Mésothéliome

2008


ANALYSE

14-

Facteurs de risque reconnus

Les facteurs de risque jusqu’ici clairement identifiés chez l’homme ne concernent que des fibres minérales : amiantes et érionite.

Amiantes et fibres minérales

Dans des études toxicologiques et en hygiène industrielle, une fibre est définie comme une particule dont le rapport d’élongation (longueur/diamètre) est supérieur à une certaine valeur (3 ou 5 selon les auteurs). Selon l’OMS, une fibre est définie comme une particule de longueur (L), supérieure à 5 mm ; de diamètre (D), inférieur à 3 mm, et dont le rapport d’élongation L/D est supérieur à 3. Il existe de nombreux minéraux naturels fibreux ; ils constituent des variétés appartenant à différentes familles minéralogiques comme le chrysotile appartenant aux serpentines ; l’actinolite, l’amosite, l’anthophyllite, le crocidolite ou la trémolite de la famille des amphiboles, ou l’érionite de celle des zéolites. Le terme d’amiantes (ou asbestes) désigne différentes roches métamorphiques naturellement fibreuses. Ce sont des silicates hydratés incluant la variété de serpentine mentionnée ci-dessus (chrysotile ou amiante blanc) et les variétés d’amphiboles énumérées plus haut. Outre les amiantes et l’érionite, il a récemment été suggéré qu’un nouveau type minéral asbestiforme de la famille des amphiboles, la fluoro-édénite, silicate hydraté contenant de l’aluminium et du fluor, était susceptible d’être associé à un excès de mésothéliomes, chez l’Homme (Comba et coll., 2003renvoi vers; Biggeri et coll., 2004renvoi vers; Cardile et coll., 2004renvoi vers). L’utilisation de ces différents types de fibres a été inégale dans différents pays, le chrysotile étant le plus employé. Cependant, l’exposition ne résulte pas nécessairement d’une exposition professionnelle, elle peut aussi être la conséquence d’expositions domestiques ou environnementales (géologiques, proximité de sites industriels polluants).
Au cours des dernières années, l’usage des fibres d’amiante a été remplacé par celui de fibres minérales artificielles (laine de verre, de roche ou de laitier, fibres à usage spécial, fibres céramiques réfractaires), dont l’évaluation des propriétés et du potentiel cancérogène a fait l’objet d’expertises antérieures (Inserm, 1999renvoi vers; IARC, 2002renvoi vers). Aucune des études épidémiologiques disponibles n’a montré d’excès de mésothéliomes chez les travailleurs exposés à la laine de verre, de roche ou de laitier, ou aux fibres céramiques réfractaires. Cependant, des anomalies pleurales radiographiques étiquetées « plaques pleurales » ont été rapportées en excès dans l’industrie de production de fibres céramiques réfractaires aux États-Unis (Lockey et coll., 1996renvoi vers et 2002renvoi vers) et en Europe (Cowie et coll., 2001renvoi vers). Il est encore difficile aujourd’hui de déterminer avec confiance si un excès de mésothéliomes peut être associé à une exposition aux fibres minérales artificielles car le temps de latence est élevé pour ce type de tumeur ; de plus, les sujets ont souvent été également exposés à l’amiante ; enfin, le mésothéliome étant une tumeur rare, le nombre des sujets à considérer doit être élevé pour avoir une puissance statistique suffisante permettant la mise en évidence d’un effet.
En toxicologie expérimentale, afin de déterminer les effets biologiques et de comprendre les mécanismes d’action des fibres d’amiante, divers protocoles expérimentaux ont été développés, par inhalation de fibres, instillation intratrachéale ou intracavitaire. Pour les amiantes, c’est le crocidolite qui a été le plus utilisé suivi du chrysotile, puis de l’amosite ; les autres types ayant fait l’objet d’un nombre limité d’études. Un potentiel cancérogène de ces différents types de fibres a été démontré, validant ainsi ces méthodologies pour l’évaluation des fibres minérales artificielles. De nombreuses études ont été effectuées chez l’animal, essentiellement chez le rat et, moins fréquemment chez le hamster. Des tumeurs du poumon ont été observées avec certains échantillons de laine de roche et de fibres à usage spécial. Les fibres céramiques réfractaires ont produit, après inhalation, des tumeurs du poumon (rat) et des mésothéliomes (hamster). En conséquence, la dernière évaluation du Circ (Centre international de recherche sur le cancer) a placé certains types de fibres (fibres à usage spécial et fibres céramiques réfractaires) dans la catégorie 2B (cancérogène possible pour l’Homme) ; les autres étant dans le groupe 3 (inclassables).
À l’heure actuelle, si l’utilisation des fibres d’amiante a été interdite dans de nombreux pays, leur exploitation et/ou leur utilisation persiste(nt) dans certains pays (Asie, Moyen Orient…) ; par ailleurs, d’autres fibres synthétiques sont aujourd’hui utilisées. Pour ces raisons, la connaissance des effets des fibres est un sujet de recherche qui ne doit pas être négligé. Un travail vient de déterminer, dans une trentaine de pays dont la France, l’association entre le taux de mortalité des maladies liées à l’amiante (asbestose1 , cancer du poumon, mésothéliome) et la consommation historique d’amiante dans les pays respectifs (Lin et coll., 2007renvoi vers). La consommation d’amiante est définie comme la somme de la production et de l’importation d’amiante moins l’exportation, et représente, dans cette étude, un indicateur de l’exposition à l’amiante. La consommation d’amiante est prédictive de la mortalité par mésothéliome (pleural ou péritonéal) chez les deux sexes. Ce résultat laisse prévoir des pathologies liées à l’amiante dans les pays qui l’utilisent actuellement  et souligne que son démantèlement doit être effectué dans des conditions strictes de protection des travailleurs.

