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Med Sci (Paris). 34(11): I–VIII.

Prix Inserm 2018
Grand Prix 2018 : Alain Tedgui

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© Patrick Delapierre/Inserm

De la mécanique des fluides à l’athérosclérose
par Ziad Mallat

Cambridge Cardiovascular, Hills Road, Cambridge CB2 000, Royaume-Uni zm255@medschl.cam.ac.uk

Quel plaisir pour moi d’écrire ces quelques lignes, à l’occasion de la remise du Grand Prix Inserm 2018 à Alain Tedgui, et de rappeler ses contributions majeures dans le domaine de la recherche cardiovasculaire et la vie de notre institut, l’Inserm.

Nombre de chercheurs et de médecins connaissent les travaux d’Alain Tedgui, et plus particulièrement ses travaux sur le rôle du système immunitaire dans le développement et la progression de l’athérosclérose [1], mais peu de personnes savent, et sont surprises d’apprendre, qu’il n’est ni immunologiste ni biologiste de formation. Et ce n’est pas, de loin, le seul des traits atypiques et fascinants de ce chercheur auprès duquel j’ai eu l’immense chance d’apprendre, de m’instruire et… de grandir, tout simplement.

Alain Tedgui est né en 1953 à Oran en Algérie, et au grand dam des agents de la police des frontières américaine, n’est pas arabophone. Il est physicien et biomécanicien de formation, avec un intérêt particulier pour la mécanique des fluides. Après des études supérieures à Paris 6, Paris Sud et à l’université de technologie de Compiègne, il a effectué une mobilité à l’étranger et travaillé à l’Imperial College London, sous la direction de Colin Caro, une autorité mondiale dans le domaine de la biomécanique des fluides. Il s’y est initié à l’étude de l’impact des facteurs mécaniques sur le transport de cholestérol et de toutes sortes de molécules du sang vers la paroi artérielle, ainsi que leurs conséquences potentielles sur les premières étapes de développement des plaques d’athérosclérose. Ce stage a été déterminant dans le lancement de la carrière scientifique d’Alain Tedgui.

Peu après son retour de Londres au début des années 1980, il a été recruté à l’Inserm, où il a pu développer son propre axe de recherche, initialement sur le transport de masse dans la paroi artérielle. Plus tard, au début des années 1990, Alain Tedgui a étendu ses recherches pour s’intéresser au remodelage artériel en réponse aux facteurs mécaniques, grâce, notamment, à la mise au point d’un système ingénieux de culture organotypique d’artères isolées, où la perfusion et la pression pouvaient être modulées séparément et à volonté pendant plusieurs jours. C’était une période excitante pour la biologie vasculaire, avec notamment l’identification par Robert F. Furchgott, Louis J. Ignarro, Ferid Murad, Prix Nobel 1998, du rôle insoupçonnable du monoxyde d’azote dans l’homéostasie de la paroi vasculaire. Ces développements de l’époque ont convaincu Alain Tedgui de se tourner définitivement vers la biologie et la physiologie moléculaire du vaisseau, l’intitulé de l’équipe Inserm qu’il dirigera plus tard. C’est ainsi qu’il a pu identifier l’implication de plusieurs voies de transduction cellulaire impliquant le monoxyde d’azote, l’angiotensine II, la voie NF-κB ou les MAP-kinases, dans la régulation du remodelage vasculaire, en réponse aux contraintes mécaniques. C’est à cette époque là que je débarquais dans son équipe pour étudier le rôle des facteurs mécaniques dans l’induction de proto-oncogènes dans la paroi vasculaire. Je me rappellerai toujours cette excitation intellectuelle autour de ces nouveaux projets de recherche, et la liberté totale, l’incitation même, qui m’a été donnée d’exprimer et de discuter mes opinions, ce qui a été déterminant dans ma prise de confiance et dans la construction de ma propre carrière scientifique à ses côtés. C’est une autre marque de fabrique inestimable d’Alain Tedgui.

