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Med Sci (Paris). 33(3): 297–304.
doi: 10.1051/medsci/20173303017.

Autophagie et vision

Beatriz Villarejo-Zori1 and Patricia Boya, Traduction française de Thierry Jouault1*

1Autophagy Lab, Department of Cellular and Molecular Biology, Centro de investigaciones Biológicas, CSIC, Ramiro de Maeztu 9, 28040Madrid, Espagne
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Inserm-Hanon Khabou).

La rétine est un tissu sensible à la lumière qui détecte et traite les images visuelles. Doublant la surface interne de l’œil, elle détecte la lumière et crée des impulsions qui transitent par le nerf optique jusqu’au cerveau. Décrite par Santiago Ramón y Cajal, il y a plus de 100 ans, la rétine est composée de plusieurs types de cellules disposées en couches (Figure 1) : trois couches de corps de cellules nerveuses et deux couches de synapses. La couche nucléaire externe (Figure 1A) est constituée des photorécepteurs, des cellules sensibles à la lumière regroupées en deux grandes classes, les bâtonnets et les cônes (Figure 1A, b). Ces cellules se connectent au niveau de la couche plexiforme externe (Figure 1C) avec des cellules amacrines et bipolaires dont les noyaux forment la couche nucléaire interne (Figure 1D). Dans la couche plexiforme interne (Figure 1E), les cellules amacrines bipolaires se connectent avec les cellules rétiniennes ganglionnaires (RGC) (Figure 1F), les seuls neurones de projection de la rétine dont les axones forment le nerf optique (Figure 1G) qui la relie au cerveau. À côté de ces cellules nerveuses, la rétine est également constituée de cellules gliales, appelées cellules de Müller. Localisées immédiatement à l’extérieur de la neurorétine, en contact étroit avec les cellules photoréceptrices, les cellules épithéliales rétiniennes pigmentées (RPE) participent au renouvellement du segment extérieur des photorécepteurs, tout en leur fournissant un support.

L’autophagie est une voie catabolique permettant la dégradation et le recyclage des composants cellulaires. Des protéines, des lipides et des organites entiers (mitochondries) sont ainsi pris en charge par des autophagosomes et délivrés aux lysosomes afin de les éliminer [47] ().

(→) Voir la Nouvelle de E. Morel, page 217 de ce numéro

En réponse au stress, ce processus permet la dégradation de composants cellulaires altérés qui sont recyclés et permettent l’apport de nutriments nécessaires au maintien de l’homéostasie cellulaire. L’autophagie joue un rôle important dans le contrôle de qualité cellulaire, en particulier pour les neurones, dans lesquels les protéines altérées et les organelles endommagées ne peuvent être redistribuées, après division cellulaire, à des cellules filles.

Les recherches sur le rôle de l’autophagie dans le système visuel ne sont qu’à leurs prémices. La rétine, et l’œil en général, sont exposés à une grande variété d’agressions et de facteurs de stress environnementaux. Ils sont également sujets à diverses mutations génétiques et soumis aux modifications liées à l’âge qui altèrent leur fonction [1]. Nous présentons, dans cette revue, les principales études portant sur l’importance de l’autophagie dans la fonction visuelle. En examinant les conséquences de la régulation de l’autophagie dans différents types de cellules rétiniennes, nous aborderons le rôle essentiel des régulateurs de ce processus dans le maintien de l’homéostasie de la rétine dans des conditions physiologiques et dans des situations de stress. Nous décrirons également le rôle que joue l’autophagie dans la survie des photorécepteurs et dans des pathologies liées à l’âge, comme la dégénérescence maculaire et le glaucome. Nous discuterons enfin de la possibilité de l’utilisation de l’autophagie pour la protection des cellules de la rétine avec, pour corollaire, l’évocation de nouvelles approches thérapeutiques permettant de remédier à la cécité et à d’autres maladies de l’œil.

