plus contagieux n’ont pas encore eu lieu », rappelle-t-elle. Le MERS-CoV partage le même handicap que beaucoup d’autres virus émergents : il se transmet très mal d’un humain à l’autre. C’est ce qui explique le peu de cas observés : 139 cas à travers le monde au 18 octobre. Les chercheurs de l’Institut Pasteur de Paris ont d’ailleurs publié une étude dans The Lancet en août dernier, selon laquelle la version actuelle du MERSCoV ne dispose pas du potentiel pour générer une épidémie mondiale. « Ce n’est que mon avis personnel mais le risque pandémique reste faible, ajoute Anne Goffard. Il faut toutefois le surveiller. L’idéal serait que l’on trouve rapidement le réservoir animal pour que l’on puisse appliquer des mesures de prévention. » La connaissance du réservoir animal est, en effet, essentielle pour protéger les populations, comme le cas du SARS-CoV a pu le montrer. Ce coronavirus à l’origine de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) en 2002 et 2003 provenait de civettes sauvages élevées pour fournir des restaurants de Canton. « Il a suffi d’en arrêter l’élevage et de dire qu’on ne devait plus manger ces animaux pour qu’on n’en entende plus parler », souligne Arnaud Fontanet.

Infection et contamination

À eux trois, le SARS-CoV, le MERS-CoV et le H5N1 totalisent environ un millier de victimes en plus de dix ans, un score bien faible comparé aux 30 millions de morts de l’épidémie de grippe espagnole de 1918. Alors, faut-il vraiment avoir peur ? À cette question, Arnaud Fontanet sourit : « On ne devrait pas, mais, néanmoins, on a peur. Face à des virus à transmission respiratoire, nous sommes tous à risque et comme on voyage aujourd’hui très vite, les virus se déplacent aussi rapidement. » Dans le cas du SARS-CoV, 24 heures après son apparition dans un hôtel de Hong Kong en 2003, des malades étaient déjà signalés dans six pays différents. « Ces maladies émergentes représentent un vrai problème de santé publique, non pas en termes de morbidité ou de mortalité en réalité, mais parce qu’elles ont le potentiel de tout faire basculer en un week-end », complète Arnaud Fontanet. Des gouvernements se retrouvent en 48 heures dans une situation où il faut bloquer les aéroports et mettre des gens en quarantaine. La Cathay Pacific, une des meilleures compagnies aériennes au monde, a failli déposer le bilan après six mois de perturbation à Hong Kong. Un autre virus moins connu, le virus Nipah, a également eu un impact économique retentissant. Avec les virus Hendra, qui touche essentiellement les chevaux australiens, et Cedar, qui n’a pour le moment pas quitté la chauve-souris, Nipah fait partie des Hénipavirus, un genre découvert il y a dix ans. Ils provoquent des lésions de l’appareil respiratoire et du système nerveux. Au Bengladesh, des épidémies de Nipah ont lieu tous les ans, la dernière a touché 24 personnes dont 21 en sont mortes. Le réservoir d’origine est la chauvesouris frugivore mais lors de la toute première manifestation de ce virus chez l’homme, en Malaisie en 1998, c’est le porc qui, en servant d’hôte intermédiaire, lui a permis d’entrer en contact prolongé avec des humains. Selon Branka HorvatBranka Horvat
unité 1111 Inserm/ENS/CNRS – Université Claude-Bernard Lyon 1, Centre international de recherche en infectiologie, équipe Immunobiologie des infections virales
, spécialiste des Hénipavirus au Ciri de Lyon, « l’industrie du porc est très importante en Malaisie, avec des fermes gigantesques. L’infection n’était pas très grave chez les porcs, mais les humains atteints souffraient d’encéphalites, avec une forte mortalité. Les autorités ont donc abattu un million de porcs, entraînant des conséquences catastrophiques sur l’économie du pays. » Depuis la fin de l’année 1999, il n’y a plus eu de nouvel épisode d’épidémie en Malaisie. La mesure a donc été efficace, mais à quel prix ! En résumé, si les virus émergents font pour le moment couler plus d’encre dans les journaux que de sang dans les hôpitaux, la vigilance reste de mise, et ce, d’autant plus que leurs effets néfastes ne se limitent souvent pas à leur simple tableau clinique.

