Hémopathies malignes

2008


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Principaux constats et propositions
Les hémopathies malignes peuvent concerner le tissu myéloïde ou lymphoïde. Chez l’adulte, ce sont les leucémies chroniques qui sont les plus fréquentes. Chez l’enfant, ce sont les leucémies aiguës qui prédominent. L’évolution des connaissances au niveau moléculaire permet une meilleure définition des différentes entités. Cependant, ces connaissances sont encore trop récentes pour avoir été intégrées dans les données des différents registres généraux. Seuls des registres spécialisés permettent d’apporter des précisions sur l’évolution de l’incidence et de la mortalité des différentes hémopathies malignes.

Augmentation d’incidence des lymphomes non hodgkiniens

Les données disponibles font apparaître une augmentation isolée des taux d’incidence et de mortalité des lymphomes non hodgkiniens de l’adulte sur la période 1970-2000, qui ne paraît pas expliquée par des artefacts d’enregistrement. Toutefois, l’impact des modifications des méthodes de diagnostic, d’enregistrement et de classement reste difficile à quantifier. Un exemple extrême d’hétérogénéité spatiotemporelle de l’enregistrement en France est celui des leucémies lymphoïdes chroniques, classées avec les lymphomes lymphocytiques dans la classification internationale. Il s’agit en effet de pathologies souvent suivies en ambulatoire hors des centres hospitaliers et diversement accessibles d’un registre à l’autre. Toutefois, l’augmentation d’incidence observée ne repose pas sur cette catégorie de lymphomes.
L’incidence des leucémies et des lymphomes de l’enfant a été stable en France depuis 1990, et l’interprétation de l’augmentation d’incidence notée par certains pays pour des périodes plus anciennes est à confronter aux évolutions parfois importantes des conditions d’enregistrement.
Chez l’adulte comme chez l’enfant, on ne dispose que de très peu de données sur les hémopathies malignes dans les Dom/Tom.
Il existe des disparités d’incidence des hémopathies lymphoïdes entre pays. Certaines d’entre elles ont une origine connue, c’est le cas du sida pour les lymphomes de l’adulte ou de l’interaction entre paludisme et EBV pour les lymphomes de Burkitt africains. Dans le cas particulier des leucémies de l’enfant, majoritairement lymphoblastiques, l’incidence paraît plus élevée dans les pays les plus occidentalisés. Ce constat tend à suggérer que les infections banales de l’enfant (ayant diminué dans les pays industrialisés) pourraient avoir un effet protecteur.
Toutefois, ces sources de disparités à grande échelle restent l’exception et les données d’épidémiologie descriptive ne révèlent pas de structure spatiale ou temporelle évocatrice de facteurs de risque nouveaux.

Peu de facteurs de risque établis

En dehors des infections à EBV, Helicobacter pylori et HTLV1, dont le rôle dans l’apparition des hémopathies lymphoïdes est bien connu, l’un des principaux facteurs de risque établis, chez l’adulte comme chez l’enfant, est l’exposition aux radiations ionisantes à fortes doses. Les mesures de prévention permettent d’éviter la majorité des situations entraînant des expositions élevées. Néanmoins, la question d’un faible risque possiblement associé à l’exposition aux rayonnements d’origine naturelle à faible dose reste ouverte, en particulier pour les contaminations internes. En effet, si les données épidémiologiques actuelles ne permettent pas de mettre en évidence de risque aux faibles doses, elles ne permettent pas non plus de déterminer un seuil en dessous duquel le risque n’existe plus.
La prévention a également permis de contrôler le risque de leucémie lié au benzène en milieux professionnels et domestiques. Cependant, des expositions environnementales au benzène, dues à la pollution de l’air par les gaz d’échappement ou au tabagisme passif, pourraient induire une augmentation du risque d’hémopathies de l’enfant et de l’adulte, qui reste à évaluer et à quantifier.
Ces facteurs de risque reconnus concernent les leucémies, dont la prévalence n’a pas particulièrement augmenté au cours des trois dernières décennies. L’augmentation d’incidence des lymphomes non hodgkiniens non liés au sida ne peut pas leur être imputée.

