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Med Sci (Paris). 33(12): 1042–1045.
doi: 10.1051/medsci/20173312008.

Quadruplexes d’ADN : structures, fonctions et détection

David Monchaud1a

1Institut de chimie moléculaire de l’université de Bourgogne (ICMUB), CNRS UMR6302, 9, avenue Alain Savary, 21078Dijon, France
Corresponding author.

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L’acide désoxyribonucléique, ou ADN, est le support de l’information génétique ; il occupe, de fait, une place centrale dans notre compréhension des mécanismes sous-jacents aux processus vitaux comme le code génétique ou encore l’hérédité. Cependant, notre appréhension de l’ADN d’un point de vue structural et fonctionnel connaît actuellement un changement radical. Depuis la découverte de sa structure en double-hélice (ou duplexe) en 1953 [1], notre vision de l’ADN était celle d’une structure sophistiquée, sanctuarisée dans le coffre-fort de la cellule (le noyau), ainsi précieusement protégée des aléas de la vie cellulaire. Or, il apparaît aujourd’hui que l’ADN n’est pas seulement un code barre qui attend patiemment d’être scanné au gré de l’activité cellulaire, mais plutôt une structure hautement dynamique qui serait capable de gérer elle-même une partie de son activité.

Notre patrimoine génétique se compose de près de 3 milliards de paires de bases azotées dont seulement 1 à 2 % constituerait de l’ADN codant, qui chez l’homme se compose d’environ 20 à 25 000 gènes fonctionnels. La partie non-codante de notre génome, improprement nommée « ADN poubelle », se caractérise par de nombreuses séquences dites répétées (qui représenteraient environ 50 % de notre génome) dont on commence à comprendre aujourd’hui l’étendue et la portée de leurs implications fonctionnelles. Parmi ces répétitions, les séquences riches en guanines sont au cœur d’une attention scientifique sans précédent : les guanines offrent en effet des possibilités d’appariements entre nucléobases bien au-delà de l’appariement dit de Watson-Crick (entre guanine et cytosine), permettant de former des triplets voire des quartets de bases (ces derniers étant également nommés G-quartet, ou tétrade de guanines) [2].

Connue depuis les années 1960, cette capacité unique des guanines à s’auto-assembler en tétrade a pris une dimension particulière à la suite de la découverte de séquences répétées riches en guanines dans des régions clés de notre génome, notamment au niveau des extrémités terminales des chromosomes (les télomères), des régions promotrices de gènes et des origines de réplication [3, 4] ().

(→) Voir la Synthèse de J. Poulet-Benedetti et al., page 1063 de ce numéro

La richesse en guanines et la nature répétée de ces séquences leur offrent la possibilité d’adopter des structures différentes du duplexe (Figure 1) : la formation de tétrades de guanines permet notamment la stabilisation d’édifices non plus à deux brins (comme dans le duplexe) mais à quatre brins appelés quadruplexes, qui se caractérisent par une très grande stabilité thermodynamique et une cinétique de formation très favorable (l’assemblage se faisant de façon intramoléculaire). Ces observations expliquent pourquoi les premières recherches sur les quadruplexes ont été conduites sur les régions télomériques ; une partie des télomères existe, en effet, libérée de la contrainte duplexe (c’est-à-dire non associée à un brin complémentaire), un fait unique dans la cellule. Ces séquences monocaténaires, constituées du motif TTAGGG répété plusieurs dizaines de fois, peuvent se replier sur elles-mêmes pour former une structure quadruplexe (Figure 1) qui a été et reste certainement la plus étudiée à ce jour, notamment dans la structuration des télomères (impactant la stabilité des chromosomes) et pour sa capacité à inhiber l’action de la télomérase (notamment dans le cadre de la lutte contre le cancer) [5].

Des études bioinformatiques puis de séquençage haut-débit ont montré que les séquences capables de former des structures quadruplexes étaient nombreuses (plus de 700 000 au sein du génome humain) [6]. Comme indiqué ci-dessus, elles sont réparties de façon non-aléatoire, étant particulièrement présentes au niveau des télomères, des régions promotrices de gènes et des origines de réplication. Elles sont en revanche absentes au niveau des gènes suppresseurs de tumeur. Ces séquences peuvent adopter une structure quadruplexe même en conditions natives, c’est-à-dire lorsqu’elles sont associées à leur brin complémentaire et engagées dans l’organisation nucléoprotéique d’ordre supérieur qu’est la chromatine [7] : les grandes manœuvres génomiques, que sont la réplication et la transcription, offrent en effet une opportunité unique à ces séquences de se libérer de ces contraintes et de se structurer transitoirement en quadruplexe.

