Cancer du sein

2008


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Principaux constats et propositions
Classiquement on distingue les cancers in situ et les cancers infiltrants. Les cancers in situ correspondent à une prolifération de cellules malignes sans rupture de la membrane basale, donc ne comportant pas de risque théorique d’envahissement ganglionnaire. Les carcinomes canalaires in situ sont les plus fréquents, représentant 15 à 20 % des cancers du sein. Dans les carcinomes infiltrants, la prolifération tumorale dépasse la membrane basale et envahit le conjonctif palléal. La grande majorité des cancers infiltrants sont de type canalaire.
Jusqu’à la fin des années 1990, seules les données histologiques et cliniques permettaient de classer les différents types de cancer du sein. Plus récemment, l’utilisation de techniques génomiques à haut débit comme les puces à ADN a permis d’y ajouter une caractérisation moléculaire et de confirmer à ce niveau l’hétérogénéité de la maladie. Cinq sous-types majeurs exclusifs de cancers du sein ont été identifiés sur la base de l’expression transcriptionnelle d’environ 500 gènes : luminal A, luminal B, basal, ERBB2 et normal. Elle permet de dégager des groupes de pronostic différent. Les avancées moléculaires et cellulaires, conjointes et cohérentes, font progresser notre connaissance de l’oncogenèse mammaire.

Augmentation de l’incidence

Au niveau mondial, européen et français, le cancer du sein se situe au 1er rang de tous les cancers de la femme. En France, son incidence est en hausse constante depuis 25 ans : le nombre de nouveaux cas a plus que doublé, passant de 21 704 à 49 814 entre 1989 et 2005. Le taux d’incidence standardisé sur l’âge a presque doublé sur cette période passant de 56,8 à 101,5 pour 100 000 femmes. Si l’augmentation observée au cours des dernières décennies peut être en partie attribuée au développement du dépistage dans les pays industrialisés, la part liée à chacun des facteurs de risque connus ou suspectés est mal définie.
Le cancer du sein constitue une des principales causes des décès féminins, derrière les maladies cérébro-vasculaires et les cardiopathies ischémiques. Le nombre annuel de décès par cancer du sein a augmenté de 40 % en trente ans, principalement sur les deux premières décennies alors que les effectifs de décès ont eu tendance à stagner au cours de la période la plus récente (1994-2004). Les taux de décès standardisés sur l’âge sur l’ensemble de la période sont restés très stables. Ce contraste entre l’augmentation des effectifs de décès et la stagnation des taux de décès sur les 30 dernières années s’explique essentiellement par le vieillissement de la population féminine au cours de cette période. On note également des disparités géographiques importantes. À l’exception des départements de la Meuse et de la Moselle, toute la moitié nord du pays a une mortalité élevée (selon une transversale allant de La Rochelle à Bourg en Bresse). La moitié sud-ouest de la France est à faible mortalité.

Risques liés aux gènes de prédisposition et de susceptibilité

Les mutations sur les gènes BCRA1 et BRCA2, qui entraînent des risques extrêmement élevés de cancer du sein, sont rares et ne permettent d’expliquer qu’une faible proportion des cancers du sein d’origine familiale. Certains polymorphismes génétiques (appelés SNP pour Single Nucleotide Polymorphism) sont à l’inverse relativement fréquents dans la population (> 1 %) et pourraient être associés à un risque accru de cancer. Toutefois, le risque de cancer du sein associé à chacun de ces SNP, s’il existe, est faible, et leur rôle est difficile à mettre en évidence lorsqu’ils sont étudiés séparément. On s’est particulièrement intéressé aux polymorphismes sur des gènes dits « candidats » tels que les gènes codant pour les enzymes de phase I et II, qui jouent un rôle important dans le métabolisme des cancérogènes, et sont impliquées dans le métabolisme hormonal. Les résultats ne sont pas consistants d’une étude à l’autre. Le développement des techniques de puces à ADN permet dorénavant de balayer l’ensemble du génome humain et de prendre en compte un grand nombre de SNP simultanément. Cette technique est prometteuse et a permis récemment d’identifier certains gènes (par exemple le gène FGFR2) comme étant associés à un risque accru de cancer du sein. De nombreux autres gènes à faible pénétrance restent encore à découvrir.

Un facteur de risque reconnu

Le sein est l’un des organes les plus radiosensibles, et les radiations ionisantes constituent le seul facteur de risque environnemental établi du cancer du sein. Après irradiation unique et instantanée, comme à Hiroshima et Nagasaki, le cancer du sein est le plus fréquent des cancers radio-induits.
Les examens diagnostiques thoraciques répétés chez les jeunes filles augmentent le risque de cancer du sein chez les femmes jeunes pour des doses cumulées de 130 mGy. D’une manière générale, la radiothérapie pour pathologie maligne, ainsi que les examens radiodiagnostiques répétés peuvent conduire à une augmentation du risque de cancer du sein, que ce soit dans l’enfance ou à l’âge adulte. La réduction de débit de dose ou le fractionnement de la dose ne réduit pas le risque, pour une même dose totale. En revanche, le risque diminue fortement avec l’âge à l’exposition. À l’exception d’une seule d’entre elles, toutes les études épidémiologiques ont conclu à une absence ou à un très faible risque si l’exposition aux rayonnements ionisants a lieu à l’âge de 40 ans ou après. À ce jour, aucune relation entre la dose de rayonnements ionisants et le risque de cancer du sein n’a pu être mise en évidence chez les personnels navigants, ni chez les femmes travaillant dans les installations nucléaires de base. Des études doivent être poursuivies pour savoir si les antécédents familiaux de cancer du sein ou d’hyperplasie sont des facteurs de susceptibilité accrue aux radiations.