C’est ainsi que, de fil en aiguille, nous nous intéressons au rôle de la mort cellulaire par apoptose dans la physiopathologie des maladies cardiovasculaires. Nous montrons d’abord qu’elle contribue à la raréfaction des cardiomyocytes dans certaines pathologies cardiaques chez l’homme [2], et qu’elle survient dans le noyau lipidique de la plaque d’athérosclérose. Mais le tournant vient d’une discussion qu’Alain Tedgui a eue avec Jean-Marie Freyssinet, alors directeur d’une unité Inserm de recherche en hémostase et dynamique cellulaire vasculaire. Celui-ci venait de montrer que la mort par apoptose des lymphocytes T après infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) conduisait à la formation de microparticules membranaires émanant de la cellule apoptotique. Ces microparticules sont riches en phosphatidylsérine à leur surface et identifiables par un immuno-marquage spécifique. Il n’y avait plus qu’un pas pour penser que des microparticules apoptotiques sont libérées après mort par apoptose dans le noyau « nécrotique » de la plaque d’athérosclérose humaine et constituent un élément déterminant de l’activation du facteur tissulaire, initiateur de la voie extrinsèque de la coagulation, et déclencheur de la formation du thrombus artériel au moment de la rupture de plaque. Ce que nous n’avons pas tardé à établir [3], en collaboration avec Jean-Marie Freyssinet, une démonstration suivie de l’identification de ces microparticules comme biomarqueurs du risque cardiovasculaire chez l’homme [4]. Ces travaux ont ouvert tout un champ de recherche sur le rôle non seulement pro-coagulant, mais également pro-inflammatoire de ces microparticules et, plus largement, de transfert d’information intercellulaire, un domaine de recherche très actif, actuellement poursuivi au laboratoire par Chantal Boulanger.

Ces microparticules apoptotiques s’accumulant dans les plaques d’athérosclérose suggéraient un défaut de « nettoyage » des cellules apoptotiques, un phénomène appelé efférocytose, contrôlé par plusieurs interactions cellulaires de reconnaissance entre le phagocyte et la cellule apoptotique, et de phagocytose de la cellule et de ses débris apoptotiques. Qui dit défaut d’efférocytose dit défaut de production de médiateurs anti-inflammatoires et immunosuppresseurs, caractéristique majeure de ce processus biologique, qui contribue également à maintenir l’homéostasie du système immunitaire. Des travaux de recherche sont alors enclenchés sur le rôle du système immunitaire dans le développement et la progression de la plaque d’athérosclérose, avec un intérêt particulier pour les médiateurs anti-inflammatoires, l’interleukine (IL)-10 et le transforming growth factor-beta (TGF-β), responsables de l’immuno-suppression liée à l’efférocytose, mais largement ignorés à cette époque dans le domaine de la physiopathologie cardiovasculaire.

Alain Tedgui et son équipe produisent alors la première démonstration du rôle majeur de cette contre-régulation du système immunitaire dans la protection contre l’athérosclérose [5]. Ces résultats orientent l’équipe vers une population de cellules immunitaires appelées lymphocytes T régulateurs (Treg), connus pour assurer l’homéostasie du système immunitaire, en partie par la production, ou sous l’influence, de ces molécules immuno-suppressives. C’est ainsi que, en collaboration avec l’équipe de David Klatzmann, également directeur d’une unité Inserm, Alain Tedgui et ses collaborateurs mettent en évidence la contribution essentielle de ces lymphocytes Treg dans la protection contre l’athérosclérose [6]. Plus tard, ils réussissent à établir, chez l’animal, des stratégies innovantes de tolérisation1 immunitaire par induction de lymphocytes Treg spécifiques, reconnaissant des antigènes issus des lipoprotéines oxydées et responsables de l’activation du système immunitaire au cours de l’athérosclérose. C’est une voie de recherche très active et très prometteuse de « vaccination » contre l’athérosclérose, poursuivie dans plusieurs laboratoires à travers le monde. En attendant la mise au point de cette stratégie vaccinale spécifique, l’équipe teste actuellement dans un essai clinique de phase 2 une stratégie de stimulation des lymphocytes Treg totaux par administration de petites doses d’IL-2 chez des patients atteints de syndrome coronaire aigu. L’objectif est de diminuer l’inflammation vasculaire et de réduire à terme les récidives et la sévérité des accidents cardiovasculaires. D’autres travaux de l’équipe menés sur le rôle des lymphocytes B ont également conduit à des essais cliniques en cours, testant l’effet de la déplétion de ces lymphocytes chez des patients atteints d’infarctus du myocarde. Ces travaux, comme ceux qui en découleront, auront un impact médical certain à long terme et changeront définitivement l’approche thérapeutique des patients atteints ou des individus à risque de maladies cardiovasculaires.

