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Med Sci (Paris). 33(8-9): 732–734.
doi: 10.1051/medsci/20173308015.

cGAS, une arme antivirale
Rôle dans la reconnaissance du VIH-1 transmis de cellule à cellule

Aurélie Ducroux1 and Christine Goffinet1*

1Institut de virologie expérimentale, Twincore, centre de recherche clinique et expérimentale, Feodor-Lynen-Strasse 7, 30625Hanovre, Allemagne
Corresponding author.
 

Au cours de leur existence, les cellules de mammifères font face aux risques constants d’invasion par des microorganismes pathogènes. Pour s’en défendre, elles expriment un ensemble de récepteurs (les PRR, pattern recognition receptor) qui reconnaissent des structures spécifiques présentes sur les pathogènes (les PAMP, pathogen-associated molecular pattern). La liaison de ces récepteurs PRR à des composants viraux peut induire une cascade de signalisations intracellulaires qui aboutit à l’expression et à la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires et antivirales, comme les interférons de type I (IFN-I). La reconnaissance des acides nucléiques microbiens est également un mécanisme majeur par lequel le système immunitaire détecte les pathogènes.

Les recherches menées au cours des dernières années ont permis d’identifier la voie de signalisation cGAS-STING1 dont l’activation, par un ADN étranger d’origine virale, conduit à la production d’IFN [1] ().

(→) Voir la Nouvelle de P. Wallet et al., m/s n°6-7, juin-juillet 2015, page 600

La reconnaissance de l’ADN exogène par l’enzyme cGAS conduit à la production du second messager cGAMP (cyclic-GMP-AMP), qui active l’adaptateur STING (stimulator of interferon genes), une protéine localisée à la surface du réticulum endoplasmique. Cette activation stimule la phosphorylation du facteur de transcription IRF3 (interferon regulatory factor 3) via la kinase TBK1 (TANK binding kinase 1) [2]. La voie cGAS-STING est impliquée dans la réponse immunitaire contre une grande variété d’agents pathogènes dont le génome est de l’ADN, mais également dans les défenses antitumorales [3]. Des études récentes ont montré que le rôle de cGAMP n’est pas uniquement intracellulaire. Ce dernier peut être transporté par des jonctions communicantes (ou gap junctions) entre deux cellules [4], ou encapsidé dans des particules virales [5, 6].

Le virus de l’immunodéficience humaine de type 1 (VIH-1), un rétrovirus appartenant au genre des lentivirus, est responsable du syndrome d’immunodéficience acquise (Sida). Les cellules cibles du VIH-1 sont principalement les lymphocytes T CD4+ mais également les monocytes, les macrophages et les cellules dendritiques qui expriment à leur surface la glycoprotéine CD4 qui sert de récepteur au virus. L’entrée du virus nécessite un co-récepteur, le CXCR4 (chemiokine receptor type 4) exprimé principalement à la surface des cellules T, ou CCR5 (chemiokine receptor type 5), exprimé majoritairement par les lymphocytes T mémoires et les macrophages. La propagation du VIH-1 s’effectue selon deux mécanismes. Le premier, qui est commun à de nombreux virus, consiste en la libération de particules virales dites libres, générées par bourgeonnement à la surface de la cellule infectée. Ces particules diffusent passivement jusqu´à leur rencontre avec une nouvelle cellule sensible à l’infection. Le second mode de propagation par lequel le VIH-1 se propage préférentiellement et plus efficacement (supériorité de 100 à 1 000 fois), correspond au passage du virus d’une cellule infectée à une cellule saine avoisinante. Ce second processus repose sur différents mécanismes dont le mieux décrit est probablement la formation d’une synapse virologique entre deux cellules adjacentes, synapse qui ne conduit pas à leur fusion. La formation de syncytiums2 stables, ou de microfusions localement restreintes, peut être cependant observée dans des conditions de culture particulières permettant des contacts directs entre des cellules infectées et non infectées. Ces phénomènes peuvent également se produire in vivo [7].

Les rétrovirus sont constitués d’un génome ARN qui nécessite, pour la réplication virale, une étape de rétro-transcription en ADN complémentaire. Cette étape se déroule dans le cytoplasme, au sein de la capside virale. Cet ADN viral néoformé reste donc indétectable par les capteurs d’ADN de la cellule, comme cGAS [8]. En cas de fuite de l’ADN viral hors de la capside, le VIH-1 peut détourner l’exonucléase cellulaire TREX1 (three prime repair exonuclease 1) pour qu’elle le dégrade [9]. Des études récentes ont montré que l’infection de lymphocytes T CD4+ [9, 10] ou de macrophages primaires [8] par des virus libres, n’était à l’origine d’aucune réponse interféron (IFN). En revanche, une production d’IFN de type I peut être détectée dans le surnageant de culture de cellules au cours de la propagation du virus de cellule à cellule [11].

