Mécanismes généraux de toxicité

2008


→ Aller vers ANALYSE
Principaux constats et propositions
L’examen des mécanismes d’action des cancérogènes chimiques et physiques permet de dégager quelques points communs. En effet, l’exposition à ces composés provoque au niveau de la cellule et de l’organisme un stress qui comporte une réponse adaptative spécifique et une réponse adaptative générale.
Parmi les réponses spécifiques, on peut citer l’activation de la réparation de l’ADN par les génotoxiques et l’induction du métabolisme des xénobiotiques par les composés chimiques. Il est à noter que cette réaction adaptative est globalement bénéfique à l’échelle de l’organisme mais peut comporter une composante toxique. Ainsi, certains métabolites des xénobiotiques sont extrêmement toxiques. Certaines réponses cellulaires sont assez générales et sont retrouvées pour de nombreuses substances exogènes : il en est ainsi de l’induction de l’apoptose, de la réaction inflammatoire et du stress oxydant. Dans tous les exemples cités précédemment, une augmentation des espèces réactives de l’oxygène (ERO) a été soulignée. Ceci ne veut pas dire que le stress oxydant constitue le mécanisme unique ou même un mécanisme essentiel de cancérogénicité. Il pourrait simplement constituer un cofacteur jouant un rôle adaptatif et néfaste dont l’importance peut dépendre de la nature de chaque substance.
Enfin, il existe des mécanismes propres à chaque substance cancérogène qui sont sans doute essentiels pour expliquer les caractéristiques spécifiques de leur cancérogénicité, notamment la sélectivité tissulaire.
L’examen des différents mécanismes d’action révèle également que de nombreux composés exercent à la fois des effets génotoxiques (directs ou indirects) et des effets non génotoxiques. Il en est ainsi du benzène et de ses métabolites, de l’irradiation et de la dioxine qui outre ses effets sur la signalisation cellulaire, provoque un stress oxydant lui-même à l’origine de génotoxicité. Par ailleurs, alors que les efforts passés ont été consacrés à l’étude des effets des toxiques de l’environnement sur l’initiation et la promotion des cancers, des travaux récents s’intéressent aux effets de ces composés sur la progression des tumeurs, notamment leurs propriétés invasives et leur capacité à métastaser.

Utilité et difficultés de la toxicologie mécanistique

L’objectif des travaux dans le domaine environnement-santé est d’établir une relation entre un facteur environnemental et l’apparition ou l’aggravation d’un cancer. Des études épidémiologiques sont nécessaires et peuvent se focaliser dans un premier temps sur des populations particulièrement exposées que ce soit pour des raisons professionnelles, accidentelles ou géographiques. La difficulté est par la suite de généraliser la notion de risque à la population générale exposée à de faibles doses.
Pour établir de telles relations, une difficulté majeure consiste à identifier et à mesurer l’exposition. Cette exposition ayant pu se produire des années auparavant, il s’agit de pouvoir obtenir une quantification fiable de cette exposition. Il peut s’agir de quantités résiduelles d’un composé chimique ou d’un effet biologique persistant. Cette étape est difficile et fragilise nombre de travaux.
Par ailleurs, la toxicité rapportée peut être due à des mélanges de composés, et il n’est pas aisé de savoir quel est le composé (ou le groupe de composés) responsable de l’effet.
Il est ainsi nécessaire d’établir la vraisemblance biologique d’un effet cancérogène, dans le but de définir le véritable risque engendré. La contribution de la toxicologie n’est pas équivalente dans toutes les études, mais elle est incontournable lorsque les critères d’ordre épidémiologique ne sont pas suffisamment puissants.
La toxicologie et la mise en évidence des mécanismes d’action des substances toxiques exogènes jouent également un rôle important pour la recherche de marqueurs d’exposition, pour les travaux de prédiction d’un effet toxique, et interviennent dans un objectif de prévention. Dans ce cadre, une bonne connaissance des mécanismes d’action a un rôle économique pour permettre aux industriels d’éviter de diffuser des composés potentiellement dangereux.
En résumé, l’abord mécanistique permet :
• l’établissement de la vraisemblance biologique de la relation cause-effet ;
• une démarche de toxicologie prédictive ;
• une approche préventive en santé publique ;
• l’apport d’un intérêt économique certain pour les industriels.
Des travaux sur les mécanismes d’action d’un polluant ou d’un facteur de l’environnement sont conduits dans des systèmes modèles. Les études chez l’animal sont souvent utilisées mais leur pertinence par rapport à la situation chez l’homme est parfois mise en cause ou non établie. Dans le domaine de la pathologie tumorale, des manipulations génétiques permettent de modéliser les cancers. Des modèles ex vivo ou in vitro provenant d’échantillons humains sont utilisés mais critiqués puisque, justement, ce ne sont pas des études sur organismes entiers. Toutefois, leur intérêt est réel, en raison de leurs apports sur la connaissance des mécanismes de cancérogenèse. Il est souvent nécessaire de disposer d’un faisceau d’arguments pour conforter la relation entre les propriétés biologiques d’un facteur de l’environnement et son rôle dans l’apparition des cancers. Il faut cependant souligner que la connaissance du mode d’action permet de mieux savoir si des observations faites chez l’animal sont transposables à l’homme.

