2008


→ Aller vers ANALYSE→ Aller vers SYNTHESE
Communications

Méthode de l’autopsie psychologique : étude réalisée au Nouveau-Brunswick

Au cours des dernières années, de nombreuses études utilisant la procédure d’autopsie psychologique ont identifié une série de facteurs de risque ou encore de variables associées aux comportements suicidaires (Lesage et coll., 1994renvoi vers; Isometsa et coll., 1996renvoi vers; Proulx et coll., 1997renvoi vers; Hawton et coll., 1998renvoi vers; Brent et coll., 1999renvoi vers; Isometsa, 2001renvoi vers; Angst et coll., 2002renvoi vers; Kim, 2003renvoi vers). Plus particulièrement, les autopsies psychologiques ont démontré que 70 à 95 % des personnes décédées par suicide présentaient des troubles mentaux et environ 40 % des troubles de la personnalité au moment du passage à l’acte (Beskow et coll., 1990renvoi vers). La comorbidité mise en évidence à travers ces études est également importante. D’autres études ont identifié des éléments cliniques, dont la présence de tentatives de suicide antérieures, l’impulsivité, les antécédents familiaux de santé mentale (Brent, 1989renvoi vers; Mann et coll., 1999renvoi vers; Conner et coll., 2001renvoi vers; Arsenault-Lapierre, 2004renvoi vers).
En utilisant la même méthodologie, d’autres études ont rapporté des dimensions psychosociales associées au décès par suicide comme l’adversité précoce, un manque de compétence parentale, la maltraitance et l’abus physique et sexuel, l’exposition à des événements traumatiques, des échecs affectifs… (Shafii et coll., 1985renvoi vers; Brent et coll., 1994renvoi vers; Kerfoot et coll., 1996renvoi vers; Shaffer et coll., 1996renvoi vers). Quant à la trajectoire de demande d’aide, certaines équipes ont évalué la fréquence de consultation antérieurement au suicide (Gunnel et Frankel, 1994renvoi vers; Lesage et coll., 1996renvoi vers; Appleby et coll., 1999renvoi vers).
Ainsi, les études faisant appel à l’autopsie psychologique se sont avérées fiables pour identifier les facteurs de risques associés à la mortalité par suicide (Brent, 1989renvoi vers; Brent et coll., 1993renvoi vers; Kelly et Mann, 1996renvoi vers; Conner et coll., 2001renvoi vers).
Malgré des résultats qui révèlent le lien entre certaines variables et le décès par suicide, il est difficile de comprendre la séquence et le poids de ces variables ainsi que leur influence respective sur le processus suicidaire. D’autres champs d’investigation devront être explorés dans les études futures afin d’éclairer les dimensions étiologiques en cause. Nous ferons état ici de l’étude populationnelle réalisée au Nouveau-Brunswick entre avril 2002 et mai 2003, qui illustre le type et la variabilité des dimensions possibles à investiguer et leur pertinence pour la prévention du suicide.

Contexte de l’étude

Le décès par suicide est une cause importante de mortalité au Nouveau-Brunswick et touche plus spécifiquement les hommes adultes. Il s’avère capital de pouvoir identifier les facteurs pouvant être associés au suicide. Suite à une collaboration étroite entre divers partenaires1 , une étude a été menée sur des personnes décédées par suicide. Dans ce contexte, le but de l’étude était d’identifier les circonstances, individuelles et sociales, qui ont conduit certains Néo-Brunswickois au suicide afin de pouvoir proposer des stratégies qui permettront d’améliorer les services offerts aux personnes suicidaires et à leur famille.
Les objectifs de cette étude étaient de :
• répertorier le développement des difficultés de santé mentale, placer dans une séquence temporelle l’apparition des premières difficultés et l’évolution de celles-ci à travers le temps ;
• répertorier l’accumulation de facteurs de risque psychosociaux et des facteurs associés au développement de l’individu ;
• retracer la trajectoire de recherche de soins et d’utilisation des services de santé ;
• évaluer la réponse aux besoins de services.

Informations générales sur l’étude

Cent neuf décès par suicide s’échelonnant d’avril 2002 à mai 2003 ont été répertoriés sur le territoire du Nouveau-Brunswick. Lors du premier contact réalisé par le bureau du coroner, 7 cas de décès n’ont pu être investigués pour plusieurs raisons : soit des considérations judiciaires qui empêchaient l’investigation, soit l’impossibilité de trouver un informant puisque la personne décédée était complètement désaffiliée socialement, ou soit la famille contestait la pertinence de l’étude. Ces 7 décès non investigués étaient tous des suicides réalisés par des hommes adultes entre 27 et 59 ans.

Procédure de recrutement

Tous les participants ont été recrutés à partir du bureau du coroner-en-chef du Nouveau-Brunswick avec lequel l’équipe de recherche a travaillé en étroite collaboration. Suite à une consultation avec le coroner-en-chef et les coroners régionaux si nécessaire, et avec l’accord de ceux-ci, un employé du bureau du coroner postait une lettre aux familles endeuillées décrivant l’étude et expliquant que leur participation était sollicitée.
Un suivi téléphonique était effectué par l’employé du bureau du coroner environ une semaine après l’émission de la lettre. La famille était informée de l’étude en cours et de son envergure, de la volonté du coroner-en-chef d’investiguer les cas de décès par suicide en vue de faire des recommandations pour une meilleure prévention du suicide.
Suite à un accord verbal avec la famille endeuillée, leurs noms et coordonnées téléphoniques étaient transmis à l’équipe de recherche. Un membre de l’équipe établissait un contact par téléphone rapidement auprès de la famille afin d’expliciter la nature de l’étude, solliciter sa participation, répondre aux questions éventuelles et apporter un soutien suite au deuil.
Une lettre expliquant le but et les objectifs de la recherche ainsi que les mesures prises pour assurer la confidentialité de sa participation était alors envoyée à la personne contactée ; cette lettre comportait des numéros de téléphone que les membres de la famille pouvaient composer afin de recevoir de l’aide s’ils le souhaitaient. Les formulaires de consentement étaient joints au courrier avec une enveloppe de retour pré-affranchie.
Lorsque la famille avait accepté de nous rencontrer pour des entrevues de recherche et dès que les membres se sentaient aptes à nous recevoir et à répondre aux questions, un premier rendez-vous était fixé, en général deux à quatre mois après le décès. Une ou plusieurs personnes de la famille connaissant bien la personne décédée étaient rencontrées à l’occasion de plusieurs entrevues d’une durée approximative de trois heures chacune. Toutes les entrevues ont été réalisées au rythme et à la convenance des participants. Ces derniers avaient l’opportunité d’y mettre fin à tout moment. Les familles recevaient le soutien de l’équipe de recherche et des interviewers. Ce soutien s’étendait au-delà de la période d’entrevues.
Suite au premier contact avec les familles, 102 d’entre elles ont donné leur accord afin que l’équipe de recherche puisse analyser les différents événements associés au suicide et recueillir des informations nécessaires pour investiguer les services reçus par les personnes décédées par suicide. En fonction du niveau d’implication de la famille dans cette étude, cette investigation a pris deux formes.
Pour la première, 54 familles ont été rencontrées afin de mener auprès d’elles différentes entrevues permettant de recueillir des informations sur l’évolution de la santé mentale de la personne décédée par suicide tout au long de sa vie et jusqu’au passage à l’acte (principaux instruments de mesure : SCID2 I-II, calendrier de vie), de même que pour cerner les événements significatifs de sa trajectoire de vie et la recherche de services. De façon complémentaire, une recherche dans les dossiers médicaux a été effectuée avec l’autorisation de la famille pour étayer l’information recueillie et identifier les ressources qui ont été utilisées par la personne décédée. L’organigramme suivant résume la manière dont les dossiers ont été traités (figure 1Renvoi vers).
Figure 1 Organigramme des dossiers à l’étude
Pour la deuxième forme d’investigation, la recherche d’informations dans les dossiers a été entreprise, mais le lien avec les 48 familles ne souhaitant pas de rencontre s’est traduit par divers contacts téléphoniques. Néanmoins, dans tous les cas, des questionnaires se référant aux caractéristiques socio-démographiques de la personne décédée ont été complétés par les familles et des vignettes résumant les informations recueillies sur l’histoire de vie et l’utilisation des services ont été élaborées. Ces vignettes ont ensuite été soumises à un panel d’experts afin de valider les diagnostics présents dans l’histoire de vie, déterminer quelles interventions auraient été requises, les options de création de structures et services ainsi que pour déterminer le niveau de prévention du passage à l’acte.

