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Med Sci (Paris). 34(8-9): 723–729.
doi: 10.1051/medsci/20183408020.

Observance et nouvelles technologies : nouveau regard sur une problématique ancienne

Nicolas Postel-Vinay,1,3* Gérard Reach,2 and Philippe Eveillard3

1Assistance publique-Hôpitaux de Paris, hôpital européen Georges Pompidou, unité d’hypertension artérielle, F-75015Paris, France
2Direction qualité, accueil du patient et opérations, groupe hospitalier Paris-Seine Saint-Denis ; Laboratoire éducations et pratiques de santé, EA 3412, université Paris 13, F-93000Bobigny, France
3Automesure (http :www//automesure.com) 
Corresponding author.
 

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Le constat de la mauvaise observance des patients était déjà décrit - et regretté - par Hippocrate… Autant dire que voici plus de deux millénaires que les soignants recherchent des moyens pour que leurs conseils d’hygiène de vie ou leurs demandes de prise de traitements soient mieux respectés, conduisant à la conclusion qu’améliorer l’efficacité des interventions visant à améliorer l’observance serait plus utile que n’importe quel progrès médical [1]. Cette thématique connaît un nouvel angle de réflexion avec l’apparition des procédés de suivi fondés sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) que nous regrouperons ici sous le terme générique « d’observance connectée ».

Sans faire une analyse exhaustive de la littérature, nous présentons quelques exemples de réalisations afin d’évaluer leur pertinence pour la prise en charge des patients au long cours dans le cadre des maladies chroniques. En dépit du risque de se prononcer trop vite sur des pratiques qui sont loin d’avoir atteint leur maturité, indiquons d’emblée qu’il ne paraît pas souhaitable que la mise en place d'un suivi de l’observance par des systèmes connectés soit du seul ressort des technophiles et des gestionnaires. Soignants et soignés doivent également prendre position sur ces nouvelles possibilités, dont il importe d’évaluer les avantages et inconvénients. Cette mise en garde s’inscrit dans la nécessaire réflexion éthique qui doit accompagner toute approche visant à améliorer l’observance [2].

La quantification de l’observance : méthodes indirectes et directes

Le besoin de quantifier précisément l’observance des patients est apparu comme une nécessité lors des premiers essais cliniques qui avaient pour but d’inscrire les bénéfices des traitements dans une médecine fondée sur les preuves. Comment, par exemple, évaluer l’efficacité des premiers antibiotiques en pédiatrie si les mères n’administraient pas rigoureusement les médicaments aux enfants ? Cette problématique valut aussi pour les prises au long cours dans le traitement d’affections chroniques comme l’hypertension artérielle, le diabète ou l’asthme. Au milieu des années 1970, l’observance est ainsi devenue un sujet de recherche en soi, notamment sous l’impulsion de David Sackett (1934-2015), père de la médecine par les preuves [3]. Dès les années 1980, il montra que seule la moitié des sujets hypertendus suivaient correctement leur traitement, un constat hélas toujours d’actualité, trente ans plus tard.

Pour évaluer les manques, les oublis et ce qui échappe au prescripteur (comme l’achat d’un médicament par le patient qui ne garantit pas qu’il l’a pris), il existe de nombreuses méthodes s’efforçant de quantifier la régularité (ou non) de la prise des traitements. Les méthodes dites indirectes (interrogatoire du patient, cahier journalier de suivi, questionnaires standardisés permettant la mesure de scores d’observance, comptage des conditionnements, traçage informatique du taux de renouvellement des traitements en pharmacie, piluliers électroniques) sont relativement simples à mettre en place mais elles manquent de fiabilité. Une abondante littérature évoque ainsi leurs avantages et faiblesses [4]. Les méthodes directes (dosage des médicaments) sont, elles, considérées comme plus fiables mais rarement utilisées en pratique courante.

Les premiers piluliers électroniques sont apparus dans les années 1990 (avec le medication event monitoring system [MEMS] ou le prescrit time cap, conçu en 1992). Leur principe est fondé sur le fait que le traçage électronique par un microprocesseur qui enregistre la date et l’horaire auxquels le patient prend son traitement en détectant l’ouverture du contenant, est plus rigoureux que les souvenirs ou les déclarations des patients. Leur utilisation dans le cadre d’essais cliniques a donné des résultats parfois surprenants, notamment lorsque l’existence de ces mouchards était dissimulée aux patients. Cette surveillance à l’insu du patient a révélé l’existence de comportements erratiques : « oublis » plus ou moins intentionnels (en particulier en cas de prise prévue à midi), excès de prises, grandes variabilités des prises au fil du temps, bonne observance uniquement le jour de la consultation (« effet brosse à dent » ou, en anglais, white coat compliance).

