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doi: 10.1051/medsci/2018237.

Leucémies à mégacaryoblastes de l’enfant
Une affaire de complexes

Cécile K. Lopez1 and Thomas Mercher1*

1Inserm U1170, Institut Gustave Roussy, Pavillon recherche 2, 39 rue Camille Desmoulins, 94800Villejuif, France
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Inserm - Céline Richard/Plateforme d’imagerie de l’Institut Cochin).

Hématopoïèse normale et leucémies

L’hématopoïèse normale est le processus qui permet le développement de toutes les cellules sanguines, notamment les lymphocytes, les globules rouges et les plaquettes. Toutes ces cellules se développent à partir de cellules dites cellules souches hématopoïétiques (HSC) localisées, chez l’adulte, dans la moelle osseuse [1]. Les HSC sont capables dêtre présentes pendant très longtemps grâce leurs propriétés de quiescence et d’autorenouvellement. Elles peuvent également proliférer et prennent alors la forme de progéniteurs qui se différencient pour donner les milliards de cellules matures qui entrent dans le sang chaque jour pour remplir leur fonction. Pour maintenir un nombre constant de cellules, ce processus est régulé finement par des signaux de l’environnement cellulaire (des cellules à proximité ou des facteurs de croissance solubles) qui stimulent des voies de signalisation et par des facteurs propres aux cellules (l’organisation de l’ADN et l’expression de facteurs de transcription, par exemple) qui modulent l’expression de gènes importants pour leur prolifération ou leur maturation. Certains facteurs de transcription contrôlent le développement de lignées hématopoïétiques spécifiques alors que d’autres sont requis pour tous les progéniteurs hématopoïétiques. Ces facteurs de transcription semblent fréquemment regroupés au sein de complexes contenant plusieurs régulateurs transcriptionnels, dont la composition contrôle l’identité et le niveau d’expression des gènes cibles [2]. En effet, ces facteurs peuvent être associés à des modifications de la chromatine, comme celles des histones ou de l’ADN, conduisant à une activation ou une répression de l’expression des gènes alentours. Certaines de ces modifications, telles que l’acétylation de la lysine 27 de l’histone 3 (H3K27ac), peuvent s’étendre sur de larges régions (plusieurs centaines de kilobases) appelées enhancer ou super-enhancer [3]. Ces régions sont liées par de nombreux facteurs de transcription et facteurs généraux de la machinerie transcriptionnelle (comme les facteurs BRD2 ou le complexe Mediator) et sont associées à une transcription importante de gènes. La localisation de ces régions enhancers a été associée à l’identité cellulaire et une hypothèse actuelle est que l’activité de ces régions contrôle en partie l’équilibre entre autorenouvellement/prolifération des cellules souches et des progéniteurs et progression vers la différenciation terminale des cellules [4].

Parmi les facteurs de transcription importants pour l’hématopoïèse, la famille de protéines à doigts de zinc GATA lient l’ADN sur un motif consensus de type 5’-(A/T)GATAA(G/A/C)-3’ et sont fréquemment associées à des complexes multiprotéiques (nommé heptad) composés d’au moins 7 facteurs de transcription incluant également TAL1, LYL1, LMO2, RUNX1, ERG et FLI1. Ces complexes sont actifs dans les cellules souches et les progéniteurs hématopoïétiques adultes, mais également dès l’apparition des premières cellules souches hématopoïétiques au cours du développement [5]. Les facteurs GATA sont également essentiels pour le développement des globules rouges et des mégacaryocytes, à l’origine des plaquettes sanguines [6]. Une différence d’expression des facteurs GATA est observée au cours de la différenciation avec une expression GATA2 importante dans les cellules souches hématopoïétiques et les progéniteurs, et une expression GATA1 prédominante dans les cellules engagées dans la différenciation érythroïde ou mégacaryocytaire. Ce processus d’échange des facteurs GATA au cours de la différenciation est appelé GATA-switch [7]. Des approches de localisation de ces facteurs sur la chromatine (par ChIPseq3) confirment que GATA1 remplace GATA2 au niveau de plusieurs gènes importants pour la différenciation mégacaryocytaire [8] et que ce GATA-switch constitue une base moléculaire importante du remodelage des enhancers au cours du développement érythroïde [9]. Une interaction fonctionnelle entre les facteurs GATA et d’autres membres des complexes transcriptionnels, tels que les facteurs de la famille ETS, qui lient des motifs 5′-GGA(A/T)-3′ [2], est également importante pour la différenciation mégacaryocytaire. Ainsi, le facteur de la famille ETS, FLI1, dont l’expression est augmentée au cours de la maturation, régule conjointement avec GATA l’expression de gènes cibles mégacaryocytaires, tels que ITGA2b [10]. Il a été proposé que cette interaction fonctionnelle entre les facteurs GATA et ETS joue un rôle important dans les cellules souches hématopoïétiques et dans leur engagement vers la lignée mégacaryocytaire, alors qu’une interaction fonctionnelle entre GATA et TAL1 serait plus importante pour la différenciation érythroïde [8, 9, 11, 12]. Au sein de ces complexes, les cofacteurs de la famille ETO/ETO2 interagissent avec les facteurs de transcription et des régulateurs transcriptionnels [13], et une modification de stœchiométrie de ETO2 au sein des complexes TAL1 participe à la transition entre prolifération et différenciation terminale au cours de l’érythropoïèse [14].