Période de recueil des données

À la suite des différents contacts et lorsque la famille acceptait de participer à l’étude, la personne connaissant le mieux l’individu décédé était identifiée par l’équipe de recherche ou désignée par la famille. Cette personne était ensuite contactée par les interviewers pour convenir d’un rendez-vous afin de procéder aux entrevues. Le programme d’entrevues débutait seulement trois mois après le décès afin d’accorder une période de retrait aux personnes endeuillées qui leur donnait le temps d’entamer leur deuil. Aucune entrevue n’a été entreprise sans le consentement écrit des informants endeuillés. Deux à trois entrevues ont été réalisées avec chaque informant. Dans certains cas, le nombre d’entrevues pouvait aller jusqu’à cinq. Après chacune d’entre elles, les interviewers rappelaient systématiquement les familles et fixaient un nouveau rendez-vous pour compléter le recueil des données.
Compte tenu du temps consacré au recrutement, aux entrevues en face à face, aux relances lors de soutien téléphonique et à la rédaction de la vignette clinique, nous estimons à 30 heures en moyenne, le temps nécessaire au recueil des données pour décrire la trajectoire de vie (vignette clinique) de chaque personne décédée par suicide.
Les participants ont été vus en moyenne deux fois et chaque rencontre a duré environ trois heures, selon la capacité du participant. Chaque entretien a été enregistré pour assurer une vérification ultérieure de la consistance des entrevues. Lors de cette période, les participants devaient répondre à une série de questions semi-standardisées. L’entrevue se déroule sur le mode de la conversation, la longueur de l’entrevue a rarement posé problème.

Mesures utilisées

Les mesures suivantes ont été utilisées pour le recueil des données.

Entrevue pour déterminer les diagnostics post mortem

Dans le cadre de ces entrevues, les chercheurs ont administré des questionnaires Structured Clinical Interview Diagnostic (SCID) (Spitzer, 1992renvoi vers) auprès d’un membre de la famille connaissant bien la personne décédée afin de déterminer s’il y avait présence, chez cette dernière, d’une psychopathologie sur l’axe I (par exemple, dépression, toxicomanies) ou II (par exemple, troubles de la personnalité) (Brent, 1989renvoi vers; Lesage et coll., 1994renvoi vers; Turecki et coll., 2001renvoi vers). En réalité, il s’agit d’instruments permettant d’établir un diagnostic en fonction des critères diagnostiques du DSM-IV. Les données recueillies permettront d’établir un diagnostic courant (6 mois) ainsi que les antécédents complets quant aux troubles psychiatriques. Cet instrument de recherche a déjà fait l’objet d’une validation dans le cadre d’études sur le suicide par notre groupe de recherche (Lesage et coll., 1994renvoi vers; Turecki et coll., 2001renvoi vers). Selon différents auteurs, dont Brent (1989renvoi vers), la fidélité inter-juges pour cette méthode, dans le contexte de l’autopsie psychologique, est élevée.

Entrevue pour retracer la trajectoire de vie

Dans le contexte d’une entrevue semi-structurée, le participant décrivait le parcours de vie de la personne décédée par suicide afin de documenter les moments d’apparition des difficultés personnelles, familiales, sociales ou autres événements d’adversité. Ensuite, on demandait aux participants de décrire la recherche d’aide et le recours aux services de santé effectués par la personne décédée (Caspi et coll., 1996renvoi vers; Bifulco, 2002renvoi vers). La trajectoire d’événements de vie et de l’adversité développée au Groupe McGill d’études sur le suicide (Séguin, 1999renvoi vers), inspirée du Life History Calendar (Caspi et coll., 1996renvoi vers) et du ALPHI-Adult Life Phase Interview (Bifulco et coll., 2000renvoi vers), a été utilisée. À l’aide d’un calendrier, il suffit de reconstruire les grandes étapes de la vie. L’ensemble des données permet de mettre en lumière des facteurs de risque et de protection rencontrés par la personne.

Étude des dossiers des usagers

L’étude des dossiers des usagers a servi à documenter systématiquement les demandes de services en santé mentale et les réponses données par ces services.

Panel d’évaluateurs sur l’adéquation des services reçus

Un panel composé de chercheurs, de professionnels en santé, de représentants des proches et de décideurs a été constitué pour évaluer l’adéquation des services reçus par la personne décédée et apprécier dans quelle mesure les décès par suicide auraient pu être prévenus. L’analyse effectuée par le panel amenait à décrire les besoins d’actions individuelles pouvant être prodiguées tant par les proches que par les intervenants des services sociaux et de santé. Les actions au niveau local étaient celles pouvant être dispensées par des réseaux locaux de soins de 1re ligne et de services de 2e ligne spécialisés, de même que par les organismes de la communauté. Puis, sur la base de l’ensemble des évaluations faites par les membres du panel, les actions requises au niveau provincial étaient décrites. Le panel s’appuyait sur les informations amassées au niveau des dossiers médicaux d’une part, et d’autre part sur des entrevues menées avec les proches ou avec les intervenants des services sociaux et de santé du système public et privé qui ont pu intervenir. Le cadre de référence a été celui de Kovess et coll. (2001renvoi vers) et l’expérience avec les outils validés d’évaluation des besoins individuels en santé mentale. Ceci a conduit à créer cinq fiches d’analyse des besoins pour tenir compte des réalités des personnes décédées par suicide et des niveaux de besoins individuels et systémiques.
Les agents de recherche ont rédigé une histoire de cas décrivant les difficultés de santé mentale ainsi que l’ensemble de la trajectoire de vie de la personne ; à cette histoire, ils ont ajouté toute l’information obtenue sur l’utilisation des services par la personne au cours de sa vie, en particulier les services de santé mentale avec une attention particulière sur ceux reçus dans l’année précédant le décès par suicide. Cette section était présentée sous la forme d’un texte décrivant non seulement les interventions mais également l’information disponible quant à l’impact de celles-ci et la satisfaction de la personne en ayant bénéficié. Ces informations ont été recueillies aussi bien par le témoignage des proches que par la consultation des dossiers.
Sur la base de ces informations, le panel franchissait cinq étapes retracées par les cinq fiches d’analyses :
• fiche 1 : services reçus à vie, dans la dernière année et le dernier mois avant le décès à différents niveaux : services médicaux de 1re ligne, services psychosociaux de 1re ligne, services spécialisés de 2e ligne en santé mentale et toxicomanies, organismes sans but lucratif dans la communauté ;
• fiche 2 : les problématiques médico-psycho-sociales de la personne dans la dernière année et les interventions reçues des différents services de 1re et 2e lignes, des proches, de l’école, des services policiers ou judiciaires, et des organismes sans but lucratif dans la communauté ;
• fiche 3 : le scénario idéal de soins que la personne aurait dû recevoir dans la dernière année et le détail des problématiques médico-psycho-sociales et des interventions qui auraient dues être posées idéalement. Cette fiche recueille les besoins ;
• fiche 4 : les interventions qui auraient dû être posées et qui n’étaient pas disponibles au niveau local, au niveau des programmes, entre les services régionaux et au niveau provincial pour soutenir les interventions individuelles identifiées dans le scénario idéal décrit dans la fiche 3. Ces services non disponibles étaient déclinés par types de besoins, par exemple en regard de la formation, des psychothérapies, de la médication, de la coordination, de la gouvernance, du financement…
• fiche 5 : le panel établissait enfin, sur la base de toutes les informations incluses dans ces fiches précédentes, si le suicide aurait pu être prévenu, le classant en une des cinq catégories suivantes : suicide totalement imprévisible ; suicide pour lequel il n’existait aucun moyen raisonnable connu de contrer les facteurs de risque ; suicide qui aurait pu être prévenu avec un accroissement des mesures déjà entreprises dont on pouvait plutôt difficilement prévoir qu’elles étaient requises ; suicide potentiellement évitable si des mesures avaient été prises compte tenu du risque possible ; suicide qui aurait facilement pu être prévenu (tableau Irenvoi vers).

Tableau I Cinq catégories de suicide définies selon sa prévisibilité

1. Suicide totalement imprévisible
Une personne sans antécédents de problèmes émotionnels qui se suicide à la suite d’une déception amoureuse, mais sans en avoir parlé à quiconque et sans laisser les signes d’une détresse hors de l’ordinaire à quiconque.
2. Suicide pour lequel il n’existait aucun moyen raisonnable connu de contrer les facteurs de risque
Par exemple, une personne souffrant d’un trouble de personnalité limite avec problèmes graves de toxicomanie et de dépression ; les efforts raisonnables d’équipes spécialisées en psychiatrie n’ont pas réussi à apporter un soulagement. La personne est connue de l’équipe comme présentant un risque à moyen terme de suicide.
3. Suicide qui aurait pu être prévenu avec un accroissement des mesures déjà entre prises dont on pouvait difficilement prévoir qu’elles étaient requises
Par exemple, un patient hospitalisé en psychiatrie ou un jeune en centre jeunesse présentant des difficultés émotionnelles et un certain risque suicidaire pour lesquels des mesures de traitement et de surveillance avaient été entreprises, cohérentes avec le risque suicidaire alors établi mais évidemment insuffisantes compte tenu de l’issue. Ou encore, une personne jugée à risque dans son milieu, ayant entrepris une thérapie potentiellement efficace, avec un risque suicidaire reconnu mais ouvertement sous-estimé compte tenu de l’issue.
4. Suicide potentiellement évitable si des mesures avaient été prises compte tenu du risque possible
La personne présentait plus d’un facteur pouvant contribuer au risque de suicide et des inter ventions ont pu être entreprises, mais partiellement et ne s’adressant pas nécessairement à tous les facteurs pertinents où une intervention aurait aidé.
5. Suicide qui aurait facilement pu être prévenu
Il existait des interventions potentiellement efficaces qui, si elles avaient été mises en œuvre de façon adéquate, auraient très certainement modifié les conditions prédisposant au suicide. Par exemple, une personne présentant une dépression majeure claire pour la première fois et qui est suivie par un médecin de famille qui reconnaît mal l’état dépressif et le traite avec un médicament inapproprié ou à dose insuffisante.
L’ensemble des résultats obtenus par le panel était ensuite analysé par les membres de l’équipe de recherche.

