Cancer de la prostate

2008


ANALYSE

40-

Classification histologique et pathologie moléculaire

Le cancer de la prostate touche l’homme de plus de 50 ans. C’est le premier cancer urologique et également en incidence le premier cancer chez l’homme dans les pays développés devant le cancer du poumon. Selon les estimations Globocan 20021 , l’incidence au niveau mondial est estimée à 25,3/100 000 mais elle est extrêmement variable d’un pays à l’autre, d’un facteur 1 à 100.

Classification histologique

Il s’agit presque toujours d’un adénocarcinome (figure 40.1Renvoi vers) développé aux dépens des acini (adénocarcinome prostatique ou PAC : Prostatic Acinar Carcinoma). Les autres formes sont rares, de l’ordre de 3 % (Mostofi et coll., 1993renvoi vers).
Figure 40.1 (A) Prostate normale – histologie ; (B) Cancer de la prostate – cellules petites, irrégulières, infiltration du stroma

Adénocarcinome classique

L’analyse histologique est basée sur 3 critères (McNeal, 1992renvoi vers) :
• l’anaplasie ou atypie nucléaire : les noyaux sont en général plus volumineux que ceux des cellules normales ou bénignes. La présence d’un grand nucléole reste le critère de malignité. Les mitoses sont le plus souvent rares, sauf dans les formes de très haut grade ;
• l’invasion du stroma (avec disparition des cellules basales des acini), et/ou l’invasion des filets nerveux au voisinage des acini. Deux paramètres vont intervenir : le siège tumoral et le volume tumoral. L’adénocarcinome de la prostate se développe plus facilement dans la zone périphérique de la prostate où le stroma est moins dense (au contraire de la zone transitionnelle ou antérieure), et où la capsule est fragilisée par la traversée des pédicules vasculo-nerveux à la base et l’apex de la prostate ;
• l’architecture : la disposition radiale autour de l’urètre disparaît dans l’adénocarcinome de la prostate, et des remaniements architecturaux permettent de différencier les adénocarcinomes à petits acini, les adénocarcinomes à grands acini, les adénocarcinomes cribriformes et les adénocarcinomes solides ou trabéculaires.
L’histopronostic est actuellement fixé par le score de Gleason, proposé dès 1966 et validé près de 20 ans plus tard (Gleason, 1992renvoi vers; Mostofi et coll., 1993renvoi vers; Polascik et coll., 1998renvoi vers). Il est fondé sur le grade de Gleason, défini par 5 grades de malignité : grades I et II, carcinome bien différencié ; grade III, carcinome moyennement différencié ; grade IV, carcinome peu différencié ; grade V, carcinome très peu différencié (figure 40.2Renvoi vers).
Pour tenir compte de l’hétérogénéité de l’adénocarcinome prostatique, Gleason considère les 2 contingents les plus abondants dans les prélèvements (biopsies ou prostate en totalité) :
• « Primary pattern » : structure principalement représentée ;
• « Secondary pattern » : deuxième structure la plus représentée.
Cotée isolément de 1 à 5, l’addition permet d’obtenir le score final, quantifié de 2 à 10 (Veltri et coll., 2000renvoi vers).
En cas de difficulté, une étude en immuno-histochimie peut être réalisée par :
• antigène prostatique spécifique (PSA) fixé, de façon uniforme, par les cellules épithéliales sécrétoires des acini pour l’origine primitive de l’adénocarcinome ;
• cytokératine 903, marquage disparaissant au niveau de la couche basale en cas d’adénocarcinome (figure 40.3Renvoi vers) ;
• chromogranine A, la NSE (Neuron-Specific-Enolase) pour rechercher une composante neuro-endocrine.
Figure 40.2 Grade histologique de Gleason
Figure 40.3 Immunomarquage par cytokératine 903

Lésions pré-cancéreuses ou néoplasie prostatique intra-épithéliale (PIN)

Il s’agit d’une prolifération épithéliale dans la lumière des canaux et des gros acini, à l’origine d’une stratification des cellules sécrétoires. Les atypies nucléaires sont plus ou moins marquées. L’intégrité de la couche basale entourant les cellules néoplasiques confirme le diagnostic.
Trois grades ont été définis : grade I, dysplasie légère ; grade II, dysplasie moyenne ; grade III, dysplasie sévère. Dans la pratique, seule l’existence d’une dysplasie sévère sur une biopsie prostatique doit faire envisager un risque d’adénocarcinome sous-jacent, mais il est nécessaire de renouveler ces biopsies à distance pour affirmer le diagnostic de cancer de la prostate.