Alain Tedgui est un membre incontournable de la communauté scientifique. Sur le plan national, il a dirigé l’unité de recherche Inserm 541 à l’hôpital Lariboisière puis le Paris-Centre de recherche cardiovasculaire (PARCC)-unité Inserm 970/université Paris-Descartes, au sein de l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris, depuis 2009. Il a été un membre très actif des instances scientifiques de l’Inserm et a présidé son conseil scientifique de 2012 à 2016, contribuant ainsi grandement à l’élaboration de la vision et de la stratégie scientifique de l’Institut. Il a également collaboré à l’organisation de la recherche scientifique au-delà de l’Inserm, en tant que membre scientifique de plusieurs comités de fondations et d’agences nationales et internationales, et en tant que coordonnateur de réseaux de recherche d’excellence, comme le réseau européen de génomique vasculaire EVGN. Alain Tedgui a été le seul éditeur européen de la revue Arteriosclerosis Thrombosis and Vascular Biology, journal de l’American Heart Association. Il a reçu de nombreux prix scientifiques, en particulier le Prix Lamonica cardiologie 2012 de l’Académie des sciences-Institut de France, et le Grand Prix 2013 de la Fondation pour la recherche médicale.

En marge de la biographie d’Alain Tedgui sur le site de l’Inserm, il est mentionné que les Égyptiens avaient identifié le sang comme source de vie et le cœur siège de l’âme. Désormais, un chercheur français, né en Algérie, a peut-être contribué à détourner les cellules du sang pour réparer les maux du cœur. En tout cas, par sa contribution exceptionnelle à la connaissance scientifique, par son amour et son enseignement animé d’un esprit critique, d’une pensée discursive, créative, presque talmudique, Alain Tedgui aura marqué de son empreinte la recherche cardiovasculaire et le cœur et l’esprit de ses disciples et collaborateurs.

1 Ou pouvoir tolérogène : fait de tolérer de fortes doses d’une substance, d’y devenir insensible, de créer une immunorégulation.

Prix Opecst-Inserm 2018 : Robert Barouki

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© Patrick Delapierre/Inserm

La science de la « disruption »
par Xavier Coumoul et Martine Aggerbeck

Inserm UMR-S 1124, Université Paris Descartes, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France zm255@medschl.cam.ac.uk

Le terme de « disruption » est apparu récemment au coeur de nos sociétés. Il résume à lui seul la carrière de Robert Barouki, qui n’a eu de cesse de se réinventer au cours d’une carrière riche, tant sur le plan scientifique, lui qui est justement devenu un spécialiste de la perturbation endocrine (endocrine disruption), que sociétal.

Jeune libanais, inspiré dès son plus jeune âge par la médecine, Robert Barouki rejoint la France avec l’ambition de ne pas seulement soigner, mais aussi de découvrir de nouvelles thérapies tout en comprenant leurs mécanismes d’action moléculaire. Cette dernière aspiration le conduit logiquement à intégrer, en parallèle de son cursus de médecine, l’École normale supérieure qui l’aidera à construire un parcours original : celle d’un chercheur transdisciplinaire, capable de comprendre les interactions moléculaires se déroulant au sein d’un site d’interaction entre une protéine et son ligand et ses implications pharmacologiques et bientôt toxicologiques pour l’être humain.

Après une thèse de pharmacologie réalisée à l’unité Inserm 99 dirigée par Jacques Hanoune et soutenue en 1983, suivie d’un post-doctorat à l’université John Hopkins à Baltimore, il devient chargé de recherche au CNRS en 1983. Son profil disciplinaire s’oriente vers l’endocrinologie et ses implications métaboliques, avec de nombreux travaux portant sur le rôle des transaminases dans la régulation des flux métaboliques hépatiques. Directeur de recherche à l’Inserm en 1992, il est l’un des premiers en France à s’intéresser aux mécanismes d’action biologique de la perturbation endocrinienne, ce qui va contribuer à faire de lui l’un des pionniers de la toxicologie moléculaire. Il fonde ainsi en 1998 l’unité Inserm 490 avec Philippe Beaune et développe alors une thématique de recherche associant endocrinologie (son premier amour) et toxicologie (discipline en plein essor sur le plan médiatique avec le nombre croissant de scandales sanitaires émergents au cours des années 2000). La dioxine de Seveso (ou TCDD) est alors une molécule phare dans ce domaine, car à l’origine de nombreuses pathologies, mais dont le mécanisme d’action demeure insuffisamment caractérisé. La dioxine, dont la contamination environnementale diminue depuis les années 1980, demeure très étudiée, car étant à l’origine de l’activation d’un récepteur nommé AhR (pour aryl hydrocarbon receptor), un facteur de transcription susceptible de réguler l’expression de gènes de détoxification, parmi lesquels les cytochromes P450, enzymes contribuant à l’élimination des toxiques activant le AhR. Cet élégant mécanisme, impliquant dans le temps une détection puis une élimination de xénobiotiques (molécules étrangères à l’organisme susceptibles d’exercer des effets délétères sur les organismes exposés), demeurait toutefois insuffisant pour expliquer les effets de la TCDD mis en évidence au début des années 2000 avec les affaires « poulets belges »1 et « Iouchtchenko »2 (avec notamment ces images montrant le président ukrainien Louchtchenko défiguré par la chloracné).