Ces piluliers électroniques peuvent être utilisés de façon plus pédagogique, à condition d’en expliquer le fonctionnement au patient. Certains dispositifs affichent la date et l’heure de la dernière prise, d’autres sont dotés d’une alarme (sonore ou lumineuse) signalant au patient le moment de la prise. Mais quelle que soit la précision des appareils électroniques utilisés, on remarquera que l’ouverture d’un pilulier n’est pas synonyme de prise effective du médicament. Le patient peut en effet ouvrir la boîte en se contentant de poser le médicament sur la table, l’oublier ensuite, et le jeter ou le glisser sous le lit… comme on le découvre chez certains patients institutionnalisés. Pour éviter cet écueil, le patient peut être contraint d’avaler son médicament devant le soignant. C’est le principe de la directly observe therapy (DOT). Cette méthode qui devient particulièrement invasive en cas d’injonction thérapeutique (comme on la pratique parfois dans le traitement de la tuberculose multirésistante, ou de certaines addictions utilisant des substituts morphiniques), pose de difficiles questions éthiques, car contraire au respect du principe d’autonomie. Elle est même en contradiction avec la loi de 2002, dite Loi droit des malades 1.

Pour confirmer la présence d’un médicament dans l’organisme, les dosages sanguins et/ou urinaires des principes actifs sont considérés comme la méthode de référence [5]. Mais si leur fiabilité est bonne, les dosages ne sont pas exempts de failles techniques (sensibilité et spécificité parfois imparfaites) ou humaines (l’observance au moment du dosage peut s’avérer différente de celle au long terme). Ces techniques ne sont cependant pas disponibles pour l’ensemble de la pharmacopée et elles restent aujourd’hui coûteuses pour s’inscrire dans une pratique courante.

Les nouvelles possibilités offertes par les appareils connectés nous permettront-elles de mieux faire ? Aujourd’hui, les technologies s’emparent de cette problématique avec, en particulier, l’apparition de capteurs ingérés.

Informatisation et traçage électronique des événements au moyen de smartphones

Afin de penser à prendre un médicament, nous avions hier la possibilité « de faire un nœud à notre mouchoir » ou de coller un mémo sur le réfrigérateur. Aujourd’hui, les téléphones portables remplacent ces petits moyens simples et sonnent au moment de la prise du médicament (pilule contraceptive, par exemple), ou envoient un message pour rappeler au patient de réaliser le geste qui leur a été préconisé par le médecin, comme mesurer sa tension artérielle [6].

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), à savoir les ordinateurs, les tablettes et surtout les smartphones (téléphones intelligents), ont un rapport implacable avec le temps et les faits : dotés d’horloges internes précises à la seconde près, ils sont également capables de transmettre et de partager les informations. C’est dire leurs performances pour enregistrer les faits et gestes des patients en temps réel. Il existe des applications (App) couplant des fonctions de rappels (reminders), l’intégration automatique aux agendas électroniques des patients, et l’enregistrement d’informations le concernant qui décrivent par exemple le contexte de la prise du traitement. Ainsi, entre autres exemples, des applications permettent de rappeler au patient diabétique de mesurer sa glycémie deux heures après le repas [7].

Le conditionnement du médicament peut également être connecté. On trouve ainsi des piluliers électroniques qui sont couplés à un service avertissant le pharmacien en cas de non ouverture du boitier. On peut également citer les premiers inhalateurs connectés, parfois nommés smart inhalers. Certains ont été conçus par de grands industriels du médicament en partenariat avec des start-up (Propeller Health, Gecko Health, Cohero Health, Opko Health, ou Adherium). D’autres ont été produits par des sociétés indépendantes, dans le cadre de différents traitements contre l’asthme et/ou la BPCO (broncho pneumopathie chronique obstructive) [8]. En février 2017, le National health service (NHS) britannique, équivalent de notre sécurité sociale, n’avait cependant pas donné son accord pour leur mise sur le marché outre-Manche, faute de données probantes quant à leur intérêt [9]. En France, depuis septembre 2017, un premier dispositif médical, adaptable à un inhalateur de corticoïde inhalé, est disponible (le Turbu+ - Astra Zénéca) ; un autre est annoncé pour 2018. Le premier répond au statut de dispositif médical (DM). Le second est présenté comme un « objet connecté » selon les termes de son concepteur, et donc non assujetti à la réglementation stricte des dispositifs médicaux. Cette différence importante de définition réglementaire des produits nécessitera sans doute une réflexion sur leur impact sur les soins et sur leurs utilisations.