Situations d’exposition à l’amiante

Les données de la littérature permettent de distinguer différentes sources d’exposition à l’amiante, susceptibles d’occasionner la survenue de mésothéliome. Outre l’exposition d’origine professionnelle, des expositions para-professionnelles ou non professionnelles ont été définies.
Les expositions à l’amiante d’origine professionnelle sont responsables de la très grande majorité des cas de mésothéliome. Les propriétés physiques et chimiques de ces fibres ont favorisé l’augmentation de leur utilisation à de multiples fins. Les professions les plus exposées ont évolué au cours du temps, des professions de l’industrie de l’extraction, de la transformation et de l’utilisation de l’amiante, à celles qui requièrent des interventions sur des matériaux contenant de l’amiante, comme notamment dans le secteur du bâtiment. L’importation et l’utilisation de matériaux contenant de l’amiante sont interdites en France depuis 1997 (avec quelques rares dérogations jusqu’au début des années 2000), mais il persiste de nombreux matériaux en place sur lesquels divers corps de métiers sont susceptibles d’intervenir.
L’exposition para-professionnelle résulte de contacts avec des travailleurs directement exposés (proximité familiale conduisant à une contamination par les vêtements de travail par exemple), ou indirectement exposés en milieu professionnel (tels que personnels administratifs), ou encore en raison de la manipulation d’objets ménagers contenant de l’amiante tels que grille pains, planches de fer à repasser ou panneaux isolants. Par ailleurs, les activités de bricolage peuvent générer des expositions à l’amiante, comme le changement de garnitures de freins (garnitures anciennes) ou la découpe de fibrociment (s’il date d’avant 1997, en France).
L’exposition environnementale se produit en cas de présence de fibres dans l’air ambiant, soit qu’il existe une source de contamination dans le voisinage (industrie de l’amiante ; amiante dans les constructions avec dégradation des matériaux contenant de l’amiante ou interventions sur ces derniers), soit que la région géologique possède un sol contenant de l’amiante. Cette dernière situation a pu donner lieu à l’utilisation de matériaux à base d’amiante pour des constructions locales ou des utilisations domestiques diverses.
Une exposition environnementale augmentant le risque de mésothéliome a été montrée dans différentes régions, en Nouvelle Calédonie, Australie, Grèce, Italie et Turquie (Goldberg et coll., 1991renvoi vers; Hansen et coll., 1998renvoi vers; Orenstein et coll., 2000renvoi vers; Senyigit et coll., 2004renvoi vers; Maule et coll., 2007renvoi vers; Osman et coll., 2007renvoi vers).
Marchevsky et coll. (2006renvoi vers) ont effectué une analyse des données de la littérature pour étudier la relation entre mésothéliome et exposition non professionnelle à l’amiante. Les auteurs concluent que les données sont insuffisantes pour évaluer l’origine de la cause, mais ils proposent un système de classification des causes d’exposition pour aborder cette question (Evidence-Based Causation Guidelines).
Des mésothéliomes d’origine environnementale ont été observés dans certaines régions de Nouvelle-Calédonie. À la suite de l’observation de Goldberg et coll. (1995renvoi vers), d’une incidence élevée de mésothéliomes sur ce territoire, et qui ne semblait pas d’origine professionnelle, une étude épidémiologique avait en effet mis en évidence une exposition environnementale à l’amiante (Luce et coll., 1994renvoi vers). L’exposition provenait d’un enduit artisanal, le « pö », utilisé pour le blanchiment des murs des maisons et fabriqué à partir de roches contenant de l’amiante (principalement de la trémolite). Une étude cas-témoins a confirmé que l’utilisation de cet enduit augmentait très fortement le risque de mésothéliome (Luce et coll., 2000renvoi vers). Des analyses de la teneur en fibres de prélèvements d’air ont montré la présence de trémolite et de chrysotile, avec une concentration très élevée en fibres de trémolite à l’intérieur de maisons recouvertes de pö (Goldberg et coll., 1995renvoi vers; Luce et coll., 2004renvoi vers). Par ailleurs, la concentration pulmonaire en fibres de trémolite est très fortement liée à l’utilisation du pö et atteint chez les sujets exposés des niveaux comparables à ce qui est observé en milieu professionnel.
Ces observations montrent que l’utilisation du pö est la principale source d’exposition, mais indiquent également que d’autres sources d’exposition existent. En effet, quelques prélèvements d’air réalisés dans des habitations non recouvertes ou sur des pistes ont mis en évidence des concentrations en fibres de trémolite faibles, mais non négligeables. De même, des fibres de trémolite, à des concentrations faibles, ont été identifiées dans les prélèvements biologiques de sujets non exposés au pö (Luce et coll., 2004renvoi vers).
La pratique de l’utilisation du pö, très largement répandue entre 1930 et 1960, a été ensuite progressivement abandonnée, mais est restée toutefois active dans certaines régions jusqu’à la fin des années 1990. Un recensement des maisons recouvertes de cet enduit a été effectué en 1997 par les autorités sanitaires locales et une campagne de destruction de ces habitations et de reconstruction a été réalisée en 2004. Une étude récente confirme l’incidence élevée des mésothéliomes entre 1984 et 2002 dans certaines régions de la Nouvelle-Calédonie (Baumann et coll., 2007renvoi vers). Les auteurs n’observent pas d’association (au niveau de la commune) entre le nombre de mésothéliomes et le nombre d’habitations recouvertes de pö en 1997. Toutefois, les données sur la résidence actuelle ne renseignent pas sur l’exposition prévalant 20 ou 30 ans auparavant, qui est le paramètre pertinent dont on doit disposer, surtout pour le mésothéliome dont on connaît le long délai d’apparition. En revanche, une association significative entre le nombre de mésothéliomes et la présence d’amiante dans le sol (définie par la proximité de serpentinite d’après la carte géologique du territoire) est mise en évidence.
Dans l’ensemble, les données aujourd’hui disponibles montrent que, bien que la source majeure d’exposition soit maintenant éliminée, d’autres sources potentielles d’exposition existent (pistes, travaux ou activités agricoles sur des affleurements…). L’exposition environnementale à l’amiante reste donc une préoccupation pour la Nouvelle-Calédonie.
La législation française a prévu des dispositions réglementaires spécifiques, notamment pour les interventions de retrait de matériaux contenant de l’amiante, pour l’inventaire et le contrôle de l’état de conservation des matériaux contenant de l’amiante en place, ainsi que pour le circuit de gestion des déchets. Le non respect de ces dispositions peut entraîner des expositions incontrôlées de travailleurs ou de la population générale.

