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Med Sci (Paris). 34: 9–12.
doi: 10.1051/medsci/201834s203.

Communication non-verbale dans la DM1 et la FSHD

Claire-Cécile Michon,1* Raphaële Miljkovitch,2 and Boris Cyrulnik3

1Direction des Actions Médicales, AFM-Téléthon, Évry, France
2Université Paris 8, France
3Université de Toulon, France
Corresponding author.
 

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« La personne qui a un handicap est aussi une personne handicapante (Nuss, 2005) : elle pose des problèmes de communication aux autres, qui ne savent pas parfois ce qu’elle comprend, ce qu’elle sent, quel est son degré d’intelligence sous cette apparence dérangeante » [1].

Des difficultés de compréhension interpersonnelles sont régulièrement rapportées par les patients atteints de Dystrophie Myotonique de type I (DM1) ou de Dystrophie Facio-Scapulo-Humérale (FSHD) et par leurs proches. Les cliniciens sont régulièrement interpelés par certains patients, leur entourage et les professionnels au contact de ces patients sur ce que nous pourrions traduire comme la difficulté à comprendre l’état mental de l’autre, que ce soit de la part du patient ou de la part de son interlocuteur. Différents facteurs pourraient nous éclairer sur ces difficultés. Notre étude porte plus particulièrement sur la communication au sein des couples (le patient avec son conjoint) et a pour objectif l’étude du rôle des trois facteurs suivants dans les difficultés de communication et de compréhension mutuelle : la communication non verbale lorsqu’il existe une atteinte des muscles du visage ; la cognition sociale lors d’atteinte cognitive dans la DM1 ; et l’attachement entre les partenaires de l’interaction.

Concernant l’atteinte des muscles du visage…

M. Fardeau [2] soulève la question de l’impact de la tristesse apparente des patients atteints de DM1 sur leur relation : « Outre une éventuelle influence sur leur comportement et sur la façon de vivre leur maladie, la tristesse apparente du visage des personnes atteintes de la maladie de Steinert retentit-elle sur la façon dont leurs proches et leur famille les entourent ? Et pourquoi pas sur les modalités par lesquelles les médecins, les soignants aident ou prennent en charge ces patients ? ». L’auteur livre une réflexion sur le rôle des modifications du visage sur l’humeur en s’appuyant sur les travaux princeps notamment de Darwin, Duchenne et Ekman, ainsi que sur le travail de l’artiste face à son image, pour conclure à propos de la maladie de Steinert : « La difficulté de sourire, de répondre à un mot ou à un regard par un sourire est sans doute en soi un facteur additif de tristesse ». M. Fardeau pose ici la question de l’impact de l’atteinte des muscles du visage sur la relation. Comment réagit-on face à quelqu’un qui donne l’impression d’être triste ou non intéressé par ce qu’il se passe ? Comment la personne malade interprète et réagit-t-elle face aux réactions non adaptées de son interlocuteur ? Les deux interlocuteurs sont comme piégés par la mimique involontaire de la personne malade – car ce que l’on voit de la personne malade, contredit ce qu’elle veut dire. L’atteinte des muscles faciaux peut en effet générer un message paradoxal, avec, par exemple, une personne qui dit aller bien et dont le visage exprime l’inverse du fait de l’atrophie musculaire. Cette contradiction entre ce que dit la personne et ce que son interlocuteur croit lire sur son visage peut générer un décalage, un quiproquo.

Concernant l’atteinte cognitive…

Depuis une quinzaine d’années la littérature s’est enrichie de la description des troubles cognitifs associés à certaines maladies neuromusculaires [36], et permet de rendre compte notament de difficultés dans la reconnaissance d’émotions faciales, ou encore de compréhension fine, ainsi que de difficultés à prendre conscience de ses propres troubles cognitifs. De plus, de la part de l’entourage, ces troubles cognitifs sont encore méconnus et ne sont pas suffisamment intégrés dans les représentations véhiculées sur la maladie, créant ainsi une incompréhension des troubles et une difficulté à « décoder » l’état mental du malade. L’atteinte cognitive, et plus spécifiquement de la cognition sociale, peut ainsi générer une difficulté à comprendre l’autre (atteinte de la reconnaissance des expressions faciales émotionnelles, de la compréhension de l’implicite, de la théorie de l’esprit – la théorie de l’esprit étant la capacité à attribuer un état d’esprit, une croyance ou encore une intention à l’autre).

Concernant le rôle du style d’attachement des partenaires…

La théorie de l’attachement a été développée par J. Bowlby en 1969 pour comprendre les liens mère/enfant. J. Bowlby considère le bébé comme un « être de relation » et insiste sur l’importance pour l’enfant tout petit d’être attaché à quelqu’un, c’est sa « base de sécurité » [7]. Cela constitue un socle à partir duquel il va croître et s’autonomiser. Nous savons que le style d’attachement acquis dans l’enfance, va influencer nos comportements adultes, notre manière d’être avec l’autre et de communiquer. Durant toute notre vie, nous continuons d’avoir besoin « d’être en lien ». L’attachement désigne donc le comportement de l’individu qui cherche à se rapprocher d’une personne particulière (sa figure d’attachement) dans les situations potentiellement dangereuses, ou génératrices de stress. Chez l’adulte, le conjoint devient une des figures principales d’attachement et nos styles ou stratégies d’attachement vont jouer un rôle dans notre relation à l’autre [810]. Barry et Lawrence [11] ont notamment mis en évidence que les attitudes des partenaires au sein d’un couple lors de situations de conflits ou de soutien sont influencées par les styles d’attachement de chacun. Puisque l’attachement se construit sur des bases comportementales [12], l’altération de la communication non verbale, liée à l’atteinte des mimiques faciales dans la DM1 et la FSHD pourrait avoir un impact sur les comportements d’attachement.

