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Med Sci (Paris). 34(1): 30–33.
doi: 10.1051/medsci/20183401009.

Horloges biologiques
Un rythme peut en cacher un autre

Michèle Teboul1* and Franck Delaunay1

1Université Côte d’Azur, CNRS, Inserm, Institut de biologie Valrose (iBV), 06108Nice Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Horloges biologiques, Rythme circadien, Stéatose hépatique, Humains, Protéine-1 liant la boite X, génétique, physiologie, physiopathologie

 

La plupart des fonctions biologiques suit un rythme circadien, afin d’adapter l’organisme à l’alternance entre le jour et la nuit. Un rythme de douze heures ou rythme circatidal existe également chez les organismes marins qui sont soumis aux variations des marées. Curieusement, ce rythme de 12 h existe aussi chez les mammifères terrestres. Chez l’homme, la pression artérielle, les performances cognitives, les hormones circulantes, et même le cycle veille-sommeil présentent deux pics par jour [1, 2]. Des altérations de ce rythme ont été rapportées dans des pathologies humaines, suggérant qu’il est primordial pour maintenir l’homéostasie [3, 4]. Au niveau transcriptionnel, environ 200 gènes oscillant avec une période de 12 h ont été identifiés dans le foie de souris [5]. Ces résultats avaient été obtenus avec une méthode définissant a priori une période de 12 h et présentaient donc l’inconvénient de potentiellement sousestimer le nombre de gènes concernés, leur transcription étant superposée avec une période de 24 h.

Une nouvelle méthode d’analyse de données temporelles permet d’identifier des rythmes d’une période de 12 h

Afin d’identifier des gènes dont l’expression oscille au cours du temps, l’équipe de Bert O’Malley a utilisé une approche mathématique non-biaisée, la méthode « eigenvalue/pencil1 », qui permet l’identification d’oscillations périodiques de durées différentes et superposées car elle ne prédéfinit pas de période a priori [6, 7]. Appliquée sur un jeu de données du transcriptome de foie de souris placées en isolement temporel (obscurité constante), avec une résolution d’une heure pendant 48 h, cette méthode a identifié, comme attendu, principalement des oscillations circadiennes mais également des oscillations avec une période harmonique du rythme circadien (12 h, 8 h, 4 h, etc.). Cette analyse s’est avérée très efficace puisqu’elle a permis, d’une part, l’identification d’un plus grand nombre de gènes circadiens qu’avec les méthodes classiques, et a révélé, d’autre part, une proportion importante de gènes dont la périodicité de 24 h est superposée avec une périodicité plus courte.

Les gènes présentant des rythmes d’expression de 12 h sont indépendants de l’oscillateur circadien

Devant l’abondance inattendue de gènes oscillant avec une rythmicité de 12 h, les auteurs ont restreint leur étude à ces derniers. Ils ont ainsi identifié 3 652 gènes hépatiques, dont un grand nombre est associée au réticulum endoplasmique (RE) et au métabolisme mitochondrial. Ils ont fait une observation surprenante : les phases de ces gènes sont situées exclusivement aux changements jour/nuit et nuit/jour, alors que les phases des gènes ayant une expression circadienne sont réparties tout au long de la période de 24 h. Concernant le mécanisme de cette rythmicité, deux hypothèses ont été envisagées : (1) ce rythme est généré par deux activateurs ou répresseurs circadiens agissant en antiphase, ou (2) ce rythme est indépendant de l’oscillateur circadien, cette deuxième possibilité étant prédite par le modèle mathématique des auteurs. Confirmant cette prédiction, les rythmes de 12 h ont bien été observés chez les souris déficientes pour la protéine clé de l’horloge circadienne, BMAL1 (brain and muscle arnt-like protein-1). Cette observation suggère que l’oscillation qui régit cette rythmicité de 12 h est donc différente de l’oscillateur circadien.

Les rythmes de 12 h peuvent être générés in vitro par des signaux de stress cellulaire

