2008


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Recommandations
Les jeux de hasard et d’argent sont devenus un véritable phénomène de société. L’évolution importante de l’offre rend plus visible les dommages que ces jeux peuvent entraîner chez des personnes vulnérables. Dans ce contexte, la difficulté en termes de politique publique est de concilier le développement de jeux dont l’État perçoit des recettes, le respect et la liberté des joueurs, ainsi que la protection des personnes vulnérables. Le jeu problématique et le jeu pathologique ont des conséquences au plan individuel, familial et professionnel. Ils entraînent désarroi et souffrance chez les personnes concernées. Bien que nous ne disposions pas de données françaises, la fréquence des joueurs à problèmes (estimée dans d’autres pays) n’est probablement pas négligeable (1 à 3 % de la population générale selon les études). Il apparaît donc nécessaire de poursuivre la sensibilisation des pouvoirs publics et de former les professionnels de santé à la prise en charge des joueurs ayant un problème avec le jeu.
Le principe de développer un volet « santé publique » dans la politique du jeu est désormais acquis. Dans le plan « Addiction 2007-2011 » apparaît la notion de « jeu pathologique » et la nécessité d’une prise en charge spécifique.
Cependant, il paraît difficile d’isoler la question du jeu problématique et pathologique de l’ensemble des questions d’ordre économique, politique, sociale et éthique que posent les jeux de hasard et d’argent. La recherche d’une cohérence des politiques publiques est à souligner. Dans ce sens, la nécessité d’une « autorité unique de régulation » est soulignée par les rapports Trucy (2002, 2006).
Au plan de la santé publique, s’exprime la volonté de conjuguer actions médicales et sociétales, interventions individuelles et collectives. Ces actions doivent être définies selon les populations concernées et en fonction des différents niveaux de risque. De l’information de la population générale comme prévention universelle à la prise en charge des personnes ayant un problème avec le jeu, les différentes stratégies d’interventions doivent être complémentaires. Les structures qui, en France, ont acquis un savoir-faire devraient servir de support à une politique d’information et de formation des intervenants dans le cadre d’un plan d’action à moyen terme.
Une problématique aussi complexe justifie une recherche permanente interdisciplinaire incluant les sciences humaines et sociales. Les programmes doivent faire le lien entre recherche, actions et évaluation.
De nouvelles formes de jeux (jeux vidéo, jeux sur Internet) se développent très rapidement. Le caractère nocif d’une pratique excessive, en particulier chez les jeunes, suscite de sérieuses interrogations. Il serait utile de promouvoir des travaux sur ces nouveaux jeux et les conséquences liées à leur pratique.
Selon le rapport Trucy (2006) : « Pour assurer la promotion des études nécessaires sur les jeux, et pour promouvoir l’essentiel de la prévention de la dépendance, l’État se devrait de créer un fond particulier ».
Les recommandations élaborées dans le cadre de cette expertise doivent être considérées comme une première étape pour éclairer la décision publique. Leur mise en application devra s’appuyer sur une expertise opérationnelle réunissant les principaux acteurs concernés par le jeu (opérateurs, institutions, scientifiques, associations…).

Informer et prévenir

Une politique cohérente de prévention doit considérer plusieurs niveaux de risque et définir avec précision la population cible des actions : population générale, population à risque modéré, population à haut risque.

Promouvoir une information claire et objective sur les jeux de hasard et d’argent

