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Med Sci (Paris). 33(10): 835–839.
doi: 10.1051/medsci/20173310008.

Facteurs neurotrophiques pour les motoneurones
Un menu à la carte

Alysson Alory,1 Arnaud Jacquier,1 David Gentien,2 Pierre de la Grange,3 and Georg Haase1*

1Institut de neurosciences de la Timone, UMR 7289 CNRS et Aix-Marseille Université, 27, boulevard Jean Moulin, 13005Marseille, France
2Institut Curie, Université PSL, Département de recherche translationnelle, Plateforme de génomique, 26, rue d’Ulm, 75248Paris, France
3GenoSplice, iPEPS - ICM, Hôpital Pitié Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Humains, Motoneurones, Facteurs de croissance nerveuse, physiologie

 

Au cours du développement embryonnaire, environ la moitié des neurones intialement générés sont éliminés. La théorie neurotrophique stipule que la survie ou la mort cellulaire des neurones dépend de leur compétition pour des quantités limitées de facteurs neurotrophiques produits par leurs cibles d’innervation (Figure 1A) [1]. Dans la moelle épinière de l’embryon de poulet par exemple, l’ablation expérimentale d’une ébauche de la patte exacerbe la mort cellulaire des motoneurones. Inversement, la transplantation d’une ébauche de la patte la diminue [1]. À ce jour, plus de quinze facteurs neurotrophiques qui induisent la survie des motoneurones de la moelle épinière ont été décrits [2, 3].

Des études récentes suggèrent que les facteurs neurotrophiques agissent de manière combinatoire [2, 3]. Chez la souris, l’invalidation génique d’un seul facteur neurotrophique, ou de son récepteur, ne provoque, dans la plupart des cas, qu’une perte modérée des motoneurones [2] tandis que celle de deux ou trois facteurs ou de leurs récepteurs l’accentue. En outre, l’élimination par manipulations génétiques de types cellulaires produisant plusieurs facteurs se traduit par la perte quasi totale des motoneurones [2, 3]. Finalement, certaines combinaisons de facteurs neurotrophiques exercent des effets accrus sur la survie des motoneurones après une axotomie1 ou dans des modèles de dégénérescence progressive [4].

Une hypothèse permettant d’expliquer ces effets combinatoires repose sur l’existence de sous-populations de motoneurones qui présenteraient des besoins trophiques distincts [2, 3, 5]. Cependant, les études cherchant à évaluer cette hypothèse se sont heurtées à plusieurs obstacles : le grand nombre de facteurs neurotrophiques potentiels, la létalité souvent précoce des souris invalidées génétiquement pour ces facteurs ou leurs récepteurs, et l’absence de standardisation des cultures conventionnelles de motoneurones. Pour contourner ces difficultés, nous avons développé une nouvelle approche [6]. Elle consiste à isoler par tri cellulaire (fluorescent-activated cell sorting, FACS), à partir de la moelle épinière lombaire de souris, des motoneurones purs, parfaitement standardisés et hautement viables en culture (Figure 1BE).

Afin d’étudier les effets combinatoires des facteurs neurotrophiques au cours du développement, douze facteurs, appartenant à des familles différentes de protéines [2], ont été sélectionnés : les neurotrophines BDNF (brain-derived neurotrophic factor) et NT3 (neurotrophine-3) ; les membres de la famille du GDNF (glial cell line-derived neurotrophic factor), dont le GDNF, la neurturine, l’artémine (ARTN) et la perséphine ; les cytokines CNTF (ciliary neurotrophic factor), CT1 (cardiotrophine 1) et LIF (leukemia inhibitory factor) ; et les facteurs de croissance des hépatocytes (HGF, hepatocyte growth factor), et de l’endothélium vasculaire (VEGF, vascular endothelial growth factor), et l’insulin growth factor-1 (IGF-1). Individuellement, chacun de ces facteurs a permis d’améliorer significativement la survie des motoneurones lombaires après trois jours de traitement en culture in vitro (Figure 1F), les facteurs les plus efficaces étant le BDNF et le GDNF (Figure 1F). Le criblage de 66 combinaisons (ou paires) réalisées à partir de ces douze facteurs a révélé, par la suite, une amplification des effets lorsque trois d’entre eux étaient associés : le HGF, l’ARTN et le CNTF (Figure 1F). La triple combinaison de ces trois facteurs était, a fortiori, plus efficace que des combinaisons de paires, permettant le maintien en vie de 46 % des motoneurones (Figure 1G). À noter que ce pourcentage équivaut à la somme des effets individuels de chacun des facteurs (Figure 1G). Cette stricte additivité suggère donc que les facteurs HGF, ARTN et CNTF, agissent sur des sous-populations distinctes de motoneurones.