Résultats

Les principaux résultats ont finalement permis d’établir, à l’aide d’analyses transversales, les actions qui devraient être proposées au niveau provincial compte tenu de l’ampleur des déficits notés dans les actions au niveau individuel et au niveau local, ceci de manière à prévenir le suicide au Nouveau-Brunswick.

Description socio-démographique

L’échantillon regroupe 85 hommes et 17 femmes qui sont majoritairement des caucasiens (95 %). La plupart des suicides (63 %) ont eu lieu entre 30 et 59 ans ; 41 % des individus décédés par suicide étaient en couple, tandis que 37 % étaient séparés, divorcés ou veufs et 22 % étaient célibataires.
Les personnes décédées par suicide avaient un niveau de scolarité moins élevé : 37 % des gens n’ont pas obtenu un diplôme d’études secondaires ou l’équivalent, 17 % ont obtenu ce type de diplôme alors que seulement 10 % ont fait des études post-secondaires. Toutefois, le niveau de scolarité atteint pour 36 % des personnes demeure inconnu. Nous savons que plus de la moitié des individus n’occupaient pas d’emploi au moment du décès et que près de 19 % étaient reconnus invalides.

Profil psychopathologique

La présence de problèmes de santé mentale semble être une caractéristique constante chez les personnes qui sont décédées par suicide (tableau IIrenvoi vers). En effet, 96 personnes sur 102 (94,12 %) présentaient un trouble de santé mentale et 73 personnes (72 %) souffraient de deux ou plusieurs troubles de santé mentale au moment de leur décès. On constate qu’au-delà des derniers 6 mois (« à vie » comme indiqué dans le tableau II), les troubles mentaux et de toxicomanie étaient autant présents, soulignant le caractère de longue durée de ces troubles.

Tableau II Nombre de personnes ayant un trouble sur les axes I et II (DSM)

N=102
Derniers 6 mois
(Nombre de personnes)
À vie*
(Nombre de personnes)
Trouble de l’humeur
67
51
Trouble d’abus ou de dépendance
60
67
Trouble anxieux
18
19
Psychose et autres symptômes associés
7
8
Trouble de la personnalité
53
53
Aucun trouble
6
13
Un trouble unique
23
14
Comorbidité (deux et plus)
73
75
Total ayant au moins un diagnostic
96
89

* Au-delà des derniers 6 mois
On notera que le tableau donne le nombre de personnes et non les pourcentages ; puisque le groupe est de 102, le nombre de personnes est alors sensiblement le même que le pourcentage.

Chez les personnes décédées par suicide, 55 % présentaient à la fois un trouble de dépendance et un autre trouble ; 56 % des personnes présentaient un trouble de l’humeur et un autre trouble soit de toxicomanie ou trouble de personnalité ; parmi celles où un seul trouble a été identifié, c’était la dépression dans 17 % des cas, et la toxicomanie dans 7 % des cas (tableau IIIrenvoi vers).

Tableau III Combinaison des troubles sur les axes I et II

Combinaison de difficultés actuelles
Nombre de personnes
DEP, TOX, ANX, PER
5
DEP, TOX, PSY, PER
2
DEP, TOX, PER
24
DEP, ANX, PER
5
TOX, ANX, PER
1
DEP, PER, PSY
1
DEP, TOX, ANX
1
DEP, TOX
11
TOX, PER
7
DEP, PER
6
TOX, ANX
3
TOX, PSY
1
ANX, PSY
1
DEP, PSY
1
ANX, PER
1
DEP
9
TOX
7
ANX
1
PSY
1
Aucun
9

DEP : Troubles de l’humeur ; TOX : Dépendance et abus de substan ces ; ANX : Troubles de l’anxiété ; PER : Trouble de la personnalité ; PSY : Psychose et autres symptômes associés

En tenant compte des différents types de difficultés, les données recueillies révèlent que les troubles d’abus ou de dépendances sont très répandus parmi les personnes décédées par suicide. Ils concernent 60 % d’entre elles, un des taux les plus élevés que nous ayons rencontré dans ce type d’études, ce qui en fait un facteur de risque majeur associé au suicide. En ordre de prévalences décroissantes parmi les dépendances, les problèmes de dépendance à l’alcool, aux drogues, d’abus d’alcool, d’abus de drogue et, dans une moindre mesure, de jeu pathologique (5 %) étaient les plus courants au moment du suicide. En se référant aux prévalences à vie, ce sont les dépendances et l’abus d’alcool qui prédominent.
Pour ce qui est des autres troubles présents au moment du suicide, les troubles de l’humeur se retrouvent chez 67 personnes sur 102 (66 %). Parmi ces troubles, ce sont la dépression majeure et ensuite la dépression non spécifiée qui s’imposent. Quant à la prévalence à vie, la dépression majeure demeure importante, suivie de la dysthymie. Enfin, des troubles anxieux ont également été diagnostiqués parmi 18 personnes dans les 6 derniers mois de leur vie.
Les troubles de personnalité sont présents chez 53 personnes sur 102 (52 %). À ce niveau, ce sont les troubles de personnalité limite (borderline) et antisociale, ou des troubles non spécifiés de la personnalité ayant de fortes caractéristiques de ces deux troubles, qui sont clairement mis en lumière.
En résumé, nous observons un cumul de problèmes de santé mentale et de toxicomanies chez les individus décédés par suicide. Ces problèmes ne sont pas récents et prennent racine dans le parcours de vie des individus. Les interventions et les plans de traitement ne peuvent donc pas reposer sur des interventions qui visent des problèmes uniques. Les interventions doivent tenir compte de la complexité et de la multitude des difficultés et il est essentiel qu’il y ait un glissement vers des interventions multiples qui font nécessairement appel à une coordination, un suivi de la part de l’équipe soignante et d’un engagement au traitement du patient. Favoriser cet engagement au traitement est aussi la tâche de l’équipe soignante.

Événements précipitants et trajectoires de vie

Les données sur les événements précipitants et les trajectoires de vie vont étayer la manière dont les événements récents trouvent écho dans les problèmes personnels, familiaux, psychologiques et sociaux de longue date et souvent persistants durant la vie.
D’une part, cette recherche a pu identifier les événements principaux associés au décès par suicide. Nous pouvons relever pour la moitié des individus un événement souvent relié à une perte importante, qui a contribué à créer « la goutte qui a fait déborder le vase ». Des ruptures amoureuses, des difficultés de couple, des pertes tragiques dont la disparition d’un être cher, mais aussi des difficultés scolaires, professionnelles ou financières et autres situations traumatisantes (agression, crainte de maladie grave…) sont parmi les événements qui sont associés au passage à l’acte suicidaire (tableau IVrenvoi vers). Soulignons que parmi les autres types d’événements, les pertes d’autonomie physique et la perte de liberté actuelle ou potentielle (par exemple, la crainte d’emprisonnement) sont des événements qui figurent parmi les derniers éléments de la vie des personnes décédées. Pour d’autres, ce sont les événements associés à des difficultés de santé mentale qui priment, dont la détérioration de l’état dépressif, une période d’alcoolisation sévère, un état psychotique qui s’intensifie. Ces aggravations se sont traduites par des facteurs précipitants du suicide.
Enfin, il est rare qu’aucun de ces événements ne fasse pas partie des derniers moments de vie des personnes décédées, nous avons noté qu’une seule exception.
D’autre part, cette étude nous a permis de retracer les trajectoires de vie des personnes décédées. Cette approche, qui utilise un calendrier de vie, retrace en regard de douze sphères de développement les différents événements qui ont jalonné la vie des individus : lieu de résidence, relation parents-enfants, vie affective et vie de couple, vie familiale, épisodes de difficultés personnelles, vie académique et professionnelle, vie sociale, pertes/séparation/départ, autres éléments d’adversité, facteurs de protection, recherche de service et prise de médicaments. Nous tentions de déterminer si ces événements ont pu se produire de manière situationnelle ou permanente dans la vie de la personne décédée ; nous en notions la fréquence, la durée et l’intensité.

Tableau IV Événement principal associé au suicide

Événement
Nombre de personnes
Aggravation des difficultés de santé mentale/toxico manies
49
Ruptures amoureuses
13
Difficultés de couple
8
Pertes tragiques
12
Difficultés scolaires/professionnelles/financières
9
Autres types d’événements
10
Aucun événement identifié
1
Total
102

On notera que le tableau donne le nombre de personnes et non les pourcentages ; puisque le groupe est de 102, le nombre de personnes est alors sensiblement le même que le pourcentage.