Des facteurs de risque suspectés

Les principales causes environnementales suspectées dans le cancer du sein chez la femme incluent les composés chimiques ayant des effets œstrogéno-mimétiques connus sous le nom de perturbateurs endocriniens ou xénoestrogènes (pesticides organochlorés, PCB, dioxines), différents composés chimiques reconnus comme des cancérogènes mammaires chez l’animal, ou certains agents physiques.
Les composés organochlorés (principalement DDT et DDE) sont des facteurs de risque possibles du cancer du sein du fait de leurs propriétés œstrogéno-mimétiques, mises en évidence à partir de tests de laboratoire. Bien que les résultats des études épidémiologiques indiquent globalement que les DDT et DDE mesurés dans le sang ou dans les graisses ne sont pas liés au risque de cancer du sein, plusieurs auteurs ont étudié cette association selon que la tumeur présentait ou non des récepteurs aux œstrogènes ou pas ou bien en stratifiant selon le groupe ethnique, le statut ménopausique, l’existence ou non de périodes d’allaitement, ou la présence de certains polymorphismes génétiques. En outre, les conclusions doivent être nuancées fortement selon la période où les prélèvements ont été pratiqués. Plusieurs études indiquent un lien avec le cancer du sein lorsque les mesures de DDT correspondent à des périodes de forte exposition, notamment lorsque ces expositions surviennent chez des femmes jeunes. Une étude rapporte également que le niveau élevé de DDT était associé à une augmentation significative de cancer du sein chez les femmes possédant l’allèle nul du gène GSTM1. Ces études sont aujourd’hui insuffisantes. Il est important dans les études futures de pouvoir distinguer les différentes formes de pesticides utilisés, d’évaluer les quantités utilisées, et de préciser les périodes d’emploi par rapport aux différentes phases de développement de la glande mammaire.
Les PCB (Polychlorobiphényles), une famille de composés chimiques de synthèse, proche de la famille des dioxines, ont été utilisés depuis les années 1930 jusque dans les années 1970. Ces molécules sont très peu biodégradables et très solubles dans les huiles et dans les graisses végétales ou animales. Des niveaux élevés sont observés dans le lait maternel. Les études épidémiologiques montrent des associations faibles ou inexistantes avec les PCB dosés dans le sang ou dans la graisse. Des études récentes se sont intéressées à l’effet d’un polymorphisme génétique du gène CYP1A1, dont l’expression est induite par les PCB et qui intervient dans le métabolisme des hormones stéroïdes. Quatre études ont ainsi rapporté un risque de cancer du sein en relation avec les PCB plus élevé chez les femmes possédant le variant m2 sur le CYP1A1 (substitution de l’isoleucine par la valine) que chez les femmes ne possédant pas ce polymorphisme. Ces résultats doivent être confirmés par des études ultérieures de plus grande taille.
En ce qui concerne les dioxines, les résultats de l’étude portant sur la cohorte des femmes exposées lors de l’accident de Seveso vont dans le sens d’un effet cancérogène de la TCDD, et confortent les résultats obtenus sur des modèles animaux. De nouvelles investigations sont nécessaires pour étudier les interactions gènes-environnement ou les interactions entre perturbateurs endocriniens.
Les données épidémiologiques actuelles sur les perturbateurs endocriniens d’origine environnementale sont donc peu concluantes. La mesure de l’exposition au cours des périodes pertinentes sur le plan étiologique constitue une difficulté majeure dans ces études.
Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) tels que le benzo(a) pyrène sont des cancérogènes mammaires reconnus chez l’animal. Les sources d’exposition en population sont multiples et comprennent la fumée de tabac, la pollution atmosphérique, les gaz d’échappement automobile, et l’alimentation (aliments grillés et fumés). Quelques études épidémiologiques ont étudié les liens avec le cancer du sein soit à partir de mesures biologiques des adduits d’HAP à l’ADN, soit à partir d’évaluations des expositions professionnelles. Les résultats d’un très petit nombre d’études tendent à montrer l’existence d’un lien entre les HAP et le cancer du sein, notamment chez les sujets ayant des polymorphismes génétiques conduisant à une diminution de la capacité de réparation de l’ADN. Des recherches plus approfondies sont toutefois indispensables.
Concernant le tabac, lorsqu’une attention particulière est portée à la qualité de l’enregistrement de l’exposition au tabac passif (vérification que les sujets témoins ne sont pas exposés au tabac passif), ce qui a été fait dans une méta-analyse réalisée en 2005, on trouve un risque augmenté associé au tabac actif et passif. Des études récentes ont suggéré une augmentation du risque chez les fumeuses, en particulier si l’exposition était longue, ou avant une première grossesse, laissant penser que l’effet du tabac, à la fois cancérogène et anti-œstrogénique, pourrait varier au cours de la vie et selon le début de l’exposition. Le niveau de risque associé au tabac passif est assez faible, et seulement légèrement inférieur au niveau de risque associé au tabac actif. L’exposition au tabac passif semble augmenter davantage le risque de cancer avant la ménopause qu’après la ménopause. Le tabagisme passif (conjoint, exposition à long terme) pourrait être à l’origine d’un risque accru en particulier s’il existe un polymorphisme de CYP1A1 (risque dû au métabolisme du xénobiotique) ou de CYP1B1 (risque dû au 4-CE génotoxique). Des études de cohorte avec un recueil complet de l’exposition au tabac passif (à la fois dans l’enfance, à la maison et au travail) s’avèrent nécessaires.
L’exposition aux solvants est fréquente en milieu de travail et peut toucher une large frange de la population féminine. L’étude des expositions en milieu de travail constitue donc une approche pertinente pour étudier les liens entre solvants et cancer du sein. Les résultats suggèrent un effet de l’exposition aux solvants sur le risque de cancer du sein mais la méthode d’évaluation des expositions est relativement grossière. Les études doivent évaluer plus finement l’exposition, en distinguant si possible les différentes familles de solvants.
Les études portant sur les expositions aux champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence sont globalement négatives.
Des recherches récentes ont étudié les effets du dérèglement du rythme circadien entraînant des modifications hormonales susceptibles de favoriser le développement des cancers du sein. Les études réalisées montrent notamment des associations significatives avec le travail de nuit, assorties d’une relation dose-effet avec la fréquence et le nombre d’années de travail de nuit. Cette voie de recherche est prometteuse et doit être poursuivie.

