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Med Sci (Paris). 34(2): 107–108.
doi: 10.1051/medsci/20183402001.

Les états généraux de la bioéthique de 2018

Hervé Chneiweiss1*

1Équipe plasticité gliale et tumeurs cérébrales Neuroscience Paris Seine-IBPS CNRS UMR8246/U1130 Inserm/UMCR18 Faculté Pierre et Marie Curie Sorbonne Université Université Pierre et Marie Curie7, quai Saint-Bernard75005Paris, France
Corresponding author.
 

Avant de commencer à écrire cet Éditorial, je me suis interrogé sur les textes ayant déjà traité de bioéthique dans médecine/sciences. J’espérais bien que notre revue, qui a connu au moins trois rédacteurs en chef très engagés dans le domaine (Axel Kahn, Marc Peschanski et moimême), sans parler de Laure Coulombel qui vient de voir son mandat au Comité consultatif national d’éthique (CCNE) renouvelé, ait publié sur le sujet. Je ne me trompais pas puisque le simple mot « bioéthique » permet de retrouver 87 articles depuis 2001, avec quelques trésors dont je recommande la lecture ou la relecture, comme le précieux témoignage de Claude Huriet [1] (➔) sur la loi de 1988 (loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales), qui fut la première loi de bioéthique en France [2] (➔) ou l’Éditorial de René Frydman [3] (➔) à la suite du prix Nobel décerné à Robert Edwards en 2010 pour ses travaux sur la fécondation in vitro, qui devaient conduire à la naissance de Louise Brown en 1978. Ce succès fut l’élément déclencheur d’un « besoin bioéthique » à l’échelle internationale.

(➔) Voir l’Éditorial de C. Huriet, m/s n° 3, mars 2008, page 223

(➔) Voir le Forum de P. Jaillon et J.P. Demarez, m/s n° 3, mars 2008, page 323

(➔) Voir l’Éditorial de R. Frydman, m/s n° 12, décembre 2010, page 1007

Comme les comètes qui nous reviennent à intervalles réguliers, voici donc revenu le temps de la révision des lois relatives à la bioéthique. Et la détermination de notre Président et de son gouvernement laisse à penser que nous ne retrouverons pas les feuilletons interminables qui avaient repoussé bien au-delà des cinq ans prévus par la loi la révision des lois de 1994, puis de 2004.

Mais commençons par rappeler sur quoi portent ces lois. Elles réaffirment les principes généraux de protection de la personne humaine, et établissent les règles d’organisation d’activités médicales telles que la procréation médicalement assistée (PMA) ou la greffe, de la recherche biomédicale ou des règles de santé publique. En 1994, trois lois avaient été votées. La première encadrait les techniques biomédicales, recherche et soins, qui risquent de porter atteinte à la vie privée. Ce sont les recherches ou les tests diagnostiques qui permettent l’identification d’une personne par l’analyse de certaines caractéristiques du corps humain. En particulier, les analyses génétiques font maintenant l’objet des articles 16-10 et 16-11 du code civil, qui précisent les conditions de fins médicales, de recherche scientifique et d’enquête judiciaire, autorisant la mise en œuvre de tests permettant le diagnostic ou la détection d’une prédisposition à des maladies, l’identification de personnes dans des contextes judiciaires [4] (➔) ou de contestation de filiation. Parmi les autres caractéristiques du corps humain essentielles à notre vie privée, les neurosciences sont déjà mentionnées depuis la révision de la loi de 2011, en raison de l’accès réel ou futur à certaines de nos caractéristiques cognitives. Le second domaine abordé par les lois bioéthiques encadre les techniques biomédicales qui interviennent sur le processus vital par la création d’embryons in vitro, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle, afin d’apporter à un couple l’assistance nécessaire pour lui permettre de procréer. Enfin, le troisième domaine encadré par les lois de bioéthique concerne les pratiques médicales, soins et recherche, mettant en jeu le corps humain et la vie privée dans un intérêt autre que celui de la personne sur qui elles portent. C’est l’encadrement de toutes les techniques de greffe et de production d’éléments du corps humain, cellules ou produits extraits du sang ou des cellules, et en particulier la question du don et des principes de gratuité et d’anonymat qui lui sont attachés.

(➔)Voir la Synthèse de F.X. Laurent et al., m/s n° 11, novembre 2017, page 971

Depuis la loi de 2011, que d’avancées scientifiques dont m/s vous régale chaque mois ! Vous pensez immédiatement au séquençage à haut débit de l’ADN, au développement de la bioinformatique, à la compréhension du développement embryonnaire précoce que permettent les recherches sur des embryons humains cultivés in vitro, à l’organisation en 3D de mini-organes fonctionnels et autonomes, à la modification ciblée du génome grâce au système CRISPR/Cas9… toutes avancées qui soulèvent des questionnements éthiques aussi inédits qu’importants. C’est de l’impact de ces grandes avancées scientifiques et médicales dont il faut maintenant débattre, ainsi que de leur encadrement (ou non) par la loi, afin de permettre la mise en œuvre éthique de leur application en recherche et dans le domaine du soin.

