Exposition aux agents chimiques et physiques

2008


ANALYSE

53-

Modalités d’évaluation en milieu professionnel

Ce chapitre présente trois sources de données d’exposition aux agents chimiques et particulaires dans l’environnement professionnel : l’enquête Sumer et ses deux campagnes en 1993-1994 et 2002-2003 ; l’évaluation de l’exposition par la construction de matrices emplois-expositions (méthodologie Matgéné) ; la base Colchic rassemblant les mesures effectuées en milieu professionnel.

Méthodologie Sumer (Surveillance médicale des risques)

L’enquête Sumer est une enquête transversale généraliste lancée et gérée conjointement par la Direction des relations du travail (Inspection médicale du travail) et la Dares. L’objectif est d’avoir un état des lieux des expositions des salariés aux principaux risques professionnels (organisationnels, physiques, biologiques et chimiques) en France. Elle a été préparée avec le soutien d’un comité de pilotage regroupant des spécialistes de toutes disciplines et institutions.
Deux campagnes se sont déroulées, l’une en 1994-1995 s’appuyant sur 1 205 médecins du travail et ciblant pour les agents cancérogènes les nuisances classées dans le groupe 1 par le Circ (48 190 questionnaires validés) ; l’autre en 2002-2003 avec la participation de 1 792 médecins et un champ de nuisances cancérogènes élargi aux agents cancérogènes des groupes 1 et 2A du Circ, ou catégories 1 et 2 de l’Union européenne (56 314 salariés recrutés, 49 984 réponses). Le champ des salariés visés en 1994-1995 a concerné ceux relevant du régime général ou du régime agricole de la Sécurité sociale ; en 2002-2003 le champ a été élargi aux hôpitaux publics, à EDF-GDF, La Poste, la SNCF et Air France. Les travailleurs non couverts par les enquêtes Sumer sont notamment ceux relevant des fonctions publiques d’État ou territoriale, des mines, de la pêche, France Télécom, une partie des transports (régies urbaines, transport par eau), et les travailleurs indépendants. Sumer 2002-2003 couvrait un champ de 17,5 millions de salariés (sur les 21,7 millions de salariés au niveau national). Les salariés ont été tirés au sort par les médecins du travail. Pour chaque item du questionnaire posé lors de la visite médicale périodique, le médecin du travail a complété le cas échéant l’interrogatoire par une étude sur le lieu de travail pour confirmer ou non l’existence des nuisances identifiées. La durée d’exposition lors de la dernière semaine travaillée a été évaluée pour chaque nuisance (4 intervalles : 0 à 2 heures, 2 heures à 10 heures, 10 heures à 20 heures, plus de 20 heures), de même que l’existence de protection collective (aucune aspiration à la source, vase clos, ventilation générale, autres), l’intensité (en tenant compte de la protection collective) estimée (ou très rarement mesurée) en quatre niveaux et enfin l’existence de protection(s) individuelle(s) mise(s) à disposition (cutanée, respiratoire, oculaire). Un guide d’aide au repérage des produits chimiques avait été mis à disposition de chaque médecin.
Dans la perspective d’une comparaison de l’évolution des données d’exposition entre 1994 et 2003, il convient de travailler à « champ constant » qui en l’occurrence est de 15,5 millions de salariés. Les estimations de fréquence d’exposition ont été effectuées par pondération à l’aide d’un calage sur marges (macro Calmar), les critères employés étant le sexe, la tranche d’âge, la catégorie socio-professionnelle, le secteur d’activité et la taille de l’établissement ; et les distributions de référence étant issues des déclarations annuelles de données sociales (DADS), de l’enquête Emploi et de sources spécifiques pour les grandes entreprises intégrées au champ 2003 et la Mutualité sociale agricole.
Certaines difficultés de l’enquête Sumer ou de la prudence qu’il convient d’avoir dans l’interprétation de certains résultats ont été soulignées par leurs réalisateurs :
• le caractère généraliste de l’enquête a amené à sélectionner les produits chimiques évalués, avec la contrainte de ne pas dépasser 80 items. En conséquence, certains d’entre eux sont repérés de façon précise, comme par exemple la silice ou le trichloréthylène, d’autres ne le sont que dans le cadre d’une famille comme les amines aromatiques, voire dans des regroupements génériques comme les cytostatiques ;
• pour certaines nuisances, les données ne permettent pas d’aborder avec finesse le dérivé cancérogène précis (cas du chrome hexavalent, par exemple ; des amines aromatiques désignées sans distinction en fonction de la molécule considérée), ou ne sont pas disponibles car non explicitement visées dans le questionnaire (cas du benzo(a)pyrène par exemple) ;
• un nombre trop faible de salariés interrogés n’a pas permis d’apporter de résultats pertinents pour certaines nuisances cancérogènes certaines (cas de l’arsenic ou de l’oxyde d’éthylène par exemple).
Une autre difficulté importante est la période de référence de l’exposition. Il a été choisi de demander aux médecins du travail de se référer à la dernière semaine travaillée et au travail réellement exercé. Cette référence à une période courte plutôt qu’au travail habituel a l’avantage de mieux cerner les expositions réelles au poste de travail y compris celles correspondant à l’entretien ou à la maintenance du poste de travail. Cette période de référence courte n’a pas ou peu d’effet sur les expositions habituelles par exemple l’exposition aux poussières de bois chez un menuisier, en revanche elle tend à minimiser le nombre de salariés exposés dans l’année à tout produit quand l’utilisation de celui-ci est plus ponctuelle. L’exemple de l’amiante est à cet égard exemplaire, le nombre de salariés exposés lors de la dernière semaine est très inférieur au nombre de salariés exposés si l’on avait pris comme période de référence l’année entière.
Le recueil des expositions a gagné en qualité entre 1994 et 2002 : la présentation du questionnaire est plus structurée ; les médecins du travail enquêteurs ont une meilleure capacité d’expertise, en particulier pour les expositions courtes ; enfin, ils repèrent mieux les multi-expositions, en prenant en compte l’environnement du poste de travail. Mais la comparaison 1994-2002 devient de ce fait difficile.

