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Med Sci (Paris). 34(4): 296–299.
doi: 10.1051/medsci/20183404006.

Antagonistes du récepteur CB1 des cannabinoïdes et obésité
Le tissu adipeux au coeur du débat !

Hélène Gilgenkrantz1* and Sophie Lotersztajn1

1CRI (centre de recherche sur l’inflammation), Inserm UMR 1149-université Paris Diderot, faculté de médecine Xavier Bichat, 16, rue Henri Huchard, 75018Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adipocytes, Animaux, Antagonistes des récepteurs de cannabinoïdes, Femelle, Humains, Mâle, Obésité, Récepteur cannabinoïde de type CB1, Récepteur cannabinoïde de type CB2, métabolisme, physiologie, pharmacologie, traitement médicamenteux, physiopathologie, effets des médicaments et substances chimiques

L’obésité : une maladie inflammatoire

On le sait, on nous le répète, l’obésité (définie par un indice de masse corporelle supérieur à 30), est un fléau qui a désormais pris une ampleur épidémique dans les pays développés. En France, elle touche 16 % des hommes et des femmes avec une répartition inégale en fonction de la tranche d’âge et de la catégorie socio-économique. Si on y ajoute les individus en surpoids (indice de masse corporelle supérieur à 25), 57 % de la population masculine française et 41 % des femmes sont touchés. Ce que l’on sait moins, c’est que l’obésité est une maladie inflammatoire à bas bruit. En effet, elle est associée à une augmentation des cytokines dans le sang et dans le tissu adipeux des patients (IL - 6 [interleu-kine-6], TNFα [tumor necrosis factor-α], CRP [C-reactive protein]), mais également à une infiltration macrophagique du tissu adipeux. Il faut ajouter à ce cocktail, la dysbiose, c’est à dire la modification du microbiote qui a été décrite chez les patients diabétiques et obèses [ 1, 2] ➔.

Voir la Nouvelle d’A.L. Barbotin et al., m/s n° 11, novembre 2016, page 930 et la Synthèse de R. Burcelin et al., m/s n° 11, novembre 2016, page 952

L’inflammation chronique est ainsi corrélée aux complications cardiovasculaires et métaboliques, comme le diabète, de l’obésité. Malheureusement, lorsque les tentatives de régimes ont échoué, l’arsenal thérapeutique efficace reste limité et souvent invasif (anneau gastrique, sleeve gastrectomie1, ou bypass gastrique2).

Splendeurs et misères du Rimonabant

Le système endocannabinoïde (SEC) est composé de deux récepteurs couplés aux protéines G (cannabinoid type 1-receptor [CB1-R] et cannabinoid type 2-receptor [CB2-R]), de leurs ligands endogènes (l’anandamide [AEA], et le 2-acylglycérol [2-AG]), et des enzymes responsables de leur synthèse et de leur dégradation. Le récepteur CB1 (CB1-R) est majoritairement exprimé dans le cerveau, et dans une moindre mesure dans de nombreux autres tissus comme l’intestin, le foie, le tissu adipeux ou le système cardiovasculaire; le récepteur CB2 (CB2-R) est, quant à lui essentiellement exprimé par les cellules du système immunitaire [ 3] ➔.

Voir la Nouvelle de F. Teixeira-Clerc et al., m/s n° 8-9, août-septembre 2006, page 683