Une menace mondiale ?

Grâce aux réseaux de surveillance mis en place par l'Organisation mondiale de la santé et des organisations nationales comme l'Institut de veille sanitaire en France ou les Centers for Disease Control and Prevention américains, il est possible de dresser une cartographie des épidémies de maladies émergentes de ces 15 dernières années.

[Sur la cartographie, chaque cercle représente le nombre de personnes touchées par le virus et le point noir, le nombre de décès.]
West Nile
  • Genre : Flavivirus de la famille des Flaviviridae (dengue)
  • Origine : Ouganda
  • Réservoir : oiseaux sauvages
  • Vecteur principal : moustique
  • Symptômes : fièvres
  • Complications : encéphalite, paralysie
  • Année d’apparition : 1937 en Ouganda, ré-émergence en Amérique du Nord en 1999
  • Nombre de décès : 1800
H5NI
  • Genre : Influenza de catégorie A de la famille des Orthomyxoviridae
  • Origine : Hong Kong
  • Réservoir : oiseaux sauvages
  • Vecteurs principaux : volatiles domestiques, porcs
  • Symptômes : ceux d’une grippe classique
  • Complications : diarrhées, saignements, atteintes des voies respiratoires inférieures
  • Année d’apparition : 1997
  • Nombre de décès : 374
Virus émergents - Une menace mondiale ?
Virus émergents - Une menace mondiale ?
© Frédérique Koulikoff/Inserm
SARS-Cov
  • Genre : Coronavirus de la famille des Coronaviridae (Sras)
  • Origine : Hong Kong
  • Réservoir : civettes sauvages élevées pour la restauration de luxe
  • Symptômes : poussées de fièvre, toux et gêne respiratoire
  • Année d’apparition : 2003
  • Nombre de décès : 600
H7N9
  • Genre : Influenza de catégorie A de la famille des Orthomyxoviridae
  • Origine : nord de la Chine
  • Réservoir : élevages de canards
  • Symptômes : fièvre et toux évoquant la grippe, puis difficultés respiratoires de jour comme de nuit
  • Année d’apparition : 2013
  • Nombre de décès : 44
Nipah Virus
  • Genre : Hénipavirus, de la famille des Paramyxoviridae (rougeole et oreillons)
  • Origine : Malaisie et Singapour
  • Réservoir : chauve-souris
  • Vecteur principal : porc
  • Symptômes : fièvres, douleurs musculaires, vomissements
  • Complications : encéphalite, paralysie
  • Année d’apparition : 1998
  • Nombre de décès : 400
MERS-CoV
  • Genre : Coronavirus de la famille des Coronaviridae (Sras)
  • Origine : péninsule Arabique
  • Réservoir : inconnu - Soupçons sur le dromadaire et la chauve-souris
  • Symptômes : toux, fièvre et difficultés à respirer
  • Complications : insuffisance respiratoire
  • Année d’apparition : 2012
  • Nombre de décès : 58


Laboratoire P4 de Lyon : Recherches délicates - sous sécurité maximale

C’est un laboratoire comme il n’en n’existe que sept en Europe. Et c’est le plus imposant. Les chercheurs y sont en première ligne face aux virus émergents. Petite plongée au coeur du site de recherche médicale le plus sécurisé de France, le laboratoire P4 Inserm-Jean-Mérieux de Lyon.

