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Med Sci (Paris). 34(6-7): 518–522.
doi: 10.1051/medsci/20183406008.

Les cellules MAIT : un lien entre l’intestin et le diabète de type 1

Ophélie Rouxel1,2,3 and Agnès Lehuen1,2,3*

1Inserm U1016, Institut Cochin, université Paris Descartes, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014Paris, France
2CNRS, UMR 8104, 75014Paris, France
3Laboratoire d’excellence inflamex, Sorbonne Paris Cité, 75014Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Marqueurs biologiques, Diabète de type 1, Humains, Cellules à insuline, Intestins, Cellules T invariantes associées aux muqueuses, immunologie

Le diabète de type 1

Le diabète de type 1 (DT1) est une maladie auto-immune spécifique d’organe, caractérisée par la destruction sélective des cellules β pancréatiques des îlots de Langerhans, et ayant pour conséquence majeure, une insulinopénie progressive nécessitant un traitement par insulinothérapie à vie [1]. Bien que le DT1 ne soit pas le plus fréquent des diabètes, il est certainement le plus emblématique car il se déclenche, en majeure partie, chez des enfants et des adolescents. Son incidence n’a cessé de croître au cours de ces dernières décennies et aucun modèle génétique n’est en mesure d’expliquer, à lui seul, une telle augmentation, suggérant l’implication de facteurs environnementaux dans le déclenchement de la maladie. En effet, les études récentes concernant le DT1 chez l’homme et la souris soulignent l’importance de divers facteurs environnementaux, opérant dès le plus jeune âge, capables d’induire des perturbations du microbiote intestinal [24] et une perméabilité intestinale accrue [5, 6]. Ces diverses anomalies pourraient favoriser le processus auto-immun chez des individus génétiquement prédisposés et conduire au déclenchement de la maladie.

Les lymphocytes MAIT

Les mécanismes immunologiques conduisant au DT1 sont complexes et impliquent à la fois les systèmes immunitaires inné et adaptatif [7, 8] ().

(→) Voir la Synthèse de L. Ghazarian et al., m/s, n° 8-9, août-septembre 2013, page 722

Les lymphocytes MAIT (mucosal-associated invariant T cells) constituent un type de lymphocytes T innés possédant un phénotype de cellule effectrice, capables de sécréter rapidement d’importantes quantités de cytokines pro-inflammatoires [9]. Leurs capacités cytotoxiques, notamment contre des cellules infectées par des bactéries, les désignent comme des acteurs importants dans la mise en place des réponses antibactériennes [10, 11]. Chez l’homme, les cellules MAIT sont abondantes dans les muqueuses telles que les muqueuses intestinales et pulmonaires. Elles sont également présentes dans le sang où elles peuvent représenter jusqu’à 10 % des lymphocytes T circulants [12]. Les cellules MAIT sont des lymphocytes T non conventionnels car elles expriment un récepteur de reconnaissance des antigènes (TCR) semi-invariant, avec une chaîne TCRα Vα7.2-Jα33 chez l’homme et Vα19-Jα33 chez la souris, associée à un nombre restreint de chaînes β (Vβ6, Vβ8), et elles sont capables d’interagir, par leur TCR, avec MR1 (major histocompatibility complex-related protein 1), une molécule non polymorphe du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe 1b, qui présente aux cellules MAIT des métabolites d’origine bactérienne [13]. Le 5-OP-RU (1-deoxy-1-({2,6-dioxo-5-[(EE)-(2-oxopropylidene)amino]-1,2,3,6-tetrahydropyrimidin-4-yl}amino)-D-ribitol), par exemple, est un métabolite issu de la voie de biosynthèse de la riboflavine (la vitamine B2) produite par les bactéries et est capable d’activer les cellules MAIT.

Bien qu’initialement étudiées pour leurs propriétés antibactériennes, la localisation et les propriétés fonctionnelles des cellules MAIT les désignent comme de potentiels senseurs/acteurs des modifications du microbiote apparaissant lors du développement du DT1, ainsi que dans la mise en place des réponses immunitaires. Dans notre étude récemment publiée dans la revue Nature Immunology, nous nous sommes donc intéressés aux rôles que pouvaient jouer les lymphocytes MAIT dans la physiopathologie du DT1 [14].