Des facteurs de risque suspectés

Les dernières décennies ont produit une importante littérature épidémiologique sur les hémopathies malignes. Malgré la diversité des populations et l’hétérogénéité des définitions des expositions ou des hémopathies, plusieurs expositions de l’environnement général ou professionnel sont régulièrement retrouvées et pourraient constituer des facteurs de risque.
Ainsi, les expositions professionnelles aux pesticides et aux PCB ont été, de manière répétitive, mises en cause dans les lymphomes de l’adulte. L’implication des expositions professionnelles au formaldéhyde est également discutée dans les leucémies. Les difficultés liées à l’évaluation rétrospective des expositions professionnelles et le manque de données prospectives handicapent ces recherches et empêchent encore de porter des conclusions précises.
Les expositions résidentielles aux champs magnétiques à extrêmement basse fréquence et aux pesticides à usage domestique sont mises en cause dans les leucémies de l’enfant. Pour ces associations, la littérature, bien que discutée, est assez convergente. Le rôle du radon résidentiel est lui également évoqué. Le manque de données environnementales objectives constitue là aussi un frein à l’avancée des connaissances.
Le rôle du virus de l’hépatite C dans les lymphomes de l’adulte se confirme. Chez l’enfant, des arguments indirects suggèrent l’existence d’un ou plusieurs virus leucémogènes, à l’instar de nombreux modèles animaux, mais aucune piste précise ne peut être retenue.
Enfin, des facteurs de susceptibilité individuelle, dans la mesure où ils modulent la réponse de l’organisme aux agressions extérieures infectieuses, chimiques ou physiques, concourent vraisemblablement aux variations des risques environnementaux dans la population. Ils sont encore très peu explorés.
Il est intéressant de noter que pour que des facteurs de risque soient à même d’expliquer une augmentation d’incidence des lymphomes non hodgkiniens de l’adulte et, dans certains pays, des leucémies de l’enfant, il faudrait que leur prévalence soit suffisante et qu’elle ait augmenté sur la période concernée (étendue pour tenir compte des probables temps de latence). Aucun des facteurs de risque émergents ne semble remplir ces conditions.

Recommandations

L’enregistrement des hémopathies malignes doit encore être amélioré. D’importants progrès ont été faits au cours des toutes dernières années, et l’effort doit se poursuivre pour que l’exhaustivité de l’enregistrement et la classification des cas soient le plus possible homogènes au sein du réseau Francim, en s’appuyant sur les registres spécialisés en hématologie. L’amélioration, selon ces critères, de l’enregistrement en Dom/Tom est indispensable.
La connaissance des populations exposées à des facteurs de risque suspectés reste insuffisante. Des bases de données nationales bien construites font vraiment défaut dans le domaine des risques environnementaux. C’est le cas par exemple des expositions aux radiations ionisantes naturelles, qu’il serait important de mesurer de façon systématique avec une densité de points suffisante, ou encore du trafic automobile, indicateur indirect de la pollution par les gaz d’échappement, dont il n’existe pas de base centralisée. Des annuaires historisés des entreprises potentiellement polluantes sont également nécessaires, notamment pour les études fondées sur des systèmes d’information géographiques. Des bases de données historisées s’imposent également dans le cas des expositions professionnelles.
La recherche sur les facteurs de risque environnementaux est un objectif majeur. Elle doit se faire à grande échelle, avec des données cytologiques et histologiques relues et précises de façon à réduire le risque d’agréger des pathologies distinctes sur le plan étiologique. L’utilisation de tumorothèque permettrait d’utiliser des critères de génomique tumorale peut-être plus appropriés pour le classement des cas.
La recherche doit pouvoir utiliser autant que possible des données objectives d’exposition, d’où l’importance des bases de données environnementales évoquées plus haut. Des marqueurs d’exposition peuvent être envisagés dans un nombre limité de cas (PCB, dioxines, organochlorés, sérologies, marqueurs viraux par exemple). Toutefois, pour que cette mesure ait du sens, elle doit représenter l’exposition d’une période pertinente, c’est-à-dire ni trop ancienne, ni trop récente par rapport aux temps d’induction et de latence du cancer, et ne pas avoir été altérée par la maladie.
L’étude des facteurs constitutionnels de sensibilité aux facteurs environnementaux est également un objectif important, ce qui suppose d’identifier des profils contrastés à partir d’ensembles pertinents de polymorphismes, et de modéliser de façon adéquate les interactions au sein de ces polymorphismes d’une part et entre ces polymorphismes et les facteurs environnementaux d’autre part. Beaucoup de recherche reste à faire dans ce domaine, l’essentiel des travaux sur ces facteurs étant à l’heure actuelle limité aux seuls liens gènes-hémopathies.
Enfin, compte tenu du nombre et de l’intrication des pistes de recherche sur les facteurs de risque environnementaux d’hémopathies malignes, les soutiens financiers doivent éviter une programmation trop étroite et à trop court terme de la recherche et privilégier des critères d’excellence scientifique.

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