Robert Barouki comprit rapidement que le développement de sa thématique de recherche jusque dans ses aspects les plus fondamentaux ne pouvait se faire sans une forte composante d’enseignement et de dissémination de l’information auprès du grand public. Devenu PU-PH à l’université Paris Descartes en 2001, directeur des unités Inserm 747 puis 1124, mais aussi représentant de l’Inserm pour les questions liées à la toxicologie, il suspecte et démontre en partie que le récepteur AhR est sujet à une véritable plasticité biologique (selon le ligand associé). Parallèlement, il ne néglige pas de sensibiliser le grand public et l’Inserm aux questions environnementales inhérentes aux interrogations de nos sociétés industrialisées (pesticides, organismes génétiquement modifiés [OGM], polluants organiques persistants), en participant aux expertises collectives de l’Inserm. Il démontre ainsi que le AhR joue, au-delà de son rôle de régulateur du métabolisme des xénobiotiques, un rôle potentiel dans la plasticité cellulaire tumorale (et la formation des métastases), ainsi que dans le développement de maladies métaboliques, notamment hépatiques et impliquant le tissu adipeux, véritable réservoir de polluants hydrophobes.

L’enseignement de la toxicologie occupe aussi une place centrale dans sa carrière, à la fois en tant que responsable de masters mais également en jouant un rôle de pédagogue vis-à-vis des premiers cycles des études médicales au cours desquels il contribue à sensibiliser les futurs médecins à l’importance de la compréhension des mécanismes moléculaires mis en jeu en toxicologie. Cette ambition, ce sens du service public l’ont conduit plus récemment à s’impliquer dans des projets dépassant le cadre national, notamment européens, et à sensibiliser les chercheurs et le grand public, au concept d’exposome, intégrant les conséquences d’expositions multiples (cocktails ou mélanges) à faibles doses à des xénobiotiques sur le développement de pathologies à long terme.

Son évolution scientifique, via un questionnement perpétuel, son art de la synthèse, sa capacité à réfléchir en prenant du recul sur les concepts scientifiques en vogue, sa remise en question permanente, son ouverture d’esprit sur les nouvelles approches technologiques ou de modélisation, ce goût de la dissémination scientifique (des étudiants au grand public) et de l’horizontalité (brassant au sein des unités de recherche qu’il a dirigées des chercheurs d’horizons différents, favorisant ainsi l’émergence de projets transdisciplinaires) font de Robert Barouki l’un de nos scientifiques les plus précieux en France.

1Des poulets belges, voire ceux de quelques élevages de pays limitrophes comme la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, ont été gavés d’aliments composés contenant des graisses toxiques pouvant provenir d’huile de vidange.

2L’ancien président ukrainien Viktor Iouchtchenko aurait été atteint de ce trouble à la suite d’un empoisonnement à la dioxine.

Prix International 2018 : Elisabetta Dejana

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© Patrick Delapierre/Inserm

Paroi vasculaire et développement de cancers
Elisabetta Dejana a cumulé et cumule de nombreuses fonctions : à Milan, en Italie, à l’Inserm à Grenoble, à Uppsala, en Suède, auprès du ministère de la Santé italien et du Conseil européen pour la recherche. Elle est spécialiste de la paroi vasculaire et de son implication dans le développement de cancers, comme dans celui de nombreuses autres maladies. Dans la lutte contre le cancer, les stratégies d’inhibition de l’angiogenèse sont passées de mode. En effet, il est plus important d’avoir des vaisseaux réguliers et solides, capables de distribuer les médicaments dans toute la tumeur.