Cette analyse reposait sur le rappel des événements tels que décrits par les proches, sur les écrits, les rapports médicaux, psychosociaux, les agendas personnels… Suite à ce recueil de données, chaque trajectoire de vie a été analysée individuellement. En panel d’experts, nous accordions une cote de risque pour chaque période de cinq années de vie. Cette cote de risque de 1 à 6 permettait d’identifier le degré de risque dans le développement de l’individu, selon la grille suivante (tableau Vrenvoi vers).
La compilation de tous ces facteurs par tranche de cinq années et l’attribution d’une cote spécifique de risque en fonction de la sévérité des difficultés représentent selon le jugement clinique d’experts le fardeau encouru pour la personne. Ce sont les cotes de risque qui forment la courbe de ces trajectoires, illustrée par la figure 2Renvoi vers. L’abscisse met en lumière la sévérité des difficultés selon l’âge de la personne alors que l’ordonnée correspond à la valeur du risque. De cette analyse, quatre profils ont émergé dans lesquels des distinctions apparaissent quant à l’âge moyen de la survenue du suicide, de la moyenne des tentatives de suicide et des difficultés de santé mentale ou de toxicomanies (l’axe I) et de trouble de personnalité (l’axe II ) (tableau VIrenvoi vers).

Tableau V Fardeau de risque

Évaluation globale
Cotation
Risques
Protection
Faible
6
Peu de difficultés
Présence de protection
5
Quelques facteurs de risque
- Sur une courte période de temps
- Affectant seulement une/deux sphères
Modérée
4
Plusieurs facteurs de risque
- Sur une courte période de temps
- Affectant plusieurs sphères
Plus ou moins de protection
3
Plusieurs facteurs de risque
- Sur une longue période de temps
- Affectant plusieurs sphères
Sévère
2
Multiples facteurs de risque/chaque sphère
- Sur une longue période de temps
- Touchant presque toutes les sphères
Peu ou pas de protection
1
Multiples facteurs de risque/chaque sphère - Sur une très longue période de temps - Englobant toutes les sphères
Aucune protection
Dans la première trajectoire (T1), qui correspond à l’expérience de 15 % des personnes décédées, la vie a présenté, dès le commencement, plusieurs éléments d’adversité dont la négligence, la maltraitance, les conflits familiaux majeurs, les abus physiques et sexuels, qui se sont cumulés au fur et à mesure du développement de l’individu. L’ampleur d’événements de risque en bas âge s’associe à des conflits familiaux importants, des difficultés scolaires, des comportements de consommation (alcool, drogues) très précoces… C’est comme si l’individu était pris très tôt dans un parcours de problèmes où il lui devenait de plus en plus difficile d’en modifier la trajectoire. Ainsi, ce cumul de difficultés perdure tout au long de la vie. Dans la trajectoire 1, nous observons un nombre plus élevé de tentatives de suicide et de psychopathologies de l’axe I et de l’axe II. C’est aussi à travers ce type de trajectoire de vie que les individus se sont suicidés, en moyenne, le plus tôt (38 ans). Ceci illustre l’importance d’intervenir tôt dans les trajectoires de vie des familles vulnérables et à risque et d’intervenir sur les déterminants précoces de la santé.
La deuxième trajectoire (T2), qui correspond à l’expérience de 24 % des personnes décédées, regroupe les individus pour qui la vie a été difficile dès le départ, mais dont le contexte s’est amélioré au début de l’âge adulte. Il semble que la vie de l’individu s’améliore lorsqu’il quitte le milieu familial pour se retrouver dans un contexte d’autonomie et de liberté relative. Cette période correspond à une diminution des facteurs de risque et une augmentation des facteurs de protection. Cependant, il semble que l’apparition d’événements d’adversité après cette période positive concorde avec l’augmentation des difficultés familiales, la présence de conflits maritaux, et des difficultés dans l’éducation des enfants. Nous observons également le cumul de conflits professionnels de toutes sortes, des difficultés associées à la consommation d’alcool et de drogue et des états dépressifs. Ces événements se cumulent avant le passage à l’acte. C’est comme si une certaine vulnérabilité, particulièrement au niveau de la personnalité, se serait maintenue chez ces individus pendant tout ce temps et que les difficultés personnelles, psychologiques et psychiatriques les rattrapent en milieu de vie et provoquent un effritement relationnel et un cumul de difficultés avant le passage à l’acte. Ce sont d’ailleurs ces personnes correspondant à la trajectoire 2, qui, après ceux faisant partie de la première trajectoire de vie, ont commis le nombre de tentatives de suicide (TS) le plus grand et qui présentent des taux de psychopathologies des axes I et II relativement élevés.
Figure 2 Trajectoires de vie
La troisième trajectoire (T3), qui correspond à l’expérience de 43 % des personnes décédées, se caractérise par une linéarité descendante durant laquelle il semble que la vie ait bien commencé, avec au départ un minimum de facteurs de risque et de nombreux facteurs de protection. Au cours de la trajectoire de vie, des éléments d’adversité sont progressivement apparus et le contexte de vie s’est dégradé, sans jamais atteindre un niveau marqué de facteurs de risque. Les individus qui ont ce type de trajectoire présentent un plus grand nombre de psychopathologies de type clinique (axe I), plus spécifiquement des toxicomanies (alcool et drogues) et des troubles affectifs (dépression). Ces problèmes ont pu commencer tôt dans la vie et avoir été présents pendant des dizaines d’années à des intensités différentes. Ce qui caractérise le plus les individus de cette trajectoire est l’effritement relationnel et affectif qui prend une dimension importante lorsque l’on ajoute le poids des difficultés provoquées par une longue période d’alcoolisme et de dépression. En général, ces personnes ont fait peu de tentatives de suicide au cours de leur vie et le suicide apparaît souvent dans un contexte de séparation, de perte affective importante et de cascades d’événements négatifs. Particulièrement dans le cas de cette trajectoire, les politiques sociétales qui viseraient une diminution et un traitement précoce des toxicomanies et de la dépression s’avèrent une cible primordiale.
Ce sont les suicides de la quatrième trajectoire (T4), qui correspond au vécu de 17 % des personnes décédées, qui suscitent le plus d’incompréhension, en raison de la quasi-absence de facteurs de risque et d’éléments d’adversité connus. Si les suicides survenus dans les trajectoires 1 ou 2 ou même 3 cumulent de nombreux facteurs de risque, les suicides relevant de la 4e trajectoire sont ceux qui demeurent les plus difficiles à prévoir. Mentionnons que ce sont les individus de cette trajectoire qui se sont suicidés le plus tardivement, en moyenne à 52 ans. Ces décès apparaissent souvent lors d’une situation de perte importante, souvent lorsqu’il y a une dimension d’humiliation ou de perte ayant un caractère publique réel ou perçu.

Tableau VI Distribution de problèmes de psychopathologie et de tentative de suicide (TS) en fonction des trajectoires de vie

Trajectoire de vie
Âge moyen (ans)
Moyenne de TS
Moyenne de diagnostics Axe I
Moyenne de diagnostics Axe II
4
52
0,3
1,4
0,6
3
41
0,6
2,5
0,6
2
51
2,0
2,7
1,2
1
38
2,5
4,0
1,8
En résumé, ces trajectoires montrent d’abord qu’il n’y a pas un profil unique de personnes décédées par suicide et que les troubles mentaux clairement identifiés ne surviennent généralement pas dans un vacuum, mais au contraire se manifestent plus particulièrement chez des personnes ayant souvent connu des trajectoires personnelles, familiales, psychologiques et sociales difficiles depuis l’enfance. D’autres trajectoires de vie se dégradent après une amélioration, ou encore certaines trajectoires peuvent être associées à une lente chute accompagnée et amplifiée par les troubles mentaux. Ces effritements ont en commun des situations de dépendances aux substances psychoactives, associées aux échecs des tentatives personnelles pour y remédier, qui augmentent le sentiment de perte d’estime de soi, de désespoir avant la cascade finale où tous ces éléments deviennent indissociables et intolérables pour la personne vulnérable. Chacune de ces quatre trajectoires-types fait appel à des événements plus distants, au-delà de la dernière année, et des situations plus récentes, dans la dernière année.
Ces trajectoires peuvent permettre de mieux appréhender les différents sous-groupes de personnes décédées par suicide. Il sera peut-être plus facile d’y greffer des facteurs de risque distincts et ainsi mieux évaluer et mieux saisir l’importance relative des différents facteurs de risque dans chacune de ces trajectoires. Chacune d’entre elles peut faire appel à des mesures spécifiques, qui peuvent s’adresser à des périodes différentes dans le temps. Par exemple, la mise en place de mesures qui peuvent être plus proximales du moment critique et qui permettraient une accessibilité accrue quant aux traitements coordonnés des toxicomanies et des troubles mentaux. D’autres mesures qui visent ces mêmes problèmes pourraient être également mises en place dans une période plus en aval qui cible les difficultés émergentes de toxicomanies ou de dépression et pouvant être atténuées par des interventions efficaces. D’autres mesures pourraient être prévues encore plus tôt afin d’éviter le développement de ce type de comportements : des mesures de promotion de la santé mentale par l’augmentation de la résilience des enfants et adolescents et du soutien social, en passant par des campagnes préventives pour contrer la toxicomanie et agir sur les déterminants de la santé.
L’établissement des mesures proximales, dans la dernière année, va reposer sur l’analyse de l’utilisation des services et sur un panel d’experts qui va statuer sur leur adéquation et la prévisibilité du suicide en tenant compte de toute l’information obtenue (troubles mentaux, trajectoires de vie, événements, utilisation des services à vie et dans la dernière année).