Altération des lymphocytes MAIT chez les patients DT1

Des analyses par cytométrie en flux de la fréquence, du phénotype et de la fonction des lymphocytes MAIT ont été réalisées sur le sang d’enfants, au moment de la découverte du DT1, c’est à dire moins de 10 jours après le diagnostic, ou lors du suivi d’enfants DT1 sous insulinothérapie, ou chez des enfants donneurs sains. La fréquence des cellules MAIT dans le sang périphérique des enfants au moment du diagnostic du DT1 est diminuée de manière significative, et est associée à des modifications du phénotype d’activation et d’épuisement des cellules MAIT (révélés par l’augmentation de l’expression de CD25 et de PD-1 [programmed cell death-1]). Les mécanismes à l’origine d’une telle diminution des lymphocytes MAIT circulants ne sont pas encore élucidés, mais deux hypothèses sont envisageables. Les cellules MAIT pourraient, dans le contexte du DT1, s’activer et migrer du sang vers les tissus cibles enflammés, comme le suggère la diminution des marqueurs de migration et d’adhérence (comme CCR6 [C-C motif chemokine receptor 6] et CD56) à la surface des cellules MAIT circulantes, chez les enfants au moment du diagnostic du DT1. L’activation chronique des cellules MAIT circulantes ainsi que la diminution de l’expression de la molécule anti-apoptotique Bcl-2 (B-cell lymphoma 2) pourraient également conduire à une augmentation de la mort des cellules MAIT circulantes chez les enfants au moment du diagnostic du DT1.

Les lymphocytes MAIT, un nouveau biomarqueur du DT1

Une analyse factorielle discriminante, fondée sur l’expression par les lymphocytes MAIT de molécules intracellulaires et de surface, permet de différencier les trois populations d’enfants étudiées. L’analyse de quatre molécules de surface (CCR6, CD56, CD25 et PD-1) sur les cellules MAIT est effectivement suffisante pour distinguer un phénotype sain d’un phénotype malade. Ces modifications phénotypiques peuvent être observées en amont du déclenchement de la maladie et de l’apparition des signes cliniques. L’analyse des cellules MAIT chez des individus adultes à risque de développer un DT1, c’est-à-dire possédant au moins deux auto-anticorps contre des antigènes de cellules bêta-pancréatiques, a ainsi révélé des modifications phénotypiques des lymphocytes MAIT similaires à celles observées chez les enfants au moment de la découverte du DT1. Ces résultats prometteurs nécessitent des analyses complémentaires chez les enfants à risque de développer un DT1, mais ils suggèrent que les lymphocytes MAIT constitueraient un nouveau biomarqueur de la maladie et pourraient, à terme, être utilisés en routine afin de prédire l’évolution vers le DT1 chez les sujets à risque.

Potentiel cytotoxique des cellules MAIT

Dans le cadre du DT1, l’augmentation significative de la production de granzyme B par les cellules MAIT circulantes, chez les enfants au moment de la découverte du DT1, suggère leur implication dans la destruction des cellules β-pancréatiques. En effet, dans un contexte inflammatoire, l’expression de la molécule MR1 à la surface d’une lignée de cellules β humaines (EndoC-βH1) est augmentée et permet aux cellules MAIT, en présence de ligand activateur, de les reconnaître. Dans des expériences de co-cultures de cellules MAIT pré-activées et de cellules EndoC-βH1, les cellules MAIT s’activent et libèrent leurs granules induisant de manière dépendante de MR1 la mort des cellules EndoC-βH1. Ces résultats suggèrent que les cellules MAIT pourraient participer à la destruction des cellules β-pancréatiques humaines. Il serait intéressant d’analyser la présence des cellules MAIT dans le pancréas de patients DT1, ainsi que l’expression de la molécule MR1 à la surface des cellules β-pancréatiques humaines, afin de déterminer in situ le potentiel cytotoxique des cellules MAIT chez l’homme.

Rôle majeur des lymphocytes MAIT dans le maintien de l’homéostasie intestinale

Les résultats obtenus chez l’homme ont été approfondis et renforcés par l’analyse des lymphocytes MAIT dans un modèle murin, les souris NOD (non-obese diabetic), ayant la caractéristique de développer un DT1 de manière spontanée. L’analyse des cellules MAIT chez ces souris a ainsi révélé que les lymphocytes MAIT s’accumulaient dans le pancréas des animaux diabétiques.