Les leucémies aiguës sont des altérations de l’hématopoïèse caractérisées par une accumulation de progéniteurs associée à une altération de la différenciation terminale et une insuffisance du système hématopoïétique4. Les leucémies sont généralement classées selon la lignée hématopoïétique préférentiellement atteinte. Elles présentent des incidences variables en fonction de l’âge. Les leucémies aiguës myéloïdes (LAM) sont caractérisées par la présence d’altérations génétiques dans les cellules souches et les progéniteurs hématopoïétiques [15]. Ces mutations affectent des gènes participant à différentes fonctions biologiques incluant la régulation de la transcription (facteurs de transcription), de la méthylation (TET2, DNMT3A), de la chromatine (CTCF), de l’épissage (SRSF2), de la signalisation (JAK2) et du cycle cellulaire (TP53). Les mutations affectant les facteurs du complexe heptad (comme TAL1, RUNX1) et ETO/ETO2 sont récurrentes et généralement mutuellement exclusives dans les leucémies aiguës humaines, suggérant qu’elles ciblent un mécanisme conservé de la biologie des cellules souches hématopoïétiques. L’étude des leucémies représente donc une opportunité d’identifier et de caractériser la fonction des régulateurs transcriptionnels importants contrôlant l’hématopoïèse et la biologie des cellules souches humaines.

Génétique des leucémies mégacaryoblastiques

Les leucémies aiguës à mégacaryoblastes (LAM7) qui affectent la lignée mégacaryocytaire représentent un sous-type de leucémies rares diagnostiquées plus fréquemment chez l’enfant que chez l’adulte [16]. Elles peuvent survenir à la suite d’une prédisposition, comme les LAM7 associées à un syndrome de Down (ou trisomie 21) constitutionnel (que nous appellerons DS-LAM7) et à un pronostic favorable, ou diagnostiquées de novo (sans trisomie 21 ou prédisposition apparente) et généralement associées à un mauvais pronostic [17].

Les DS-LAM7 affectent un groupe relativement homogène de patients. Leur développement repose sur un mécanisme de progression tumorale en 3 étapes, chacune associée à l’acquisition d’altérations génétiques qui se cumulent et incluent : (1) une trisomie constitutive du chromosome 21, associée à un prédisposition aux leucémies ; (2) des mutations somatiques du gène GATA1 entraînant une coupure de la partie N-terminale de la protéine (mutant GATA1short, ou GATA1s), associées à un syndrome myéloïde transitoire (SMT) diagnostiqué à la naissance ; et (3) des mutations additionnelles touchant (dans 47 % des cas) des gènes codant des intermédiaires de voie de signalisation (comme MPL ou JAK) et/ou des régulateurs épigénétiques (dans 65 % des cas) comme EZH2, CTCF, RAD21, qui sont associées à l’étape de leucémie aiguë diagnostiquée généralement après l’âge de 3 ans [18].