Autres formes d’adénocarcinome prostatique

D’autres formes d’adénocarcinomes ont été décrites dont l’adénocarcinome à différenciation neuro-endocrine, l’adénocarcinome mucineux et l’adénocarcinome ductulaire.

Autres carcinomes prostatiques

Parmi les autres carcinomes prostatiques, on distingue l’adénocarcinome à cellules transitionnelles et le carcinome à petites cellules ; ces formes très rares sont rapidement métastatiques.

Tumeurs primitives non épithéliales : sarcomes

Les tumeurs primitives non épithéliales sont essentiellement des sarcomes comme le rhabdomyosarcome (embryonnaire, alvéolaire, ou pléïomorphique) et le léïomyosarcome.

Pathologie moléculaire

Profils d’expression tumoraux

De multiples altérations sont responsables d’un dérèglement progressif des fonctions cellulaires, corrélées au stade, au grade et à l’évolution tumorale (Singh et coll., 2002renvoi vers; Glinsky et coll., 2004renvoi vers; Varambally et coll., 2005renvoi vers; Lexander et coll., 2006renvoi vers). Des gènes intervenant dans le métabolisme des acides gras (α-méthylacyl-CoA racemase, acétyl-CoA carboxylase α) sont surexprimés dans les stades précoces de la maladie et peuvent être utilisés comme marqueurs tumoraux. D’autres sont sous-exprimés comme certains gènes intervenant dans la constitution de la matrice extra-cellulaire ou dans l’adhésion cellulaire à cette matrice.

EGFR et facteurs de croissance associés

L’expression d’EGFR (ErbB1) et de ses ligands est corrélée au grade et au stade tumoraux. La surexpression entraîne la stimulation de différentes voies de signalisation, et donc un accroissement de la prolifération, de la survie, de la mobilité et de l’invasion cellulaire (Di Lorenzo et coll., 2002renvoi vers; Hernes et coll., 2004renvoi vers; Kambhampati et coll., 2005renvoi vers).

Voie Wnt-β-caténine

L’augmentation de l’expression de certains ligands (Wnt1, Wnt5a, Wnt11) et de récepteurs de cette voie (WIF1) semble constituer un événement précoce dans la genèse du cancer de la prostate. Si l’existence de mutations de β-caténine est rare et tardive dans le cancer prostatique, l’existence de bcaténine mutante est responsable chez l’animal de l’apparition de lésions pré-cancéreuses PIN (Chesire et coll., 2004renvoi vers).
Une surexpression de Wnt1 et de β-caténine a été observée chez 77 % des patients ayant des métastases ganglionnaires et 85 % des patients ayant des métastases systémiques. Néanmoins, le rôle complexe de cette voie de signalisation demeure largement discuté (Verras et Sun, 2006renvoi vers).

Pten et Akt-p27-SKP2

Pten (Phosphatase and tensin homolog) bloque la progression du cycle cellulaire en phase G1, et intervient également dans le maintien du cytosquelette et la migration cellulaire. Son inactivation est fréquente dans le cancer de la prostate, le plus souvent par délétion, et semble corrélée au stade tumoral. L’implication de cette voie a des applications thérapeutiques potentielles : la rapamycine, favorisant la survie des cellules tumorales en hypoxie, est sous le contrôle de Pten (Hay et Sonenberg, 2004renvoi vers).
Dans le cancer de la prostate, la réduction d’expression de p27 est corrélée au grade tumoral et à la survie sans récidive. L’association d’une perte de l’expression de Pten et p27 augmente le risque de récidive. La surexpression de SKP2 (S-phase Kinase associated Protein 2), androgénodépendante, est associée à une réduction de la survie sans récidive (Lu et coll., 2002renvoi vers).