Le rythme circadien peut être induit, in vitro, de diverses manières : un choc de sérum, un traitement avec de la dexaméthasone ou de la forskoline, etc. Les auteurs ont donc cherché à savoir si les rythmes de 12 h pouvaient également être générés in vitro, ou s’ils nécessitaient des signaux systémiques qui n’existent qu’in vivo. Il s’est avéré que la forskoline n’induisait pas d’oscillations de 12 h; en revanche, un traitement de 2 heures par la tunicamycine, un inhibiteur de la glycosylation classiquement utilisé pour induire un stress du RE, a généré des oscillations de 12 h, pendant 48 h dans des fibroblastes embryonnaires de souris et ce, sans induire de rythme circadien. Ce traitement induit des oscillations de 12 h dans des fibroblastes invalidés pour Bmal1, ce qui conforte le fait que les oscillations de 12 h sont bien indépendantes du système circadien. Les auteurs ont ensuite cherché à induire ces oscillations de 12 h par des signaux physiologiques provoquant un stress du RE ou un stress métabolique. Une privation de glucose, ou un traitement de 2 heures avec du 2-déoxy-D-glucose (analogue non-métabolisable du glucose), se sont avérés efficaces pour induire des oscillations de 12 h des gènes impliqués dans le métabolisme du glucose et des acides gras, ainsi que d’un gène de la réponse UPR (unfolded protein response), Eif2ak3 (eukaryotic translation initiation factor-alpha kinase 3). En construisant un gène rapporteur fluorescent sous le contrôle du promoteur de Eif2ak3, les auteurs ont ensuite montré que ces oscillations de 12 h étaient observables dans des cellules uniques indiquant leur autonomie à l’échelle cellulaire.

Les protéines rythment aussi avec une période de 12 h !

En analysant des données de protéomique, les auteurs de l’étude ont mis en évidence que l’expression de 15 % des protéines hépatiques présentait des oscillations de 12 h. Parmi les gènes présentant des oscillations d’ARN de 12 h, seuls 35 % d’entre eux étaient également associés à des oscillations protéiques. Ce faible chevauchement entre oscillation des ARN et des protéines correspondantes est également retrouvé avec la périodicité de 24 h [8](➔).

(➔) Voir la Nouvelle de D. Mauvoisin et F. Gachon m/s, n° 6-7, juin-juillet 2017, page 573

La catégorisation fonctionnelle des protéines ayant unerythmicité de 12 h montre un enrichissement dans les fonctions mitochondriales et dans celles du RE. Les auteurs ont proposé le terme CREMA (pour coordinated rhythm of ER and mitochondria actions), stipulant que ces 2 organites ont des actions rythmiques couplées pour maintenir l’homéostasie métabolique et la réponse au stress. Contrairement aux variations d’ARN, les protéines oscillant avec une période de 12 h ont des phases réparties tout au long du cycle. Les protéines impliquées dans l’oxydation des acides gras, la phos-phorylation oxydative et la néoglucoge-nèse présentent deux pics d’expression, en début de matinée et en début de nuit, tandis que les protéines impliquées dans la glycolyse et la synthèse d’acides gras présentent des pics d’expression l’après-midi et en fin de nuit.

Le facteur de transcription XBP1 est responsable de la génération des oscillations de 12 h

Les auteurs ont effectué une analyse statistique d’un jeu de données méta-bolomiques et ont ainsi mis en évidence que 15 % des métabolites avaient un rythme de 12 h, dont plusieurs acides gras. Ils ont remarqué que le rythme des métabolites pouvait être corrélé au rythme des enzymes impliquées dans le métabolisme de ces composés. C’est le cas de l’enzyme LPCAT3 (lysophosphatidylcholine acyltransferase 3), dont la fonction est d’augmenter la fluidité de la membrane en favorisant l’incorporation d’acides gras polyinsaturés dans les phospholipides. Des études antérieures avaient montré que l’induction de l’expression de Lpcat3 réduisait le stress du RE, en augmentant la fluidité de la membrane par l’incorporation préférentielle d’acides gras polyinsaturés dans les phospholipides [9]. Cette découverte montre que l’horloge hépatique de 12 h coordonne la réponse du stress du RE au métabolisme, pour maintenir l’homéostasie (Figure 1). Afin d’identifier le mécanisme permettant les oscillations de 12 h des transcrits, les auteurs ont recherché les facteurs de transcription présentant un rythme de 12 h dans des fibroblastes embryonnaires sauvages ou invalidés pour Bmal1, et synchronisés par la tunicamycine. Ils ont restreint leur étude à la protéine XBP1 (X-Box binding protein 1) de rythmicité robuste, persistant dans les fibroblastes invalidés pour Bmal1, et qui lie les promoteurs de plusieurs gènes dont Eifak3 avec une périodicité de 12 h. L’extinction du gène Xbp1 par un ARN interférant provoque une forte atténuation des oscillations des gènes du métabolisme et du stress du RE, confirmant ainsi le rôle crucial de XBP1 dans la génération du rythme de 12 h chez les mammifères.