Méthodologie Matgéné

L’évaluation rétrospective des expositions professionnelles en population générale peut difficilement être obtenue à partir de mesures directes. Par ailleurs, une campagne de mesures ne permet pas d’estimer les expositions passées, et présente donc peu d’intérêt pour des substances induisant des pathologies dont le temps de latence est long, comme dans le cas de l’amiante et du mésothéliome.
L’une des méthodes les plus couramment utilisées pour l’évaluation rétrospective des expositions en population générale repose sur la construction de matrice emplois-expositions.
Une matrice emplois-expositions est un tableau dont les lignes recensent les intitulés d’emplois (croisement d’une profession avec un secteur d’activité), et les colonnes, les nuisances d’intérêt. Chaque intersection de ligne et de colonne renferme des indices d’exposition (probabilité, fréquence, intensité d’exposition). Une estimation de la prévalence des expositions en population générale peut être obtenue en croisant une matrice emplois-expositions avec un échantillon d’histoires professionnelles individuelles représentatif de la population française.
Le programme Matgéné, coordonné par le Département santé travail de l’Institut de veille sanitaire (InVS), a pour objectif principal de construire une matrice emplois-expositions « multi-nuisances », spécifiquement adaptée à la population générale française. Ce travail est mené en collaboration avec des équipes de recherche de l’Inserm, les Instituts interuniversitaires de médecine du travail ainsi que l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
Les premières matrices emplois-expositions réalisées par les équipes de l’InVS depuis quelques années concernent les poussières de farine, les poussières de céréales, les poussières de cuir et les poussières de ciment. Des matrices sur les solvants, et en particulier les solvants pétroliers, ainsi que les fibres minérales artificielles, les poussières de silice et les poussières de charbon sont en cours de finalisation.
Une matrice amiante historisée existe et avait été élaborée pour les besoins d’études antérieures. Bien que comprenant un nombre important de combinaisons profession/secteur d’activité, elle n’est pas exhaustive et son extension est en cours de réalisation.
Sur la base de la matrice existante, des estimations de la prévalence en population générale des expositions à l’amiante ont été réalisées par croisement avec un échantillon d’histoires professionnelles représentatif de la population française.
L’échantillon utilisé est la concaténation des fichiers de témoins d’une quinzaine d’études cas-témoins. Ces données ont été fournies par de nombreuses équipes de l’Inserm et de l’InVS. Pour chaque sujet de l’échantillon, l’année de naissance ainsi que l’histoire professionnelle complète sont renseignées. L’histoire professionnelle inclut l’ensemble des professions et des secteurs d’activité (respectivement codés avec les nomenclatures internationales CITP1 et CITI2 ) ainsi que les dates de début et fin de chaque emploi. L’échantillon comporte 7 235 hommes soit environ 260 000 emplois années.
Pour chaque sujet de l’échantillon et chaque emploi occupé, la probabilité d’exposition professionnelle à l’amiante a été reconstituée par croisement de l’histoire professionnelle avec une matrice emplois-expositions construite antérieurement pour les besoins d’autres études et applicable à la population générale.
À partir des probabilités d’exposition, les expositions effectivement survenues ont été simulées. Pour ce faire, 1 000 simulations ont été réalisées, constituant autant de scénarii fictifs.
Pour chacun de ces scénarii, les proportions d’exposés à l’amiante ont été calculées par année et par classe d’âge, puis finalement une proportion moyenne d’exposés par année et par âge (ainsi que les intervalles de confiance à 95 %).