« Centrale de traitement de l’air ? », « Ok ! », « Produits de décontamination ? », « C’est bon ! », « Autoclaves ? »... Comme tous les matins, le technicien de biosécurité procède à une minutieuse check-list des organes critiques du laboratoire. L’exercice va se poursuivre encore une bonne demi-heure. Pendant ce temps-là, sur la coursive qui fait le tour du lieu, des scientifiques attendent patiemment le feu vert pour pouvoir franchir les portes de cette zone ultra- sécurisée. Tous sont équipés de casques émetteurs-récepteurs audios afin d’assurer un contact permanent avec le poste central de sécurité. Premier arrêt : le vestiaire où chacun se met à nu et enfile des sous-vêtements jetables. Puis, on se dirige vers le sas des scaphandres. C’est là que chacun revêtira ces tenues taillées sur mesure, conçues à l’origine pour la protection nucléaire et qui permettent de se protéger de tout danger biologique. Bienvenue au laboratoire P4 !
Hervé Raoul - directeur du P4 de Lyon, dont la gestion a été confiée à l’Inserm.
Hervé Raoul - directeur du P4 de Lyon, dont la gestion a été confiée à l’Inserm.
© François Guénet/Inserm
Ce gigantesque pavé de verre sur pilotis est l’un des symboles de l’histoire qui lie la puissante famille Mérieux (Sanofi Pasteur, BioMérieux...) et la ville de Lyon. Dans cet endroit unique en France, des scientifiques venus du monde entier étudient les plus redoutables microorganismes de la planète : les virus Ébola et Marbourg, dont les fièvres hémorragiques tuent jusqu’à 90 % des malades infectés, les virus Nipah et Hendra ainsi que le virus aviaire H5N1. Le laboratoire comprend trois parties dont une animalerie qui héberge et nourrit en milieu clos le temps des expérimentations des petits rongeurs, des primates et même des furets, de bons modèles pour la grippe, car sensibles aux mêmes souches d’influenza que l’homme. Le simple fait d’accueillir un nouveau modèle animal demande d’ailleurs de nombreux aménagements, et surtout une formation sérieuse pour apprendre à les manipuler en toute sécurité compte tenu de leurs spécificités. Afin de se protéger de ces redoutables virus classés dans la catégorie des « pathogènes de classe 4 » (voir encadré), les mesures de sécurité sont draconiennes. À l’entrée comme à la sortie, 70 litres d'une solution biocide sont pulvérisés dans un sas douche pour décontaminer le scaphandre, mais aussi les parois du sas et jusqu’à l’air ambiant. Le mélange liquide est ensuite récupéré pour subir un processus de décontamination de plusieurs heures, ce qui limite le nombre de passages quotidiens. « La règle, en général, c’est de rentrer et de sortir par deux », précise Hervé RaoulHervé Raoul
US3 Inserm, Laboratoire P4 Jean-Mérieux, Virologie, étude des agents pathogènes de classe 4
qui dirige l’installation depuis 2004. « À l’origine, je ne devais rester que trois mois », souritil en poursuivant la visite. Le laboratoire a été construit par la Fondation Mérieux en 1999, avant que le ministère de la Recherche n’en confie la gestion à l’Inserm il y a neuf ans.

Une formation sous haute surveillance

De l’autre côté des parois du laboratoire, des chercheurs se déplacent à pas comptés dans leurs imposants, quoique légers, scaphandres sur-gonflés. Si la moindre entaille survient, l’air doit en sortir et surtout ne pas y entrer. Des tubes jaunes, surnommés « narguilés », pendent à intervalles réguliers pour les alimenter en air respirable et les maintenir en surpression, ce qui oblige à en changer régulièrement quand on se déplace. « Tout est plus lent dans un P4, nous explique Branka Horvat, chercheuse spécialisée dans la famille des Hénipavirus. Il faut être le plus minutieux et surtout le plus calme possible, jamais je ne laisserais postuler au P4 un collaborateur susceptible de paniquer », confie-t-elle. Un tel candidat serait de toute manière refusé par la direction du laboratoire. Avant de poser leur premier orteil dans le premier sas, les chercheurs doivent y être autorisés après examen de leur dossier par le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de la Recherche. Puis, ils suivent trois semaines de formation assurée par l’équipe en charge du laboratoire, afin de maîtriser les protocoles de confinement, les gestes d’urgence et d’être psychologiquement aptes à opérer dans des conditions propices à la claustrophobie.