Avec ces différents outils connectés (piluliers, lecteurs de glycémie capillaire ou inhalateurs), le patient porteur d’une maladie chronique est donc invité à tracer la prise de ses traitements (ou de ses mesures) et de restituer à son médecin des données précises. Ce qu’il notait, hier, avec un stylo sur un carnet journalier, est ainsi saisi désormais sur un carnet numérique. Le support électronique est considéré comme un objectif, puisque renseigné sans intervention humaine, donc sans oubli (volontaire ou non). Schématiquement, cette mémoire électronique peut donc servir trois types de démarche : l’éducation, l’autocontrôle mais aussi le contrôle.

Envois de messages et technique du text messaging

La technique du text messaging adresse automatiquement des textes au téléphone portable, la tablette ou l’ordinateur des utilisateurs qu’ils soient des patients, suivant la proposition de leurs médecins, ou des consommateurs de soins, agissant de leur propre initiative avec les outils de leur choix. Les informations peuvent être enrichies de graphiques, d’accès à des sites internet, de vidéos. Lorsqu’il s’agit de messages courts, on parle de short message service (SMS) texting. Les messages peuvent porter sur l’organisation des soins, la prévention, le suivi des pathologies chroniques ou sur des situations aiguës, avec un système d’alerte. Ils sont diffusés par des algorithmes qui puisent les informations envoyées à partir d’une banque de messages selon des règles informatisées, donc sans intervention humaine. Cette automatisation distingue la technique du text messaging du télésuivi. Le premier s’inscrit dans le cadre de la e-santé, le second dans celui de la télémédecine.

Le text messaging appartient déjà à notre quotidien, lorsque les établissements de soins et les cabinets médicaux adressent aux patients des SMS afin de leur rappeler leur rendez-vous (une forme d’observance…). Une étude nord-américaine a ainsi estimé (avec un niveau de preuve limité) à 7 % la réduction des rendez-vous manqués avec cette procédure de rappel automatique par rapport au rendez-vous négocié à la sortie de l’établissement de soins [10]. Avec cette technique, des perspectives nouvelles de prévention s’ouvrent. Par exemple, dans l’aide au sevrage tabagique qui repose sur l’observance d’un conseil de changement de mode de vie. Dès 2011, une étude randomisée en simple aveugle portant sur l’abstinence à 6 mois de fumeurs recevant des messages de motivation à l’arrêt du tabac, versus un groupe de fumeurs recevant des messages non liés au tabac, faisait état, grâce au programme txt2stop cessation, d’une réduction significative du tabagisme (contrôlé par le dosage de la nicotinurie chez les patients suivis) [11]. Aujourd’hui, plusieurs systèmes sont disponibles, notamment en français, et peuvent être conseillés en pratique courante.

L’envoi automatisé de SMS peut donc contribuer à une meilleure observance des traitements et plusieurs études ont démontré l’amélioration de la prise des traitements par ce système de suivi, comme dans le cas des antiagrégants plaquettaires après un infarctus du myocarde [12], ou, en Afrique, dans le suivi de l’observance des traitements antirétroviraux ou antituberculeux, ou encore, pour les maladies chroniques, avec un effet sur l’observance et sur les comportements d’hygiène de vie [1316].