Dans le groupe de patients présentant une LAM7 de novo, les analyses cytogénétiques et génomiques globales ont montré, dans la majorité des cas, la présence d’altérations chromosomiques à l’origine de l’expression d’oncogènes de fusion (Figure 1A) [19,20]. La première anomalie récurrente identifiée a été une translocation entre le chromosome 1 et le chromosome 22, visible en cytogénétique classique, et codant la protéine de fusion OTT-MAL qui inclue la quasi-totalité des deux protéines OTT et MAL [21]. Des réarrangements impliquant MLL (également nommé KMT2A) sont retrouvés dans 7 à 17 % des cas. La fusion NUP98-KDM5a est observée dans 10 à 15 % des cas de LAM7 de novo. Ces deux sous-groupes de LAM7 sont associés à une expression aberrante des gènes homéotiques HOX, dont le gène HOXA9, qui a été impliqué dans le développement et le maintien de certaines leucémies [22]. Le rôle de ces gènes dans le développement leucémique est par ailleurs souligné par la présence de réarrangements impliquant les gènes HOX eux-mêmes, associés à leur surexpression dans 15 % des LAM7 de novo [20]. La fusion entre les gènes ETO2 et GLIS2, récemment découverte, est présente dans 18 à 27 % des LAM7 de novo. Elle résulte d’une inversion du chromosome 16 conduisant à une protéine de fusion exprimant la quasi-totalité des protéines ETO2 et GLIS2 normales. Ces fusions se réalisent entre les exons 10 à 12 de ETO2 et les exons 1 à 3 de GLIS2 [19]. D’autres fusions, plus rares, sont également observées : TLS-ERG, MN1-FLI1, BCR-ABL1, MAP2K2-AF10. Un sous-groupe (nommé DS-like) présente également les mêmes types de mutations que celles observées dans les DS-LAM7, à ceci près que chez ces patients, la trisomie 21 est acquise et non constitutive. L’importance d’une coopération oncogénique pour la transformation est révélée par la présence dans plusieurs sous-groupes de mutations additionnelles incluant une trisomie 21 acquise, de mutations touchant GATA1 et RB1, ou de mutations des gènes codant les cohésines et des intermédiaires de signalisation (Figure 1B). Finalement, entre 10 et 15 % des patients ne présentent pas de mutation causale identifiée à ce jour.

Mécanismes moléculaires de la fusion ETO2-GLIS2

La fusion entre les gènes ETO2 et GLIS2 est l’altération génétique la plus fréquemment retrouvée dans les LAM7 de novo. Elle est associée à un pronostic particulièrement défavorable.

Le gène ETO2 code une protéine de la famille ETO qui est exprimée dans toutes les cellules hématopoïétiques. ETO2 est un cofacteur transcriptionnel qui interagit avec les facteurs de transcription du complexe heptad. Chez la souris, l’inactivation d’Eto2 est associée à une absence de maintien des HSC [23]. ETO2 joue également un rôle d’inhibition de la mégacaryopoïèse [8] en réprimant certains gènes impliqués dans la différenciation terminale, comme GATA1 et PF4 [24]. GLIS2 est un facteur de transcription de la famille GLI impliqué dans la voie de signalisation Hedgehog5,. Les patients qui présentent une fusion ETO2-GLIS2 montrent une signature transcriptionnelle de surexpression des gènes cibles de cette voie, par rapport aux autres patients [19]. De récentes études suggèrent un rôle positif de GLIS2 dans la capacité de reconstitution des HSC [25]. La fusion implique donc deux régulateurs transcriptionnels.

L’analyse des contributions relatives de ETO2 et GLIS2 à la transformation induite par la protéine de fusion ETO2-GLIS2 a permis de montrer que la fusion augmentait l’autorenouvellement des progéniteurs hématopoïétiques, à la fois par le domaine ETO2 de la protéine de fusion et par sa partie GLIS2 [26]. Le fragment GLIS2 de la protéine est responsable du phénotype mégacaryocytaire de la leucémie. Ces résultats indiquent que la fusion ETO2-GLIS2 est capable à elle seule d’augmenter l’autorenouvellement des progéniteurs présentant un phénotype mégacaryocytaire.

