Au cours des cent dernières années, les techniques et méthodes électroniques ont apporté d’énormes contributions pour la connaissance des processus dans le domaine des sciences naturelles et de la technologie. Parfois, c’est un développement technique qui a servi d’inspiration pour la mise au point d’un système analytique dans les sciences naturelles, par exemple la télévision pour la microscopie électronique [ 1]. D’autres fois, ce sont à l’inverse les sciences de la vie et la médecine qui ont impulsé des avancées technologiques, comme le développement de structures légères ou d’organes artificiels [ 2]. Compte tenu de l’immense développement qu’a connu l’électronique au cours des dernières décennies, il est tout à fait logique qu’il y ait eu de nombreuses retombées techniques pour la médecine tant sur le plan diagnostique que thérapeutique. Ainsi, la technologie de radiodiffusion a, par exemple, ouvert des possibilités de développement des techniques d’ECG (électrocardiographie), d’EEG (électroencéphalographie) et de thérapie à micro-ondes, qui a finalement jeté les bases de la RMN (résonance magnétique nucléaire) et la méthode d’imagerie tomographique qui en a résulté [ 3]. La précision croissante de la technologie des semi-conducteurs, débouchant sur une miniaturisation accrue, a également permis de réduire les dispositifs de mesures autrefois volumineux en de minuscules systèmes qui peuvent même, dans certains cas, être implantés. La loi de Moore1 suggère qu’aucune fin n’est ici prévisible à moyen terme. On peut donc s’attendre à ce que de nouveaux marchés pour de tels systèmes se créent à l’avenir.
Alors que, dans le monde de la technique, avec le projet d’avenir « industrie 4.0 », le lien logistique entre processus de production et processus de livraison a déjà été partiellement mis en œuvre, dans le monde médical, on est encore loin d’utiliser les méthodes développées dans l’industrie afin de rendre les stratégies de traitement plus efficaces et plus agréables pour les patients. Quiconque a déjà été traité dans un hôpital a pu constater que les processus diagnostiques et thérapeutiques sont souvent mal, voire pas du tout, synchronisés entre eux, que les patients doivent parfois attendre des heures devant des installations de diagnostic, ou que leurs traitements peuvent difficilement être suivis de manière continue. D’un côté, le développement, la production et la distribution de produits techniques sont bien sûr soumis à des critères différents que ceux appliqués au traitement des patients. D’un autre côté, une gestion plus efficace du parcours des patients dans les hôpitaux pourrait alléger leur séjour et faciliter le travail quotidien du personnel soignant. En dehors des urgences et des soins intensifs, les mesures diagnostiques et thérapeutiques peuvent généralement se planifier facilement - en supposant qu’il existe des dispositifs de planification qui permettent à l’hôpital d’être informé sur la charge de travail attendue, longtemps en avance, et donc d’affecter ses ressources de manière ciblée.
L’activité médicale, autrefois souvent désignée aussi comme « l’art médical de guérison », est une discipline pour laquelle il est important, en plus des nombreuses compétences techniques, de faire preuve d’empathie pour la personne traitée. Ceci ne peut être accompli uniquement avec des systèmes de diagnostic automatisés et des robots thérapeutiques. Cela suppose également que le médecin ne reste pas uniquement au niveau de ses connaissances, mais qu’il ait aussi la capacité de se mettre à la place de son patient. Cela signifie, à l’inverse, que les gains de rationalisation, qui peuvent être obtenus dans l’industrie grâce à des systèmes de contrôle intelligents, ne sont pas forcément directement transposables à des établissements de santé. Principalement, ces systèmes se concentrent, d’abord, sur une meilleure qualité des soins, une meilleure qualité de vie, et donc une meilleure prise en charge de la population. Des patients mieux traités généreront, par la suite, des coûts de soins qui seront diminués, et pourront être, le cas échéant, réintégrés dans le monde du travail plus rapidement, entraînant ainsi des coûts sociaux induits relativement faibles. La meilleure interconnexion entre diagnostic et traitement ne se traduira donc pas directement par une réduction des frais de traitement à l’hôpital, mais conduira à la réduction à long terme des coûts induits, provoquera le développement de structures de prévention (soins préventifs), et représentera donc un énorme potentiel d’économies pour l’ensemble du système.
Pendant longtemps, la médecine a reposé sur les connaissances et l’expérience des médecins et sur un nombre limité de médicaments, généralement à base de substances naturelles. Cette « médecine 1.0 », pour ainsi dire l’art médical de guérison classique, a reçu une première grande impulsion avec la découverte des antibiotiques, puis l’utilisation des rayons X dans le diagnostic : on peut ainsi parler de l’ère « médecine 2.0 ». La constante amélioration de la technologie a permis de nets progrès dans les thérapeutiques de type interventionnel. La chirurgie a ainsi bénéficié de la technologie des microsystèmes et de l’électronique (chirurgie naviguée, reconnaissance d’image, robotique, etc.), ce qui a rendu possible des opérations auparavant inimaginables, et a contribué à une augmentation très nette de l’espérance de vie. En effet, dans certains cas, ce n’est pas un médicament qui a causé une percée majeure dans le traitement d’une condition particulière, mais un chirurgien habile et la toute dernière technologie à laquelle il a eu accès. Ainsi est apparu le temps de la « médecine 3.0 ». Les connaissances dans les sciences de la vie et les sciences de l’ingénieur ont tellement progressé que l’on s’achemine de plus en plus vers des dimensions similaires à celles des microstructures des cellules vivantes. Il est désormais possible, au moyen de minuscules structures issues de la technologie des semi-conducteurs, de créer des implants technologiques d’une précision jusqu’alors inconnue - ceux-ci sont déjà utilisés dans la pratique. La fusion de la technologie des micro-capteurs, de la microélectronique, et des technologies de l’information et de la communication, a démontré avec succès, grâce à de nombreux exemples, qu’à l’avenir, les boiteux remarcheront, les sourds entendront à nouveau et les aveugles reverront - et que des principes actifs organiques et des agents thérapeutiques peuvent être apportés au foyer de la maladie ou aux sites à l’origine de maladies chroniques [ 4, 5] (Figure 1).
Aujourd’hui, nous sommes au seuil de la « médecine 4.0 » qui, d’un côté, dispose théoriquement d’un potentiel opérationnel immense mais, d’un autre côté, est encore organisée, dans certains domaines, de manière archaïque et présente encore des structures générales de gestion qui devraient en réalité être considérées comme obsolètes dans des pays développés. L’état actuel des technologies de l’information et de la communication, de l’électronique et des techniques de microstructures, permettrait d’ores et déjà la mise en place de structures thérapeutiques bien plus efficaces que ce à quoi nous sommes encore habitués.
Au département d’électronique médicale Heinz Nixdorf de l’université technique de Munich, plusieurs dispositifs alliant les avantages de la microélectronique et des nouveaux systèmes d’information et de communication ont été développés. En particulier, l’utilisation de systèmes télématiques assistés par capteurs a permis de développer plusieurs outils thérapeutiques innovants, comme une gouttière dentaire intelligente pour traiter le bruxisme2, ou un implant intelligent pour le traitement ciblé des tumeurs. D’autres domaines, et notamment celui des thérapies personnalisées rendues possibles par les récentes découvertes technologiques, sont également appréhendés. En se fondant sur l’exemple concret de la chimiothérapie personnalisée, nous illustrerons, dans cette revue, la façon dont ces nouvelles formes de thérapie peuvent conduire à une meilleure qualité de traitement et, pour le patient, à une meilleure qualité de vie.