Rôle de l’autophagie dans les cellules rétiniennes : des preuves issues des analyses d’animaux déficients pour l’autophagie

Depuis la découverte des gènes ATG (autophagy related genes), de nombreux modèles animaux déficients ont été générés permettant de comprendre le rôle de l’autophagie dans différents tissus. En général, l’absence totale d’autophagie se traduit par une mort embryonnaire ou postnatale précoce [2]. L’incidence des déficiences génétiques sur la rétine ne peut donc être évaluée dans ces modèles « classiques ». En revanche, les modèles de déficit partiel, comme les souris déficientes en ATG4B qui survivent jusqu’à l’âge adulte, représentent un excellent modèle pour l’étude de l’autophagie dans les tissus à l’âge adulte. Les souris déficientes en ATG4B ne présentent pas de modifications majeures sur le plan histopathologique ou biochimique bien que l’autophagie soit réduite (mais pas abolie) dans de nombreux tissus [3], y compris au niveau de la rétine [4]. En effet, dans des conditions physiologiques normales, les rétines de souris ATG4B-/- ne présentent pas d’altération. Elles sont cependant plus sensibles au stress, l’axotomie1, du nerf optique conduisant chez ces animaux à une survie réduite des cellules rétiniennes ganglionnaires (RGC) par rapport aux souris sauvages [4, 5]. Ces données suggèrent donc que même légère, une réduction du niveau d’autophagie rétinienne peut altérer la capacité des cellules à répondre à un stress. Les souris BECN1+/- (l’homologue d’ATG6, qui code la protéine autophagique Beclin-1) ne présentent pas, elles non plus, de modifications morphologiques de la rétine mais l’exposition à la lumière brillante de ces animaux provoque des lésions avec dégénérescence de la rétine et altérations des photorécepteurs [6]. Ces souris présentent également des atteintes des cellules épithéliales rétiniennes pigmentées (RPE) avec des dommages nucléaires, une vacuolisation cytoplasmique et des mitochondries enflées et altérées. Ces deux modèles animaux de déficience partielle d’autophagie indiquent ainsi qu’une réduction même légère des niveaux d’autophagie peut se traduire par des altérations de la rétine dans des conditions de stress.

Des modèles de souris déficientes en autophagie spécifiquement au niveau de plusieurs types de cellules ont été générés. Les phénotypes obtenus au niveau rétinien sont résumés dans le Tableau I. Les premières souris ont été invalidées pour des gènes de l’autophagie spécifiquement dans les précurseurs des neurones. Dans ce cas, la progéniture présentait un phénotype neurodégénératif évident, entraînant la mort des animaux à environ 3 mois [7]. Ces souris présentaient également des altérations rétiniennes importantes, dès 5 semaines de développement, avec une augmentation des niveaux de p62 (un partenaire de l’autophagie récepteur des protéines ubiquitinées), une accumulation d’ubiquitine dans toutes les couches de la rétine, et la mort des cellules photoréceptrices [8] (Tableau I). Ces observations suggéraient donc qu’un niveau basal d’autophagie dans les précurseurs neuronaux était nécessaire afin de maintenir la physiologie normale de la rétine et que la diminution des niveaux d’expression des gènes d’autophagie, en particulier ATG5, conduisait à une neurodégénérescence des photorécepteurs [8] (Figure 2).