Au niveau moléculaire, la fusion ETO2-GLIS2 dérégule l’expression de nombreux gènes, dont ceux codant les protéines du complexe heptad. L’expression de GATA1 est ainsi fortement diminuée alors que celle de ERG est fortement augmentée. Cette dérégulation est également observée dans les signatures transcriptionnelles des blastes isolés de patients présentant une fusion ETO2-GLIS2. Les régions de l’ADN sur lesquelles se fixe la protéine de fusion ont été localisées sur des régions enhancers de plusieurs gènes dont l’expression est régulée par la fusion. L’analyse des motifs associés à ces régions suggère que cette liaison se réalise soit par l’intermédiaire des facteurs de transcription ERG, RUNX et GATA, qui interagissent avec ETO2, soit directement via le domaine GLIS2 de la protéine de fusion.

L’activité des régions enhancers des gènes est généralement importante dans le contexte de la transformation tumorale et la prolifération cellulaire [27]. Dans la LAM7, le facteur ERG est fréquemment co-localisé avec la fusion ETO2-GLIS2. Sa présence est également associée à une forte expression des gènes proches des enhancers. Son inactivation fonctionnelle, par ciblage du génome de type CRISPR/cas9 dans des cellules exprimant la fusion, montre que ERG joue un rôle essentiel dans la régulation transcriptionnelle de certains gènes cibles de la protéine de fusion ETO2-GLIS2, comme KIT, et dans la survie des blastes leucémiques humains qui présentent cette fusion.

Mécanismes communs aux leucémies à mégacaryoblastes

La différenciation mégacaryocytaire terminale implique un changement dynamique de la composition et de l’activité des complexes de facteurs de transcription, avec l’acquisition d’une forte activité GATA1 et d’une faible activité ERG dans les mégacaryocytes matures (Figure 2). La protéine de fusion ETO2-GLIS2 peut à elle seule imposer une forte activité de ERG et une faible activité de GATA1, ce qui participe au blocage de la différenciation des cellules. Certains modèles de LAM7 obtenus (Tableau I) ont permis de montrer qu’une modification de l’activité du facteur ERG et de GATA1 était un mécanisme commun au développement des LAM7 pédiatriques.

Le gène ERG, dont la surexpression peut transformer la lignée érythroïde ou mégacaryocytaire [28], est localisé sur le chromosome 21, et est donc sujet à une augmentation du dosage génique dans les cellules des patients présentant un syndrome de Down. La trisomie 21 est aussi retrouvée dans les sous-groupes de LAM7 avec une fréquence de 11 à 100 % (Figure 1B). Parallèlement, la présence dans les cellules de ces patients de fusions TLS-ERG et MN1-FLI1 (Figure 1, groupe Autres) montre l’implication directe des facteurs de la famille ETS, ERG et FLI1, qui présentent une forte homologie de séquence et de fonction [29]. Dans le cas de MN1-FLI1, les capacités d’autorenouvellement des progéniteurs murins in vitro et le phénotype mégacaryocytaire sont contrôlés par le domaine FLI1 de la molécule de fusion [30]. D’autres mutations fréquemment retrouvées dans les différents sous-groupes de LAM7 participent aux modifications d’activités d’ERG. Par exemple, les cohésines contrôlent l’organisation chromatinienne et leur inactivation fonctionnelle favorise l’accessibilité de ERG à certaines régions de l’ADN [31]. Certaines mutations d’intermédiaires de voie de signalisation comme MPL et JAK2 activent la voie des MAP kinases (MAPK) qui régule également l’activité de ERG [32]. Finalement, dans les leucémie de types DS-LAM7 et DS-like LAM7, l’activité GATA1 est altérée par les mutations menant à la production de la forme tronquée de GATA1, GATA1s, qui contribue à la transformation mégacaryoblastique et accompagne la surexpression de ERG [33]