Des pratiques sous procédures

À longueur de journée, nos bibendums scientifiques inoculent les virus à des tissus vivants in vivo ou in vitro, et cela afin de l’amplifier, d’étudier sa durée d’incubation, sa capacité à muter, les voies de signalisation cellulaire sur lesquelles il agit ou encore de tester l’efficacité d’un traitement ou d’un vaccin. C’est à l’intérieur de ces murs qu’une équipe du Centre international de recherche en infectiologie (Ciri) à Lyon a analysé les génomes d’Ébola prélevés au début et à la fin d’une épidémie, pour découvrir à quel point ce virus évoluait peu.
L’intérieur du P4 est un autre monde où chaque geste est dicté par un manuel de procédures. Ici, on ne se contente pas de sortir les hamsters de leurs cages : « Prenez la boîte de la main non directrice, puis ouvrez-la de la main directrice. Gardez la main non directrice sur la boîte tandis que vous saisissez l’animal. » Chaque type de rongeur doit être saisi d’une manière bien particulière pour ne pas le brusquer et correctement anesthésié avant toute manipulation. Les règles de sécurité ne font, elles non plus, aucune concession. En dehors de ceux qui y travaillent, rien ne ressort vivant de la zone d’expérimentation, à moins qu’il ne s’agisse d’un transfert vers un autre P4 après empaquetage dans trois couches de confinement. C’est le cas, par exemple, pour les coupes de tissus et le matériel génétique extraits dans le P4 qui subissent un processus d’inactivation strict avant d’être expédiés ailleurs pour des analyses dans des conditions plus faciles. Tout le reste subit un traitement de choc, chimique puis thermique, et finit incinéré. Le pire scénario possible ? Une blessure et un contact avec un échantillon, ou encore un incendie. Dans le premier cas, les chercheurs sont entraînés à traiter la plaie elle-même et à décontaminer son environnemnt immédiat. Puis, le blessé est évacué, après une douche de décontamination, vers l’hôpital de la Croix-Rousse situé à une dizaine de kilomètres. Si infection il y a, le patient ne sera pas contagieux avant quelques heures. En cas d’incendie, si le feu n’est pas maîtrisé rapidement, les consignes sont claires : « On laisse tout brûler ! On perd l’outil de nos recherches mais on ne laisse pas les pathogènes et la panique se propager autour ! », prévient Hervé Raoul. Être prêt à sacrifier des années de travail au moindre soupçon, au risque de voir un virus s’échapper dans la nature, c’est là une autre des qualités que l’on demande aux équipes qui viennent au P4.

Une guerre aux multiples visages

La bataille contre les virus émergents se gagne sur le front des traitements mais aussi sur ceux du diagnostic et de la santé publique. Il est donc tout aussi important de les étudier pour mettre au point des armes pour les combattre que de trouver les moyens d’éviter la lutte.

Pour mettre en place les premières mesures de prévention contre une maladie émergente, il faut donc d’abord connaître le réservoir animal du virus. Pour cela, les enquêteurs dressent une liste de suspects en se renseignant sur les animaux côtoyés par les malades. La recherche de traces de l’infection peut ensuite débuter parmi ces candidats mais se révèle souvent difficile… Un exemple : les scientifiques sont encore partagés sur l’origine animale du MERS-CoV. Une étude néerlandaise, parue en octobre dans The Lancet Infectious Disease, étayait l’hypothèse que l’hôte d’origine était le dromadaire tandis que d’autres résultats, publiés par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), démontraient la présence d’extraits du génome viral dans des excréments de chauve-souris. Selon Anne Goffard, « chez les dromadaires d’Oman et égyptiens, les chercheurs n’ont trouvé que des anticorps mais pas d’ARN. Est-ce que ces animaux ont été malades ? Est-ce que c’est une infection récente ou bien chronique ? Est-ce qu’il s’agit du réservoir ou d’un hôte transitoire ? Nous n’en savons rien. » En outre les morceaux d’ARN retrouvés chez la chauve-souris ne mesurent que 200 paires de bases... sur les 30 000 que comprend le génome du MERS-CoV.

