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Med Sci (Paris). 34(4): 309–311.
doi: 10.1051/medsci/20183404010.

Dépistage néonatal de la drépanocytose
Des données en faveur de sa généralisation

Marina Cavazzana,1,2* Aurélie Stanislas,1,2 Christelle Rémus,1,2,3 Patricia Duwez,4 Julie Renoult,4 Justine Cretet,4 Sabrina Fernandes,4 Charlotte Le Mée,4 Bichr Allaf,5 Dominique Porquet,5 Arnold Munnich,3 Michel Polak,4 Valérie Gauthereau,4 and Robert Girot2,3

1Département de biothérapie, hôpital Necker-Enfants Malades, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, 149, rue de Sèvres, 75015Paris, France
2Centre d’investigation clinique de biothérapie, hôpital Necker-Enfants Malades, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, 149, rue de Sèvres, 75015Paris, France
3Service de génétique, hôpital Necker-Enfants Malades, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, 149, rue de Sèvres, 75015Paris, France
4Fédération parisienne pour le dépistage, la prévention du handicap chez l’enfant, 149, rue de Sèvres, 75015Paris, France
5Laboratoire de biochimie génétique, hôpital Robert Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Drépanocytose, France, Humains, Nouveau-né, Dépistage néonatal, diagnostic, épidémiologie, méthodes

 

La drépanocytose est due à la mutation S du gène codant la bêta-globine1. Il s’agit de la maladie génétique monogénique la plus répandue dans le monde [ 1]. Le dépistage néonatal de la maladie constitue un élément essentiel de la politique de santé publique conduite en faveur des enfants atteints de syndrome drépanocytaire majeur. En effet, ce dépistage permet d’informer les parents et de mettre en place, dès les premières semaines de vie, les mesures préventives, notamment anti-infectieuses, à l’égard des complications aiguës potentiellement mortelles à cet âge [ 2, 3].

Le dépistage néonatal de cette maladie a été mis en place dans la population générale dans les départements et les territoires d’outre-mer dès 1985. Il a été introduit en 1995 en France métropolitaine, mais restreint aux nouveau-nés à risque, pour des raisons de rapport coûtefficacité [ 4].

En France métropolitaine, au cours de la période 2011-2016, entre 305 et 397 nouveau-nés (en moyenne 315) ont été dépistés chaque année atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur. Pendant cette même période, en moyenne 7624 nouveau-nés (entre 7051 et 8172) ont été dépistés également chaque année comme étant porteurs du trait AS/AC2. Étant exposés au même risque génétique de donner naissance à un enfant atteint d’un syndrome drépanocytaire majeur, les porteurs des traits AS et AC sont regroupés dans une même catégorie (Tableau I) [ 5]. Dans la région Île-de-France, au cours de l’année 2016, sur une population de 179 602 nouveau-nés, 132 115 enfants (soit 73,56 % de la population) ont été considérés à risque pour la drépanocytose et ont été testés. 218 nouveau-nés ont été dépistés comme ayant un syndrome drépanocytaire majeur et 5 572 comme étant porteurs du trait AS/AC (Tableau II).

Considérant d’une part, ce pourcentage proche de 75 %, et, d’autre part, le risque de laisser échapper au dépistage des enfants malades, la question de la pertinence du ciblage instauré en France métropolitaine en 1995 se pose. C’est la raison pour laquelle, en collaboration avec l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFPDPHE), sous l’égide de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs et des salariés (CNAMTS) et de la Direction générale de la santé (DGS), une étude prospective a été réalisée sur l’ensemble de la population des nouveau-nés. L’objectif de cette étude était de vérifier si la méthode de ciblage en période néonatale permettait le dépistage de tous les enfants atteints de syndrome drépanocytaire majeur.