Géolocalisation : dernier avatar de l’observance connectée

Grâce à la technologie du GPS (global positioning system), la fonction de géolocalisation est devenue simple et peu coûteuse. Son usage se banalise ainsi dans notre quotidien, notamment pour les possesseurs de smartphones souhaitant se repérer sur un plan ou évaluer leurs déplacements et/ou leur activité physique. Il est également utilisé pour le suivi des objets (colis, véhicules) ou le déplacement des salariés (chauffeurs, livreurs) dont on veut « optimiser » les déplacements. Dans le domaine de la santé, certaines structures géolocalisent ainsi les professionnels du soin à domicile (infirmières, aides-soignantes). Au-delà de ces aspects d’organisation, il existerait une pertinence médicale à géolocaliser les patients. Laquelle ? Sans attendre de réponse claire à cette question (soulevée peut-être plus par la technique que par les besoins), certains patients ont déjà été équipés de ce type d’appareils. C’est, en particulier, le cas de sujets atteints de la maladie d’Alzheimer à qui l’on pose des bracelets GPS afin de tracer leur déambulation (des dispositifs similaires sont également vendus aux propriétaires de chiens et chats…). Une étude randomisée, d’une durée de 12 mois, a aussi montré que la géolocalisation de patients souffrant d’alcoolisme pouvait contribuer à leur sevrage, en les alertant et en leur donnant accès à un programme de relaxation à l’approche d’un lieu à risque de consommation (bars par exemple) dont les coordonnées avaient été préalablement enregistrées [17].

Plus proche de la notion d’observance, la proposition de géolocaliser les patients asthmatiques (qui n’appartient pas à la pratique courante) est bien le suivi de la prise du médicament que certains entendent non seulement dater et minuter, mais aussi localiser. Ainsi, en 2009, une société (Asthmapolis), en collaboration avec un fabricant de matériel médical à visée respiratoire (Spiroscout), avait présenté au congrès de l’American thoracic society (ATS), un nouveau dispositif capable de géolocaliser les patients et de déterminer les circonstances de la prise d’un traitement inhalé pour crise d’asthme. Le rationnel de cette initiative reposait sur le fait qu’il pourrait être pertinent de localiser les allergènes possiblement déclencheurs de la crise. Depuis, d’autres auteurs ont évoqué l’intérêt de documenter la géographie des crises d’asthme en fonction des lieux, avec l’évaluation des pics de pollution. L’intérêt épidémiologique de ces données est sans doute probable si l’analyse repose sur un grand nombre de données (big data). Cependant, pour un patient donné, en lien avec son médecin, l’apport individuel de la géolocalisation de la prise de traitement nous semble plus incertain et, à ce jour, il n’existe, à notre connaissance, aucune publication évoquant cet éventuel intérêt pour les soins.

L’observance avalée : un traceur ingéré

La société Proteus Digital Health (Californie - États-Unis) a conçu le premier capteur capable de tracer le passage d’un médicament dans le tube digestif [18]. Son fonctionnement repose sur le couplage d’un capteur posé sur la peau du sujet (skin-worn receiver patch) et d’une puce intégrée aux comprimés ou aux gélules (ingestible sensors embedded in tablets). Une fois le médicament avalé, la puce émet un signal détecté par le capteur cutané qui sera alors recueilli par un smartphone. La mise au point de ce dispositif est l’aboutissement non seulement d’une démarche de connectique (recueillir, tracer, archiver des signaux électroniques au travers du corps), mais aussi de physiologie et de pharmacologie. Pour obtenir l’agrément de la FDA (food and drug administration) aux États-Unis, en 2012, le fabricant a dû maîtriser les problématiques de cinétique d’absorption digestive, de résistance des matériaux aux liquides digestifs, de toxicité et de sécurité, chez l’animal d’abord, et chez l’homme ensuite. Il a, de plus, dû réaliser des tests de performance clinique. Différents essais cliniques, menés chez des volontaires sains ou des patients atteints d’hypertension, de tuberculose, de troubles bipolaires, de diabète ou d’insuffisance cardiaque, ont ainsi permis d’évaluer la performance du système (99 % de 21 000 ingestions émanant de 142 sujets ont été détectées et validées sans aucun faux positif). En 2017, ce dispositif a été cliniquement testé dans l’asthme et le diabète.

Quelle efficacité ?

La médecine digitale (dont l’observance connectée ne constitue qu’une partie) ne s’appuie que sur peu d’évaluations rigoureuses. Cependant des résultats encourageants se font jour et la recherche gagne en maturité. Citons ainsi quelques exemples d’études qui montrent son intérêt ou son inefficacité.