Effets distincts des facteurs HGF, CNTF et ARTN sur des sous-populations de motoneurones

La moelle épinière lombaire est constituée de trois principales sous-populations de motoneurones qui se distinguent par leur position et leurs cibles : les motoneurones de la colonne motrice médiane (MMC) qui innervent les muscles axiaux ; ceux de la colonne motrice latérale (LMC) qui innervent les muscles des membres ; et les neurones pré-ganglionnaires (PGC) qui assurent l’innervation sympathique et parasympathique des muscles des sphincters pelviens.

Afin d’étudier la réponse trophique de ces sous-populations, les motoneurones MMC et LMC/PGC ont été isolés par tri cellulaire puis cultivés séparément en présence des facteurs (Figure 2A). Les courbes de survie des cellules après traitement (Figure 2B), montrent que les facteurs HGF et ARTN favorisent la survie d’une grande proportion de motoneurones LMC/PGC mais qu’ils n’ont qu’un effet mineur sur les motoneurones MMC. À l’inverse, le CNTF agit spécifiquement sur la survie des motoneurones MMC.

Ces observations ont conduit à étudier l’expression par les motoneurones MMC et LMC/PGC, des récepteurs pour les facteurs HGF, CNTF et ARTN, par western blot et l’utilisation de puces à ADN (microarray en anglais) [6]). Dans les motoneurones LMC/PGC, la quantité de la protéine c-Met, le récepteur de HGF, est 4,4 fois plus importante que dans les motoneurones MMC [6], ce qui explique la réponse préférentielle des motoneurones LMC/PGC au traitement par l’HGF. Les composants du récepteur de l’artémine (ARTN), impliquant GFRα3 (GDNF family receptor alpha-3), la tyrosine kinase c-Ret et le syndecan-3 (un protéoglycane de surface), sont également fortement augmentés dans les motoneurones LMC/PGC en accord avec leur réponse préférentielle à ce facteur. Dans les motoneurones MMC en revanche, l’expression de LIFRβ (LIF receptor-β) et IL-6st (interleukin 6 signal transducer), deux constituants du récepteur pour le facteur CNTF, est significativement accrue [6], ce qui est en accord avec la réponse spécifique de ces motoneurones à ce facteur. Les neuf autres facteurs neurotrophiques ont des effets similaires sur les différents motoneurones LMC/PGC et MMC et aucune régulation différentielle des récepteurs n’est observée [6].

L’HGF favorise la survie des motoneurones LMC innervant les membres

L’implication de ces différents récepteurs dans la survie spécifique des motoneurones a été examinée in vivo, par l’analyse de leur expression et leur localisation, et in vitro, en inhibant dans des cultures cellulaires, la signalisation dont ils sont à l’origine. Les expériences d’hybridation et d’immunolocalisation in situ indiquent que les motoneurones qui expriment le récepteur c-Met forment des groupes de cellules bien délimités localisés dans la colonne motrice latérale (LMC) de la moelle épinière lombaire (Figure 2D). Les expériences d’inhibition in vitro montrent quant à elles, que la réponse de survie à l’HGF peut être complètement abrogée par les inhibiteurs spécifiques de la tyrosine kinase c-Ret ou par des anticorps neutralisant c-Met [6]. L’HGF active donc son récepteur c-Met et favorise, ainsi, la survie d’une fraction de motoneurones de la colonne motrice latérale (LMC) qui innervent les membres.