Professions et secteurs exposés

Les professions exposées à l’amiante ont substantiellement évolué au cours du temps, avec l’introduction massive de l’amiante dans le milieu industriel. Ainsi, dans les années 1960, les principales professions concernées se trouvaient dans le secteur de la production et de la transformation de l’amiante, alors qu’en 1980-1990, les professions les plus exposées étaient celles impliquant des interventions sur des matériaux contenant de l’amiante.
Une étude réalisée chez les hommes nouvellement retraités du Régime général de la sécurité sociale a permis de classer les secteurs d’activité dans lesquels les expositions à l’amiante étaient les plus fréquentes. Le premier secteur incriminé était celui de la production de machine, d’engins et de matériel (16,8 %), suivi du secteur du bâtiment et des travaux publics (16,3 %) ; viennent ensuite les secteurs des services à la collectivité et aux particuliers (11,8 %), du commerce de gros ou de détail, de la restauration, de la métallurgie… (Imbernon et coll., 2004renvoi vers).
Globalement, deux études menées indépendamment ont estimé qu’un quart des hommes actuellement retraités avaient été exposés au moins une fois à l’amiante au cours de leur carrière professionnelle (Iwatsubo et coll., 1998renvoi vers; Imbernon et coll., 1999renvoi vers; Goldberg et coll., 2000renvoi vers).
Plus récemment, une étude cas-témoins a été réalisée au sein du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM). L’ensemble de la carrière professionnelle a été reconstitué pour chaque cas et témoin. L’évaluation des expositions professionnelles et extraprofessionnelles à l’amiante (ainsi qu’à d’autres substances) a été menée par un groupe d’experts multidisciplinaires. Ainsi, l’évaluation finale comporte pour chaque individu la nature de l’exposition retrouvée (professionnelle et/ou extra-professionnelle), sa probabilité, son intensité, sa fréquence et sa durée. Pour chaque profession et secteur d’activité, un odds-ratio (OR) et son intervalle de confiance à 95 % ont été calculés par comparaison des sujets (cas et témoins) ayant exercé au moins un emploi dans la profession ou le secteur considéré, aux sujets qui n’y ont jamais exercé. Les résultats préliminaires sont présentés dans les tableaux et figures suivants (tableau 14.I ; figures 14.1 et 14.2 ; Rolland et coll., 2005renvoi vers).

Tableau 14.I Exposition professionnelle à l’amiante et risque de mésothéliome pleural chez les hommes et chez les femmes

Caractéristique de l’exposition
Cas
Témoins
ORa
ICb 95 %
n
%
n
%
Hommes (375 cas et 628 témoins)
      
Probabilité d’exposition la plus élevée
      
Non exposé
31
8,3
280
44,6
1,0
 
Possible
48
12,8
108
17,2
4,0
2,4-6,7
Certaine
296
78,9
240
38,2
12,1
7,9-18,4
Âge au moment de la 1re exposition (années)c
      
Non exposé
31
8,3
280
44,6
1,0
 
≤ 17
160
42,7
111
17,7
14,5
9,2-23,0
> 17-23
103
27,5
111
17,7
8,8
5,5-14,0
> 23
81
21,5
126
20,0
5,8
3,6-9,4
Nombre d’années depuis la 1re exposition (temps de latence)3
      
Non exposé
31
8,3
280
44,6
1,06
 
≤ 43
104
27,7
132
21,0
7,3,
4,5-11,8
> 43-53
131
34,9
122
19,4
10,5
6,7-16,6
> 53
109
29,1
94
15,0
10
6,5-17,5
Durée cumulée d’exposition (années)c
      
Non exposé
31
8,3
280
44,6
1,0
 
> 0-15
95
25,3
138
22,0
6,5
4,1-10,4
> 15-28
125
33,3
112
17,8
10,5
6,6-16,7
> 28
124
33,1
98
15,6
11,9
7,4-19,2
Dose cumulée d’exposition (f/ml-années)d
      
Non exposé
31
8,3
280
44,6
1,0
 
> 0-0,06
36
9,6
131
20,9
2,6
1,5-4,5
> 0,06-0,63
67
17,9
112
17,8
5,6
3,4-9,1
> 0,63-6,10
105
28,0
68
10,8
15,1
9,2-24,8
> 6,10
136
36,2
37
5,9
39,6
23,1-68,1
Femmes (93 cas et 110 témoins)
      
Probabilité d’exposition la plus élevée
      
Non exposé
53
57,0
100
90,9
1,0
 
Possible
23
24,7
6
5,5
7,3
2,7-20,1
Certaine
17
18,3
4
3,6
8,4
2,6-27,7

a Odds-ratio ; b Intervalle de confiance ; c Classes définies par les quantiles 33 % et 66 % de la distribution des sujets exposés ; d Classes définies par les quartiles de la distribution des sujets exposés ; f/ml : fibres /ml d’air