Les rôles qui sont à ce jour attribués aux structures quadruplexes sont divers et dépendent de leur localisation. Il est cependant difficile de comprendre toute la portée de leurs implications, car ces structures semblent jouer des rôles tour à tour activateurs ou inhibiteurs, en fonction de leur localisation génomique, de leur abondance, de leur stabilité, de leur capacité à échapper aux systèmes protéiques de régulation (comme les hélicases), etc. Par exemple, les quadruplexes peuvent aider à l’organisation structurale des télomères ou à l’initiation de la réplication de l’ADN (rôles activateurs) [4], tout comme sous-réguler l’expression de certains gènes ou générer de l’instabilité chromosomique (rôles inhibiteurs) [8].

Pour déchiffrer ces différents rôles, des outils permettant de détecter les quadruplexes au sein de notre génome ont été développés. Cette détection devait être dynamique, de façon à comprendre où, quand et comment les quadruplexes se structurent (et se déstructurent) au cours de la vie de la cellule. Du fait de leur formation transitoire et de leur faible abondance au regard de l’ADN génomique dans son entièreté, il a été particulièrement difficile de les localiser dans les cellules vivantes et en conditions fonctionnelles. Ce n’est que récemment qu’un effort de recherche au long cours a porté ses fruits, grâce à la conception d’outils moléculaires toujours plus précis et efficaces. Les grandes étapes qui ont conduit à la visualisation des quadruplexes in cellulo pourraient être résumées ainsi (Figure 2) : une première démonstration intervient en 2001, via l’utilisation d’un anticorps anti-quadruplexe (nommé Sty49)1 qui permet la visualisation des quadruplexes télomériques présents dans les macronoyaux (contenant des millions de mini-chromosomes) du cilié Stylonychia lemnae [9]. En 2005, une équipe de recherche française utilise une molécule à haute affinité et sélectivité pour les quadruplexes (également appelée ligand de quadruplexe) radiomarquée au tritium (3H-360A) pour détecter par autoradiographie ces structures sur des cellules en culture et sur des étalements chromosomiques [10]. Les auteurs de cette étude notent une accumulation importante de la molécule 3H-360A au niveau des régions télomériques. En 2012, un autre ligand de quadruplexe affin et sélectif (la pyridostatine, ou PDS) est utilisé dans une approche complémentaire, non plus fondée sur de la radiodétection mais sur une analyse par fluorescence, qui présente des avantages notables en termes de sensibilité et de précision de détection. Par une approche multi-étape élégante, cette étude apporte une démonstration éclatante de l’existence des quadruplexes dans les cellules humaines [11]. Les images obtenues, alliées à une analyse pangénomique, conduisent à l’identification de quadruplexes télomériques, mais également intragénomiques, apportant ainsi des informations précieuses quant à leurs implications possibles dans la vie de la cellule. Ces études seront par la suite complétées par 1) le développement de l’anticorps anti-quadruplexe BG4, identifié dans une banque de phages (en 2013), qui a permis une visualisation par des techniques d’immunodétection classiques [12], puis 2) par celui de sondes fluorescentes dites intelligentes (ou smart probes,2 comme le NaphtoTASQ en 2015) pour la visualisation directe des quadruplexes dans les cellules humaines vivantes. [13]

La conception, la production et les études d’outils moléculaires visant à la détection – voire la quantification – des structures quadruplexes sont donc en plein essor, notamment via l’élaboration de nouveaux anticorps (comme 1H6 ou D1) et de ligands fluorescents (tels le composé triangulenium DAOTA-M23, ou encore un composé dérivé du naphtalène diimide, le c-exNDI4) toujours plus performants. Ces outils permettront in fine d’obtenir des informations précieuses quant à la spatio-temporalité de la formation des quadruplexes au sein de notre génome et ainsi, de mieux appréhender les différents processus cellulaires dans lesquels ces structures sont impliquées. La compréhension des rôles que ces structures non-usuelles de l’ADN jouent dans nos cellules nous permettra de percer encore un peu plus le mystère du fonctionnement de notre génome ; cependant, au regard de nos connaissances actuelles et de la diversité tant structurale que fonctionnelle des acides nucléiques, nul doute que l’ADN n’a pas encore livré tous ses secrets.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Il s’agit d’un fragment d’anticorps simple chaîne (scFv) identifié dans une banque combinatoire d’anticorps qui a de l’affinité pour les répétitions télomériques.
2 Son interaction avec un G-quadruplexe provoque un changement conformationnel qui induit une augmentation de sa fluorescence.
3 DAOTA-M2 est un composé dont la fluorescence augmente en présence d’acides nucléiques et dont la durée de vie de la fluorescence dépend de la topologie des quadruplexes.
4 Ce composé s’agrège en solution, ce qui le rend non-fluorescent ; son interaction avec les G-quadruplexes provoque sa désagrégation et restaure sa fluorescence.
References
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