La rythmicité de 12 h est influencée par le comportement alimentaire

Afin de savoir si d’autres tissus périphériques sont sous le contrôle de l’horloge de 12 h, les auteurs ont mesuré le quotient respiratoire de souris nourries ad libitum pendant plusieurs jours et ont mis en évidence à la fois un rythme circadien et un rythme de 12 h. Lorsque les souris sont soumises à une restriction temporelle d’accès à la nourriture, on observe un impact différent sur l’horloge de 12 h et l’horloge circadienne; alors que les oscillations de 12 h présentent une diminution d’amplitude sans altération de la phase, l’amplitude des oscillations circadiennes est intacte mais un décalage de phase de 6 h est observé. Ces résultats soulignent l’indépendance de l’horloge de 12 h et de l’horloge circadienne au niveau systémique.

Une atténuation de la rythmicité de 12 h est corrélée à la progression de la stéatose hépatique chez l’homme

Afin de déterminer si l’horloge de 12 h est importante pour l’homéostasie métabolique chez l’homme, les auteurs ont analysé l’expression, aux niveaux ARN et protéique, de 143 et 138 gènes oscillant avec une rythmicité respective de 12 h et de 24 h, chez des patients atteints de stéatopathie métabolique (ou NAFLD pour non-alcoholic fatty liver disease). Les auteurs ont ainsi mis en évidence une forte corrélation entre la progression de la stéatose hépatique, une étape précoce et réversible de la pathologie se caractérisant par l’accumulation de triglycérides intra-hépato-cytaires, et une diminution de l’expression des gènes ayant une rythmicité de 12 h. Une corrélation plus faible entre la diminution d’expression de ces gènes et la stéatohépatite, un stade plus avancé de la pathologie, a également été rapportée. En revanche, seule une faible corrélation a été observée entre la diminution d’expression des gènes circadiens et la stéatose, et aucune corrélation n’a pu être mise en évidence entre la diminution d’expression de ces gènes avec la stéatohépatite. Ces résultats suggèrent que, chez l’homme aussi, l’horloge de 12 h est indépendante de l’horloge cir-cadienne et joue un rôle dans le maintien de l’homéostasie hépatique.

L’horloge de 12 h est plus conservée que l’horloge circadienne

Des gènes oscillant avec une période de 12 h avaient déjà été identifiés chez les crustacés, et l’indépendance de l’horloge circatidale avec l’horloge circadienne avait été établie [10]. Il est frappant de constater que ce sont les mêmes gènes du métabolisme mitochondrial qui oscillent avec une période de 12 h chez les crustacés et la souris, suggérant une conservation au cours de l’évolution de ce rythme, indépendamment de l’adaptation aux marées. Afin de savoir si le rythme d’expression des gènes associés au RE était aussi conservé au cours de l’évolution, et parce que ces gènes n’avaient pas été étudiés chez les crustacés, les auteurs ont analysé les données temporelles obtenues chez le nématode Caenorhabditis elegans. Un rythme de 12 h a bien été retrouvé dans l’expression des ARN des gènes mito-chondriaux de la phosphorylation oxydative, ainsi que des gènes du métabolisme, du stress du RE, et de l’orthologue de Xbp1. Des orthologues des gènes de l’horloge existent chez C. elegans mais ils n’oscillent pas et ont, par contre, un rôle dans le développement. L’horloge de 12 h est donc conservée entre nématodes et mammifères, confirmant que les horloges de 12 h et de 24 h ont évolué de façon indépendante.

Conclusion

Cette découverte nous conduit à porter un regard nouveau sur les rythmes biologiques. La rythmicité circadienne a attiré l’essentiel des études précédentes, alors que les rythmes purs sont rares dans la nature. Les rythmes physiques sont des superpositions avec des résonnances harmoniques dans la musique, la lumière ou le mouvement des planètes. À la lumière des travaux de cette étude, il apparaît que la résonnance harmonique serait plus universelle dans la nature qu’on ne le pense, un concept qui avait déjà été proposé par Pythagore il y a 2 000 ans, baptisé « Musica Universalis ». Il ne fait nul doute que l’horloge (ou les oscillations) de 12 h sera prise en compte au même titre que l’horloge circadienne dans les futures études des rythmes cellulaires et physiologiques.

Remerciements

Les travaux de notre équipe sont soutenus par l’ANR « Investissement d’avenir » LABEX Signalife (ANR-11-LABX-0028-01) et le projet Chronomet. (ANR-2012-BLAN-014-01).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1L’approche eigenvalue/pencil a été initialement développée pour l’analyse spectrale des signaux.
Références
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Haus E, Dumitriu L, Nicolau GY, et al. . Circadian rhythms of basic fibroblast growth factor (bFGF), epidermal growth factor (EGF), insulin-like growth factor-1 (IGF-1), insulin-like growth factor binding protein-3 (IGFBP-3), cortisol, and melatonin in women with breast cancer . Chronobiol Int. 2001;; 18 : :709.-27.
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