Régulation de l’autophagie dans les cellules épithéliales rétiniennes pigmentées
Les cellules épithéliales rétiniennes pigmentées (RPE) sont localisées en dehors de la couche de photorécepteurs de la rétine neurale. Elles forment une couche cellulaire unique assise sur une membrane basale. Les cellules RPE sont essentielles pour le bon fonctionnement des photorécepteurs. Elles leur fournissent un soutien nutritionnel en participant à leur renouvellement (photoreceptor disk shedding) par phagocytose, et à la dégradation et au recyclage des segments externes des cellules photoréceptrices apicales (POS), ce qui permet le renouvellement des pigments visuels. Deux modèles de souris déficientes en ATG5 ou en ATG7 spécifiquement au niveau de l’épithélium pigmentaire de la rétine, ont été générés. Les jeunes animaux ATG5ΔRPE ont une fonction rétinienne normale. En revanche, les animaux plus âgés présentent une activité réduite des photorécepteurs qui, étonnamment, n’est pas corrélée à une réduction du nombre de cônes ou de bâtonnets, mais est le résultat d’une récupération insuffisante des rétinoïdes et de modifications ultérieures de la fonction visuelle [9]. Pour les souris déficientes en ATG7 spécifiquement dans les cellules RPE (ATG7ΔRPE ), aucun effet n’a été identifié sur le recyclage des rétinoïdes ou la fonction visuelle chez les jeunes animaux [10]. Ces différences pourraient être expliquées par les souches de souris utilisées ou leur âge mais cela reste à confirmer (Tableau I). Des études récentes ont été menées sur des animaux invalidés pour le gène RB1CC1 (RBI1[retinoblastoma-associated protein]-inducible coiled-coil 1) dans les cellules RPE. RB1CC1, également connu sous le nom de FIP200 (FAK family kinase-interacting protein of 200 kDa), est l’un des composants du complexe formé entre ULK1 (Unc-51-like autophagy activating kinase 1), ATG13 et FIP200, qui initie le processus d’autophagie, en aval de mTOR (mammalian target of rapamycin complex) [11]. Les souris dépourvues d’expression de RB1CC1 présentent une atrophie des cellules RPE dès l’âge de 4 mois, qui se traduit par des altérations marquées de la couche de cellules RPE avec une infiltration de macrophages et l’activation de la microglie [12]. L’accumulation, au niveau de ces cellules, de protéines et de lipides oxydés et une autofluorescence, suggèrent l’accumulation de lipofuscine (un pigment lipidique formé à partir des débris cellulaires), conséquence de la diminution d’autophagie. La perte d’autophagie chez ces animaux produit également un amincissement de la couche de photorécepteurs et, consécutivement, une altération de la fonction visuelle. Ces caractéristiques sont similaires aux dommages spécifiques observés dans la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), ce qui suggère que l’activité de FIP200 dans les cellules RPE est essentielle pour le maintien de la fonction visuelle et que des perturbations de cette protéine conduisent à une altération progressive ressemblant à la DMLA [12]. L’autophagie a donc un rôle essentiel dans le maintien de l’homéostasie des cellules RPE et de la couche de cellules photoréceptrices nécessaires à la fonction visuelle.
Des modèles de souris de déficience d’autophagie dans les photorécepteurs