La publicité massive concernant les jeux de hasard et d’argent constitue à l’évidence un facteur incitatif à la consommation de jeux. Désormais, toutes les catégories sociales sont concernées. L’accès facilité à certains types de jeu (machine à sous, Rapido, jeux de grattage…) permet aux catégories les plus économiquement vulnérables d’accéder aux comportements de jeu. Face à cette offre croissante de jeux, certains pays (Canada, Nouvelle-Zélande…) ont mis en place des politiques systématiques d’éducation des jeunes et d’information des adultes sur les risques éventuels d’une pratique excessive. Les actions en France peuvent s’inspirer largement des politiques mises en œuvre dans ces pays.
L’information doit porter en particulier sur les dommages liés au jeu lui-même (jeu à problèmes), sur les dommages sociaux, professionnels, familiaux (endettement, perte d’emploi, divorce…). Elle doit mettre clairement en avant le risque d’une addiction (jeu pathologique) définie par une perte de contrôle de son comportement et le maintien de ce comportement en dépit de ses conséquences négatives. Elle doit souligner le caractère individuel des trajectoires des joueurs, avec la possibilité d’un renversement dans le comportement du joueur.
Le groupe d’experts recommande de promouvoir une information claire et objective, qui tienne compte des données scientifiques établies sur les comportements de jeu et leurs excès. Cette information qui pourrait être confiée à l’Inpes (Institut national de prévention et d’éducation à la santé) doit s’adresser aux différents publics qui pratiquent le jeu afin que toutes les générations se sentent concernées. Elle doit bien préciser les différences entre le jeu social récréatif, le jeu excessif/problématique défini à travers ses conséquences négatives et le jeu véritablement pathologique. Cette clarification devrait permettre à chacun de s’interroger sur son comportement face au jeu. Les actions d’informations peuvent se décliner sur différents supports et dans plusieurs médias.
L’amélioration technologique des jeux déjà existants (machines à sous, vidéo loteries, télévision interactive, jeux sur téléphone portable…) ouvre de nouvelles perspectives de marché d’autant plus que les jeux arrivent sur Internet au domicile du joueur ou sur son lieu de travail. Le jeu en ligne est plus facile, plus confortable car anonyme et solitaire, il échappe aux éventuelles mises en garde. Le groupe d’experts attire l’attention sur ces nouveaux risques liés au développement des jeux de hasard et d’argent sur Internet. Il recommande que ces sites comportent des liens vers des sites d’information sur les problèmes liés aux jeux, sur des lieux vers lesquels les joueurs en difficulté pourraient se tourner.

Élaborer et évaluer un programme de formation pour les personnels en contact avec les joueurs

L’information des groupes considérés comme « à risques » paraît techniquement difficile à réaliser de manière directe. Il est cependant possible de développer la formation des opérateurs de jeu, des détaillants et des employés gravitant dans le monde du jeu. Certains opérateurs ont déjà pris des initiatives dans ce sens, mais elles ne sont ni coordonnées, ni évaluées, ni validées. Il est donc indispensable de pallier cette lacune.
Le groupe d’experts recommande de poursuivre les efforts de sensibilisation de l’ensemble des professionnels du jeu de hasard et d’argent, à la problématique du jeu excessif. Au-delà de cette sensibilisation, le groupe d’experts recommande d’instituer au niveau national un programme de formation coordonné à destination des différents milieux professionnels et poursuivant trois objectifs principaux : la connaissance des risques liés au jeu, le repérage des personnes en difficulté (par la reconnaissance des principaux signes) et l’apprentissage de comportements appropriés (prise de contact et orientation vers des dispositifs d’aide). Ce programme doit faire l’objet d’une évaluation indépendante.