Les piluliers électroniques
Selon des données déjà anciennes, en 2008, l’acceptation des piluliers avec alarme serait bonne et leur utilisation serait appréciée par une majorité de patients, ces dispositifs les aidant à penser à prendre leurs médicaments [19]. Cependant, force est de constater qu’aujourd’hui, une décennie plus tard, leur usage n’a pas passé le cap de la pratique courante. Si plusieurs études démontrent leur efficacité pour limiter les oublis à court terme, d’autres sont plus décevantes. Une étude récente comparant trois types de piluliers versus un conditionnement standard chez 53 480 patients n’a ainsi révélé aucune différence d’observance après 12 mois de suivi [20].
Text messaging et observance des antihypertenseurs
Les études menées en pratique de télémédecine2 nous ont appris qu’il est possible de mieux contrôler la pression artérielle de patients par le télésuivi, qui a un impact favorable sur l’observance des patients et sur la réduction de l’inertie thérapeutique des médecins [2123]. Fort de ces acquis, il était logique d’espérer un effet allant dans le même sens avec la technique du text messaging afin d’instaurer un suivi à distance des patients. Dans une étude pilote testant le système BPMED, qui adresse aux patients des rappels quotidiens de prise de leurs médicaments antihypertenseurs et des messages d’éducation, un effet positif du système a été mesuré sur l’observance (par des questionnaires), mais sans qu’il n’y ait d’impact sur le niveau de leur pression artérielle. Un essai contrôlé randomisé (MediSAFE-BP randomized clinical trial) analysant l’utilisation d’une application de smartphone sur l’observance et le contrôle de la pression artérielle n’a mis en évidence qu’une faible amélioration de l’observance, sans effet sur le contrôle de la pression artérielle systolique [24].

Au-delà de l’exemple de l’hypertension, l’envoi automatisé de messages peut également aider le patient à autogérer sa maladie chronique, y compris dans le suivi du mode de vie préconisé par le médecin (alimentation, lutte contre la sédentarité), mais les études reposant sur des méthodologies rigoureuses restent peu nombreuses [25]. Les données concernant le text messaging appellent ainsi une réflexion nuancée. Une étude sur des patients atteints de tuberculose montre en effet que l’envoi quotidien de messages de rappel est inefficace, contrairement à des messages hebdomadaires, les patients se lassant probablement d’une surveillance omniprésente [26].

Médicament ingéré
En 2017, l’impact clinique de l’utilisation du système Proteus [27] a été examiné sur 109 patients diabétiques et/ou hypertendus. Elle a révélé une réduction significative du taux sanguin d’hémoglobine glyquée (marqueur de la glycémie), des valeurs de pression systolique et du taux de LDL (low density lipoprotein) cholestérol (marqueurs d’hypertension) dans le groupe de patients utilisant cette « offre de médecine digitale » (digital medicine offering) selon l’expression des concepteurs. Ce résultat positif serait la conséquence du retour d’information sur la prise médicamenteuse alors visible par les patients sur leur tablette, une source de meilleure observance et d’autoprise en charge.
Télé-observance et patients apnéiques, l’exemple d’un écueil social
La question de l’observance connectée ne se limite pas au seul prisme du regard biomédical. Surveiller autrui par les nouvelles technologies de l’information et de la communication est aussi un choix de société. La mise en œuvre de la télé-observance des patients apnéiques – c’est-à-dire surveillance automatisée des patients disposant d’une machine à pression positive (PPC) pour le traitement du syndrome d’apnée obstructive du sommeil - pour une finalité qui s’avère essentiellement financière en est un exemple. Cette pratique, voulue par les autorités de santé françaises dans une logique purement comptable, s’est inscrite dans la « vraie vie » des patients, des prestataires de soins au domicile et des médecins. Elle s’est déroulée en plusieurs temps. Le premier acte fut celui de la parution d’un arrêté définissant de nouvelles conditions de prise en charge de la pression positive continue par l’Assurance maladie3. Ce texte imposait l’usage de la télémédecine pour surveiller l’observance des patients [28]. Il fut appliqué en octobre 2013. Avec ce dispositif, les tutelles conditionnaient la prise en charge des patients à leur observance d’utilisation de leur appareil. Une première. Les modalités du dispositif étaient complexes : après une période initiale d’adaptation au traitement, l’observance quotidienne, matérialisée par un relevé automatisé des horaires d’utilisation de l’appareil, était télétransmise au prestataire (la société louant l’appareil), lequel devait faire suivre cette information à la caisse d’Assurance maladie. Au cours de cette période, le patient souhaitant être pris en charge par l’Assurance maladie était contraint d’utiliser son appareil pendant au moins 84 heures et avoir une utilisation quotidienne effective d’au moins 3 heures, et cela pendant au moins 20 jours. A contrario, un patient qui, par exemple, utiliserait son appareil 6 heures par nuit, 2 nuits sur 3, soit 4h par nuit au total, se voyait catégorisé comme mauvais observant. Par la suite, selon un algorithme complexe que l’on ne détaille pas ici, une observance calculée conditionnait les différentes modalités de prise en charge. Dans le cas d’une observance satisfaisant aux critères définis par les textes, le prestataire pouvait facturer la caisse d’Assurance maladie. Mais en cas de « mauvaise » observance, le forfait de la prestation était diminué de moitié. Enfin, en cas de non observance répétée, le prestataire ne pouvait plus facturer la prestation à la caisse, mais se trouvait alors en droit de facturer directement le patient (qui n’était donc plus pris en charge) ou de reprendre le matériel si le patient ne voulait - ou ne pouvait - payer. Précisons que le dispositif prévoyait en cas d’un retour à une « bonne observance » une possible nouvelle prise en charge du remboursement, mais avec la sanction d’une période de carence. Sur le terrain, l’information du patient quant à ses modalités s’est avérée très problématique notamment parce qu’un relevé automatisé n’est pas capable de faire la différence entre une mauvaise observance et une utilisation certes moindre, mais justifiée.