Les photorécepteurs sont des cellules nerveuses de la rétine qui capturent la lumière et déclenchent une chaîne de processus biologiques connus sous le nom de phototransduction. Les photorécepteurs rétiniens sont des cellules très spécialisées. Il en existe de deux types, les bâtonnets et les cônes, qui sont respectivement responsables de la vision nocturne et de la vision diurne des couleurs. Bien que plusieurs mécanismes cytoprotecteurs existent, de nombreuses situations pathologiques provoquent l’altération et la mort de ces cellules, conduisant à des défauts de la vision. Une étude récente a évalué les conséquences de la suppression d’ATG7 dans les bâtonnets, qui permettent la vision en lumière faible [6] (Tableau I). Chez ces souris ATG7ΔRod, aucune altération n’a été observée lorsque les animaux étaient en conditions d’éclairage normal. Cependant, comme dans le cas des souris BECN1+/-, l’exposition de ces souris à un éclairage intense induit une dégénérescence de la rétine et une mort des photorécepteurs [6]. La suppression d’ATG5 dans les bâtonnets se traduit par des résultats radicalement différents [13]. En effet, les souris ATG5ΔRod présentent une perte des photorécepteurs, en relation avec leur mort apoptotique, qui dépend de l’âge. Cette dégénérescence qui est observée également chez des animaux qui ont été élevés dans l’obscurité, est induite par la lumière intense [13]. Chez ces souris ATG5ΔRod, une légère diminution du nombre de cônes est également observée, ce qui suggère que la suppression du gène ATG5 dans les bâtonnets peut également affecter les cônes. Dans les bâtonnets, la suppression des gènes ATG5 et ATG7 a donc des effets qui diffèrent mais, là encore, les conditions expérimentales pourraient expliquer ces divergences. Un modèle de souris dans lesquelles ATG5 a été supprimé spécifiquement dans les cônes a également été développé [14]. Les souris ATG5ΔCone présentent des altérations du nombre de cônes qui apparaissent très tôt avec l’âge, avec une fonction réduite des cellules à l’âge de 10 mois. Une accumulation de p62 dans les mitochondries et dans le segment intérieur des photorécepteurs est observée dans les cônes des souris ATG5ΔCone âgées de 7 semaines, par rapport aux animaux sauvages. Ces amas dépendent de l’âge des animaux indiquant une progression de la dégénérescence des cônes photorécepteurs après modulation de l’autophagie. L’extinction spécifique d’ATG5 dans les cônes provoque, en outre, une sensibilité accrue à la lumière [14]. La suppression d’ATG5 dans les cônes rend ainsi ces cellules sensibles au vieillissement et à la dégénérescence induite par la lumière. L’autophagie semble donc essentielle pour préserver la survie des cônes et des bâtonnets, une déficience d’autophagie dans ces cellules les rendant plus sensibles aux dommages induits par des conditions de stress comme ceux provoqués par la lumière.
Altération de l’autophagie dans les cellules ganglionnaires de la rétine
Les cellules ganglionnaires rétiniennes (RGC) sont des neurones de la rétine qui font saillie ; leurs axones forment le nerf optique, permettant la transmission des informations visuelles au cerveau [15]. Aucune souris présentant un déficit spécifique de l’autophagie au niveau des cellules ganglionnaires rétiniennes n’a été générée à ce jour. Néanmoins, des études fondées sur l’utilisation de vecteurs viraux comme AAV2 (adeno-associated virus 2) ciblant spécifiquement les RGC ont permis d’étudier les effets de la baisse de niveaux de l’autophagie dans ces cellules [4]. L’altération d’ATG5 rend ainsi les RGC plus sensibles à l’axotomie du nerf optique. Les souris ATG5flox/flox, ayant reçu le vecteur AAV2-GFP-Cre, présentent en effet une réduction de la survie des cellules après axotomie [5], ce qui montre le rôle cytoprotecteur de l’autophagie pour la survie des RGC dans des conditions de lésions axonales.