La forte densité de cellules présentes dans les tissus lymphoïdes, sites privilégiés de l’infection par le VIH-1, permet de multiples possibilités de fusion entre cellules infectées et cellules saines. Nous avons émis l’hypothèse que l’immunité innée induite par le second messager cGAMP pourrait se propager de la cellule donneuse à la cellule receveuse après fusion de leurs membranes. Cette fusion membranaire est induite par l’interaction de la glycoprotéine d’enveloppe virale, exprimée à la surface des cellules infectées, avec le complexe récepteur/co-récepteur viral présenté à la membrane des cellules cibles adjacentes.

Cette question a été abordée à l’aide d’un système de co-culture permettant la fusion membranaire entre, d’une part, des cellules de la lignée CHO (chinese hamster ovary) exprimant la protéine d’enveloppe du VIH-1 à leur surface et, d’autre part, des macrophages primaires qui expriment le complexe récepteur/co-récepteur du virus VIH-1. Grâce à ce modèle, nous avons pu mettre en évidence l’induction par les cellules exprimant la glycoprotéine virale, de l’expression des ARNm de l’IFN-β humain dans les macrophages co-cultivés, ainsi qu’une augmentation de la sécrétion des IFN de type I dans le surnageant des co-cultures. En présence d’un inhibiteur de fusion, le T20, cette induction d’IFN est abolie, prouvant qu’elle dépend de la fusion cellulaire qui repose sur la présence des protéines d’enveloppes du virus. La réduction de l’expression de cGAS, par un ARN interférant dans les cellules CHO qui expriment la protéine d’enveloppe (cellules nommées CHO-env), empêche également cette réponse IFN lors de la co-culture avec les macrophages. Une seconde série d’expériences a été réalisée avec des cellules Jurkat-Env, une lignée cellulaire immortalisée de lymphocyte TCD4+ exprimant la protéine d’enveloppe du virus VIH-1 à leur surface, mais dans lesquelles la protéine cGAS n’est pas détectée. Avec ces cellules, une réponse IFN n’a pu être observée qu’après reconstitution de l´expression de la protéine cGAS (par manipulation génétique), mettant en évidence le rôle essentiel de cGAS dans la réponse des cellules donneuses.

Grâce à ces deux modèles, nous avons observé parallèlement que l’induction d’IFN détectée après la co-culture, dépendait uniquement de la kinase TBK1 et de la présence de STING dans les macrophages. L’ensemble de ces observations indique donc que l’expression de cGAS et de la protéine d’enveloppe du VIH-1 dans les cellules donneuses, permet le transfert de cGAMP aux macrophages par un mécanisme qui nécessite la fusion membranaire. Dans les macrophages, cGAMP se fixe à l’adaptateur STING, ce qui déclenche une réponse IFN qui dépend de la kinase TBK-1 mais qui ne nécessite pas l’expression de cGAS. L’état antiviral ainsi induit protège les macrophages contre l’infection de novo par le VIH-1.

Ces observations nous ont conduits à réaliser des expériences de co-culture entre des lymphocytes T CD4+ primaires, infectés par le VIH-1, et des macrophages isolés du même patient. Les résultats que nous avons obtenus ont montré que les lymphocytes T CD4+ infectés induisaient plus de réponse IFN dans les macrophages que les virions correspondants. Comme dans le modèle des cellules CHO-Env, la réponse IFN des macrophages dépend de la fusion membranaire et de la présence de STING. L’expression de cGAS n’est toutefois pas nécessaire. Le transfert intercellulaire de cGAMP, des lymphocytes T infectés aux macrophages (à l’origine de la production d’IFN), court-circuite donc l’étape de reconnaissance de l’ADN par la protéine cGAS (Figure 1) [12].

Cette étude décrit donc un nouveau mode de propagation de l’immunité innée reposant sur un transfert horizontal des messagers cGAMP au travers de pores membranaires formés entre la cellule infectée par le VIH-1 et la cellule cible. Ce processus se produit probablement lors de l’infection par d’autres virus qui se propagent de cellule à cellule et nécessitent une étape de synthèse d’ADN dans le cytoplasme au cours de leur cycle de réplication.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 cGAS pour l’enzyme cyclic-GMP-AMP synthase et STING pour son adaptateur qui stimule l’expression des gènes codant les interférons.
2 Syncytium : cellule comportant plusieurs noyaux.
References
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