Cancer de la thyroïde

2008


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Principaux constats et propositions
Les cancers différenciés de la thyroïde se développent à partir des cellules épithéliales thyroïdiennes (les thyrocytes) responsables de la synthèse et de la sécrétion des hormones thyroïdiennes. Ils se distinguent en carcinomes bien différenciés, carcinomes moyennement ou peu différenciés et carcinomes anaplasiques. Les carcinomes différenciés les plus répandus sont les cancers papillaires (environ 80 %) ; les cancers vésiculaires ou folliculaires bien différenciés sont formés de structures folliculaires isolées les unes des autres et stockant dans leur lumière la thyroglobuline (colloïde). Les microcancers (30 à 45 %) n’évoluent pas en général vers un cancer d’expression clinique.
Les réarrangements du récepteur de la tyrosine kinase (RET et TRK) constituent l’anomalie principale rencontrée dans les cancers papillaires de la thyroïde. Des aberrations du gène TP53 sont observées dans 20 à 30 % des cas de cancers peu différenciés, ce qui suggère la possibilité d’une transformation vers une forme anaplasique. Les anomalies rencontrées dans les cancers anaplasiques sont multiples en particulier sur tous les éléments du cycle cellulaire.
La synthèse des hormones fait appel à des réactions chimiques qui impliquent le peroxyde d’hydrogène (H2O2) et la thyroperoxydase, et aboutissent à la formation de radicaux libres. Il est tentant de mettre en parallèle les maladies auto-immunes et la tumorigenèse thyroïdienne avec le stress oxydatif inhérent à l’hormonosynthèse thyroïdienne.
La connaissance des mécanismes moléculaires et cellulaires impliqués dans la fonction thyroïdienne permet de faire des hypothèses quant aux processus possibles d’installation d’un cancer. Le stockage de l’iode sous forme de résidus iodotyrosyles et l’agrégation de la thyroglobuline iodée nécessitent la formation de radicaux libres et d’espèces réactives de l’oxygène. Un excès d’iodures entraîne un risque accru de cancer. À l’inverse, la carence en iode produit une sécrétion excessive de TSH, donc une stimulation des processus d’hormonosynthèse et une prolifération anormale de la glande.

Augmentation de l’incidence

Le cancer de la thyroïde est un cancer relativement rare. Il est environ 2 à 3 fois plus fréquent chez la femme que chez l’homme. En France, avec 3 711 nouveaux cas estimés en 2000 dont 78 % survenant chez la femme, le cancer thyroïdien représente 1 % de l’ensemble des nouveaux cas de cancer et se situe au 17e rang chez l’homme et au 10e rang chez la femme. Les taux d’incidence standardisés sont de 2,2 chez l’homme et de 7,5/100 000 chez la femme.
À travers le monde, on observe, sur les vingt dernières années, une augmentation de l’incidence des cancers de la thyroïde. En France, entre 1980 et 2000, cette incidence a augmenté en moyenne annuellement de près de 3 % chez l’homme et de près de 5 % chez la femme, soit 170 nouveaux cas supplémentaires par an. Cette augmentation concerne essentiellement le cancer papillaire. Il augmente de 8 % et 9 % par an respectivement chez l’homme et chez la femme sur cette période.
L’évolution de l’incidence peut correspondre à une augmentation réelle du nombre de nouveaux cancers de la thyroïde. Mais, il ne faut pas négliger la découverte de cas jusque là ignorés, grâce à l’éducation du corps médical et du public, concourant à des examens plus exhaustifs de la thyroïde, notamment par l’échographie et la cytoponction thyroïdienne.
En 2004, on a dénombré 417 décès par cancer de la thyroïde pour l’ensemble de la population métropolitaine. La part de ces décès dans la mortalité générale est très faible. Les taux de décès standardisés par âge ont fortement diminué entre 1974 et 1994 et ceci quel que soit le sexe et l’âge.

Facteur de risque reconnu : les rayonnements ionisants

La relation entre rayonnements ionisants et risque de cancer de la thyroïde a été mise en évidence par de nombreuses études épidémiologiques. Le suivi de la population irradiée lors des bombardements de Hiroshima et Nagasaki et le suivi des patients soumis à des irradiations externes dans le cadre médical a permis de mettre en évidence une augmentation du risque de cancer de la thyroïde pour des doses de rayonnements ionisants relativement faibles, surtout en cas d’irradiation au cours de l’enfance. L’article le plus récent sur les irradiés de Hiroshima et Nagasaki, montre que dans le groupe ayant reçu une dose moyenne à la thyroïde < 100 mGy, le pourcentage de cancer de la thyroïde attribuable à l’irradiation est de 4 %. L’âge à l’exposition apparaît comme un facteur modificateur majeur du risque avec une tendance forte à la diminution du risque lorsque l’âge à l’exposition augmente.
L’accident de Tchernobyl a montré que l’irradiation interne par l’iode 131 au cours de l’enfance était responsable de cancers thyroïdiens radio-induits. Une étude cas-témoins réalisée sur des populations exposées avant 15 ans dans les zones les plus contaminées retrouvait pour une dose à 1 Gy un excès de risque relatif de 4,5 à 7,4 selon le modèle utilisé, pour des doses moyennes à la thyroïde variant de 40 mGy à 365 mGy, selon les régions étudiées.
En France, compte tenu de l’absence de signature histopathologique et moléculaire des cancers radio-induits de la thyroïde, et face à une exposition moyenne faible de la population française, il est difficile de préciser l’éventuelle responsabilité de contaminations dues aux retombées radioactives de l’accident de Tchernobyl. La mise en place d’une étude épidémiologique analytique rétrospective est un pas dans le bon sens, mais elle devra comprendre une reconstruction individuelle des doses reçues au moment de l’accident, difficile à mener de façon rétrospective, et nécessitant la collaboration de l’IRSN et de l’Inserm. Actuellement, pour Tchernobyl, comme pour les essais militaires, la biodosimétrie, bien qu’imparfaite, peut être un recours en cas de contestation juridique.
Chez les adultes, la relation n’est pas clairement démontrée, surtout pour des doses faibles. La relation dose-réponse généralement admise est une loi linéaire mais certains auteurs soutiennent l’existence d’un seuil. En cas de contamination interne, le statut iodé des personnes semble avoir un rôle important. Il semble également que, chez les sujets exposés aux rayonnements ionisants, les porteurs de l’allèle S pour l’exon 11 du gène RET soient plus à risque de cancer thyroïdien.