Les processus d’autophagie apparaissent donc nécessaires pour préserver l’homéostasie de tous les types de cellules rétiniennes : la suppression d’ATG5, par exemple, étant à l’origine de phénotypes qui se rapprochent de ceux observés dans les maladies rétiniennes comme la DMLA. De nombreux modèles murins déficients en autophagie présentent une sensibilité accrue aux dommages induits par la lumière ou aux altérations axonales, soulignant ainsi l’importance de l’autophagie au cours de la réponse au stress cellulaire, dans la rétine.

L’autophagie et les maladies rétiniennes
La dégénérescence maculaire liée à l’âge
La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA ou, en anglais, AMD pour age-related macular degeneration) est une rétinopathie bilatérale affectant la macula, la région centrale de la rétine. Elle est une cause majeure de déficience visuelle chez les personnes âgées. La macula est le principal site de la vision photopique (ou diurne). Elle est constituée de la fovéa, une zone où se concentrent les cônes responsables de la vision diurne. La dégénérescence des cellules RPE est l’une des caractéristiques de la DMLA. Comme nous l’avons vu, les cellules RPE sont essentielles pour la survie et le bon fonctionnement des photorécepteurs. Elles apportent aux cellules les éléments nutritifs et sont responsables du renouvellement par phagocytose des cellules photoréceptrices apicales. Les cellules RPE sont des cellules post-mitotiques, ce qui suggère qu’elles présentent des niveaux élevés d’autophagie et autres mécanismes de détoxication. Ces cellules, résistantes au stress oxydatif, présentent une autophagie très active, ce qui améliore leur capacité à éliminer des structures cellulaires endommagées [16]. Elles sont exposées à des niveaux élevés d’oxygène et elles métabolisent une quantité importante de membranes cellulaires provenant des photorécepteurs exposés à une lumière constante. Ces conditions favorisent la formation de lipofuscine, qui entraîne des dommages cellulaires, dont des composants, comme le A2-E2, inhibent la pompe à protons lysosomale, l’augmentation de pH et l’activité des hydrolases lysosomales [17]. L’incubation in vitro de cellules RPE humaines immortalisées avec des segments externes de photorécepteurs induit l’accumulation de lipofuscine [18]. La peroxydation de ces segments aggrave encore ce processus en induisant une dysfonction lysosomale bloquant à son tour la dégradation des protéines par autophagie [18]. Dans les cellules ARPE-19, une lignée de cellules RPE humaines transformées, l’inhibition de l’autophagie avec la 3-MA (3-methyladenine) induit l’accumulation de lipofuscine. Les altérations lysosomales, l’accumulation de lipofuscine et la réduction de l’autophagie sont donc des événements qui peuvent contribuer au dysfonctionnement des cellules RPE. Ils pourraient influencer l’apparition et la progression de la DMLA.
Le glaucome et les altérations du nerf optique
Le glaucome regroupe des maladies oculaires caractérisées par des altérations du nerf optique et la perte de vision. Cette pathologie qui affecte 70 millions de personnes à travers le monde, est la deuxième cause de cécité. Elle a pour origine une dégénérescence lente et progressive des cellules ganglionnaires rétiniennes (RGC) et de leurs axones. Le facteur de risque le plus important pour le développement du glaucome est une pression intraoculaire élevée ; la majorité des traitements actuels visent donc à abaisser cette pression intraoculaire. Des dommages au nerf optique surviennent cependant dans certains cas (par exemple le glaucome à tension normale) en dépit de pressions intraoculaires normales [19]. Au cours des dernières années, plusieurs modèles animaux ont été utilisés pour étudier le rôle de l’autophagie dans le glaucome et la mort des RGC. Une étude utilisant un modèle de section du nerf optique chez le rat, a montré une expression accrue de l’ARNm (ARN messager) de plusieurs gènes de l’autophagie, 3 jours après la lésion. La culture de cellules neuronales en l’absence de sérum (déprivation) conduit parallèlement à une augmentation de la mort cellulaire, ce qui suggère un rôle de l’autophagie dans la survie de ces cellules. De ces observations, l’hypothèse que l’autophagie peut constituer une réponse cytoprotectrice dans les RGC, après une lésion axonale, a été émise [20]. Plusieurs études réalisées ultérieurement ont validé cette hypothèse. Dans un modèle murin d’axotomie du nerf optique, l’amélioration pharmacologique de l’autophagie, à l’aide de rapamycine, un inhibiteur de mTOR, a permis de diminuer la dégénérescence des RGC [4] et des animaux n’exprimant pas ATG4B ont présenté une mort cellulaire accrue après axotomie, malgré l’absence de lésions de la rétine en conditions physiologiques [4]. Le traitement à la rapamycine permet également de remédier à la perte de RGC in vivo, dans un modèle d’hypertension oculaire chronique développé chez le rat [21], et in vitro, dans des modèles cellulaires surexprimant la mutation E50K du gène de l’optineurine OPTN 3 [22, 23]. L’effet cytoprotecteur de l’augmentation du flux autophagique a également été démontré dans un modèle d’écrasement du nerf optique qui induit une augmentation du calcium intracellulaire et active la calpaïne, une protéase cytosolique [24]. D’autres études utilisant des inhibiteurs pharmacologiques ne confirment cependant pas totalement ce rôle de protection après lésions axonales [25, 26]. Néanmoins, ces différentes observations suggèrent un rôle important de l’autophagie dans la survie des RGC en conditions de stress.
Les dystrophies rétiniennes
Les dystrophies rétiniennes sont un sous-ensemble de maladies dégénératives résultant de la mort des cellules photoréceptrices. Dans certains cas, les bâtonnets sont d’abord affectés, provoquant une perte de vision de nuit. La maladie progresse ensuite et conduit à la mort cellulaire des cônes à l’origine d’une cécité complète [27]. La rétinite pigmentaire (RP), l’une de ces dystrophies, est causée par des mutations qui touchent au moins 35 gènes différents qui se traduisent par des modifications de l’homéostasie des photorécepteurs aboutissant à leur mort cellulaire. Les premières études, utilisant différents modèles de RP, décrivent une activation de l’autophagie, comme en témoigne la lipidation de LC3 (microtubule-associated protein 1 light chain 3), un orthologue d’Atg8 [28, 29]. Il n’a cependant pas été déterminé si l’autophagie contribuait activement à la disparition de la cellule, ou si elle constituait une réponse cytoprotectrice [29]. Dans quatre modèles différents de RP, utilisant une analyse par micropuces au moment du pic de mort cellulaire des cônes, Punzo et ses collègues ont montré une surexpression de plusieurs gènes impliqués dans la voie insuline/mTOR, suggérant la possible implication des conditions de déprivation dans les atteintes rétiniennes [30].