L’obésité est associée à une induction de la synthèse des endocannabinoïdes, et notamment à une augmentation du 2-AG dans le sang circulant et dans le tissu adipeux viscéral. Le rôle du système endocannabinoïde dans la prise alimentaire et le métabolisme glucido-lipidique a fait l’objet de nombreux travaux. Il est en effet admis que l’activation de CB1, chez la souris, stimule la prise alimentaire en régulant l’expression de neuromédiateurs orexigènes3, en même temps qu’elle induit l’adipogenèse, la lipogenèse et une insulino-résistance [ 4, 5] (Figure 1). A contrario, son inhibition pharmacologique ou génétique est anorexigène et restreint l’obésité ainsi que la stéatose hépatique induites par un régime riche en graisses. Ainsi, les souris traitées par un antagoniste du récepteur CB1, le Rimonabant, perdent 20 % de masse corporelle et ont une masse grasse réduite de 50 % par rapport aux souris non traitées soumises au même régime alimentaire. La diminution de la prise alimentaire, l’augmentation de la dépense énergétique et l’activation de la lipolyse et de l’oxydation des acides gras sont à l’origine de cette perte de poids. Malheureusement, le Rimonabant inactive également les récepteurs CB1 du système nerveux central, et son utilisation chez l’homme a été stoppée nette en raison d’effets délétères psychiatriques, en particulier de dépressions sévères et de tendances suicidaires [ 6]. Depuis le retrait du marché de ce médicament en 2009, des antagonistes sélectifs ne passant pas la barrière hémato-encéphalique, donc ciblant uniquement le système périphérique, ont été développés. Ces derniers donnent des résultats prometteurs chez le rongeur puisqu’ils diminuent la glycémie, modifient le profil lipidique, et améliorent la stéatose hépatique, l’obésité et le risque cardiovasculaire qui lui est associé [ 7- 9]. Néanmoins, la méconnaissance des cibles tissulaires de ces antagonistes à l’origine de leurs effets bénéfiques ralentit les efforts thérapeutiques. Pour mieux comprendre le rôle tissu-spécifique du récepteur CB1, un consortium germano-italien a étudié les conséquences de son invalidation inductible ciblée sur le tissu adipeux [ 10].

Rôle de CB1 sur l’adipocyte

Chez les mammifères, deux types de tissu adipeux coexistent : le tissu adipeux blanc (white adipose tissue, WAT) qui régule l’homéostasie énergétique, et le tissu adipeux brun (brown adipose tissue, BAT) qui est spécialisé dans la thermogenèse et la dissipation énergétique. En utilisant l’expression de la recombinase Cre sous la dépendance du promoteur de l’adiponectine4, les auteurs ont réduit l’expression du récepteur CB1 adipocytaire dans le WAT (de 70 à 80 %) et le BAT (de 40 %). Les souris ainsi invalidées pour le récepteur CB1 dans le tissu adipeux soumises à un régime normal, tout comme leurs congénères invalidées dans tous les tissus, ont une masse corporelle et une prise alimentaire diminuées par rapport aux souris sauvages. Contrairement aux souris normales, elles ne développent pas d’obésité lorsqu’elles sont soumises à un régime gras et elles présentent une nette amélioration de leur sensibilité à l’insuline. Cette protection vis-à-vis de l’obésité et de ses conséquences est également associée à une moindre concentration sérique de cytokines inflammatoires. Ainsi, que la perte de CB1 soit totale ou restreinte au tissu adipeux, elle protège vis-à-vis de la prise de poids induite par un régime gras.

La perte de CB1 dans l’adipocyte induit de profondes modifications de la morphologie adipocytaire (adipocytes plus petits, diminution du stockage lipidique) qui sont corrélées à une augmentation de la biogenèse mitochondriale et de l’expression des gènes de la thermogenèse (comme UCP1 [uncoupling protein 1]) ainsi que d’une enzyme corrélée à la quantité de BAT (la fatty acid elongase 3). Dans le tissu adipeux blanc, existe une sous-population d’adipocytes appelés brite (brown in white) capables de s’engager dans une fonction de thermogenèse en exprimant la protéine UCP1. Cette plasticité adipocytaire, connue sous le nom de browning [ 11] ➔. est augmentée chez les souris invalidées pour CB1 (Figure 2). L’analyse du tissu adipeux montre également que les macrophages qui y sont présents, évoluent vers un état antiinflammatoire (avec une polarisation de type M26). Ces macrophages M2 sont en étroit contact avec les neurones efférents sympathiques qui expriment la norépinephrine (ou noradrénaline) (Figure 2). Certaines des informations obtenues par les auteurs du travail que nous relatons intéresseront davantage encore les patients. En effet, non seulement les modifications adipocytaires et macrophagiques observées précèdent la prise de poids, mais l’inhibition de CB1, une fois l’obésité constituée, permet de faire régresser la charge pondérale et d’améliorer la sensibilité à l’insuline. Enfin, l’obésité, chez l’homme comme chez le rongeur, étant associée à une modification du comportement, en particulier à une exacerbation de l’anxiété, les auteurs ont étudié les conséquences de l’inactivation du récepteur CB1 adipocytaire sur ce trait psychologique et sur la diminution de la curiosité exploratoire de la souris obèse. Là aussi, les résultats sont prometteurs : l’inhibition de CB1, une fois l’obésité constituée, restreint les perturbations comportementales induites par le surpoids.