Des modifications phénotypiques et fonctionnelles précoces des lymphocytes MAIT ont également été observées dans deux tissus : le pancréas et l’iléon. Dans le pancréas des souris NOD, les lymphocytes MAIT pourraient participer à la destruction des cellules β-pancréatiques notamment par leur capacité à produire du granzyme B et des cytokines pro-inflammatoires telles que l’IFNγ (interféron gamma), dont les taux de production augmentent significativement chez les souris diabétiques. Ces données, en accord avec celles obtenues chez l’homme, renforcent le rôle pro-inflammatoire et cytotoxique des lymphocytes MAIT dans le pancréas. En revanche dans l’iléon des souris NOD âgées de 10 semaines, les lymphocytes MAIT produisent deux cytokines jouant un rôle clé dans le maintien de l’homéostasie de la muqueuse intestinale : les interleukines IL-17 et IL-22. Lors du développement de la maladie, la production de ces deux cytokines par les lymphocytes MAIT intestinaux diminue. Les causes exactes de cette diminution restent encore à déterminer, mais il semblerait que celle-ci soit concomitante à la diminution d’IL-23 observée dans l’iléon des souris NOD pré-diabétiques et diabétiques. L’IL-23, notamment produite par les cellules dendritiques et les macrophages, est une cytokine impliquée dans l’induction de la production d’IL-17 et IL-22. Des expériences de gavage par du dextran-FITC (isothiocyanate de fluorescéine) ont mis en évidence une perméabilité intestinale significativement augmentée chez les souris NOD diabétiques par comparaison à des souris non-diabétiques. Il est donc possible que les altérations des lymphocytes MAIT, observées lors du DT1, soient orchestrées par des signaux bactériens en provenance de l’intestin.

Chez les souris NOD n’exprimant pas le gène Mr1 (Mr1-/- ), dépourvues de lymphocytes MAIT, plusieurs altérations intestinales ont été observées par comparaison aux souris NOD contrôles : une augmentation de la perméabilité intestinale, une diminution de l’expression des protéines de jonctions intracellulaires dans les cellules épithéliales intestinales, une distribution anormale du mucus, et une augmentation de l’infiltrat lymphocytaire intestinal. Ces altérations de la barrière et de l’homéostasie intestinale semblent être à l’origine d’une translocation accrue d’ADN bactérien vers les ganglions pancréatiques. Cet ADN bactérien pourrait, par la voie des récepteurs de l’immunité innée (tels les récepteurs Toll-like), favoriser l’activation des cellules immunitaires dans les ganglions pancréatiques, comme en témoigne l’augmentation d’expression des molécules de CMH de classe II et de CD86 (ou B7.2) à la surface des cellules dendritiques des souris NOD Mr1-/- . Les cellules dendritiques stimulées dans les ganglions pancréatiques pourraient favoriser l’activation des cellules T auto-réactives dirigées contre les cellules β-pancréatiques, conduisant à un diabète exacerbé chez les souris NOD Mr1-/-. Les résultats obtenus chez la souris NOD Mr1-/- sont en faveur d’un rôle protecteur dominant des lymphocytes MAIT dans le DT1 et pourraient ouvrir la voie au développement de nouvelles stratégies préventives et thérapeutiques fondées sur une activation locale des lymphocytes MAIT dans les phases initiales de la maladie afin de maintenir l’homéostasie intestinale. En l’absence de lymphocytes MAIT, une aggravation des anomalies intestinales, déjà préexistantes, chez les souris NOD, a, en effet, été observée, favorisant alors le développement de la maladie. Ces résultats montrent également que même si les lymphocytes MAIT sont en mesure de participer à la destruction des cellules β-pancréatiques, ils ne sont pas les principaux acteurs de cette destruction.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Nous remercions l’ANR-11-IDEX-0005-02 Laboratoire d’excellence INFLAMEX, l’ANR-17-CE14-0002-01 DIAB1MAIT, la Fondation pour la recherche médicale n° DEQ20140329520, L’université Paris Descartes et EFSD/JDRF/Lilly, la région île-de-France et le département hospitalo-universitaire (DHU) AutHors pour leur soutien financier. Nous remercions les laboratoires Servier pour l’iconographie.

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