Figure 14.1 Risque de mésothéliome par secteur d’activité chez les hommes (375 cas et 628 témoins ; nomenclature Nace Rév. 1) (d’après Rolland et coll., 2005renvoi vers)
Figure 14.2 Risque de mésothéliome par profession chez les hommes (375 cas et 628 témoins ; nomenclature PCS Ed. 1994) (d’après Rolland et coll., 2005renvoi vers)
Le tableau 14.I montre que le risque (évalué par l’OR) chez les hommes décroît avec l’âge au moment de la première exposition. En revanche, il augmente avec la probabilité d’exposition la plus élevée rencontrée au cours de la carrière, le nombre d’années depuis la première exposition (temps de latence), la durée cumulée d’exposition et la dose cumulée d’exposition. Chez les femmes, le risque augmente significativement avec la probabilité d’exposition la plus élevée rencontrée au cours de la carrière professionnelle. Les OR ainsi estimés ont permis de calculer la part des mésothéliomes attribuable à une exposition professionnelle à l’amiante. Elle est estimée à 83,2 % (IC 95 % [76,6-89,6]) chez les hommes et à 38,3 % (IC 95 % [26,6-50,0]) chez les femmes.
Concernant les secteurs, les risques les plus élevés sont retrouvés dans la construction et la réparation navale, la transformation et la fabrication de produits contenant de l’amiante, et la fabrication d’éléments de construction en métal (ponts, cuves, canalisations, échafaudages, escaliers…) (figure 14.1). S’agissant des professions, les métiers les plus à risque sont les plombiers-tuyauteurs, les tôliers-chaudronniers ou encore les soudeurs-oxycoupeurs (figure 14.2).