La RP autosomique dominante peut avoir pour origine des mutations qui touchent le gène de la rhodopsine. Elle conduit à la mort des cellules photoréceptrices par induction d’un stress du réticulum endoplasmique (RE) faisant suite à l’accumulation de protéines mal conformées [31, 32]. Récemment, une étude a rapporté une amélioration de la fonction visuelle après traitement à la rapamycine chez des souris présentant des mutations affectant le gène codant la rhodopsine [33]. Le traitement à la rapamycine ne semble cependant pas modifier les taux de protéines impliquées dans l’autophagie, les effets bénéfiques de la rapamycine pouvant être liés à l’activation de l’UPR (unfolded protein response) par les protéines mal conformées. Ces données suggèrent que les effets bénéfiques observés pourraient impliquer l’élimination d’agrégats de protéines toxiques, comme cela a été décrit dans d’autres modèles de maladies neurodégénératives.

La souris Rd10 est un modèle de RP humaine largement utilisé. Elle porte une mutation au niveau du gène PDE6B (phosphodiesterase 6B) qui code une phosphodiestérase spécifique des bâtonnets [34, 35]. Cette mutation provoque une diminution de la fonction de l’enzyme, une augmentation des concentrations de GMPc (guanosine 3’,5’-monophosphate cyclique), et la mort cellulaire des bâtonnets [36]. Nous avons récemment décrit, chez ces souris, une accumulation massive de calcium intracellulaire et une activation de la m-calpaïne (calpaïne-2) précédant la mort des cellules photoréceptrices, corrélées à une réduction du flux autophagique [37]. La mort cellulaire des photorécepteurs chez les souris Rd10 a pu être atténuée in vitro, ex vivo et in vivo par des inhibiteurs de calpaïnes et des cathepsines, montrant que le dysfonctionnement lysosomal, qui dépend de la calpaïne, et la diminution d’autophagie étaient reliés à la mort des photorécepteurs [37]. Ces résultats suggèrent que, comme cela a été décrit pour la maladie d’Alzheimer et les accidents vasculaires cérébraux, la mort des cellules photoréceptrices, observée chez les souris Rd10, peut se produire par un processus impliquant les calpaïnes/cathepsines qui conduit finalement à des dommages lysosomaux, à la perméabilisation de la membrane lysosomale et à la mort de la cellule [3739]. Ce processus est souvent accompagné d’une réduction du flux autophagique. Il semble donc que les stratégies neuroprotectrices développées pour ces pathologies devraient également inclure une restauration de l’activité lysosomale.

