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Med Sci (Paris). 33(8-9): 723–726.
doi: 10.1051/medsci/20173308012.

Déficit des réponses lymphocytaires T CD8 spécifiques du VIH
Les lymphocytes T régulateurs sont-ils les coupables ?

Maria Nikolova,1* Aurélie Wiedemann,2 Christine Lacabaratz,2 and Yves Lévy2,3

1Département d’immunologie, Centre national des maladies infectieuses et parasitaires, 26, rue Yanko Sakazov, 1504Sofia, Bulgarie
2Inserm U955, équipe 16/Vaccine Research Institute, Institut Mondor de recherche biomédicale (IMRB), 51, avenue Maréchal de Lattre de Tassigny94010Créteil, France
3AP-HP, groupe Henri-Mondor Albert-Chenevier, Immunologie clinique, 94010Créteil, France
Corresponding author.
 

Le pronostic de l’infection par le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) a été transformé par l’avènement des combinaisons de traitements antiviraux. Si la mortalité et la morbidité de l’infection ont effectivement été réduites considérablement, les traitements actuels ne permettent pas l’éradication du virus qui persiste sous forme latente dans un réservoir cellulaire. Chez la majorité des patients, ces traitements restaurent les populations de lymphocytes T CD4+ mais ne rétablissent qu’incomplètement les réponses spécifiques dirigées contre le virus, en particulier celles des lymphocytes T CD8 [1]. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer ces anomalies fonctionnelles des lymphocytes T. Parmi ceux-ci, la persistance d’une activation du système immunitaire, une inflammation chronique, et une perturbation des mécanismes régulateurs, sont souvent évoquées.

La réponse lymphocytaire T dans l’infection virale chronique : altération des fonctions des lymphocytes T régulateurs ?

Le contrôle efficace d’une infection virale nécessite l’élimination des cellules infectées afin de limiter la production et la propagation du virus ainsi que la mise en place d’une mémoire immunitaire spécifiquement dirigée contre les antigènes viraux. Cette dernière repose sur l’expansion de lymphocytes T CD8 cytotoxiques (CTL) : en réponse à l’infection, les cellules T CD8 naïves (N) prolifèrent massivement, se différencient et acquièrent progressivement des fonctions cytotoxiques (cellules effectrices - E - et effectrices-terminales - ET) (Figure 1a). L’élimination de l’antigène viral s’accompagne de la fin de cette expansion de clones T par un mécanisme d’apoptose contrôlée, qui conduit à la mise en place d’une population de cellules constituée de lymphocytes T centraux-mémoires (CM) circulants et à longue durée de vie, ainsi que d’une population de lymphocytes T effecteurs-mémoires (EM) dont la fonction effectrice est rapidement activée. In fine, une réponse antivirale efficace nécessite l’établissement de deux phénomènes : mobilisation rapide de cellules effectrices et génération de cellules mémoires [2]. L’équilibre entre ces cellules effectrices et ces cellules mémoires repose sur plusieurs mécanismes de régulation.

Des lymphocytes T CD8 spécifiques sont retrouvés chez les patients au cours de l’infection par le VIH. Ils ne sont cependant pas à-même d’éliminer le virus [2]. La persistance virale est en effet associée à une activation du système immunitaire qui perturbe l’homéostasie des réponses lymphocytaires spécifiques [3] et qui implique des récepteurs inhibiteurs exprimés par les lymphocytes T CD8 différenciés. Lors d’une stimulation intense ou prolongée, ces récepteurs inhibiteurs, tels que PD-1 (programmed cell death protein 1), CTLA-4 (cytotoxic T-lymphocyte antigen 4) et Tim-3 (T cell Ig- and mucin-domain-containing molecule-3), limitent les réponses antivirales des CTL. La voie PD-1 (programmed cell death 1)/PD-L1 (programmed cell death ligand-1) joue un rôle particulier au cours de l’infection par le VIH. En effet, la charge virale plasmatique est corrélée à la surexpression de PD-1 par les lymphocytes T CD8 spécifiques du virus. De plus, l’inhibition de la voie PD-L1/PD-1 permet de restaurer, in vitro et in vivo, la production de cytokines par les lymphocytes T CD8 antiviraux et leur expansion [4]. Les lymphocytes T régulateurs (Treg) semblent également participer à la modulation des réponses spécifiques dirigées contre le virus, même si leur rôle dans l’infection par le VIH ne reste que partiellement élucidé [5].