À l’Institut Mario Negri de Milan, Elisabetta Dejana, au début des années 1990, s’intéresse aux cadhérines, ces molécules qui assurent l’adhérence intercellulaire et le maintien de la paroi vasculaire. Mais, dépourvue de moyens technologiques, elle fait appel à une équipe de recherche de Grenoble, qui a commencé à développer les techniques de biologie moléculaire qui lui font défaut.

En 1992, elle prend la tête d’une unité de l’Inserm1 et du laboratoire d’hématologie du CEA de Grenoble. Elle y clone la V-like endothelial vessel cadherin (VE cadherin), molécule spécifique des cellules endothéliales, qui joue un rôle essentiel dans le contrôle de la perméabilité des vaisseaux sanguins et le passage des cellules inflammatoires. Sans elle, les vaisseaux ne peuvent pas se développer. En inhibant la croissance des vaisseaux, Elisabetta Dejana espère alors limiter celle des tumeurs cancéreuses.

Mais, au milieu des années 1990, Elisabetta Dejana rejoint à nouveau l’Italie pour démarrer un campus de recherche, dont l’Ifom, Institut d’oncologie médicale de la Fondation italienne pour la recherche contre le cancer (Firc) à Milan, où elle travaille toujours. En 2000, elle y prend la direction de l’unité de biologie vasculaire et d’angiogenèse, où les collaborations internationales restent essentielles.

Voilà 3 ans, elle atterrit en Suède, où elle dirige à mi-temps une autre équipe et profite des technologies de séquençage à très haut débit sur cellule unique. Il s’agit d’identifier les gènes impliqués dans la malformation caverneuse cérébrale et, surtout, de comprendre le rôle joué par les protéines concernées. Cette affection est associée à une malformation des vaisseaux cérébraux, qui se désorganisent en une multitude de fragiles petits tubes dont les lésions peuvent conduire à un accident vasculaire cérébral.

Outre ses activités scientifiques, Elisabetta Dejana développe une crèche à l’Ifom. En Italie, la carrière d’une femme est encore entendue comme « une démarche égoïste », en lieu et place de la vie de famille. Nombre d’entre elles culpabilisent et abandonnent, alors qu’elles sont brillantes, ce qu’elle trouve totalement injuste.

1Unité Inserm 217, laboratoire d’hématologie du CEA, Grenoble « Hémostase cellulaire et moléculaire. Biologie et développement du système vasculaire ».

Prix d’Honneur 2018 : Antoine Triller

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© Patrick Delapierre/Inserm

Tout savoir sur la communication inter-neuronale et sur son rôle
L’enjeu fondamental des recherches menées par Antoine Triller est la compréhension des bases cellulaires et moléculaires de la communication entre deux neurones.

Au début des années 1980, il explore les bases structurales des mécanismes de la libération quantique des neurotransmetteurs dans le système nerveux central (SNC). Il développe également une approche de morphologie ultrastructurale, sous la direction de Constantino Sotelo, directeur d’une unité Inserm de neuromorphologie. Fortement engagé dans des approches technologiques originales, il a été le premier à visualiser, en microscopie électronique, un récepteur dans les synapses du SNC et à montrer que les récepteurs des neurotransmetteurs sont concentrés en face des zones de libération des vésicules synaptiques.

Au milieu des années 1990, il rejoint l’École normale supérieure, intéressé par les physiciens et les chimistes de cette institution, et crée l’unité de recherche Inserm 497 en biologie cellulaire de la synapse. Il réoriente ses activités vers l’étude des mécanismes moléculaires et cellulaires, qui contrôlent le recrutement et le trafic des récepteurs dans la synapse. Parmi ses contributions importantes, il a montré que la nature du système de neurotransmetteur de l’élément présynaptique (glycine ou GABA) déterminait le type de récepteur s’accumulant dans la densité post-synaptique. Il a démontré la présence très spécifique dans les dendrites d’ARN messagers codant une sous-unité des récepteurs de la glycine ; ceux-ci sont associés à des organelles sous-synaptiques, constituant une micro-machinerie indispensable à la synthèse rapide et à l’insertion de ces récepteurs dans les synapses.