Recommandations

L’utilisation en gestion de risque d’un seuil pratique à 100 mSv est actuellement un sujet de débat non résolu entre les partisans de ce seuil et les partisans d’une relation linéaire entre la dose absorbée et l’apparition de radiocancers chez l’homme. Schématiquement, les tenants du seuil reprochent aux études épidémiologiques des extrapolations des risques mesurés vers les faibles doses, incapables d’affirmer la linéarité du risque. Les partisans d’une extrapolation linéaire, voire dans certains cas supralinéaire, ne jugent pas concluants les travaux de laboratoire suggérant la probabilité d’un seuil dû aux défenses de l’organisme vis-à-vis des faibles doses. Tous sont d’accord pour souhaiter de nouveaux travaux sur les risques encourus aux faibles doses. Les données récentes épidémiologiques ne permettent pas d’exclure une relation linéaire à des niveaux d’exposition plus faibles. Ce débat concerne cependant principalement l’irradiation des adultes. Dans le cas des enfants, et en particulier pour la thyroïde, les études épidémiologiques suggèrent très fortement une augmentation du risque pour des doses de rayonnements ionisants inférieures à 100 mSv. Il est donc souhaitable de poursuivre les travaux de recherche aussi bien en épidémiologie qu’en biologie moléculaire et génétique.
Même si des incertitudes persistent sur le risque de cancer de la thyroïde aux faibles doses d’irradiation, elles justifient pleinement une grande prudence en ce qui concerne la prévention des cancers radio-induits thyroïdiens. Chez l’enfant, le tissu thyroïdien est extrêmement sensible à la radiocancérogenèse et un éventuel seuil ne pourrait être que très bas. Une menace de contamination par l’iode 131 doit entraîner l’administration d’iodure stable chez le sujet jeune.
Toute irradiation de la thyroïde d’un sujet jeune dans le cadre d’examens diagnostiques (radiologie conventionnelle ou scanner) doit être justifiée cliniquement et une dose d’irradiation la plus faible possible doit être délivrée. Il est souhaitable que soit mis en place un fichier national des doses reçues par chaque individu aux principaux organes radiosensibles durant chaque examen radiologique, sur le modèle du fichier existant pour les travailleurs exposés aux rayonnements ionisants. Dans un premier temps, ce fichier pourra être limité aux enfants et aux adolescents.
À ce jour, il n’a pas été mis en évidence de facteur environnemental, autre que les rayonnements ionisants, lié de manière convaincante à une augmentation de risque de cancer de la thyroïde. Plusieurs pesticides sont des cancérogènes prouvés chez les rongeurs, mais les études épidémiologiques réellement informatives sont encore insuffisantes, et il n’est pas possible d’infirmer ou de confirmer chez l’homme les résultats obtenus chez l’animal. Dans cette optique, il est essentiel de poursuivre le suivi des grandes cohortes d’agriculteurs.
Enfin, l’incidence élevée des cancers thyroïdiens dans les îles, en particulier volcaniques, suggère un rôle des éléments, notamment des métaux, présents dans le sol de ces îles. Ces facteurs ont été très peu étudiés à ce jour, et il est important de développer les études les prenant en compte.
À côté de l’effet mutagène des radiations ionisantes, deux mécanismes majeurs sont susceptibles de favoriser l’expression cancéreuse des cellules épithéliales thyroïdiennes :
• la promotion par stimulation excessive de la thyroïde par la TSH ;
• la dégradation par surexpression du stress oxydatif nécessaire à la synthèse hormonale.
La solution pour contrecarrer ces mécanismes est le maintien de l’homéostasie thyroïdienne. Extrêmement simple dans son principe, elle n’est pas toujours facile à mettre en Ĺ“uvre. Elle nécessite avant tout un apport alimentaire en iode adéquat (adultes 100 mg/j, enfants 150 mg/j et femmes enceintes 200 mg/j). En France, pays qui correspond à une zone de carence relative en iode, cela nécessiterait une supplémentation iodée systématique de certains produits alimentaires de base (pain, eau).

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