Diagnostiquer à temps

Un autre grand défi est celui du diagnostic car souvent les symptômes ne sont pas très clairs. Par exemple, rien ne ressemble plus à un syndrome de détresse respiratoire qu’un autre syndrome de détresse respiratoire. Les symptômes de la grippe aviaire ou du virus Nipah au début de la maladie, sont confus. Selon Branka Horvat, « les premiers symptômes ressemblent à ceux d’une grippe saisonnière mais se développent très rapidement vers une encéphalite. Entre 5 et 10 jours après les premières infections, les premiers cas mortels surviennent. » Même constat avec les fièvres hémorragiques, telle que celle de Lassa, qui se déclarent dans des territoires reculés. Or, les quelques traitements disponibles ne sont efficaces que s’ils sont administrés tôt. Avant que l’on soit certain du coupable, les virus ont donc déjà fait leurs premières victimes. En outre, il faut souvent une confirmation des premiers cas par un centre national de référenceCentres nationaux de référence (CNR)
Unités de recherche et d’expertise chargées de confirmer la présence d’un type de virus dans les échantillons qui lui sont adressés. Il existe un centre de référence pour chaque type de virus ou de bactérie.
, généralement situé loin des zones rurales où démarrent les épidémies, quand ils ne sont pas carrément dans un autre pays. Sylvain Baize connaît bien ce problème avec les fièvres hémorragiques : « La ribavirine fonctionne contre la fièvre de Lassa mais il faut débuter le traitement suffisamment tôt. Donc sur le terrain, c’est raté, d’autres pathologies plus fréquentes seront d’abord envisagées et traitées comme le paludisme, il est trop tard. » L’approche vaccinale n’est, quant à elle, pas toujours facile à envisager contre ces virus qui touchent un nombre trop restreint de patients pour justifier des grandes campagnes de vaccination et tique. Les chercheurs ont donc tenté une approche économiquement plus rationnelle. « On a notamment essayé de rendre le vaccin contre la fièvre jaune bivalent contre Lassa mais cela n’a pas marché, continue Sylvain Baize. On va maintenant essayer de travailler sur une autre approche bivalente. » La vaccination reste cependant une approche plus judicieuse pour les virus à transmission aérienne qui menacent des populations plus larges.
Branka Horvat, immuno-virologiste au Ciri
Branka Horvat, immuno-virologiste au Ciri
© François Guénet/Inserm
Quant aux antiviraux, comme la ribavirine ou les inhibiteurs de la neuraminidaseNeuraminidase
Antigène présent à la surface des virus de la grippe
, ils ne sont pas toujours efficaces. Les virus Nipah, Ébola et Marbourg échappent, par exemple, à tout traitement. Seule solution : améliorer la connaissance des mécanismes fondamentaux de l’infection des cellules hôtes. Les chercheurs du laboratoire Virpath, à Lyon, explorent la manière dont certaines protéines virales des virus influenza interagissent avec la protéine P53 pour empêcher l’apoptoseApoptose
Mort cellulaire programmée
et garder la cellule en vie afin de produire plus de virus. Il est possible que ce mécanisme soit commun à beaucoup de virus, ce qui ouvrirait de nouvelles pistes thérapeutiques.
Observation de cellules auxquelles on a transféré un gène du virus Nipah.
Observation de cellules auxquelles on a transféré un gène du virus Nipah.
© François Guénet/Inserm