Questions et défis à venir de la toxicologie expérimentale

Les questions qui ont été abordées jusqu’ici nous ont enseigné que pour étudier le mode d’action de polluants, à l’aide de systèmes cellulaires ou avec des animaux, ou pour étudier leurs interactions avec les composés du milieu biologique, il est indispensable de disposer d’échantillons bien caractérisés aux plans physique, chimique et physico-chimique. Il est également nécessaire de connaître leur lien avec les polluants présents dans l’environnement, car les traitements destinés à produire des échantillons pour les expérimentations sont susceptibles de les modifier. Cela nécessite la collaboration avec des chercheurs appartenant à différentes disciplines, tant dans le domaine de la physique ou de la chimie que dans les sciences biologiques.
Les effets des expositions chroniques à de faibles doses de polluants demeurent un problème non résolu de même que les effets des mélanges puisque la plupart des contaminations sont multiples. Nous savons peu de choses sur les effets de mélanges, et sur les interactions entre les modes d’action (synergie, opposition, indépendance). Ceci est crucial pour certains contaminants qui sont souvent associés (pesticides et dioxines) ou de contaminants associés à des particules (constituants de particules atmosphériques). Enfin, il semble que de nombreux polluants ont des effets multiples et il est nécessaire d’envisager l’ensemble des mécanismes possibles (exemple du cadmium qui est aussi un perturbateur endocrinien). Des travaux récents indiquent que même lorsque différents polluants ont le même récepteur, leurs effets peuvent diverger dans la mesure où le mode d’activation du récepteur dépend de la nature et de la concentration du ligand.
Les développements industriels et agricoles font constamment apparaître de nouveaux composés. Il est essentiel de pouvoir étudier les effets de ces composés sur l’homme et les mécanismes éventuels de leur toxicité. Idéalement, on devrait pouvoir prédire cette toxicité. Ainsi, les nano-matériaux, les retardateurs de flamme, certains composés phytosanitaires provoquent des inquiétudes qui peuvent être confirmées ou levées par des analyses scientifiquement validées.
La détermination des mécanismes d’action des cancérogènes pourra bénéficier d’un ensemble de technologies :
• approches classiques d’étude de l’absorption, distribution et métabolisme des toxiques ;
• utilisation de modèles biologiques cellulaires ou animaux, notamment les « animaux humanisés » qui devraient être plus représentatifs de la situation humaine ;
• travaux sur de grandes cohortes de patients notamment pour des études exploitables d’interaction gènes-environnement ;
• biologie structurale qui permet de comprendre les interactions des polluants avec leurs cibles protéiques cellulaires ;
• techniques haut débit, génomique, protéomique, métabolomique qui permettent une analyse à grande échelle des effets moléculaires des cancérogènes potentiels ;
• biologie de systèmes qui permet d’intégrer ces informations dans un modèle mathématique global.
Ces approches sont complémentaires et devraient conduire à une vision plus intégrée des effets des polluants cancérogènes qui permettrait de répondre aux défis soulevés par la toxicologie prédictive.

Copyright © 2008 Inserm