Dans le cas des fusions impliquant les gènes MLL, NUP98 et HOX, les bases de leur association fréquente avec les LAM7 de l’enfant restent à définir. Ces fusions ont été initialement décrites dans d’autres sous-types de leucémies, et leur expression ectopique dans des modèles murins induit soit une leucémie myéloïde aiguë, soit une leucémie lymphoïde dépourvue de caractéristiques mégacaryocytaires typiques [34]. Leur association avec les LAM7 pourrait néanmoins résulter d’un rôle spécifique de partenaires de ces fusions au cours du développement des mégacaryocytes, comme pour HOXA10 [35]. Cependant, l’importance d’une dérégulation de l’activité GATA1 et ERG par les mutations additionnelles retrouvées chez les patients pourrait également expliquer l’association avec un phénotype mégacaryocytaire. Chez les patients atteints de LAM7 et présentant une fusion NUP98-KDM5A ou des fusions HOX, une association avec des mutations inactivatrices de RB1 et des mutations activatrices de MPL sont respectivement retrouvées (Figure 1B). Sachant que GATA1 interagit avec RB1 et E2F2 afin de réguler la prolifération des progéniteurs érythro-mégacaryocytaires [36], il apparaît important de définir si le rôle des mutations inactivatrices de RB1 dans la leucémogenèse des LAM7 a un lien avec l’activité GATA1. L’activité accrue des facteurs mégacaryocytaires comme GATA ou ETS par une activation de la signalisation impliquant MPL pourrait également être à la base de l’association entre les fusions HOX et les mutations MPL dans les LAM7. Alternativement, le phénotype mégacaryoblastique dans les sous-groupes de patients présentant des fusion MLL / NUP98 / HOX, pourrait également résulter de la survenue de ces fusions dans des progéniteurs mégacaryocytaires restreints.

Ciblage thérapeutique des complexes transcriptionnels : perspectives et difficultés

Les LAM7 de novo sont essentiellement caractérisées par la présence d’oncogènes de fusion impliquant des partenaires de complexes transcriptionnels (Figure 3A). Ces fusions constituent des marqueurs moléculaires désormais utilisés afin d’établir précisément le diagnostic et de suivre l’évolution de la maladie résiduelle au cours du traitement. Dans le cas de la fusion ETO2-GLIS2, qui est associée à une mauvaise réponse aux chimiothérapies, cette démarche permet d’orienter la stratégie thérapeutique éventuellement vers une greffe de moelle.

L’existence de fusions spécifiques affectant des complexes transcriptionnels anormaux permet d’envisager par ailleurs de nouvelles stratégies thérapeutiques. Dans le cas des fusions MLL, des inhibiteurs des partenaires du complexe comme DOT1L, BRD4 ou MLLT1 sont ainsi en cours de tests pré-cliniques pour évaluer leur efficacité et leur spécificité.

Les membres de la famille ETO présentent la capacité de former des tétramères grâce à la présence dans leur séquence d’un domaine NHR2. Dans des cellules leucémiques présentant la fusion AML1-ETO, un sous-type cytogénétique qui est plus fréquent dans les LAM, l’expression d’un peptide identique à ce domaine interfère dans la formation des tétramères d’ETO et induit une inhibition de la prolifération cellulaire [37]. Le domaine NHR2 est fortement conservé dans les protéines de la famille ETO, et la fusion ETO2-GLIS2 est capable de former des dimères et d’interagir avec la protéine ETO2 sauvage. L’expression du peptide correspondant au domaine NHR2 dans les cellules de patients leucémiques ETO2-GLIS2 réduit l’interaction entre la fusion et ETO2 sauvage (Figure 3B), inhibe la prolifération et augmente la différenciation des blastes leucémiques in vitro et in vivo [26]. Ces résultats suggèrent que l’expression d’un peptide NHR2 et l’interférence avec les complexes transcriptionnels anormaux impliquant une protéine de fusion pourraient représenter une stratégie d’inhibition dans les LAM7. Cependant, il sera nécessaire de définir si la stabilité des peptides ainsi que leur ciblage des complexes ETO endogènes, comme on peut l’attendre, représentent une stratégie thérapeutique acceptable chez les patients ou si le développement d’autres méthodes d’interférence transcriptionnelle avec ces complexes sera nécessaire.

