Le trouble bipolaire est une maladie psychiatrique chronique, caractérisée par des perturbations de l’humeur récurrentes, avec des oscillations entre phases de dépression et d’excitation (état hypomaniaque ou maniaque) [1–3]. Le trouble bipolaire appartient ainsi, avec d’autres affections, à un spectre de troubles de l’humeur (Figure 1). Il se déclare classiquement à l’adolescence ou au début de l’âge adulte, mais son étiologie reste mystérieuse, bien que des causes génétiques et environnementales aient été identifiées [4] (→).
(→) Voir la Synthèse de P. Ellul et al., m/s n° 4, avril 2017, page 404
La prévalence du trouble bipolaire est relativement élevée, de l’ordre de 1 à 2 % de la population mondiale, indépendamment de l’origine ethnique, du groupe socio-économique ou du sexe. Le trouble bipolaire est fréquemment associé à d’autres sources de morbidité psychiatriques, comme l’abus d’alcool et de drogues, ou médicales, comme le diabète et l’obésité. Le risque de décès par suicide est extrêmement élevé (15 à 20 % des patients). Le trouble bipolaire affecte profondément la qualité de vie des patients, leur travail et leur intégration sociale, constituant ainsi une cause majeure d’infirmité au sein de la population des jeunes adultes [5]. Il est considéré, en conséquence, comme un problème mondial de santé publique. Le développement d’une prise en charge précoce des patients, avec un diagnostic rapide, et d’une stratégie de traitement efficace est donc une priorité.
Les symptômes du trouble bipolaire sont hétérogènes : le nombre, la durée et l’intensité des épisodes de dépression et d’excitation sont en effet très variables selon les patients. L’évaluation clinique reste donc un problème majeur. La pose du diagnostic est ardue et peut prendre plusieurs années (en moyenne entre 5 et 10 ans [1]) car les premiers symptômes sont des épisodes dépressifs, et les patients ont des difficultés à reconnaître les épisodes hypomaniaques ou maniaques, ce qui est indispensable pour distinguer le trouble bipolaire de la dépression. À ceci s’ajoute l’absence de bio-marqueurs approuvés pour le diagnostic du trouble bipolaire.
Le traitement s’effectue en deux étapes : la stabilisation de la phase aiguë, qu’elle soit dépressive ou maniaque, et la prévention des récidives avec des traitements à long terme. Le lithium (Li) reste le traitement le plus efficace dans la prévention de l’apparition de nouveaux épisodes maniaques, malgré de sérieux effets secondaires et un index thérapeutique faible [6, 7] (→).
(→) Voir la Nouvelle de G. Bellemère et al., m/s n° 1, janvier 2003, page 12
Après avoir posé le diagnostic, les cliniciens sont confrontés à une difficulté : seul un tiers des patients répond au Li par la disparition complète des troubles de l’humeur, et 10 à 20 % ne montrent aucune réponse. Il est de plus impossible de prédire si le patient répondra au Li et d’estimer la durée qui sera nécessaire à la consolidation de la réponse. Même dans le cas de patients présentant une très bonne réponse, un an de traitement est parfois nécessaire pour obtenir ce résultat [6]. Il est donc clair que le développement de nouveaux traitements, qui soient plus efficaces, mieux supportés et présentant des effets secondaires réduits, est indispensable. Pour cela il est nécessaire de développer des modèles animaux et cellulaires, susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la physiopathologie de la maladie et de servir de base à la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques.
L’équipe de Fred H Gage, au Salk institute for biological studies, a utilisé la reprogrammation de cellules somatiques en cellules souches pluripotentes induites (iPS) pour produire in vitro des neurones dérivés de patients atteints de trouble bipolaire. En 2015, elle a montré que les neurones de patients sont hyperexcitables en comparaison de ceux d’individus témoins [8]. Plus intéressant, le traitement des cultures neuronales par le Li permet de réduire l’activité des neurones dérivés des patients qui répondent au Li (LR pour lithium responsive), mais pas de ceux provenant de patients non répondeurs (NR, non responsive). Dans un article récemment publié dans Molecular Psychiatry, Stern et al. ont étendu ces résultats en utilisant une nouvelle cohorte de patients et ont développé une méthode permettant de prédire la réponse d’un patient au Li avec plus de 92 % de fiabilité [9].