Utilisation des services publics, privés et communautaires

Au cours de leur vie, presque toutes les personnes décédées par suicide auront contacté les services spécialisés en santé mentale et/ou en toxicomanie(s), et les services médicaux de 1re ligne ; plus de la moitié aura consulté les services psychosociaux de 1re ligne et le tiers des services bénévoles. Ce qui frappe dans l’année précédant le suicide, c’est une forte tendance à avoir recours aux services spécialisés privés ou publics suivis de près par des services de 1re ligne médicale. Concernant le service reçu au cours du dernier mois de vie, les services spécialisés privés ou publics demeurent relativement utilisés (34,3 % des personnes). Ce sont les intervenants des centres de santé mentale soit les psychologues, les travailleurs sociaux, le personnel infirmier qui sont le plus consultés au cours du mois précédant le suicide (18 % ; dernière année, 26 %), suivis des médecins psychiatres (12 % ; dernière année, 32 %), et des urgences (8 % ; dernière année, 24 %) ; toutefois, les services de toxicomanies avaient été moins utilisés, seulement 3 % au cours du dernier mois et 4 % dans la dernière année. Il faut noter le suivi par les services professionnels de la santé et des services sociaux de 1re ligne, qui sont consultés par 18,6 % des personnes dans le dernier mois, et les services de la 1re ligne médicale dont les généralistes sont consultés dans une proportion de 17,6 %. Parmi les services de 1re ligne, nous avons noté que les personnes décédées par suicide ont côtoyé les services policiers, respectivement 4 % et 9 % dans le dernier mois ou la dernière année (17 % à vie). On note que les services bénévoles ou sans but lucratif sont beaucoup moins utilisés que les autres services par les personnes décédées par suicide (8 %). Les services consultés dans une proportion plus importante sont les Alcooliques Anonymes et le clergé, alors que les lignes d’écoute ont été peu utilisées (respectivement 1 % et 2 % dans le mois et l’année précédant le décès) par les personnes décédées par suicide (tableau VIIrenvoi vers).

Tableau VII Synthèse des services reçus au cours du dernier mois, de la dernière année et à vie

 
Nombre de personnes ayant consulté au moins un service
Mois
Année
À vie*
Total
Première ligne médicale (généralistes et autres médecins)
18 (17,6 %)
50 (49,0 %)
83 (81,4 %)
88 (86,3 %)
Professionnels de la santé et services sociaux et intervenants de première ligne (infirmières, travailleurs sociaux, professionnels de Centre Jeunesse, du milieu scolaire, policiers)
19 (18,6 %)
34 (33,3 %)
45 (44,1 %)
58 (56,9 %)
Services spécialisés privés ou publics (psychiatres, psychologues, infirmières, travailleurs sociaux, intervenants de centre de crise, de centre de toxicomanie, intervenants aux urgences d’hôpital)
35 (34,3 %)
54 (52,9 %)
86 (84,3 %)
93 (91,2 %)
Services bénévoles ou sans buts lucratifs (lignes d’écoute et d’entraide, clergé, Alcooliques Anonymes, Toxicomanes Anonymes…)
8 (7,8 %)
16 (15,7 %)
28 (27,7 %)
35 (34,3 %)
Nombre de personnes ayant consulté au moins un service parmi tous
52
78
97
99
Total (%)
51,0
76,5
95,1
97,1

* Au-delà des derniers 6 mois

En comparant les services reçus par les personnes décédées par suicide et ceux qu’elles auraient dû se voir proposer selon les jugements d’un panel d’experts, nous arrivons à plusieurs résultats préoccupants. Nous avons opposé la situation observée et celle idéalement requise, et avons répertorié et analysé en distinguant les problématiques d’une part et les interventions thérapeutiques reçues ou requises d’autre part, des différents types de services de 1re et 2e lignes, médicale, psychosociale, spécialisée, communautaire, les proches, l’école et le système judiciaire.
Dans la figure 3Renvoi vers, on remarque que ce sont les problèmes associés aux traitements de l’alcool/drogue pour lesquels on observe le plus grand écart, suivis de près par les problèmes associés aux traitements des troubles suicidaires et de la dépression. Ce sont particulièrement les personnes souffrant de ces difficultés combinées qui reçoivent le moins souvent des interventions adéquates et pour lesquelles la prise en charge devrait être multidisciplinaire. D’ailleurs, on note au niveau de ces lacunes une sur-représentation des problèmes psychologiques comparativement aux problèmes financiers, physiques, d’habitation, juridiques et autres. De plus, lorsque les personnes cumulent les difficultés, l’offre des services multidisciplinaires ne suit pas (surtout pour ceux faisant face à deux, trois ou quatre difficultés) et ceci particulièrement pour les personnes cumulant des problèmes d’alcool/drogue, des problèmes suicidaires et des problèmes physiques ou encore les individus ayant une double problématique associée à l’alcool/drogue et aux problèmes physiques et, dans une moindre mesure, des problèmes suicidaires et des problèmes physiques.
Figure 3 Synthèse des interventions reçues et requises
D’autre part, concernant les interventions reçues par les personnes décédées par suicide comparativement à celles qui auraient dû être offertes, il est possible d’identifier des lacunes au niveau des interventions face aux demandes d’aide, d’évaluation et de suivi de cas : les écarts sont majeurs concernant la référence entre les services et l’évaluation (tableau VIIIrenvoi vers). La médication psychiatrique reçue n’était pas nécessairement adéquate pour certains alors que d’autres personnes en auraient nécessité. Les écarts en regard de la gestion des cas par les services sont majeurs et auraient requis un milieu plus encadré pour une période de temps (hospitalisation, centre de désintoxication) ainsi qu’un suivi de cas avec un intervenant-pivot bien identifié, la planification de relances et même une approche d’intervention dans la communauté, à domicile si nécessaire. Les écarts sont également grands pour les interventions psychothérapeutiques individuelles ou de groupe pour les toxicomanies, le traitement de la dépression ou les troubles anxieux. Les personnes souffrent de conditions physiques requérant un suivi médical dans la moitié des cas ; les besoins étaient toutefois mieux comblés à ce niveau.

Tableau VIII Écart entre les interventions reçues et requises

 
Interventions reçues
Interventions requises
Médication psychiatrique
51
65
Évaluation
50
86
Milieu résidentiel/hospitalisation/ désintoxication
38
70
Suivi médical pour condition physique
35
44
Suivi de cas
34
71
Référence
27
69
Psychothérapie
19
48
Intervention de crise
18
24
Entraide par les pairs
13
12
Autre
9
10
Activités de jour
1
4
Les types et niveaux de services pour délivrer les interventions requises identifiées et leur combinaison sont illustrés par la figure 4Renvoi vers. On constate un écart important entre les services reçus et les services requis quant à : l’évaluation et la médication psychiatrique ; l’offre d’un service d’accueil tel qu’une hospitalisation, une admission en centre de désintoxication ou un milieu résidentiel ; un suivi intensif dans la communauté ; une référence à un autre service ; l’offre de psychothérapies. Ici, on remarque que c’est une combinaison d’actions et de secteurs qui est nécessaire, plutôt qu’une action d’un seul secteur de services.
La réponse aux difficultés identifiées doit passer par des interventions efficaces et adéquates et celles-ci doivent être rendues par les services de santé et des services sociaux. Nous avons tenté de projeter les besoins de services en fonction des besoins individuels identifiés dans l’analyse des cas, et aussi d’identifier à partir de chaque cas les lacunes systémiques dans l’organisation locale et régionale, et même ceux qui exigeraient des actions de niveau provincial. Nous avons essayé, dans nos recommandations, de demeurer le plus près possible de chaque cas et de ne pas tenter de régler tous les problèmes systémiques.
L’analyse des actions et des services offerts dans différents secteurs nous a permis d’établir les lacunes dans les actions et dans le fonctionnement relevant du niveau local, régional et provincial. Le tableau IXrenvoi vers en résume les résultats. Il émerge d’abord des besoins de formation qui doivent être offerts à l’ensemble des intervenants et, dans un deuxième temps, au grand public. La responsabilité de cette recommandation se situe au niveau provincial, mais doit être livrée régionalement voire localement aux différents intervenants. Les besoins en formation des intervenants incluaient un meilleur repérage, traitement, gestion, suivi et référence pour la dépression, les toxicomanies et les comportements suicidaires en 1re ligne. Une formation quant aux meilleures pratiques avec les patients ayant des problèmes multiples est également souhaitable pour les intervenants de 2e ligne en santé mentale et toxicomanies. Enfin, quant à la population générale, il semble que les signes de détresse soient assez bien reconnus, mais les membres de la communauté ne sont pas tout à fait à l’aise pour conduire de manière directive une personne suicidaire, souffrant de dépression ou de toxicomanie vers les services sociaux et de santé. Une campagne promotionnelle qui cible ces comportements pourrait être prometteuse.
Figure 4 Écart entre les interventions reçues et requises
Les prochains besoins systémiques indiqués dans le tableau IX, et dont certains sont les plus marquants, sont identifiés dans près de 40 % des cas et se centrent au niveau local et régional autour d’un besoin de coordination et de continuité entre les services spécialisés de santé mentale et toxicomanies.