Effets homéostatiques des lymphocytes Treg : implication de la voie PD-1/PD-L1

Originaires du thymus ou induits en périphérie, les lymphocytes Treg sont naturellement inducteurs d’anergie : ils inhibent non spécifiquement les lymphocytes T activés, induisant une tolérance périphérique et limitant les réactions inflammatoires chroniques. Nous avons, comme d’autres équipes, montré l’existence d’une expansion de lymphocytes Treg au cours de la phase chronique de l’infection par le VIH. Les lymphocytes Treg joueraient ainsi un rôle dans le contrôle de l’activation immunitaire non spécifique, au prix d’une suppression des réponses spécifiques dirigées contre le virus.

La transition d’un état de différenciation lymphocytaire T à un autre repose fortement sur la quantité d’antigène présent et sur les signaux environnementaux. Chez les sujets non infectés par le VIH, nous avons montré que les lymphocytes Treg, via la voie PD-1/PD-L1, permettaient le maintien de l’équilibre entre lymphocytes T CD8 effecteurs et lymphocytes T CD8 mémoires [6]. In vitro, l’augmentation d’expression de PD-1 et de PD-L1 par les lymphocytes T CD8 CM est modulée par les lymphocytes Treg. La voie PD-1/PD-L1 apparaît donc importante pour l’autorégulation des lymphocytes T activés, notamment leur sensibilité à l’apoptose, pour la mise en place de la mémoire immunitaire et pour la prévention de « l’épuisement » des cellules effectrices [6]. Récemment, nous avons établi que ce mécanisme de régulation impliquant PD-1 et PD-L1 est perturbé lors de l’infection par le VIH [7]. En comparant la prolifération et la différenciation de cellules T CD8 isolées de sujets infectés par le VIH, après stimulation polyclonale, en présence ou en l’absence de lymphocytes Treg, nous avons en effet montré que ces derniers favorisent l’accumulation des CM au détriment des EM et des E, confirmant ainsi l’effet spécifique des lymphocytes Treg sur ces deux sous-populations T. La déplétion des lymphocytes Treg n’a cependant qu’un effet limité sur les cellules T spécifiques du VIH, alors qu’elle augmente significativement la fréquence des cellules T CD8 spécifiques d’autres virus (qui reconnaissent les peptides antigéniques CEF)1 chez les mêmes patients. L’expression constitutive de PD-1 et de PD-L1 par les lymphocytes T CD8 spécifiques de CEF des sujets VIH+ est faible comparée à celle des lymphocytes T CD8 spécifiques du VIH. Cette expression est augmentée significativement après déplétion des lymphocytes Treg tandis que les niveaux élevés de PD-1 et de PD-L1 sur les lymphocytes T CD8 spécifiques du VIH ne sont pas affectés.

De ces observations, nous avons conclu que l’activité inhibitrice des lymphocytes Treg dépendait de la spécificité des lymphocytes T CD8 qu’ils modulaient. Cet effet de spécificité « clonale » pourrait provenir d’une déficience fonctionnelle des lymphocytes Treg chez les sujets VIH+ et/ou de l’expression de molécules pro-apoptotiques par les lymphocytes spécifiques du VIH.

Cette hypothèse a été examinée par des expériences de co-cultures et de cultures croisées combinant des lymphocytes T CD8 isolés de patients VIH+ stimulés par des protéines du VIH (protéines codées par le gène gag, group specific antigen)2 ou d’antigènes « mémoires » (CEF), en présence de lymphocytes Treg autologues ou issus de sujets non infectés. Comparée à celle des lymphocytes Treg de patients infectés, l’activité suppressive des cellules régulatrices provenant de sujets contrôles sur la production d’IFN-γ par les lymphocytes T CD8 est significativement plus importante, évoquant un déficit de l’effet suppresseur des lymphocytes Treg isolés à partir des sujets VIH+ (Figure 2a, b). Ces cellules inhibent également plus efficacement les lymphocytes T CD8 spécifiques de CEF, autologues et allogéniques, que les lymphocytes spécifiques du VIH (Figure 2c, d). Ces résultats suggèrent donc un défaut de l’effet suppresseur des lymphocytes Treg chez les patients infectés par le VIH qui serait lié à une expression élevée de molécules inhibitrices par les lymphocytes T CD8 spécifiques des protéines virales.