Au moment de la mise en œuvre de ce dispositif, les associations de patients - la Fédération française des associations et amicales des insuffisants respiratoires (FFAAIR) en tête - ont dénoncé les contraintes psychologiques de cette intrusion dans leur vie privée et qualifié ce dispositif de « flicage par mouchard électronique ». D’aucuns ont même craint les possibilités de géolocalisation. La FFAAIR a déposé un recours devant le Conseil d’État et a eu gain de cause, avec pour conséquence une marche arrière de l’Assurance maladie ; ce couplage autoritaire de la télé-observance à des sanctions financières fut alors stoppé devant les tribunaux.

Éduquer ou punir ?

Plusieurs enquêtes ont montré qu’à une même question, les réponses du médecin et du patient ne coïncidaient pas toujours. Les différences de points de vue sont compréhensibles, mais certaines divergences peuvent être problématiques en situation d’échec de traitements. Il est ainsi fréquent que le médecin rejette la « faute » sur un patient « accusé » de mal prendre son traitement, bien que celui-ci s’en défende. De Molière à Proust, bien des écrivains ont mis en scène ces discordances aussi anciennes que l’histoire des remèdes. Les partisans de l’observance connectée considèrent le traçage électronique de la prise des médicaments (ou de la prise de tension, de l’utilisation d’appareil de mesure de la glycémie, ou du déclenchement d’un inhalateur, etc.) comme un témoin « objectif » autour duquel un échange médecin/patient constructif peut s’instaurer. Il s’agit là du scénario espéré, mais compte tenu du caractère récent de cette possibilité technique qui n’appartient pas encore à la pratique courante, on manque de connaissances sur les modalités optimales de mises en œuvre de ce nouveau rapport connecté. Si l’on espère l’instauration de dialogues en confiance autour du juge arbitre de l’électronique, ne faut-il pas envisager la possibilité de situations de culpabilisation ou de divorces face « à la preuve que vous m’avez menti » ? La place que devra prendre en pratique courante l’utilisation de ces rapports électroniques d’observance est un nouveau champ de recherche qui s’ouvre. Et elle doit comprendre un volet éthique.

Une éthique de la surveillance

Avant d’aborder la question de l’éthique de l’observance connectée, on remarquera d’abord que toute tentative d’amélioration de l’observance présuppose que la prescription médicale (médicament et/ou conseils d’hygiène de vie) soit adaptée et bénéfique au malade. Cela pourrait être entendu comme une évidence mais il faut reconnaître que les prescriptions erronées, inadéquates, voire dangereuses, appartiennent à la réalité, sinon au quotidien. Les failles peuvent émaner du prescripteur ou du médicament prescrit, au pire des deux à la fois. Lorsque qu’une molécule est source d’effets secondaires, la bonne observance devient néfaste. Ce cas de figure a été involontairement documenté dans l’étude CAST (cardiac arrhythmia suppression trial, un essai clinique évaluant les effets d’un médicament contre l’arythmie), le groupe prenant le médicament ayant accusé une plus forte mortalité que le groupe placebo [29].