Dans les années 2000, il passe d’une vision statique des molécules synaptiques à une imagerie dynamique à haute résolution. Il montre que les récepteurs des neurotransmetteurs sont mobiles dans le plan de la membrane, dans et hors de la fente synaptique. Il démontre que ces récepteurs sont en équilibre entre sites synaptiques et extra-synaptiques. Associé à des physiciens, il développe et popularise l’usage des quantum dots (nanostructures de semi-conducteurs) pour la biologie cellulaire. Cette avancée est l’une des percées technologiques majeures d’Antoine Triller. Nombre de mécanismes moléculaires seront ensuite identifiés comme responsables de la régulation de ces mouvements et de l’accumulation des récepteurs aux synapses.

Antoine Triller a été particulièrement productif dans la compréhension des mécanismes de l’adressage, de la stabilisation et de la plasticité des récepteurs inhibiteurs. Et parallèlement à ces nombreuses découvertes expérimentales sur la biologie synaptique, il a mis en place de puissantes méthodes quantitatives pour une analyse de la dynamique des récepteurs avec un formalisme dérivé de la mécanique statistique, reliant ainsi la stochasticité des processus moléculaires à la variabilité de la transmission synaptique.

Antoine Triller a joué un rôle majeur dans l’évolution de la recherche en neurosciences à Paris, favorisant notamment l’indépendance intellectuelle et économique des équipes.

Enfin, il a été l’un des acteurs des initiatives d’excellence, en promouvant le labex Memolife, qui associe des laboratoires de biologie, physique et mathématiques ; ceux-ci abordent un des aspects les plus fascinants du vivant, les processus de la mémoire, des gènes aux réseaux de neurones, en passant par les mécanismes de l’évolution. La communication neuronale est impliquée dans l’apprentissage, la mémoire et l’oubli, et la synapse est au cœur d’un enjeu pharmacologique fondamental.

Prix Spécial 2018 : Pierre Golstein

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© Patrick Delapierre/Inserm

Cytotoxicité et signaux de mort cellulaire
Pierre Golstein1 a contribué de manière majeure à la compréhension des mécanismes moléculaires de cytotoxicité et d’apoptose (mort cellulaire).

Dans les années 1970, ses premiers travaux ont porté sur les mécanismes de cytotoxicité de certains lymphocytes T, des globules blancs tueurs capables d’éliminer des cellules potentiellement dangereuses (cellules stressées, infectées ou cancéreuses). Il a montré que ces cellules T cytotoxiques disposent d’un arsenal varié pour délivrer leur signal de mort.

Dans les années 1980, il a développé des approches de biologie moléculaire, visant à identifier des gènes exprimés préférentiellement par les lymphocytes T cytotoxiques. Ces expériences ont conduit progressivement à l’identification de CTLA-1 (cytotoxic T-lymphocyte-associated-1, également appelé granzyme A), CLTA-2, CTLA-3 (granzyme B), CTLA-4, CLTA-8 et au ligand du récepteur Fas. Il a montré l’implication du ligand du récepteur Fas et des granzymes A et B dans les deux mécanismes principaux de cytotoxicité des lymphocytes T.

Il s’est ensuite intéressé aux mécanismes d’apoptose, en étudiant le modèle de la formation des doigts chez l’embryon de souris. Il a montré l’existence, dans les cellules interdigitales, de deux mécanismes potentiels de mort, l’apoptose et la nécrose, qui sont respectivement des mécanismes caspase-dépendants et indépendants. Il poursuit actuellement la recherche de molécules impliquées dans la mort cellulaire autophagique, non apoptotique, dans le modèle moins classique du protiste Dictyostelium discoideum, à l’aide de techniques de mutagenèse aléatoire.

Plusieurs molécules découvertes par Pierre Golstein et ses collaborateurs dans les années 1980, dont CTL-4 en 1987, ont joué un rôle majeur dans le champ des recherches qui se sont ensuivies. CTLA-4, une molécule co-signal du système immunitaire, est en effet l’une des cibles de l’immunothérapie contre le cancer.

En témoigne le dernier Prix Nobel de médecine ou physiologie, qui récompense l’Américain James P. Allison et le Japonais Tasuku Honjo, pour leurs travaux sur le CTLA-4 et la découverte de thérapies contre le cancer, fondées sur la levée de freins du système immunitaire.

Les travaux pionniers de Pierre Golstein, tant pour la découverte de ces molécules que de leurs mécanismes d’action, ont donc ouvert la voie à ces thérapies novatrices contre le cancer.