Tableau IX Principaux déficits locaux, régionaux et provinciaux émergeant des 102 cas de suicide

Besoins identifiés
Nombre de cas concernés
Objet de l’intervention
Formation
49
Dépression-risque suicidaire et importance de consulter
Coordination
8
Continuité des soins et suivi des patients
33
Coordination des dossiers avec problèmes multiples
Gouvernance
7
Services proactifs d’outreach* avec suivi intensif dans la communauté
6
Sentinelles/outreach* pour intervention et suivi des personnes toxicomanes
14
Protocole de traitement pour problèmes multiples (alcool-dépression-suicide-santé)
Financement
6
 
Aucune recommandation, tout avait été fait
28 dossiers
 
Dossiers sur lesquels le panel ne s’est pas prononcé
5 dossiers
 

* Recherche active des patients sur le terrain

Cette coordination doit être réalisée entre les services spécialisés et, dans les situations de crises suicidaires ou de toxicomanies, avec les services psychosociaux de 1re ligne, les services médicaux de 1re ligne, les urgences et les services policiers pour les personnes présentant des problèmes complexes, de comorbidité particulièrement, toxicomanies et troubles mentaux. De nombreuses difficultés ont été identifiées en regard du manque de coordination et de suivi entre les différents services. Ces difficultés s’associent souvent au glissement et à la faillite d’attribuer le point fixe de responsabilité (un intervenant-pivot) dans les équipes de soins. Si bien qu’il y a un manque de continuité entre les différents services, de suivi auprès du patient et de sa famille, et de coordination des services en fonction de la séquence dans laquelle les différents services seront proposés aux patients.
Ce manque de coordination s’associe à un désengagement des patients. Parallèlement, le manque de politique d’outreach n’incite pas les intervenants à poursuivre le travail en vue de ré-engager un patient dans les traitements. Ces besoins de coordination et de continuité nous ont amenés à suggérer au niveau provincial dans plus de 27 % des cas, des recommandations pour pallier des lacunes de gouvernance. Il s’agit de politiques visant à impliquer conjointement les services spécialisés de santé mentale et de toxicomanies, les services psychosociaux et médicaux de 1re ligne ainsi que les systèmes judiciaires et policiers pour l’établissement d’une série de protocoles régionaux et locaux afin d’assurer la coordination, la continuité, l’établissement de points fixes de responsabilités, par la présence d’intervenant-pivot, l’établissement de hiérarchisation des actions, des traitements, des références, du suivi de cas et d’outreach si nécessaire pour les personnes affectées d’une combinaison de troubles mentaux avec ou sans problématique suicidaire.
Le caractère proactif et la coordination dans les cas à problématiques cliniques et sociales complexes vont particulièrement interpeller les pratiques souvent en silos entre les types de services et devoir être renforcés par la formation des intervenants comme indiqué précédemment.
Enfin, et c’est là une limite de l’étude, tout en n’ayant pas procédé à une étude aussi systématique que pour les enjeux systémiques, nous avons indiqué des enjeux de financement dans six occasions où cette raison avait été donnée pour l’absence d’un programme (par exemple, un programme de suivi intensif en équipe ; un programme d’hôpital de jour). Mais notre approche nous permet d’évaluer uniquement ce que les recommandations majeures découlant des constats précédents impliqueraient en terme de financement supplémentaire ou surtout de réaménagement de services dans le contexte de la transformation des services de santé et des services sociaux au Nouveau-Brunswick.
Il faut noter que dans 28 % des cas, rien de plus ou de moins ne pouvait être fait par les services sociaux et de santé. Les lacunes quant aux services se situent surtout auprès des personnes dont le suicide se trouvait au cœur d’une problématique complexe, et pour lesquelles les interventions auraient dû prévoir : des actions de références vers d’autres services, des actions d’évaluation plus poussées, des actions de suivi intensif et enfin des services en milieu résidentiel dont une hospitalisation en psychiatrie ou en centre de toxicomanie.

Recommandations

À l’issue d’un cycle de discussions avec les membres du panel qui ont considéré l’ensemble des résultats qui ont été présentés dans ce rapport, les chercheurs arrivent aux recommandations suivantes :
• axe de gouvernance : développer et convenir dans chaque région des protocoles de coordination et de prise en charge systématique en impliquant tous les intervenants de 1re et de 2e lignes qui sont associés à un dossier de services pour les personnes souffrant de toxicomanies, de trouble mental avec ou sans problématique suicidaire afin de les diriger de manière proactive vers les ressources adéquates, les soutenir dans leur adhésion et le maintien au traitement, coordonner le traitement, maintenir un point fixe de responsabilité, assurer un suivi et utiliser une approche d’outreach au besoin. L’atteinte des objectifs de cet axe passe par le développement d’une politique provinciale de prévention et de traitement des toxicomanies, en lien avec celle concernant les troubles mentaux, et selon les principes de hiérarchisation des soins et de responsabilité territoriale ;
• axe d’intervention : améliorer la disponibilité, l’accessibilité et la pertinence des services de traitement pour les personnes ayant des problèmes multiples de santé mentale, de toxicomanie et de comportement suicidaire ;
• axe de prévention : implanter des mesures préventives afin de mieux rejoindre, identifier et intervenir auprès des personnes à risque de suicide, celles présentant des troubles mentaux et des toxicomanies, dans tous les groupes d’âge. Améliorer la sensibilité des proches, de l’entourage et de la communauté quant à l’importance d’amener une personne présentant des problèmes suicidaires, de trouble mental et de toxicomanies à consulter et à maintenir des contacts avec les services sociaux et de santé ;
• axe de recherche évaluative : maintenir un protocole d’évaluation tout au long du processus d’implantation afin de rendre compte de la modification des pratiques qui sont proposées.
Cette présentation laisse au Gouvernement du Nouveau-Brunswick le choix de désigner ensuite des responsables et des collaborateurs, un échéancier et le choix des indicateurs pour en mesurer l’implantation.
Ces recommandations s’appuient sur une série de constats émergeant de l’analyse des problèmes de santé mentale, des trajectoires de vie, de la synthèse des services reçus et des services qui auraient été requis. Soulignons en particulier :
• pour soutenir les recommandations de coordination et de continuité entre les services de santé mentale et toxicomanies, nous constatons que dans plus des deux tiers des cas des problèmes d’alcoolisme ou d’abus de drogues ont été identifiés ; dans près de la moitié des cas, la dépression était identifiée. Malgré des contacts antérieurs avec les services de toxicomanies, il apparaît un désengagement tel que seulement 10 % des personnes étaient en contact avec ces services dans l’année précédant leur suicide. Des interventions en centre de désintoxication, du counselling, des psychothérapies spécifiques combinées souvent à un traitement de la dépression ont été identifiés parmi les besoins non comblés ;
• pour soutenir les recommandations en regard de la coordination des directives provinciales inter-ministérielles pour une coordination et un outreach des services, il a été relevé que dans près de 10 % des cas, une intervention policière s’est produite dans la dernière année, et dans près de 20 % des cas une intervention policière s’est produite au cours de la vie pour des problèmes spécifiques de toxicomanies, de dépression ou de problématique suicidaire. Ces besoins de coordination et de continuité nous ont amenés à suggérer au niveau provincial dans plus de 27 % des cas, des recommandations pour pallier des lacunes de gouvernance. Il s’agit de politiques visant à impliquer conjointement les services spécialisés de santé mentale et de toxicomanies, les services psychosociaux et médicaux de 1re ligne et les systèmes judiciaires, les services policiers pour l’établissement d’une série de protocoles régionaux et locaux pour assurer la coordination, la continuité, l’établissement de points fixes de responsabilités, par la présence d’intervenant-pivot, l’établissement de hiérarchisation des actions, des traitements, des références, du suivi de cas et d’outreach si nécessaire pour les personnes affectées d’une combinaison de troubles mentaux avec ou sans problématique suicidaire ;
• pour soutenir les recommandations quant à la formation de tous les intervenants afin d’augmenter la capacité de repérage, de traitement et de suivi des problèmes de dépression, de toxicomanies, des troubles mentaux et des problématiques suicidaires, il apparaît qu’une meilleure formation permettrait la mise en place de thérapeutiques potentiellement plus efficaces dans le traitement de la dépression, par les médecins généralistes seuls ou en collaboration avec les services de 2e ligne en santé mentale ou toxicomanies ;
• pour soutenir la prévention par le traitement précoce des problèmes de toxicomanies et de troubles mentaux, il est à noter que les problèmes de dépendances ont été identifiés dans plus des deux tiers des décès par suicide. Si à proximité du suicide, des actions plus concertées entre les services spécialisés de santé mentale et toxicomanies et l’accessibilité aux services de toxicomanies sont de mise, les trajectoires de vie de ces personnes montrent que des mesures en regard de ces problèmes de dépendance auraient pu être engagées plus tôt. Par ailleurs, les enquêtes populationnelles révèlent que la majorité des personnes souffrant de dépendances ne reçoivent pas de traitement. Ces considérations nous amènent à recommander d’une part l’accroissement des services de traitement des toxicomanies spécialisés et de 1re ligne, une politique plus globale, pour développer la prévention et l’intervention précoce en précisant la hiérarchisation des soins et la formation requise du public et des intervenants.
Monique Séguin3
Département de psychologie, Université du Québec en Outaouais
Groupe McGill d’études sur le suicide, Hôpital Douglas, Université McGill
Centre de recherche Fernand Séguin, Hôpital Louis-H Lafontaine,
Université de Montréal