Autophagie et vieillissement de la fonction visuelle
Le déclin de la fonction visuelle qui accompagne souvent le vieillissement est considéré comme une conséquence de la dégénérescence rétinienne et de la perte de cellules rétiniennes [40]. Le vieillissement est également lié à une diminution générale de l’activité des voies protéolytiques [41, 42] parmi lesquelles la macroautophagie, l’autophagie relayée par les chaperonnes (CMA) et le système ubiquitine-protéasome [43]. Une diminution de l’expression des ARN messagers de plusieurs régulateurs de l’autophagie, corrélée à une baisse du flux autophagique, est observée chez les souris âgées de deux ans [8]. Cet effet est accompagné d’une accumulation de lipofuscine, d’altérations morphologiques des cellules RPE et de la mort des photorécepteurs [8]. De manière surprenante, la CMA est augmentée dans les rétines âgées, ce qui contraste avec la diminution liée à l’âge de l’activité de cette voie décrite dans d’autres organes [44, 45]. À noter que l’on observe également une surexpression de la CMA chez les souris dont le gène ATG5 est supprimé spécifiquement dans les précurseurs neuronaux, soutenant l’idée d’une augmentation généralisée de la CMA lorsque la macroautophagie est altérée, et suggérant que le maintien de l’homéostasie cellulaire dépend du « dialogue » établi entre différentes voies protéolytiques [8]. Élucider le mécanisme à l’origine du vieillissement de la rétine devrait permettre la conception de nouvelles stratégies thérapeutiques afin de prévenir les dysfonctionnements de la fonction visuelle associés au processus normal de vieillissement mais aussi aux pathologies rétiniennes liées à l’âge.

Dans la dernière décennie, un intérêt considérable a été porté sur le développement de nouvelles interventions thérapeutiques ayant pour fondement les processus d’autophagie. Des études sur les effets d’inducteurs de l’autophagie, comme la rapamycine, dans plusieurs modèles expérimentaux de maladies de la rétine et de l’œil, dont le glaucome et la DMLA, ont permis de démontrer leurs effets bénéfiques. À côté du développement d’agents qui stimulent l’autophagie, en augmentant la formation d’autophagosomes, l’amélioration de la fonction lysosomale peut également présenter des avantages certains pour des pathologies ayant pour origine des défauts d’activité lysosomale [46]. Les études que nous avons rapportées mettent en évidence le rôle important de l’autophagie dans le maintien de la fonction rétinienne et des yeux. Des rôles clés joués par l’autophagie dans les cellules photoréceptrices ont été montrés. Ils comprennent : le recyclage des POS (photoreceptor outer segments), la prévention de l’accumulation de lipofuscine et la protection contre l’agrégation des protéines permettant d’empêcher l’oxydation et ainsi de réduire le stress du réticulum endoplasmique. Enfin, dans les RGC, l’autophagie est impliquée dans l’homéostasie axonale. Elle exerce une fonction de protection qui pourrait être induite en diminuant les niveaux de ROS (reactive oxygen species) et en maintenant la fonction mitochondriale. Il ressort de la littérature que les altérations de l’autophagie et des voies lysosomales sont impliquées dans de nombreux cas de maladies de l’œil. La baisse de l’activité lysosomale liée à l’âge exacerbe également les défauts d’autophagie. Il apparaît donc nécessaire de développer de nouvelles thérapies prenant en compte à la fois les processus d’autophagie et la fonction lysosomale.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Section d’un axone.
2 La lipofuscine est un complexe de pigments dont le principal est le A2-E, un chromophore hydrophobe.
3 Mutation associée au glaucome.
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