Parmi les sujets attenants à la vie privée, il faudra examiner l’impact des avancées scientifiques en génétique et neurosciences, par exemple les résultats non sollicités (improprement nommés « incidental findings ») [5] (➔) produits par le séquençage à haut débit ou le développement de l’imagerie cérébrale. Il faudra également examiner s’il faut (ou plutôt comment ?) mieux encadrer tout ce qui ressort des données massives (Big Data), du numérique ou de l’intelligence artificielle en matière de santé. Concernant le processus vital, nous aurons à examiner certaines recherches sur l’embryon qui pourraient conduire à des soins précoces au bénéfice de l’embryon (utilisation des technologies de modification ciblée du génome, par exemple, si elles s’avéraient sûres et efficaces) ou à une amélioration du nombre de naissances. La recherche sur l’embryon au bénéfice de la naissance d’enfants en bonne santé a déjà conduit le Comité d’éthique de l’Inserm à publier plusieurs Notes dont je ne peux que recommander la lecture [6]. Il conviendrait par ailleurs de revoir l’interdiction du diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies, puisque certaines études [7] suggèrent qu’une recherche systématique de ces anomalies chromosomiques au stade de blastocyste (5e jour après la fécondation) et l’exclusion des embryons aneuploïdes avant transfert dans l’utérus amélioreraient significativement le taux de naissances. Toujours au chapitre du processus vital, la question est soulevée d’intégrer tout ou partie des lois encadrant la fin de vie aux lois de bioéthique. Enfin, concernant les nouvelles stratégies de médecines régénératives, il faudra examiner, par exemple, les conditions de mise en œuvre des stratégies de soins fondées sur l’expérimentation sur des organoïdes humains uniquement (pouvons-nous nous passer de l’expérimentation animale ?) ou utilisant ces organoïdes.

(➔) Voir la Libre opinion de B. Isidor et al., m/s n° 11, novembre 2017, page 1001

Un grand moment de rencontre entre la science biomédicale et la société. C’est pourquoi, l’un des grands enjeux du processus de révision sera l’implication citoyenne, dans le cadre des états généraux de la bioéthique, afin de permettre un véritable dialogue entre scientifiques et société civile sur les avancées de la biologie et les progrès potentiels qu’ils portent pour la santé. Comment laisser aux premiers une large liberté de recherche sous réserve d’un encadrement rigoureux garantissant le respect des principes fondamentaux attachés à la personne humaine, notamment de la dignité humaine, tout en laissant à la société le choix des limites et de la mise en œuvre ou non de ce qui serait devenu techniquement possible ? Comment préserver l’intégrité scientifique et médicale de l’emballement du marché des désirs individuels ? Le temps de la réflexion est ici essentiel et permet de poser plus sereinement les termes du débat. Prenons comme exemple l’avis 126 du CCNE qui a pris environ 3 ans de mûre réflexion [8]. Cet avis propose de ne pas céder aux mirages de la préservation ovocytaire pour les femmes jeunes (mais, à titre personnel, il me semble qu’un bilan ovarien serait recommandable vers 30 ans, afin de dépister une faible réserve ovocytaire dont il faudrait prévenir les conséquences sur la fertilité future). Inversement, le même avis ne trouve pas d’argument éthique majeur à opposer à la naissance d’un enfant après insémination artificielle (IAD) pour les couples de femmes ou des femmes seules. À la société ensuite de faire un choix démocratique. Des enquêtes d’opinion récentes suggèrent que les mœurs évoluent très vite et que nos concitoyens semblent aujourd’hui ouverts à des utilisations sociétales de techniques jusqu’ici réservées au domaine médical, par exemple l’ouverture de la PMA aux couples de femmes ou au femme seules.

Les états généraux de la bioéthique ont débuté le 18 janvier 2018. Ils se tiennent sous l’égide du CCNE comme le veut la loi depuis 2004. Le CCNE a réuni en novembre 2017 les comités d’éthique des institutions de recherche et des académies, et, par ailleurs, les espaces éthiques régionaux (ERERI) qui joueront un rôle majeur dans l’animation des débats sur tout le territoire au cours du printemps 2018. En parallèle, des groupes de travail du CCNE auditionneront, de février à avril, les sociétés savantes, les associations de patients et les représentants des grands courants de pensée. L’objectif est de produire une synthèse des questionnements et des propositions concrètes d’évolution des lois pour l’été 2018. Un objectif ambitieux qui exige la mobilisation sans délai de toutes les bonnes volontés.

Remerciements

L’auteur tient à remercier Laure Coulombel pour ses suggestions et commentaires.

Liens d’intérêt

Au moment où il rédige cet éditorial, l’auteur déclare être Président du Comité d’éthique de l’Inserm et ancien membre du CCNE (2013-2017). Au titre de ses fonctions au cabinet du ministre de la recherche (2000-2002) puis au conseil scientifique de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Techniques (2003-2016), il a participé au processus de révision des lois de bioéthique. Il est membre du comité d’organisation des États Généraux de la Bioéthique.

Références
1.
Huriet C. Vingt ans après… Med Sci (Paris). 2008;; 24 : :223.-5.
2.
Jaillon P, Demarez JP. L’histoire de la genèse de la loi Huriet-Sérusclat de décembre 1988. : loi sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales. Med Sci (Paris). 2008;; 24 : :323.-7.
3.
Frydman R. Oser innover pour favoriser la vie. Med Sci (Paris). 2010;; 26 : :1007.-8.
4.
Laurent FX, Vibrac G, Rubio A, et al. Les nouvelles technologies d’analyses ADN au service des enquêtes judiciaires . Med Sci (Paris). 2017;; 33 : :971.-8.
5.
Isidor B, Julia S, Nizon M, Vincent M. Le savoir doit-il s’imposer ? Un enjeu majeur de la génétique à haut débit. Med Sci (Paris). 2017;; 33 : :1001.-2.
7.
Dahdouh EM, Balayla J, Garcia-Velasco JA. Impact of blastocyst biopsy and comprehensive chromosome screening technology on preimplantation genetic screening: a systematic review of randomized controlled trials. Reprod Biomed Online. 2015;; 30 : :281.-9.