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Med Sci (Paris). 34(10): 774–777.
doi: 10.1051/medsci/2018199.

L’infection par un herpèsvirus gamma protège l’hôte du développement de l’asthme allergique

Bénédicte Machiels1 and Laurent Gillet1*

1Université de Liège, Faculté de médecine vétérinaire, FARAH, Avenue de Cureghem 10, Quartier vallée 2, 4000LiègeBelgique
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Asthme, Cytoprotection, Désensibilisation immunologique, Gammaherpesvirinae, Infections à Herpesviridae, Humains, Souris, immunologie, prévention et contrôle, virologie, physiologie, physiopathologie

De « vieux amis » qui nous protègent de l’asthme allergique

Le système immunitaire est historiquement divisé en une composante innée non spécifique et une composante adaptative spécifique qui présente une mémoire. Plusieurs études récentes ont revisité ce paradigme et ont montré l’influence à long terme de l’environnement sur le comportement des cellules appartenant à l’immunité innée [1]. Il est ainsi apparu que la majorité des variations entre les réponses immunes d’individus différents est définie, non pas uniquement par le patrimoine génétique, mais également par l’exposition à certaines conditions environnementales [2]. Celles-ci peuvent en effet affecter de manière durable, via des modifications épigénétiques, les cellules immunitaires innées, parmi lesquelles les cellules NK (natural killers) et les monocytes (MO). Ces modifications épigénétiques sont induites lors d’une exposition à certains stimulus et définissent la mise en place d’une réponse lors d’une exposition ultérieure soit plus intense, soit atténuée [1]. Parmi les très nombreux déterminants environnementaux qui façonnent notre système immunitaire (Figure 1), les microorganismes occupent une place centrale et laissent une empreinte d’autant plus décisive que la rencontre avec ces microorganismes se produit dans la petite enfance [3] ().

(→) Voir la Synthèse de C. Torre et al., m/s n° 11, novembre 2017, page 979

Les réponses immunitaires de type 2, telles que les allergies respiratoires, sont particulièrement conditionnées par l’environnement [4]. Plus spécifiquement, l’asthme allergique, qui affecte plus de 300 millions de personnes dans le monde, présente une prévalence croissante, principalement dans les pays industrialisés. Cette augmentation est corrélée à une hygiène de vie renforcée et une moindre exposition aux infections durant le jeune âge qui représente une fenêtre critique pour la sensibilisation aux allergènes [4]. Parmi les microorganismes qui nous entourent, les herpèsvirus, et particulièrement les gammaherpèsvirus, ont co-évolué avec leur hôte pour s’adapter au système immunitaire et établir une infection persistante (Figure 1). Alors que ces gammaherpèsvirus favorisent les réponses immunes régulatrices des leucocytes pour se maintenir à l’état latent, leur grande prévalence suggère l’existence d’une relation quasi symbiotique avec leur hôte [5]. À ce titre, ces virus pourraient être qualifiés de « vieux amis » selon la théorie proposée par Graham A. Rook [6].

L’infection précoce par le virus d’Epstein-Barr (EBV) chez les enfants semble être un facteur de protection vis-à-vis de la sensibilisation aux immunoglobulines E (IgE) [7]. Afin de rechercher si l’infection par un gammaherpèsvirus peut protéger l’hôte du développement subséquent d’asthme allergique, nous avons utilisé l’herpèsvirus murin 4 (MuHV-4) comme modèle murin d’infection par un gammaherpèsvirus. Des administrations intranasales répétées d’extraits d’acariens ont été réalisées pour induire une allergie respiratoire chez ces souris infectées. Ces expériences ont révélé que l’infection respiratoire par le MuHV-4 inhibait à long terme le développement de l’asthme allergique [8]. En effet, alors que les souris non infectées et soumises aux extraits d’acariens ont toutes développé les caractéristiques d’une allergie respiratoire, les souris préalablement infectées par le MuHV-4 ont présenté une diminution de l’inflammation, une quasi-absence d’éosinophilie pulmonaire, une diminution de la production de cytokines de type 2 dans les voies aériennes et dans le ganglion drainant, ainsi qu’une réduction des taux sériques d’IgE circulantes. Les souris de laboratoire sont élevées dans un environnement strictement contrôlé. Elles présentent donc un système immunitaire vierge de toute influence par des pathogènes. Les expériences menées avec le MuHV-4 ont donc mis en évidence l’importance de l’exposition d’un système immunitaire naïf, comme celui des nouveau-nés ou des jeunes enfants, aux microorganismes pour l’équilibre subséquent des réactions immunitaire à l’encontre des allergènes.