La polémique du super-virus

Les ressources en matière de recherche n’étant pas extensibles à l’infini, il faut savoir où chercher et surtout quels virus disposent d’un potentiel pandémique suffisant pour qu’il faille s’y concentrer. C’est la raison qui a poussé, en 2012, le Néerlandais Ron Fouchier, du centre médical Erasme à Rotterdam, et l’Américain Yoshihiro Kawaoka, de l’Université du Wiskonsin-Madison, à lancer un projet de création en laboratoire d’un super-virus mutant H5N1 capable de se transmettre entre mammifères. Ces travaux furent si controversés que l’agence de biosécurité américaine – The National Science Advisory Board for Biosecurity – a, un temps, envisagé de ne pas autoriser leur publication, ce qui a néanmoins été fait dans Science et Nature. Selon Bruno Lina, ces résultats sont très importants car « le H5N1 est un virus pour lequel on dit qu’il y a un risque pandémique depuis dix ans alors qu’il ne se passe rien. L’objectif était de trouver quelle serait la mutation qui pourrait permettre une transmission inter-humaine. » L’équipe de Ron Fouchier a donc provoqué deux mutations dans l’hémagglutinine, un antigène présent à la surface du virus et responsable de sa fixation sur des récepteurs de la cellule cible. Ils espéraient ainsi modifier cet antigène qui se fixait jusqu’alors sur des récepteurs aviaires afin qu’il puisse se connecter plus facilement à des récepteurs humains. Or, il a été observé qu’une version mutée de ce virus se transmettait par voies aériennes entre furets, ce qui suppose que ce virus se transmettrait également entre hommes, le furet étant sensible aux mêmes souches d’influenza que l’homme. Plus important encore, on connaît désormais les mutations nécessaires à l’adaptation de ce virus à l’homme.
Les virus influenza sont stockés à – 80 °C.
Les virus influenza sont stockés à – 80 °C.
© Patrice Latron/Inserm
« Il suffit de cinq mutations d’acides aminés dans son ARN pour que le virus soit transmissible entre hommes. On a donc une connaissance aujourd’hui beaucoup plus précise du risque, explique Bruno Lina. Si demain on découvre une souche de virus qui comporte quatre mutations dans un réservoir animal, alors on sait qu’il faudra éradiquer le risque avant que la cinquième mutation ne survienne. » De son côté, l’équipe Immunobiologie de l’infection virale du Ciri, à Lyon, essaye de comprendre pourquoi les Hénipavirus ne provoquent pas de maladie chez leur hôte naturel, chauves-souris frugifores, comme ils le font chez la plupart des autres mammifères, une fois passée la barrière des espèces. Comprendre les subtiles différences dans l’interaction entre ces virus et les hôtes différents pourrait fournir aux chercheurs de bonnes pistes pour expliquer les mécanismes qui sous-tendent l’émergence d’une pathogénicité dirigée contre l’homme.
Ces nouvelles maladies sont une menace qui n’ira pas en s’amenuisant. Nul ne sait quel sera le prochain virus émergent, sa famille, son mode de transmission, ni même dans quelle région du monde il sévira. Mais la connaissance de ses mécanismes d’apparition donnent de plus en plus les moyens de réaction rapide et de prévision de son comportement lors de son adaptation à l’homme. Par ailleurs, d’autres leviers devront être actionnés pour vaincre ces virus. Le rapport de la sénatrice Fabienne Keller de 2012, qui traite des maladies infectieuses émergentes dans leur ensemble, estime « qu’il faut agir également sur l’urbanisme des principales aires d’émergence, sur les méthodes d’élevage et l’exploitation des forêts où vivent nombre d’animaux réservoirs de virus, sur la hausse de la circulation des personnes et marchandises, mais qu’il faut également enrayer la fuite des médecins des pays du Sud vers les pays du Nord ». La guerre contre ces virus ne se gagnera donc pas uniquement au sein des laboratoires, mais aussi en menant une politique globale de santé publique à une échelle mondiale, à la hauteur de leur potentiel épidémique.

Dossier réalisé par Damien Coulomb