Implications immuno-thérapeutiques

Les données de la littérature portant sur les fonctions des lymphocytes Treg au cours de l’infection chronique par le VIH s’avèrent limitées et contradictoires. Ainsi, une diminution ou, à l’inverse, une préservation de la capacité suppressive des lymphocytes Treg pendant l’infection par le VIH ont été rapportées. Il est probable que ces résultats, apparemment discordants, dépendent de l’hétérogénéité des populations Treg et des voies de régulation spécifiques qui sont impliquées selon des micro-environnements particuliers [5]. Nos résultats, qui concernent l’activité des lymphocytes Treg dans l’infection chronique, soulèvent, comme pour d’autres pathologies inflammatoires, des questions sur les moyens possibles à mettre en œuvre permettant de moduler les effets suppresseurs de ces cellules, afin de restaurer les réponses T spécifiques. Une déplétion des lymphocytes Treg serait une solution simple, mais elle présente des risques importants comme celui d’engendrer des réactions d’auto-immunité non contrôlées. Le blocage des récepteurs inhibiteurs, comme cela a été montré pour PD-1 dans l’infection par le VIH, les virus des hépatites B et C (VHB et VHC) [4], pourrait également permettre de restaurer la fonction des lymphocytes T CD8 « épuisés ». Cependant, les résultats d’essais cliniques récents montrent que le traitement par un anticorps anti-PD-1 peut lui aussi augmenter le risque d’événements liés à une réponse auto-immune. Nos travaux suggèrent la possibilité de moduler de manière sélective les sous-populations de lymphocytes Treg (naïves, effecteurs, mémoires ou exprimant CD39+ [ectonucleoside triphosphate diphosphohydrolase-1] correspondant aux différents stades de différenciation /activité fonctionnelle), soit in vitro par des anticorps (comme l’anticorps anti-CD39) bloquant leur fonction3, soit in vivo par l’utilisation de cytokines (IL[interleukine]-2, IL-7) [8, 9]. En parallèle à l’expansion des cellules T CD4+, le traitement par l’IL-2, au cours de l’infection par le VIH, induit l’expansion de lymphocytes Treg activés et, par conséquent, l’augmentation du risque de progression de la maladie [9]. Un effet de l’IL-7 sur la fonction des sous-populations de lymphocytes Treg isolés de sujets non infectés a également été montré in vitro et a été confirmé par des données in vivo chez les patients chroniquement infectés par le VIH [10].

Les lymphocytes Treg exercent donc des effets spécifiques sur des sous-populations de lymphocytes T CD8 au cours de l’infection par le VIH. Nous proposons que la persistance de l’activation associée à l’infection par le VIH, même chez les patients traités, serait le résultat d’une altération intrinsèque de la fonction inhibitrice des lymphocytes Treg et d’une diminution de la fonctionnalité des lymphocytes T CD8 spécifiques, associée à des niveaux élevés de PD-1/PD-L1. Ces données pourraient aider à améliorer les approches immuno-thérapeutiques en combinant la manipulation de ces lymphocytes T régulateurs au blocage des points de contrôle immunitaire (ICP, immune checkpoint) de signalisation négative.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 CEF est un mélange de peptides de 8 à 12 acides aminés, correspondant à des épitopes T dérivés de trois virus, le cytomégalovirus (CMV), le virus Epstein-Barr (EBV) et le virus de la grippe (Flu). Ces peptides, associés à des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe I (MHC-I) sont reconnus par des lymphocytes T CD8+ qui, activés, produisent alors de l’interféron γ. Ce mélange CEF est notamment utilisé pour évaluer in vitro les capacités de réponse des lymphocytes T CD8+ mémoires de patients ou de donneurs sains, la plupart d’entre eux ayant eu par le passé des infections par le CMV, l’EBV et le virus influenza. Pour cette raison, ces peptides sont considérés comme des antigènes « mémoires ».
2 Le gène gag code une polyprotéine (Gag) précurseur des protéines de capside, de nucléocapside et de matrice.
3 La capacité régulatrice des lymphocytes Treg peut être reliée à l’expression de CD39 par ces cellules.
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