Le CNTF cible deux sous-populations de motoneurones MMC innervant les muscles axiaux

Les motoneurones exprimant LIFRβ, élément du récepteur de CNTF, forment deux sous-populations distinctes dans la colonne motrice médiane (MMC) (Figure 2D). Leur survie peut être complètement inhibée par la phosphoinositol phospholipase C (PIPLC) dont l’action induit le détachement de CNTFRα (CNTF-receptor-α) de la membrane plasmique [6]. Le CNTF favorise donc spécifiquement la survie de motoneurones MMC en activant une signalisation initiée par le CNTFRα et probablement relayée par les récepteurs LIFRβ et IL6st.

L’ARTN agit comme un facteur de survie pour les motoneurones préganglionnaires parasympathiques

Finalement, nous avons montré que les motoneurones qui expriment le récepteur GFRα3 forment une sous-population distincte (Figure 2D) des autres motoneurones qui présentent les récepteurs c-Met ou LIFRβ. Les marquages rétrogrades réalisés à partir de la vessie [6], suggèrent que cette sous-population distincte correspond aux motoneurones préganglionnaires (PGC) du système nerveux parasympathique. Leur réponse à l’ARTN, en culture, est complètement inhibée par la neutralisation du récepteur GFRα3 ou par l’inhibition du syndecan-3 [6]. Ces résultats identifient l’ARTN comme un facteur de survie des motoneurones préganglionnaires du système nerveux parasympathique.

Conclusion et perspectives

Notre étude révèle donc que les trois facteurs neurotrophiques, l’HGF, le CNTF et l’ARTN, agissent « à la carte » pour la survie de motoneurones distincts (Figure 2D). L’HGF favorise la survie des motoneurones c-Met de la colonne motrice latérale, ce qui est en parfait accord avec son expression restreinte dans les muscles des membres [7]. Le facteur CNTF agit spécifiquement sur les motoneurones de la colonne motrice médiane au stade précoce de développement analysé dans cette étude. Enfin, l’ARTN apparaît comme un nouveau facteur de survie pour les motoneurones préganglionnaires du système parasympathique qui innervent les neurones post-ganglionnaires du côlon distal, de la vessie et des organes génitaux. Ceci est en concordance avec l’expression d’ARTN au niveau de ces organes [8], et également avec celle de son récepteur GFRα3 dans les corps cellulaires et les axones des motoneurones préganglionnaires.

Ces observations ont-elles des implications thérapeutiques ? Dans des modèles de sclérose latérale amyotrophique (SLA) et d’amyotrophie spinale infantile (SMA), plusieurs facteurs neurotrophiques ont montré in vivo un bénéfice thérapeutique. En effet, dans un modèle murin de SLA, des souris transgéniques qui expriment des formes mutées de SOD1 (superoxyde dismutase-1) [8, 9] (), quatre facteurs neurotrophiques se sont avérés être parmi les six traitements les plus efficaces testés (à l’exception, comme attendu, des modificateurs de SOD1) [10]. Nos données sur l’action préférentielle de l’HGF vis-à-vis des motoneurones LMC pourraient expliquer les puissants effets thérapeutiques de ce facteur contre la fonte de la masse musculaire et la parésie des membres, chez les souris [11]. Cependant, pour la plupart des facteurs neurotrophiques, les motoneurones qui en sont la cible restent à identifier aux stades adultes. Des études sont actuellement en cours afin de déterminer les besoins trophiques des motoneurones les plus vulnérables dans diverses maladies dégénératives : les motoneurones des membres dans la SLA classique, ceux proximaux dans la SMA, ou encore bulbaires dans certaines formes de SLA ou d’amyotrophie spinobulbaire (SBMA).

(→) Voir la Nouvelle de B. Pettmann et al., m/s n° 11, novembre 2006, page 923

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Une axotomie : section chirurgicale d’un axone.
References
1.
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