Le dépistage généralisé de la drépanocytose de février à mai 2017

Pendant la période allant du 15 février au 31 mai 2017, tous les nouveau-nés de la région Île-de-France ont été dépistés pour la drépanocytose, selon les procédures en vigueur mises en place par l’AFPDPHE. Dans les 72 heures postpartum, infirmières et sages-femmes ont apposé une goutte de sang à la surface d’un papier buvard réservé à cet effet et une étude de l’hémoglobine par chromatographie liquide haute performance (CLHP) a été réalisée à des fins de dépistage de première intention. En cas de détection d’une hémoglobine anormale, une technique de seconde intention, l’isoélectrofocalisation, a été réalisée afin de préciser la nature de l’anomalie détectée [ 6]. Les nouveau-nés ont été répartis en deux catégories correspondant à la population ciblée (population qui, au sein de la maternité, a été identifiée comme étant potentiellement porteuse de la drépanocytose et testée) et à la population non ciblée (correspondant à celle qui n’a pas été identifiée comme étant potentiellement porteuse de la drépanocytose et non testée).

Des résultats problématiques

Pendant la période de l’étude, 48 143 nouveau-nés ont été testés, 31 405 enfants correspondant à la population des nouveau-nés ciblés et 16 778 correspondant à la population des nouveau-nés non ciblés. Ces chiffres représentent respectivement 65 % et 35 % de l’ensemble de la population. Dans la population ciblée, 61 enfants atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur ont pu être dépistés avec les méthodes employées et 1 588 nouveau-nés porteurs du trait AS/AC ont été identifiés. Dans la population non ciblée, 5 malades atteints eux aussi d’un syndrome drépanocytaire majeur ont été dépistés ainsi que 155 nouveau-nés porteurs du trait AS/AC. Les 5 malades ont été adressés au centre de référence pour leur prise en charge. Le nombre de malades par rapport aux porteurs du trait AS/AC s’est révélé identique (chi2 = 0,14; p = 0,71) dans les deux populations (population ciblée 1 588 porteurs/61 malades soit 26 % et population non ciblée 155 porteurs et 5 malades, soit 30 %) validant ainsi le nombre de tests réalisés dans la population non ciblée (Tableau III).

Un dépistage inadapté

Le dépistage ciblé de la drépanocytose ainsi effectué dans la région parisienne durant la période de février à mai 2017 s’est révélé inadapté car 5 nouveaunés de la population non ciblée ont été dépistés dans le cadre de cette étude et identifiés atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur (soit 7,5 %). Plusieurs raisons peuvent expliquer ces défaillances du dépistage : d’une part, la mixité de la population francilienne, qui rend le ciblage complexe de par la difficulté d’identifier les sujets à risque et d’autre part, l’imprécision des réponses des couples potentiellement à risque, interrogés sur leurs origines géographiques. La formation des professionnels de santé à l’identification des personnes concernées est également difficile. Ceux-ci font en effet l’objet d’un important renouvellement dans les maternités, rendant la transmission des informations complexe. Le manque de temps de ces personnels, nécessaire pour préciser l’origine géographique des parents, ainsi que leurs hésitations à poser ces questions, sont également des facteurs importants intervenant dans l’absence de précision du ciblage [ 7]. Ces problématiques, déjà rapportées au Royaume-Uni, peuvent ainsi expliquer que plus de 20 % des réponses des parents soient absentes ou erronées [ 8]. Ces mêmes difficultés ont été soulignées dans un travail portant sur une période de 6 ans en région Provence-Alpes Côte d’Azur (PACA) concernant le nombre de malades et de porteurs du trait AS/ AC non dépistés. Dans cette étude, les 99 099 nouveau-nés de la population non ciblée comportaient 614 porteurs du trait AS/AC et 10 malades atteints d’un syndrome drépanocytaire majeur. La majorité des enfants atteints, de la population non ciblée, étaient nés de couples présentant un risque clairement élevé, mais non identifiés du fait d’un manque d’information sur leurs origines géographiques familiales [7].