Bibliographie

[1] angst f, stassen hh, clayton pj, angst j. Mortality of patients with mood disorders: follow-up over 34-38 years. J Affect Disorder. 2002; 68:167-181Retour vers
[2] appleby l, shaw j, amos t, mcdonnell r, kierman k, et coll.. Safer services. Report of the national confidential inquiry into suicide and homicide by people with mental illness. HMSO. London:1999; Retour vers
[3] arsenault-lapierre g, kim c, turecki g. Psychiatric diagnoses in 3275 suicides: a meta-analysis. BMC Psychiatry. 2004; 4:37Retour vers
[4] beskow j, runeson b, asgard u. Psychological autopsies: methods and ethics. Suicide Life Threat Behavior. 1990; 20:307-323Retour vers
[5] bifulco a, bernazzani o, moran pm, ball c. Lifetime stressors and recurrent depression: preliminary findings of the Adult Life Phase Interview (ALPHI). Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 2000; 35:264-275Retour vers
[6] bifulco a, moran p, baines r, bunn a, stanford k. Exploring psychological abuse in childhood : Association with other abuse and adult clinical depression. Bulletin of the Menninger Clinic. 2002; 66:3Retour vers
[7] brent da. The psychological autopsy method: methodological considerations for the study of adolescent suicide. Suicide Life Threat Behav. 1989; 19:43-57Retour vers
[8] brent da, perper ja, moritz g, allman cj, roth c, et coll.. The validity of diagnoses obtained through the psychological autopsy procedure in adolescent suicide victims: use of family history. Acta Psychiatrica Scandanavia. 1993; 87:118-122Retour vers
[9] brent da, johnson ba, perper j, connolly j, bridge j, et coll.. Personality disorder, personality traits, impulsive violence, and completed suicide in adolescents. Am Acad Child Adolesc Psychiatry. 1994; 33:1080-1086Retour vers
[10] brent da, baugher m, bridge j, chen t, chiappetta l. Age and sex related risk factors for adolescent suicide. Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry. 1999; 38:1497-1505Retour vers
[11] caspi a, moffitt t, thornton a. The life history calendar : A research and clinical assessment method for collecting retrospective event-history data. International Journal of Methods in Psychiatric Research. 1996; 6:101-114Retour vers
[12] conner kr, conwell y, duberstein pr. The validity of proxy-based data in suicide research: a study of patients 50 years of age and older who attempted suicide. . 2001; Retour vers
[13] gunnel d, frankel s. Prevention of suicide : aspirations and evidence. British Medical Journal. 1994; 308:1227-1233Retour vers
[14] hawton k, appleby l, platt s, foster t, cooper j et coll.. The psychological autopsy approach to studying suicide: a review of methodological issues. J Affect Disord. 1998; 50:269-276Retour vers
[15] isometsa et. Psychological autopsy studies: A review. European Psychiatry. 2001; 16:379-385Retour vers
[16] isometsa et, henriksson mm, heikkinen me, aro hm, marttunen mj et coll.. Suicide among subjects with personality disorders. Am J Psychiatry. 1996; 153:667-673Retour vers
[17] kelly tm, mann jj. Validity of DSM-III-R diagnosis by psychological autopsy: a comparison with clinician ante-mortem diagnosis. Acta Psychiatrica Scandinavia. 1996; 94:337-343Retour vers
[18] kerfoot m, dyer e , harrington v, woodham a, harrington r. Correlates and short-term course of self-poisoning in adolescents. British Journal of Psychiatry. 1996; 168:38-42Retour vers
[19] kim c, lesage a, séguin m, lipp o, vanier c, turecki g. Patterns of comorbidity in male suicide completers. Psychol Med. 2003; 33:1299-1300Retour vers
[20] kovess v, lesage a, boisguerin b, fournier l, lopez a, ouellet a. Planification et évaluation des besoins en santé mentale. Médecine-Sciences Flammarion. Paris:2001; 2225Retour vers
[21] lesage ad, boyer r, grunberg f, vanier c, morissette r, et coll.. Suicide and Mental Disorders: A Case-Control Study of Young Men. American Journal of Psychiatry. 1994; 151:1063-1068Retour vers
[22] lesage ad, fournier l, cyr m, toupin j, fabian j, et coll.. The reliability of the community version of the MRC Needs for Care Assessment. Psychological Medicine. 1996; 26:237-243Retour vers
[23] mann jj, waternaux c, haas gl, malone km. Toward a clinical model of suicidal behavior in psychiatric patients. Am J Psychiatry. 1999; 156:181-189Retour vers
[24] proulx f, lesage ad, grunberg f. One hundred in-patient suicides. British Journal of Psychiatry. 1997; 171:247-250Retour vers
[25] séguin m. Trajectoire de vie et résilience des personnes suicidaires. Revue Frontières. 1999; 12:11-16Retour vers
[26] shaffer d, gould ms, fisher p, trautman p, moreau d, et coll.. Psychiatric diagnosis in child and adolescent suicide. Arch Gen Psychiatry. 1996; 53:339-348Retour vers
[27] shafii m, carrigan s, whittinghill jr, derrick a. Psychological autopsy of completed suicide in children and adolescents. Am J Psychiatry. 1985; 142:1061-1064Retour vers
[28] spitzer rl, williams jb, gibbon m, first mb. The Structured Clinical Interview for DSM-III-R (SCID). I: History, rationale, and description. Arch Gen Psychiatry. 1992; 49:624-649Retour vers
[29] turecki g, zhu j, tzenova j, lesage a, seguin m, et coll.. TPH and suicidal behavior: A study in suicide completers. Molecular Psychiatry. 2001; 6:98-102Retour vers

État de santé des suicidés au cours des six mois précédant le geste suicidaire

Cette étude rétrospective est la première de grande ampleur réalisée en France, chez 308 sujets connus des services de médecine légale des villes de Saint-Étienne et de Lyon. Les éléments médicaux de ces sujets ont été obtenus à partir des dossiers des services de médecine légale et des dossiers du service médical de l’Assurance maladie (régime général et mutuelles associées, uniquement).
Ainsi, tous les renseignements relatifs aux soins, aux hospitalisations, aux prescriptions médicamenteuses et leur évolution dans les 6 mois précédant le geste suicidaire, mais aussi les types de médications prescrites, sont des données objectives et non des éléments rapportés par des témoins, aussi fiables soient-ils.
Par ailleurs, nous avons pu faire une étude comparative étayée par les tests de significativité (X2) avec une population témoin – affiliée elle-même à l’Assurance maladie de Lyon et Saint-Étienne – de 1 415 personnes ayant les mêmes caractéristiques que la population des personnes suicidées (sexe, âge, résidence).

Recueil des données médicolégales et médicales

Le recueil des données médicolégales concerne les suicidés du 01/05/2003 au 31/10/2004. Ces données ont été collectées au service de médecine légale de Saint-Étienne et à l’Institut médicolégal de Lyon. Trois cent huit dossiers (212 hommes et 96 femmes) ont été analysés. Les données recueillies de manière systématique sont : l’âge, le sexe, le mode de suicide, le jour et le lieu.
En revanche, certaines données ne sont pas disponibles dans tous les dossiers et une véritable étude statistique est donc impossible. Ces données sont : l’activité professionnelle, le statut matrimonial, les antécédents de tentative de suicide, les toxicomanies et l’alcoolodépendance.
Les données médicales concernant les 6 mois précédant le suicide ont été recueillies pour les mêmes sujets, au niveau des services médicaux de l’Assurance maladie de Saint-Étienne et de Lyon. Il s’agit de consommation de soins : les consultations chez un médecin, la délivrance de psychotropes, le bénéfice ou non d’une ALD 30 (Affection longue durée donnant droit à l’exonération du ticket modérateur) et les antécédents d’hospitalisation.

Répartition des suicidés selon le sexe et l’âge

La mort par suicide est essentiellement masculine (environ deux hommes pour une femme), l’âge de prédilection pour les deux sexes se situant dans la tranche d’âges 30-59 ans (figures 1Renvoi vers, 2Renvoi vers, 3Renvoi vers).
Figure 1 Répartition des suicidés selon le sexe
Figure 2 Répartition des suicidés selon l’âge et le sexe
Figure 3 Répartition de la population des suicidés versus la population générale selon l’âge

Consommations médicales

Pour la très grande majorité de ces suicides (plus de 60 % chez les hommes et plus de 80 % chez les femmes), le geste suicidaire s’inscrit dans le cadre d’une pathologie parfois lourde (ALD 23 affection liée à une pathologie psychiatrique), en tout cas suivie médicalement et avec des symptômes psychiatriques prédominants.