1 Co-directeur, puis directeur du centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML).

Prix Recherche 2018 : Nathalie Vergnolle

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© Patrick Delapierre/Inserm

Protéases et pathologies coliques inflammatoires
Nathalie Vergnolle, directrice de recherche à l’Inserm et aujourd’hui directrice de l’Institut de recherche en santé digestive1 s’illustre par ses recherches sur les protéases - enzymes qui coupent les liaisons peptidiques des protéines dans la lumière intestinale. Celles-ci sont dérégulées dans les pathologies inflammatoires et douloureuses, telles que la maladie de Crohn, la rectocolite hémorragique ou le syndrome du côlon irritable.

Avant de mener ses recherches à Toulouse, Nathalie Vergnolle a passé plusieurs années à l’université de Calgary au Canada auprès des spécialistes mondiaux de la discipline. Ses travaux ont permis de mettre en évidence le rôle de plusieurs médiateurs impliqués dans ces pathologies.

Grâce à l’important financement du Conseil européen de la recherche en 2012 (ERC Starting Grant), elle a pu montrer que le tissu épithélial de l’intestin est capable de sécréter lui-même ses propres protéases, ainsi que leurs inhibiteurs, assurant un rôle fondamental dans le contrôle de leur activité.

Nathalie Vergnolle et son équipe - en collaboration avec des chercheurs de l’INRA - ont montré le rôle de l’élafine, une protéine qui inhibe les protéases dérégulées, peu présente chez les patients, où elle n’exerce pas son rôle de contrôle. Ils ont conçu, à partir de bactéries non pathogènes de l’intestin, des bactéries modifiées pour produire l’élafine. Pour cela, le gène de l’élafine humaine, isolé en collaboration avec une équipe de l’Institut Pasteur, a été introduit dans deux bactéries alimentaires présentes dans les produits laitiers. Nathalie Vergnolle s’est ensuite approprié la « technique du mini-intestin », qui consiste à recréer un épithélium à partir des biopsies de tissus de malades. Partant de là, elle isole des cellules souches de l’épithélium intestinal, normalement régénéré en 48 heures, et, après mise en culture, ces cellules forment un mini-organe comportant une lumière. 

Le procédé de fabrication est en cours, en lien avec une entreprise : la bactérie lactique choisie, habituellement présente dans les laitages, est génétiquement modifiée, afin de produire l’élafine. Leur brevet a été racheté par un industriel qui en poursuit le développement.

Ses recherches ont valu à Nathalie Vergnolle une reconnaissance internationale et sont soutenues au niveau européen, national et régional. Elles ont mené à des collaborations académiques et privées très actives.

1 Directrice de l’unité Inserm 1220, Institut de recherche en santé digestive, hôpital Purpan, Toulouse.

Prix Recherche 2018 : Ana-Maria Lennon

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© Patrick Delapierre/Inserm

Régulation spatio-temporelle de la présentation antigénique
Sentinelles du système immunitaire, les cellules dendritiques parcourent les tissus périphériques de l’organisme, plus souvent sujets à une menace infectieuse, à la recherche d’antigènes microbiens. Ainsi, lorsque l’un d’entre eux est identifié, la cellule l’avale, le digère, puis se dirige vers le ganglion le plus proche pour présenter cet agresseur aux lymphocytes et déclencher ainsi la réponse immunitaire. Elle devient alors une cellule présentatrice d’antigènes. Au cours de ces deux phases bien distinctes, cette cellule se déplace grâce à des outils micro-fabriqués, qui lui permettent de migrer dans une seule dimension, dans un environnement confiné.

À l’Institut Curie, Ana-Maria Lennon et ses collaborateurs1 ont d’abord montré que le mode de déplacement intermittent de la cellule dendritique est le plus efficace pour identifier ces antigènes. Autrement dit, la cellule se déplace, s’arrête, puis recommence. Cependant, devenue cellule présentatrice d’antigènes, elle adopte alors un déplacement unidirectionnel et rapide et elle file sans s’arrêter aux ganglions. Ce processus repose sur la protéine CD74, la chaîne g du CMH-II, ou fragment Ii, dont Ana-Maria Lennon en a identifié le fonctionnement, en travaillant sur des souris génétiquement modifiées, modèles précieux de recherche. En effet, lorsque CD74 est absent, la cellule se déplace et ne s’arrête plus. À l’inverse, quand cette protéine est surexprimée, la cellule s’arrête et ne parcourt pas l’ensemble du territoire.

Après avoir étudié le système ex-vivo, l’objectif d’Ana-Maria Lennon est d’identifier ce qui se déroule dans les tissus, et ce par l’imagerie médicale, son outil d’exploration préféré.