L’étude de la fusion ETO2-GLIS2 met en évidence le rôle d’une dérégulation de complexes transcriptionnels multi-protéiques et d’une activité GLIS2 aberrante dans la transformation des LAM7 de l’enfant. L’implication de GLIS2 dans le phénotype d’autres leucémies (par exemple les leucémies associées à la fusion MOZ-TIF2) [38] suggère un rôle plus large des facteurs GLIS dans l’hématopoïèse normale et pathologique. Il reste également à définir les bases cellulaires et moléculaires de l’association spécifique de certaines fusions avec les leucémies de l’enfant.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

Ce travail est soutenu par l’Institut National du Cancer (PLBIO-2014-176), l’Association Laurette Fugain (ALF-2015/13), la Fédération Enfants et Santé et la Société Française de Lutte Contre les Cancers et les Leucémies de l’Enfant et l’Adolescent (SFCE: Projet CAMELIAT), le SIRIC-SOCRATE (INCa-DGOS-INSERM 6043), la Fondation pour la Recherche Médicale (FRM-ING20150532273), Cancéropôle Ile de France (à CL et Emergence 2015) et le PAIR-Pédiatrie 2017 (Cancéropôle-INCA: projet CONECT-AML). L’équipe de TM est labellisée Ligue contre le cancer.

 
Glossaire

ABL1 ABL proto-oncogene 1, non-receptor tyrosine kinase
AF10 Histone lysine methyltransferase DOT1L cofactor (nomenclature officielle : MLLT10)
BCR BCR RhoGEF and GTPase activating protein
BRD4 Bromodomain containing 4
CTCF CCCTC-binding factor
DNMT3A DNA methyltransferase 3 alpha
DOT1L DOT1-like histone lysine methyltransferase
MLLT1 MLLT1, super elongation complex subunit
ERG ETS transcription factor
ETO Eight-twenty-one ou myeloid translocated gene 8
ETO2 RUNX1 translocation partner 3 (nomenclature officielle : CBFA2T3)
EZH2 Enhancer of zeste 2 polycomb repressive complex 2 subunit
E2F2 E2F transcription factor 2
FLI1 Friend leukemia virus integration 1
GATA GATA binding protein
GLI GLI family zinc finger
GLIS2 GLIS family zinc finger 2
Heptad Complexe protéique composé de 7 facteurs de transcription incluant TAL1, LYL1, LMO2, RUNX1, ERG, FLI1 et les facteurs GATA
HOX Homeobox gene
ITGA2b Integrin subunit alpha 2b
JAK2 Janus kinase 2
KDM5A Lysine demethylase 5A
KIT KIT proto-oncogene receptor tyrosine kinase
MAL Myocardin related transcription factor A (nomenclature officielle : MRTFA)
MAP2K2 Mitogen-activated protein kinase 2
MLL Lysine methyltransferase 2A (nomenclature officielle : KMT2A)
MN1 MN1 proto-oncogene, transcriptional regulator
MPL MPL proto-oncogene, thrombopoietin receptor
NHR2 Domaine « nervy homology region 2 »
NUP98 Nucleoporin 98
OTT One two two (nomenclature officielle : RBM15)
PF4 Platelet factor 4
RAD21 RAD21 cohesin complex component
RB1 RB1 transcriptional corepressor 1
RUNX1 Runt-related transcription factor 1
SRSF2 Serine and arginine-rich splicing factor 2
TAL1 T-cell acute leukemia 1
TET2 Tet methylcytosine dioxygenase 2
TLS FUS RNA binding protein (nomenclature officielle : FUS1)
TP53 Tumor protein P53

 
Footnotes
1 Ou leucémies aiguës myéloblastiques à mégacaryoblastes de type 7.
2 Les acronymes sont développés dans le Glossaire.
3 Immunoprécipitation de la chromatine, couplée au séquençage haut débit.
4 C’est-à-dire une diminution du nombre de cellules matures nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme.
5 Hedgehog est une protéine de polarité segmentaire mise en évidence chez les invertébrés et impliquée dans le contrôle du développement embryonnaire. Chez les vertébrés, plusieurs homologues du gène Hedgehog, comme Sonic Hedgehog, Indian Hedgehog et Desert Hedgehog, sont également impliqués dans la mise en place de différents tissus au cours de l’embryogenèse et la régulation des cellules hématopoïétiques primitives. La voie de signalisation Hedgehog participe à la prolifération et à la différenciation cellulaire.
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