Consultations

En ce qui concerne la consommation de soins, on note par rapport aux sujets témoins une surconsommation de consultations chez le médecin généraliste et à un degré moindre chez le psychiatre, chez les hommes et chez les femmes à tous les âges de la vie.
Ainsi, les suicidés ont plus consulté les médecins généralistes (67,5 % des hommes et 67,2 % des femmes) et les psychiatres (13,7 % des hommes et 28,1 % des femmes) que la population témoin (généraliste : 57,2% des hommes et 64 % des femmes ; psychiatre : 2,58 % des hommes et 3,60 % des femmes), ce qui n’est pas le cas pour la consultation des autres spécialistes. Les suicidés ayant eu recours aux antidépresseurs sont moins suivis par un psychiatre que les sujets témoins suivant le même traitement.
Environ 30 % des hommes et 16 % des femmes ne sont pas suivis médicalement dans les 6 mois précédant leur geste. Dans ce cas, la prévention passera :
• par un meilleur accès aux soins, notamment pour les hommes : on sait que ceux-ci se soignent globalement moins que les femmes et notamment lorsqu’ils présentent une psychopathologie principalement dans le versant dépressif ;
• par une meilleure connaissance de leur situation personnelle et sociale (solitude, rupture conjugale, chômage) de façon à mobiliser autour d’eux un réseau relationnel, notamment associatif pour les soutenir dans un moment de vie difficile.

Traitements

Pour les deux sexes et au-delà de 30 ans, on observe une surprescription de médicaments psychotropes (figure 4Renvoi vers), antidépresseurs notamment, hypnotiques et tranquillisants et surtout en polythérapie. Près de 90 % des femmes suicidées (88,7 %) entre 30 et 59 ans et 80 % des plus de 60 ans avaient une prescription de psychotropes, contre 31,6 % et 38,1 % dans la population témoin (p<0,005). Pour les hommes, 65,6 % des suicidés entre 30 et 59 ans ainsi que 68,3 % des plus de 60 ans avaient une prescription de psychotropes contre 21,4 % et 24,5 % dans la population témoin (p<0,005).
Figure 4 Traitements psychotropes chez les suicidés
Chez les hommes de 30 à 59 ans, la différence de prescription est significative par rapport à la population témoin quel que soit le type de psychotropes, mais cette différence s’avère plus nette pour les antidépresseurs (suicidés : 45,1 % contre 4,25 % dans la population témoin) (figure 5Renvoi vers).
Figure 5 Traitement psychotrope suivant l’âge chez les hommes
Le constat est identique chez les femmes pour lesquelles la prescription d’antidépresseurs est de 77,4 % chez les suicidés alors qu’elle est de 7,48 % dans la population témoin (figure 6Renvoi vers).
Environ 36 % des hommes et 48,5 % des femmes ont eu au cours du mois précédant le suicide une augmentation (au moins du double) des prescriptions de psychotropes (figure 7Renvoi vers).
La mise en évidence de cette corrélation entre l’augmentation récente de la prescription de psychotropes et l’acte suicidaire est une donnée nouvelle. Cela fait évoquer une aggravation de la symptomatologie diagnostiquée par le thérapeute et donc un risque accru de passage à l’acte ; cela doit rendre vigilants tous les praticiens qui sont amenés, dans le suivi de leur patient, à augmenter de façon significative les doses de psychotropes. Le risque suicidaire est alors important et cela suppose de renouveler fréquemment les consultations, voire d’inciter le patient à se faire hospitaliser ou à consulter un spécialiste s’il ne l’a pas encore fait.
Pour l’ensemble des suicidés, on retient le recours significativement plus fréquent à une hospitalisation (générale ou psychiatrique) dans les 6 mois qui précèdent le geste mortel. Trente sept pour cent des hommes et des femmes suicidés de 30 à 59 ans, ainsi que 33,8 % de ces mêmes individus de plus de 60 ans ont été hospitalisés au cours des 6 mois précédant le geste fatal, contre respectivement 3,49 % et 9,80 % de la population témoin (figure 8Renvoi vers).
Il a été trouvé une différence significative entre les suicidés bénéficiant de l’exonération du ticket modérateur à la suite d’une ALD, principalement lorsque celle-ci est d’origine psychiatrique, et les autres suicidés. De la sorte, il faut retenir que la mise sous ALD d’un patient, notamment dans les tranches d’âge de 30 à 60 ans, doit s’accompagner d’un suivi spécifique pour prévenir un passage à l’acte suicidaire. Il a même été observé que certains de ces patients n’avaient eu aucune consommation de soins dans les 6 mois précédant le passage à l’acte. Il serait donc nécessaire qu’ils soient suivis plus régulièrement sur le plan médical.
Figure 6 Traitement psychotrope suivant l’âge chez les femmes
Figure 7 Augmentation des posologies de psychotropes le mois précédant le suicide chez les suicidés de 30 à 59 ans
Figure 8 Hospitalisations chez les suicidés selon l’âge
De l’ensemble de ces éléments, il ressort que la mortalité suicidaire reste une complication de la psychopathologie suivie médicalement, mais pas toujours par un psychiatre. La prévention du geste passe donc par une meilleure adéquation entre les soins et l’état clinique, mais il faut considérer que dans un grand nombre de cas, le suivi médical ne suffira pas à lui seul à prévenir le passage à l’acte mortel. Les conditions d’environnement (entourage familial, entourage social) auront toute leur importance et la prévention suppose donc la mobilisation et une meilleure coordination entre l’ensemble de ces acteurs.
Les services de médecine légale constituent un lieu d’observation sans équivalent des morts violentes – dans notre cas les morts par suicide – dès lors que leur mission ne se cantonne pas à éclairer la justice mais à s’inscrire dans une démarche de santé publique. Mis en réseaux, ils pourraient valablement constituer un véritable observatoire des morts violentes en considérant que l’épidémiologie, l’anthropologie, la toxicologie… sont parties intégrantes de la démarche du médecin légiste comme cela devrait déjà être le cas puisque la qualité de légiste n’enlève rien à celle de médecin, qui doit, selon le code de déontologie « accomplir sa mission dans le double intérêt des personnes et de la santé publique ».
Enfin, l’avancement des connaissances en suicidologie gagnerait à la mise en place d’un registre national des suicidés comportant tous les éléments médicosocio-administratifs.

Projet d’étude prospective

À partir des informations qui ont pu être obtenues grâce à l’étude rétrospective mais surtout pour tenir compte des éléments manquants liés à la méthodologie suivie, notamment l’absence totale d’informations concernant les éléments de vie, passés ou contemporains du décès, des personnes suicidées, leur statut toxicologique – en rapport ou non avec les éventuels traitements psychotropes prescrits – et enfin l’absence d’élément d’analyse génétique et neurologique, il serait souhaitable de réaliser une étude prospective qui se donnera les moyens de croiser plusieurs types d’informations à savoir :
• celles contenues dans le dossier médicolégal ;
• celles contenues dans le dossier de l’Assurance maladie, comme c’est déjà le cas pour la recherche précédente, mais en ajoutant des informations complémentaires ;
• une analyse « pharmaco-toxicologique » complète avec recherche dans le sang, les urines et les cheveux (lorsque cela est possible) ;
• une fiche « éléments de vie » standardisée qui sera établie à partir des informations fournies par les proches de la personne décédée lors de leur entretien avec l’équipe médicolégale ;
• une analyse biologique (génétique, neuro-anatomique) réalisée à partir des prélèvements réalisés à l’occasion de l’autopsie (sang, liquide céphalo-rachidien, cerveau…).
Cette étude sera multicentrique et devront y être associés :
• une dizaine de services de médecine légale représentatifs de la diversité française et volontaires pour participer à la recherche. Les décès par suicide seront inclus selon un protocole à préciser (tous les cas, un cas sur 2 ou sur 3 selon le nombre de cas total souhaité) ;
• les services médicaux de l’assurance maladie des mêmes localités ;
• les laboratoires de toxicologie équipés pour la recherche et le dosage de toutes les molécules médicamenteuses, et ce, dans le sang, les urines et les cheveux de façon à suivre l’état toxicologique contemporain au décès et son évolution dans les mois qui ont précédé la mort ;
• les laboratoires de biologie et de génétique compétents ;
• enfin, les épidémiologistes pour le traitement des données recueillies.
Une telle recherche permettra de croiser les éléments à la fois médicaux, biologiques, pharmaco-toxicologiques mais aussi de l’histoire de vie de façon à rechercher les différents facteurs de comorbidité liés à la mort par suicide.
Michel Debout1
Service de médecine légale, CHU de Saint-Étienne

Bibliographie

[1] bonne e. La santé des suicidés : à propos de 308 patients suicidés recensés dans le Service de médecine légale de Saint-Étienne et l’Institut de médecine légale de Lyon entre le 1er mai 2003 et le 31 octobre 2004. Thèse de médecine. St Étienne:8 septembre 2005; Retour vers

Copyright © 2008 Inserm