Interactions gènes-environnement

Plusieurs observations ayant montré une fréquence élevée de mésothéliomes dans certaines familles, l’hypothèse d’une susceptibilité génétique a été formulée. Les cas affectés avaient des relations familiales à différents degrés (parents/enfant, sœur/frère, sœurs, frères). Il faut souligner que, dans ces familles, au moins l’un des sujets avait été exposé à l’amiante, suggérant une contamination environnementale des autres parents, et certains auteurs ont proposé que des interactions « gènes/facteurs environnementaux » pouvaient jouer un large rôle dans la genèse du mésothéliome (Huncharek, 2002renvoi vers). Récemment, Ascoli et coll. (2007renvoi vers) ont analysé les mésothéliomes détectés chez des individus consanguins, à partir de 3 registres de mésothéliome en Italie. Sur 1 954 cas, 11 clusters familiaux de 2 cas ont été répertoriés ; pour tous les cas, il y avait mention d’une exposition à l’amiante. Dans ce travail, ont également été revues des données de la littérature portant sur 33 publications rapportant 51 clusters (120 cas). Les auteurs concluent que les données ne permettent pas la mise en évidence de l’influence d’une composante génétique, et considèrent que l’existence de ces clusters familiaux reflète les effets d’une exposition à l’amiante.
Des études de polymorphisme génétique ont porté sur des gènes impliqués dans les processus de détoxication et de réparation de l’ADN. Ces gènes ont pour effet de moduler les lésions faites à l’ADN par des substances génotoxiques, et sont susceptibles de modifier l’étendue des dommages au génome qui sont produits par ces substances. Deux études, en Finlande et en Italie, ont abordé l’analyse de gènes impliqués dans les systèmes de détoxication : GSTM1, NAT2, mEH (microsomal Epoxyde Hydrolase) et EPHX, dans des mésothéliomes associés à une exposition à l’amiante (Hirvonen et coll., 1995renvoi vers; Neri et coll., 2005renvoi vers et 2006renvoi vers). Des résultats discordants ont été observés, ce qui rend peu crédible l’hypothèse d’un lien avec ces facteurs.
Quelques travaux ont récemment porté sur des études de polymorphisme génétique de gènes de réparation de l’ADN. Dans une étude cas-témoins réalisée sur une population italienne (81 patients et 110 témoins ; exposition à l’amiante évaluée par questionnaire), les analyses de SNPs (Single Nucleotide Polymorphisms) ont porté sur 4 gènes : XRCC1 (XRCC1-R399Q, XRCC1-R194W), XRCC3 (XRCC3-T241M, XRCC3-IVS6-14), XPD (XPD-K751Q, XPD-D312N) et OGG1 (OGG1-S326C) (Dianzani et coll., 2006renvoi vers). Ces variants étaient choisis en raison de leur association possible avec certains types de cancers et/ou des pathologies résultant de déficits en réparation de l’ADN. Les résultats ont montré une association entre le variant XRCC1-399Q et le mésothéliome, chez les sujets exposés à l’amiante, ainsi qu’une augmentation du risque en fonction du nombre d’allèles Q (homozygotes Q/Q + hétérozygotes R/Q versus homozygotes R/R). Toutefois, ces résultats doivent être interprétés avec prudence, sachant que la cancérogenèse est un processus complexe, multi-étapes, mettant en jeu des altérations de plusieurs gènes. La mise en évidence d’un génotype associé à un plus fort risque de cancer ne signifie pas que le polymorphisme considéré est un facteur causal, mais seulement un facteur augmentant le risque.