À l’origine de cette protection : des monocytes régulateurs qui repeuplent la niche alvéolaire

Différent types cellulaires contribuent à la pathologie de l’asthme. Parmi ceux-ci, les macrophages alvéolaires (MA), qui ont une demi-vie très longue, représentent les leucocytes résidents les plus abondants du poumon [9]. De manière générale, les macrophages peuvent avoir une origine embryonnaire ou provenir du recrutement de monocytes circulants. Les MA colonisent les alvéoles pulmonaires au cours de la période périnatale et se maintiennent dans un contexte d’homéostasie par prolifération locale [10]. Nous avons pu montrer que lors d’une infection expérimentale, le MuHV-4 se réplique au niveau du poumon et induit la mort des MA. Cette déplétion de la niche alvéolaire est corrélée à une infiltration massive de monocytes au niveau des voies respiratoires et à une augmentation de leur nombre dans la moelle osseuse et le sang [8]. Ces monocytes recrutés à la suite de l’infection présentent une signature phénotypique particulière (une surexpression du complexe majeur d’histocompatibilité de classe II [CMHII] et de Sca-1 [stem cell antigen-1]), associée à l’acquisition de propriétés régulatrices [11] telles que la production d’interleukine-10. De nombreux modèles proposent un rôle déterminant de l’environnement tissulaire sur le comportement et le devenir des monocytes [12], mais l’empreinte phénotypique induite par l’infection par le MuVHV-4 sur les monocytes de la moelle et du sang suggère l’existence d’une « pré-éducation » antérieure aux influences du microenvironnement pulmonaire. Afin de déterminer si ces monocytes régulateurs reconstituent la niche alvéolaire et s’y maintiennent à long terme, différentes stratégies ont été élaborées chez des souris chimères. Ces modèles ont permis de discriminer sans ambiguïté les cellules immunitaires résidentes des cellules recrutées à partir de la moelle osseuse en réponse à l’infection. Les résultats ont montré une contribution mineure (< 2 %) des monocytes dérivés de la moelle au renouvellement des MA en conditions d’homéostasie. Au contraire, suite à l’infection par le MuHV-4, les MA résidents sont entièrement reconstitués à long terme par des monocytes issus de la moelle osseuse [8]. Dans des conditions non-inflammatoires, le remplacement expérimental des MA par des monocytes donne naissance à des MA dont le profil d’expression des gènes est quasiment similaire à celui des cellules dérivées des précurseurs embryonnaires [13]. En revanche, l’identité phénotypique des MA dérivant des monocytes lors de l’infection respiratoire par le MuHV-4 est significativement modifiée durant plusieurs mois suivant l’infection [8], suggérant l’existence d’altérations épigénétiques persistantes dans ces cellules.

Cette protection est liée à l’interaction des MA dérivés des monocytes régulateurs avec les cellules dendritiques responsables de la sensibilisation allergique

Les cellules dendritiques (CD) sont des acteurs indispensables au développement des réactions allergiques [14]. À la suite d’une primo-exposition aux extraits d’acariens, ces cellules internalisent l’allergène, maturent et migrent vers le ganglion lymphatique drainant pour initier puis amplifier la réponse des lymphocytes de type 2 (Th2). Alors que les CD de souris infectées par le MuHV-4 conservent leur capacité à migrer jusqu’au ganglion pour y présenter l’antigène, une diminution de l’expression de marqueurs de co-stimulation (CD86, CD80) nécessaires à l’activation efficace des lymphocytes T est observée. Afin de déterminer si les MA dérivés des monocytes sont à l’origine de ce défaut de maturation, des CD ont été co-cultivées avec des MA isolés de souris infectées ou non-infectées, puis transférées à des souris receveuses. La mise en présence des CD avec des MA isolés de souris infectées a altéré la capacité de ces CD à initier une réponse des lymphocytes Th2 (Figure 2). Cette expérience a donc permis d’établir le lien entre les monocytes régulateurs s’établissant à long terme dans la niche alvéolaire et l’incapacité des CD à initier une réponse allergique efficace [8].

Les résultats obtenus ont donné un éclairage nouveau sur l’origine des populations de macrophages dans un contexte infectieux et ont mis en évidence, pour la première fois, le fait qu’une infection virale induisait le remplacement d’une population de macrophages embryonnaires résidents par des monocytes régulateurs. Cette étude a également révélé, en accord avec l’hypothèse hygiéniste, l’influence cruciale des infections ou des stimulations antigéniques dans le jeune âge sur l’orientation subséquente des réponses immunitaires. L’hypothèse hygiéniste impliquait jusqu’à présent principalement des composés bactériens [15]. Cette étude est la première à mettre en évidence le rôle décisif que peuvent également jouer certaines infections virales pour contrebalancer à long terme le développement de réponses allergiques. Actuellement, l’incidence des immunopathologies allergiques ne cesse d’augmenter. La compréhension des mécanismes moléculaires à l’origine de propriétés régulatrices induites par les gammaherpèsvirus pourrait donc dégager de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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