1 Unité mixte de recherche Inserm 932 Inserm - Institut Curie « Immunité et cancer ».

Prix Innovation 2018 : Ahmed Abbas

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© Patrick Delapierre/Inserm

La radioactivité au service du diagnostic
Radio-pharmacien, Ahmed Abbas est responsable de la gestion des médicaments radioactifs au sein de la plateforme Cyceron1, à Caen, plateforme d’imagerie in vivo située sur le plateau nord de Caen, qui héberge sur près de 6 000 m² de bâtiments un ensemble unique de laboratoires et d’équipements ouverts à l’ensemble de la communauté scientifique.

Ingénieur de recherche, Ahmed Abbas participe depuis 15 ans à la mise au point de ces produits, en collaboration avec des chercheurs. Outre le développement d’un logiciel informatique dédié à la plateforme, il gère l’approvisionnement, le stockage, le contrôle, sans compter les diverses demandes d’autorisation. La production des molécules a lieu la nuit et, ensuite, celles-ci doivent être livrées et administrées dans la journée à des animaux lors d’études précliniques ou à des hommes dans le cadre d’essais cliniques.

Il a ainsi récemment travaillé sur le 18F fluorure de sodium, molécule radioactive, qui est normalement utilisé pour diagnostiquer les métastases osseuses. Mais, cette fois, en partenariat avec les services de médecine nucléaire et de chirurgie cardiovasculaire de l’hôpital de Caen, les chercheurs travaillent sur l’utilisation de cette molécule pour évaluer la dangerosité des plaques d’athérome.

Ahmed Abbas a également participé au développement des marqueurs de certains lymphomes (cancers du système lymphatique), ou des plaques β-amyloïde impliquées dans la maladie d’Alzheimer. Il collabore à la gestion des molécules, aux études précliniques et aux demandes d’autorisations auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm), pour des essais chez l’homme. Une activité clé des progrès de la recherche biomédicale.

1 Unité de recherche Inserm 1077 « Neuropsychologie cognitive et neuro-anatomie fonctionnelle de la mémoire ».

Prix Innovation 2018 : Nelly Pirot

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© Patrick Delapierre/Inserm

Partager de précieuses lames d’histologie expérimentale
Nelly Pirot, ingénieure de recherche à l’Inserm, est responsable de la plateforme du réseau d’histologie expérimentale de Montpellier (Rhem), au sein de l’Institut de recherche en cancérologie de la ville1. Le réseau d’histologie expérimentale a été créé en septembre 2008, afin de mutualiser et de rationaliser les moyens humains et matériels, les expertises et les compétences en analyses histologique et anatomo-pathologique de modèles expérimentaux des laboratoires de recherche de Montpellier.

Pour ce qui concerne la plateforme d’histologie expérimentale elle-même, le travail quotidien de Nelly Pirot consiste à répondre aux demandes des chercheurs. Pour cela, il suffit tout simplement à ceux-ci d’aller sur le logiciel de son équipe, d’enregistrer les données associées à leur modèle d’histologie expérimentale et à leurs échantillons, puis de préciser les actes techniques qu’ils souhaitent (orientation et inclusion en paraffine de l’échantillon, coupe du bloc, coloration de la lame, immuno-marquage, numérisation). Ensuite, les chercheurs déposent leurs échantillons dans une boîte de transport, qui est collectée chaque semaine.

Le service s’adresse à la communauté scientifique régionale (l’Inserm, l’IRD, le CNRS, l’Ifremer…) La majorité des échantillons provient de modèles murins, mais Nelly Pirot et ses collaborateurs travaillent également sur des tissus d’autres modèles animaux. Ils pilotent tout le processus technique, depuis l’inclusion des lames jusqu’à leur traitement. Chaque année, des milliers de blocs et  de lames sortent de son laboratoire, contribuant à près de 80 projets de recherche.

La véritable innovation de cette plateforme est un outil informatique d’enregistrement des échantillons, qui répertorie les données de 66 000 blocs de paraffine, constituant ainsi une banque de données, qui devrait être bientôt accessible à l’international. Tout scientifique pourra ainsi accéder à cette banque et prendre contact avec le chercheur propriétaire du bloc concerné. Une manière de restreindre le recours à des animaux et de mieux faire connaître et valoriser le travail déjà accompli.

1 Unité mixte Inserm 1194, Institut de recherche en cancérologie de Montpellier.

References
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