Des discordances entre les différents items à remplir sur le papier buvard sont aussi apparues lors du dépôt de la goutte de sang sur ce papier, conduisant à ne pas prélever le sang des enfants éventuellement malades ou porteurs du trait AS/AC. À ces difficultés d’identification, s’ajoute l’absence, dans certains cas, de prélèvement de certains nouveau-nés, en raison d’un problème médical (prématurité, hospitalisation en unité de soin intensif, etc.). Il est à noter également que la notification du dépistage dans le carnet de santé peut être source de malentendus. En effet, lorsque l’entretien avec les parents d’un nouveau-né conclut à l’absence de risque, l’enfant n’est pas prélevé. Cependant, dans le carnet de santé, la rubrique « dépistage néonatal de la drépanocytose » peut être cochée comme ayant été réalisée. Dans le cadre d’un dépistage ciblé, cette rubrique peut donc conduire à deux interprétations : négatif ou absence de diagnostic. Cette ambiguïté n’apparaît que lorsque les professionnels de santé et/ou les parents se renseignent auprès de la FPDPHE pour connaître le résultat d’un examen qui peut donc ne pas avoir été réalisé dans le cadre du ciblage.

Du point de vue économique, en 2016, en Île-de-France, le coût du dépistage des 132 115 nouveau-nés ciblés a été de 388 K€. S’il avait été effectué, le dépistage des 47 493 nouveau-nés non ciblés aurait coûté 140 K€ de plus.

Le dépistage ciblé de la drépanocytose dans la région parisienne effectué de Février à Mai 2017 s’est révélé défaillant puisque 5 nouveau-nés parmi les 16 778 enfants étudiés en tant que population non-ciblée n’auraient pas été dépistés s’ils n’avaient pas été inclus dans cette étude. Ces résultats plaident donc en faveur de la généralisation du dépistage néonatal de la drépanocytose, comme cela se pratique dans tous les pays qui l’ont mis en place (États-Unis, Royaume-Uni, Belgique, etc.). Cette étude appelle à un plan national d’information des professionnels de santé et des sujets hétérozygotes dans le cadre d’une action de prévention plus efficace.

Remerciements

Nous tenons à remercier la société SEBIA pour la mise à disposition (gracieusement) d’un automate Capillarys dédié à l’étude des nouveau-nés non ciblés au sein du laboratoire de la FPDPHE.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 La drépanocytose est due à la mutation du gène codant la bêta-globine, l’une des chaînes de l’hémoglobine. En raison de cette mutation, l’hémoglobine (dite hémoglobine S pour sickle, faucille en anglais) a tendance à polymériser lorsque la concentration d’oxygène dans le sang est faible.
2 AS : hétérozygote pour la mutation S du gène. AC : hétérozygote pour la mutation C du gène.
Références
1.
Piel FB , Steinberg MH , Rees DC. Sickle cell disease . N Engl J Med. 2017;; 376 : :1561.-73.
2.
Vichinsky E , Hurst D , Earles A , et al. Newborn screening for sickle cell disease: effect on mortality . Pediatrics. 1988;; 8 : :749.-55.
3.
Gaston MH , Verter Jl , Woods G , et al. Prophylaxis with oral penicillin in children with sickle cell anemia. A randomized trial . N Engl J Med. 1986;; 314 : :1593.-9.
4.
Tsevat J , Wong JB , Pauker SG , Steinberg MH. Neonatal screening for sickle cell disease: a cost-effectiveness analysis . J Pediatr. 1991;; 118 : :546.-54.
5.
Bilan d’activité 2016 de l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps chez l’enfant (AFPDPHE) . Tableau VI.1,2 et 3. Dépistage de la drépanocytose en 2016. Paris: : AFPDPHE; , 2016 : :65.-7.
6.
Bardakdjian-Michau J , Bahuau M , Hurtrel D et al. Neonatal screening for sickle cell disease in France . J Clin Pathol. 2009;; 62 : :31.-3.
7.
Thuret I , Sarles J , Merono F et al. Neonatal screening for sickle cell disease in France: evaluation of the selective process . J Clin Pathol. 2010;; 63 : :548.-51.
8.
Aspinall PJ , Dyson SM , Anionwu EN. The feasibility of using ethnicity as a primary tool for antenatal selective screening for sickle cell disorders: pointers from the research evidence . Soc Sci Med. 2003;; 56 : :285.-97.