Des méthodes d’évaluation de l’exposition insuffisantes

L’insuffisance des méthodes d’évaluation des expositions aux facteurs environnementaux constitue un problème majeur pour l’interprétation des résultats, notamment lorsque ceux-ci sont négatifs, car les erreurs de classement non différentiels, affectant de la même manière les cas et les témoins, sont vraisemblablement à l’origine d’un biais tendant généralement à ramener l’estimation du risque relatif vers l’unité. Les mesures d’exposition effectuées à des périodes non pertinentes sur le plan étiologique, constituent l’une des difficultés majeures pour la recherche des facteurs de risque des cancers du sein.

Recommandations

Les connaissances actuelles sur le risque de cancer du sein après exposition aux rayonnements ionisants, en particulier le risque associé aux examens radiologiques répétés, justifient de recommander la création d’un enregistrement national individualisé des doses reçues aux seins durant les examens radiologiques. Dans un permier temps, cet enregistrement pourra être limité aux enfants et adolescentes, avant d’être étendu aux jeunes adultes. Il est aussi recommandé d’intensifier les études épidémiologiques sur les conséquences à l’âge adulte des examens et de l’irradiation naturelle durant l’enfance.
Le rôle des autres facteurs environnementaux dans le cancer du sein est mal connu. Les études épidémiologiques disponibles sont généralement insuffisantes pour évaluer le lien entre le cancer du sein et de nombreuses expositions à des composés chimiques ou à des agents physiques. Cependant, les recherches effectuées au cours des dernières années ont permis de renforcer l’idée que les facteurs environnementaux ont un rôle à jouer dans les cancers du sein. Ces facteurs de risque pourraient être à l’origine d’un certain nombre de cancers du sein évitables, et il est donc crucial d’approfondir les recherches visant à les identifier et à quantifier leurs effets.
Les efforts de recherche pourraient porter à l’avenir sur :
• la mise au point de nouveaux biomarqueurs d’exposition, particulièrement sur des perturbateurs endocriniens jamais ou très peu étudiés jusqu’à présent ;
• le développement de nouvelles méthodes permettant d’évaluer de façon plus précise les expositions environnementales, par l’intermédiaire de systèmes d’information géographique notamment, ou professionnelles, par la mise au point de matrices emplois-expositions spécifiquement dédiées aux emplois féminins ;
• l’utilisation de données épidémiologiques issues de cohortes prospectives existantes, notamment celles qui permettent de pratiquer des dosages biologiques à partir de biothèques constituées avant l’apparition du cancer du sein ;
• la prise en compte dans les études épidémiologiques des périodes de vulnérabilité accrue des cellules mammaires aux cancérogènes, notamment la période in utero ou la puberté ;
• l’identification de marqueurs précoces de maladie permettant de raccourcir la durée de suivi des cohortes prospectives ;
• la poursuite de l’étude des interactions gènes-environnement. Ces recherches doivent être soigneusement réfléchies et programmées afin de cibler les interactions possibles entre certains gènes candidats et certaines expositions environnementales spécifiques. Dans ce cadre, il est important de développer des études permettant de disposer simultanément de données sur un grand nombre de SNP chez des cas et des témoins (utilisation de puces à ADN permettant de pratiquer un génotypage à grande échelle) et de données de qualité sur les expositions environnementales.

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