Voir la Synthèse de A. Carrière et al., m/s n° 8-9, aoûtseptembre 2013, page 729

Les auteurs démontrent ainsi que la « taille de guêpe » de ces souris dépourvues du récepteur CB1 uniquement dans l’adipocyte est due à une reprogrammation des adipocytes et des macrophages du tissu adipeux en lien avec une augmentation du tonus sympathique aboutissant à une diminution de la différenciation adipocytaire et une augmentation du browning du WAT, et ceci, indépendamment de la baisse de la prise alimentaire. Ces résultats soulignent l’importance du récepteur CB1 dans le dialogue entre adipocytes, cellules du système immunitaire et système nerveux sympathique qui concourent à la maladie métabolique et inflammatoire qu’est l’obésité.

Perspectives

Ces résultats stimulent la poursuite du développement d’une pharmacopée du système endocannabinoïde, visant les tissus périphériques. Le ciblage du tissu adipeux est d’autant plus intéressant que la délétion spécifique du récepteur CB1 dans le foie protège de la stéatose hépatique, de la dyslipidémie et de l’insulinorésistance, mais n’empêche pas l’obésité [ 12, 13]. Quant au récepteur CB2, son activation aurait des effets diamétralement opposés à ceux de l’activation du récepteur CB1. En effet, les agonistes CB2 réduisent la prise alimentaire, la prise de poids et améliorent l’insulino-résistance et l’inflammation associée à l’obésité. Quelles sont les autres pistes thérapeutiques actuelles ? Une classe de composés antagonistes neutres du récepteur CB1 passant la barrière hémato-encéphalique mais dépourvus de ces effets indésirables anxiogènes et dépresseurs aurait des effets métaboliques équivalents à ceux du Rimonabant [ 14]. Par ailleurs, l’administration d’inhibiteurs allostériques endogènes de CB1 a aussi une place dans cet arsenal thérapeutique puisqu’elle diminue la prise de poids de souris obèses sans induire d’anxiété [ 15, 16]. Enfin, ne passons pas à côté des choses simples, la modulation de notre alimentation : enrichir nos apports alimentaires en acides gras polyinsaturés n-3 diminue les taux d’endocannabinoides plasmatiques et, en conséquence, améliore le profil lipidique des sujets obèses et hypercholestérolémiques [ 17, 18]. Le bonheur restera-t-il dans l’assiette pour autant ?

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 L’intervention ne conserve que la partie verticale de l’estomac, créant un petit réservoir tubulaire sans interrompre le circuit alimentaire et sans anneau à surveiller ou à serrer.
2 Le bypass gastrique est une réduction de la taille de l’estomac par lequel passent les aliments et un court-circuit d’une partie de l’intestin.
3 Qui est susceptible de stimuler l’appétit.
4 Une hormone produite par le tissu adipeux impliquée dans la régulation du métabolisme des lipides et du glucose.
5 Selon les stimulations qu’ils reçoivent, les macrophages peuvent évoluer vers le type M1 (pro-inflammatoire) ou M2 (anti-inflammatoire) impliqué en particulier dans le remodeling (ou remodelage).
Références
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