Méthode

Dans notre étude, nous nous sommes intéressés à la communication au sein des couples (la personne malade avec son/sa partenaire). Trois groupes d’étude ont été constitués :

  • Groupe 1 : groupe contrôle (15 couples non malades).
  • Groupe 2 : groupe « atteinte cognitive et du visage » (15 couples dans lesquels l’un des partenaires est atteint de DM1).
  • Groupe 3 : groupe « atteinte du visage » (6 couples dans lesquels l’un des partenaires est atteint de FSHD).
  • Pour étudier le rôle de l’atteinte des muscles du visage et plus largement de la communication non verbale, (1) chaque couple (groupe 1, 2, 3) a été invité à réaliser une construction commune d’un objet, tâche filmée pour permettre une analyse fine de l’interaction (cf. figure 1) à l’aide d’une grille d’observation construite sur la base d’une taxinomie proposée par J. Cosnier et J. Vaysse [13] ; (2) un test de reconnaissance des expressions faciales des émotions (avec des visages contrôles et des visages de personnes atteintes de la DM1) a été créé puis proposé à des sujets naïfs (personnes ne connaissant pas les maladies neuromusculaires) afin d’évaluer l’impact de l’atteinte musculaire sur nos capacités à identifier les émotions ressenties par une personne malade.
  • Pour étudier le rôle de l’atteinte cognitive, un bilan neuropsychologique (évaluation de la mémoire, du raisonnement, de la reconnaissance des émotions…) a été réalisé pour l’ensemble des patients, dans les groupes 2 et 3.
  • Pour étudier le rôle du style d’attachement, chaque participant (groupes 1, 2 et 3) a complété un auto-questionnaire évaluant le style d’attachement, le RSQ (Relationship Styles Questionnaire) [14].

Principaux résultats
Rôle de la communication non verbale
Concernant la communication dans le couple, nos résultats mettent en évidence moins d’expressivité, ainsi qu’un ralentissement dans la vitesse des échanges et la réalisation de la tâche. On note également un moins grand nombre d’échanges pour les deux groupes de patients par rapport au groupe contrôle.

Par ailleurs, au test de reconnaissance des expressions faciales des émotions (test créé pour l’étude), les sujets naïfs ont été en grande difficulté pour identifier les émotions exprimées par les personnes malades (Tableau I). Ce résultat interroge sur nos capacités empathiques face aux personnes présentant une atteinte des muscles du visage.

Rôle de l’atteinte cognitive et plus spécifique de la cognition sociale
Le nombre de gestes expressifs a été relevé lors de la construction de l’objet. Ces gestes sont par exemple des froncements ou haussements des sourcils, des moues, des rires ou des soupirs, des sourires… Ils donnent une information à l’autre sur notre état d’esprit, et participent de ce fait à la qualité de la communication. Dans notre étude, une corrélation entre le nombre de gestes expressifs et les difficultés de théorie de l’esprit (capacité à inférer, attribuer, une connaissance, un état mental, à autrui) a été mise en évidence chez l’ensemble des patients : plus le patient présente de difficultés dans les tests évaluant la théorie de l’esprit et moins il produit de gestes expressifs lors de l’interaction avec son partenaire.

Par ailleurs, nous avons observé que plus l’atteinte du visage était sévère et plus les patients, du groupe DM1 et du groupe FSHD, étaient en difficultés pour reconnaître les émotions exprimées par des visages de comédiens (résultat qui demanderait à être confirmé avec un effectif plus important).

Rôle du style d’attachement
Les styles d’attachement définissent notre façon d’exprimer et de gérer nos émotions dans nos relations avec nos proches intimes. Comme attendu, nos résultats montrent le rôle important que joue le style d’attachement dans la qualité de l’interaction. Par exemple, un attachement dit « sécure » chez l’un des membres du couple, qu’il soit malade ou non, favorisera une interaction de meilleure qualité par rapport aux autres styles d’attachement (anxieux et évitant).
Conclusion

L’atteinte du visage et de la cognition sociale (théorie de l’esprit) ainsi que le style d’attachement des partenaires jouent un rôle dans les difficultés de compréhension mutuelle rapportées par les proches et les patients. En prendre conscience pourrait éviter qu’un contresens relationnel ne s’installe entre le patient et son conjoint. Ces résultats peuvent également nous interroger sur nos capacités empathiques envers ces patients en tant que soignants. Des études sont nécessaires pour aller plus loin dans nos capacités de reconnaissance des émotions des patients lorsqu’on connaît la maladie.

Il est important de sensibiliser chacun des partenaires au rôle de la communication non verbale dans notre quotidien. Cette communication non verbale transmet non seulement des informations sur l’état interne (notamment les émotions) de l’autre, mais également sur ses besoins d’attention, de soutien et de support émotionnel. La communication non verbale n’influence pas seulement notre relation à notre partenaire amoureux mais les interactions avec tout un chacun. Le personnel soignant qui accompagne les personnes avec une atteinte du visage peuvent aussi être pris dans un quiproquo lié à une mauvaise interprétation implicite des expressions du visage du patient. Ainsi, nous avons ici une piste pouvant expliquer les difficultés de communication qui existent également parfois plus spécifiquement avec des patients présentant une atteinte des muscles du visage.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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Miljkovitch R.. Les fondations du lien amoureux. 2009 ; Paris: PUF;
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Delage M.. Comment s’attache-t-on dans un couple ? . Cahiers Critiques de Thérapie Familiale et de Pratiques de Réseaux. 2009; ; 42 : :87.–105.
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