Toutes les améliorations de l’observance pour des molécules pourvoyeuses d’effets indésirables peuvent potentiellement transformer la vie des patients en un enfer pavé de bonnes intentions. En miroir de ce constat, tous les patients qui ont pris la liberté de ne pas suivre à la lettre l’inadéquate ordonnance du médecin peuvent parfois s’épargner bien des désagréments. Il faut garder en tête ces situations si l’on devait louer les bénéfices de la technologie comme outil d’amélioration de l’observance.

Ceci posé, la mise en place d’un système de suivi de l’observance par voie connectée pose une question majeure, celle du dilemme entre deux principes éthiques fondamentaux : le principe de bienfaisance (le progrès vise au bien du patient) [30] et le principe du respect de son autonomie (je dois considérer sa liberté) [31].

En s’interrogeant sur l’éthique de l’observance, on peut faire le rapprochement avec la réflexion sur l’éducation thérapeutique. Cette dernière, bienfaisante, peut être vue comme un moyen d’inciter le patient à suivre son ordonnance tout en respectant son autonomie. Mais cette démarche, pour être éthique, nécessite une réflexion montrant comment elle se situe, du bon côté de la limite qui sépare persuasion et manipulation [32]. Limitons notre réflexion ici à la prise de rendez-vous en ligne et aux prix des assurances.

Dans le cas de la prise de rendez-vous électronique (qui améliorerait le respect du rendez-vous), le gestionnaire déployant ce dispositif précise que cette technique repose sur le principe du « premier arrivé, premier servi ». Concrètement, les plages horaires se comblent sans filtre. Mais prendre un rendez-vous pour bénéficier d’un soin, est-ce la même chose que de réserver un billet de train en ligne ? La réponse est non si le soignant entend accompagner prioritairement le malade le plus à risque ou en grande souffrance. Il faut donc injecter de l’humain dans nos machines.

Les assureurs nord-américains modulent le prix des assurances selon les comportements d’hygiène de vie, à l’instar des assurances pour les automobiles (sur le modèle « pay as you drive 4 »). Ceci constitue une grave menace sur la mutualisation des risques qui fonde les systèmes solidaires tels que celui dont nous bénéficions en France. Est-ce vraiment ce que nous voulons alors qu’on connaît les corrélations entre précarité sociale et santé ?

Conclusion

La médecine digitale s’inscrit dans l’actuelle évolution sociétale de « l’homme connecté ». On peut considérer son intérêt selon deux objectifs distincts. Le premier est d’améliorer l’efficacité et la sécurité des traitements. À ce titre, elle n’est pas discutable d’un point de vue éthique, puisqu’elle entre dans le cadre des deux premiers principes de l’éthique médicale, de bienfaisance et de non-malfaisance. Il ne faut cependant pas méconnaître le risque qu’elle entre en conflit avec les deux autres principes éthiques. Le principe de justice, dont un des aspects concerne l’équité vis-à-vis de l’accès aux soins : il sera nécessaire de veiller à ce qu’elle ne concerne pas que les happy fews capables d’embrasser les bienfaits de la high tech. Certes, tout le monde, même souvent les plus précaires, possède un téléphone portable. Mais tous les patients seront-ils à même de bénéficier des possibilités offertes par ces technologies ?

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, aussi appelée loi Kouchner.
2 À ne pas confondre avec la e-santé, la télémédecine associant acteurs de santé et transmission de l’information fournie par le patient au cours d’une consultation délocalisée, en général par vidéo-conférence ou par l’intermédiaire d’un transmetteur (infirmier par exemple).
3 Arrêté du 9 janvier 2013 portant modification des modalités d’inscription et de prise en charge du dispositif médical à pression positive continue pour le traitement de l’apnée du sommeil et prestations associées au chapitre Ier du titre Ier de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l’article L. 165-1 du code de la sécurité sociale. Journal officiel.
4 Payer selon votre conduite.
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