Par ailleurs, d’autres travaux ont porté sur les anomalies génétiques dans les mésothéliomes « familiaux », afin de rechercher des profils particuliers d’altération génétique dans les familles. Des études caryotypiques ont montré des anomalies cytogénétiques récurrentes dans certaines familles où des cas de mésothéliome avaient été observés. Ascoli et coll. (2001renvoi vers) ont effectué des études par hybridation génomique comparative (CGH) sur des échantillons tumoraux de cas familiaux présentant un mésothéliome pleural. Des pertes chromosomiques localisées en 1p, 6q, 9p, 13q et 14q ont été mises en évidence, mais ces altérations sont également retrouvées dans les mésothéliomes sporadiques. Une perte de matériel génétique en 9p a été l’unique altération mise en évidence par Musti et coll. (2002renvoi vers) chez 2 sœurs parmi 3 sœurs atteintes de mésothéliome, exposées par parenté à l’amiante (père travaillant dans une usine d’amiante), suggérant que plusieurs gènes suppresseurs de tumeur pourraient être présents sur ce locus.
Des mutations du gène NF2 sont décrites dans le mésothéliome. Un cas de mésothéliome a été rapporté chez un sujet jeune, exposé à l’amiante, présentant une mutation constitutionnelle du gène NF2, suggérant que la mutation pourrait favoriser la survenue de cette tumeur chez les sujets exposés (Baser et coll., 2002renvoi vers). Toutefois, le mésothéliome n’est pas une pathologie associée à la neurofibromatose de type 2. Ce gène joue probablement un rôle important dans le mécanisme de transformation néoplasique des cellules mésothéliales par les fibres minérales car les souris hémizygotes Nƒ2 présentent une susceptibilité accrue au mésothéliome induit par l’amiante (Fleury-Feith et coll., 2003renvoi vers). Des hypothèses sur l’existence d’une susceptibilité génétique ont été formulées pour les mésothéliomes dûs à l’exposition aux fibres d’érionite. En effet, dans des études réalisées récemment en Turquie, des fréquences très élevées de cette tumeur étaient retrouvées dans certains villages et ont été attribuées à un facteur génétique. Une analyse de 528 personnes dans ces villages a suggéré une transmission selon un mode auto-somique dominant (Roushdy-Hammady et coll., 2001renvoi vers; Dogan et coll., 2006renvoi vers). Ces conclusions font toutefois l’objet de réserves, nécessitant des études plus précises pour évaluer le rôle de facteurs de risque génétiques (Saracci et Simonato, 2001renvoi vers; Ugolini et coll., 2008renvoi vers). Toutefois, dans leur ensemble, ces études ne mettent pas en évidence le rôle d’un facteur génétique majeur conduisant au développement de mésothéliome.
En conclusion, outre l’amiante en milieu professionnel, d’autres fibres minérales (érionite, fluoro-édénite) ont été associées, chez l’Homme, à un excès de mésothéliomes, dans des conditions d’expositions environnementales. Des anomalies cytogénétiques récurrentes ont été observées dans certaines familles, mais les altérations sont également retrouvées dans les mésothéliomes sporadiques. Des études de polymorphisme génétique ont porté sur des gènes impliqués dans les processus de détoxication et de réparation de l’ADN. Dans leur ensemble, les différents travaux ne mettent pas en évidence le rôle d’un facteur génétique majeur conduisant au développement de mésothéliome.

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