Androgènes

Les androgènes régulent la croissance, la différenciation et l’homéostasie du tissu prostatique.
Dans le développement d’un adénocarcinome prostatique, l’expression des gènes androgénodépendants est modifiée : surexpression, dans les cancers bien différenciés, de kallikrein, NKX3.1, TMPRSS2, ainsi que des gènes impliqués dans le métabolisme lipidique, la prolifération cellulaire et l’apoptose (Hendriksen et coll., 2006renvoi vers).
Lors de la suppression, chirurgicale ou médicale, des androgènes, on observe une apoptose massive des cellules sécrétantes épithéliales sans affecter les cellules stromales. Cette apoptose est facilitée par TGFb et VEGF, dont l’expression est sous la dépendance des androgènes.
L’amplification des récepteurs aux androgènes est décrite dans environ 20 à 30 % des cancers hormono-résistants, avec une répartition très hétérogène au sein de la tumeur. L’amplification des gènes codant pour les récepteurs aux androgènes suggère que la protéine est surexprimée ; cependant, le niveau d’expression de l’ARN messager n’est pas corrélé à l’importance de l’amplification génique, indiquant d’autres mécanismes responsables. Enfin, la surexpression des récepteurs aux androgènes ne constitue pas un élément nécessaire et suffisant pour l’apparition d’une hormono-résistance.
L’existence de mutations sur les gènes codant pour les récepteurs androgéniques, décrites dans 10 à 50 % des carcinomes prostatiques échappant à une privation androgénique, constitue un autre mécanisme possible. Elles résulteraient de la pression de sélection exercée par le milieu environnant sur les cellules tumorales (Hara et coll., 2003renvoi vers). Ces mutations surviennent dans deux régions principales des gènes codant pour des récepteurs des androgènes : la zone codant pour le domaine de liaison à l’hormone (LBD) et la zone de liaison à l’ADN. Ces mutations sont observées dans environ un tiers des tumeurs prostatiques avant la mise en place d’un traitement hormonal, constituant un facteur de risque de développement d’une tumeur agressive (Thompson et coll., 2003renvoi vers).

Micro-environnement et progression tumorale

E-cadhérine et adhésion cellulaire

Les altérations des protéines, impliquées dans l’adhésion cellulaire, comme E-cadhérine, jouent un rôle dans le passage d’un cancer localisé à une forme extra-prostatique du cancer de la prostate. Des diminutions d’expression d’Ecadhérine sont observées dans des tumeurs agressives, corrélées au grade tumoral, à la taille de la tumeur et à l’existence d’une extension microscopique extra-capsulaire (Umbas et coll., 1992renvoi vers; Cheng et coll., 1996renvoi vers; Richmond et coll., 1997renvoi vers). D’une manière générale, les résultats des différentes études publiées montrent une diminution d’expression d’E-cadhérine, qui avec l’altération des jonctions intercellulaires joueraient un rôle important dans l’invasion tumorale.
D’autres protéines intervenant dans la morphologie, la signalisation et la mobilité cellulaire, comme CD82 ou CD44, ont également une expression diminuée au cours de l’extension tumorale du cancer de la prostate.

Angiogenèse

Les cellules tumorales sont capables de synthétiser différents facteurs de croissance nécessaires à la néo-angiogenèse tumorale. L’expression de VEGF est corrélée au taux de PSA, à la récidive et à la survie (Borre et coll., 2000renvoi vers; Strohmeyer et coll., 2000renvoi vers). Ces concentrations sériques chutent après prostatectomie totale et sont significativement supérieures dans les populations métastatiques comparées à des populations non métastatiques. L’expression du VEGF-A, responsable de la formation des vaisseaux sanguins, est élevée dans les stades précoces de la maladie, de même que ses récepteurs VEGFR1 et VEGFR2. Inversement, les isoformes VDGF-C et –D, qui stimulent le développement de vaisseaux lymphatiques, ainsi que les récepteurs, sont surexprimés dans les stades tardifs de la maladie.
Ces sécrétions locales de facteurs de croissance vasculaire permettent à la tumeur de survivre et de se développer, mais aussi d’emprunter les voies de circulation classiques expliquant les métastases en particulier osseuses.
En conclusion, les mécanismes responsables, et non exhaustifs, de l’induction et de la progression du cancer de la prostate sont très complexes, interactifs et hétérogènes d’une tumeur à une autre, et au sein d’une même tumeur.

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