Base de données Colchic

La base de données Colchic (Collecte des données recueillies par les laboratoires de chimie de l’INRS et des Cram) est un système de collecte des mesures d’exposition professionnelle mis en place en 1987 à l’instigation de la Caisse nationale d’assurance maladie et des travailleurs salariés (Cnamts). Elle rassemble les données provenant des 8 laboratoires inter-régionaux de chimie (LIC) des Caisses régionales d’assurance maladie (Cram) et des laboratoires de l’INRS. Les objectifs initiaux de cette base étaient d’archiver les résultats des analyses effectuées par les LIC, d’harmoniser les méthodes de mesure et de créer une base de données nationale sur les expositions professionnelles. Les données collectées concernent les éléments relatifs aux interventions de ces laboratoires dans un établissement et plus particulièrement les coordonnées administratives de l’établissement (région, branche d’activités, la description des postes de travail où sont effectués les prélèvements, les conditions de réalisation des mesures (volume, durée, méthode, type de prélèvements…), les conditions analytiques et les résultats. Il est important de noter que toutes les techniques de prélèvements répondent à des critères de normalisation ou à des références élaborées par les LIC et l’INRS.
Les interventions des LIC et de l’INRS sont très généralement effectuées à la demande des établissements de prévention du Régime Général, que cela soit les services de prévention des risques professionnels des Cram eux-mêmes, ou des services de médecine du travail, des entreprises ou des CHSCT (Comités d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail), ou enfin dans le cadre d’études spécifiques, menées par l’INRS par exemple. De ce fait, les mesures répondent à des objectifs différents qui peuvent être la vérification de situations d’expositions professionnelles par rapport à la réglementation, la nécessité de documenter des situations où des effets sur la santé ont été mis en évidence, ou bien où une exposition est seulement possible. Les études systématiques de postes de travail représentent un motif relativement peu fréquent de prélèvements. De plus, dans le système informatique d’enregistrements mis en place, les données relatives aux métiers ne pouvaient être saisies. Il ressort de ces éléments, tant sur le plan de l’origine des demandes que leurs motifs, que la base Colchic n’est habituellement pas considérée comme une base représentative des expositions professionnelles en France.
Si initialement, les interrogations de la base émanaient surtout des LIC, soit dans le but de prendre connaissance des méthodes de prélèvements utilisés dans telle ou telle circonstance, ou encore d’avoir une représentation des niveaux observés dans certaines utilisations industrielles, on assiste depuis quelques années à une utilisation plus systématique et plus large des données de la base Colchic. À ce titre, plusieurs exploitations des données concernant des produits particuliers ont été publiées ces dernières années répondant à des interrogations sur l’utilisation et les niveaux rencontrés pour un produit donné. Ce type d’analyses a été effectué pour d’autres produits cancérogènes ou suspectés de l’être (plomb, éthers de glycols, amines aromatiques, béryllium) dans différents cadres (inventaires des expositions, expertise collective). C’est le cas par exemple du formaldéhyde qui a donné lieu à une étude complète suite au classement par le Circ de cette substance en cancérogène de classe I. Portant sur 8 811 prélèvements effectués en milieu de travail, il a été ainsi possible de produire un panorama complet de l’utilisation de cette substance, en termes de branches d’activités, de professions exposées et de niveaux d’expositions. Le recul de la base de données (1987-2005) a également permis de documenter dans ce cas précis la diminution des niveaux d’expositions au cours du temps dans les différentes branches industrielles.
Plus récemment, est intervenue une modification du système de codification des informations archivées dans Colchic permettant de mieux caractériser les catégories de produits ou de procédés à l’origine de l’exposition avec les métiers, postes de travail et gestes techniques. Cette évolution (base Colchic II) est en effet indispensable à une meilleure caractérisation des expositions. L’exploitation des données en partant des branches industrielles ou des produits a également permis de mettre en place des matrices emplois-expositions sur les solvants (Solvex) ou le bois (Woodex) et plus récemment sur les fibres (Fibrex) accessibles via le site de l’INRS. Enfin, des études plus systématiques sont mises en place dans un but de renforcer la représentativité de la base vis-à-vis de certaines substances d’intérêt.
La base de données Colchic constitue donc en France une source unique de données sur les expositions professionnelles, permettant de disposer de données historiques, répondant à des critères de validité des conditions de prélèvements et d’analyses, et couvrant un large champ de substances ou de branches industrielles. La faible représentativité des données collectées, due aux modes de sollicitations des LIC et de l’INRS constitue certes une limite de l’utilisation de cette base. Les efforts actuellement en cours pour améliorer cette représentativité ne pourront que renforcer dans un proche avenir l’utilisation des données Colchic dans l’évaluation des expositions professionnelles en France.

Autres sources

Une enquête sur l’utilisation de produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction a été réalisée en France en 2005 à la demande du ministère du Travail et de l’Emploi. Les résultats ont été mis à disposition par l’INRS fin 2007 sur son site web sous la forme d’une base de données interactive. Il est ainsi possible d’obtenir, pour un agent donné, des informations sur les quantités produites, exportées ou importées, les secteurs d’utilisation et des estimations du nombre de salariés exposés en France3 (Base CMR INRS 2007).

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