Promouvoir les interventions préventives d’interdits de jeux

Le joueur de casino qui a pris conscience des effets nocifs de son comportement peut volontairement se faire inscrire par les autorités sur un fichier national recensant les « interdits de jeux ». Cette inscription le protège dans la mesure où il se voit refuser l’entrée au casino. Une fois le joueur présent dans un fichier, la décision est irrévocable pendant un délai de trois ans. Il n’existe pas de mesure équivalente pour les autres types de jeu.
Le groupe d’experts recommande de proposer des conditions d’auto-limitation et d’auto-interdiction de jeu s’inspirant de celles en vigueur dans les casinos pour les autres jeux de hasard et d’argent, y compris pour les jeux en ligne.
L’adhésion à un code de bonne conduite devrait être demandée aux éditeurs de jeu d’argent sur Internet. Cette démarche permettrait de contrôler un certain nombre de points : vérification de l’âge du joueur, paiement par cartes de crédit autorisé aux seuls joueurs majeurs, seuil limite de crédit, possibilité d’auto-exclusion et de demande d’aide, notes invitant les joueurs à contrôler leurs jeux, pages d’accueil avec logo du partenaire socialement responsable et lien vers ce partenaire, information sur les lieux pour obtenir de l’aide, obligation de confirmation après un pari pour laisser une chance au joueur de changer d’avis, pas d’encouragement à rejouer, restriction des modes d’entraînement et engagement au jeu responsable…

Prendre en charge les joueurs excessifs

Il importe de développer plusieurs lieux de repérage et de prise en charge de joueurs à problème : ce qui veut dire mieux repérer les joueurs problématiques ou pathologiques dans le système de soins non spécialisé ; optimiser l’offre de soins dans le secteur de l’addictologie ; élargir l’offre de soins en secteur psychiatrique ; articuler le dispositif de soins d’addictologie avec celui de la psychiatrie.

Mettre en place des systèmes d’aide et de soutien

Des systèmes d’auto-prise en charge reposant sur différents supports ont été expérimentés et évalués dans différents pays.
De nombreux dispositifs de conseils et de soins existent sur Internet tels que la thérapie « online », la cyberthérapie, la e-thérapie. L’anonymat, la facilité d’accès et le coût modeste de ces méthodes de prise en charge amoindrissent probablement les réticences à accéder aux soins.
Plusieurs pays ont développé des techniques s’appuyant sur une intervention brève comme un appel téléphonique. Ces méthodes ont montré une certaine efficacité pour contrôler les manifestations du jeu pathologique ou au moins du jeu problématique.
L’efficacité de ces interventions repose cependant sur un préalable important, à savoir la motivation au changement du joueur.
Le groupe d’experts recommande la diffusion de conseils (et d’adresses) à travers des brochures sur les lieux de jeux. Il préconise de développer une ligne d’écoute téléphonique nationale et publique ouverte aux joueurs en difficulté avec leur pratique de jeu (à la manière de ce qui existe déjà pour les consommations de substances psychoactives). Il insiste sur l’importance d’apporter aide et soutien (groupe de soutien) à l’entourage des joueurs qui est souvent en grande souffrance. Il souligne la nécessité d’évaluer les différents modes d’interventions brèves.

Mieux repérer les joueurs excessifs/problématiques dans les systèmes de soins

Les joueurs ayant un problème avec le jeu consultent peu de façon spontanée. Cependant, la majorité d’entre eux présentent d’autres troubles qui peuvent les amener à consulter. Il s’agit classiquement d’une autre addiction (tabac, alcool…), d’un trouble de l’humeur, de troubles anxieux, de troubles de la personnalité ou encore de tentatives de suicide.
Il est capital à l’occasion d’une consultation ou d’un soin en milieu spécialisé (psychiatrie ou addictologie) de repérer les personnes qui ont un problème avec le jeu afin de leur proposer une prise en charge adaptée tenant compte de l’ensemble de leurs problèmes de santé.
Le groupe d’experts recommande que les praticiens exerçant dans les services d’addictologie et les unités de psychiatrie détectent de manière systématique les conduites de jeu problématique.

Structurer l’offre de soins et de recherche

L’addiction aux jeux de hasard et d’argent présente certes des points communs avec les autres addictions (aux produits psychoactifs et aux autres addictions comportementales) mais présente quelques spécificités dont il est important de tenir compte dans l’offre de soins.
Dans le dispositif d’addictologie global (plan de prise en charge et prévention des addictions 2007-2011), la place des centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) doit être réaffirmée. Ces centres médico-sociaux de proximité doivent avoir acquis les compétences appropriées pour accueillir et accompagner des personnes présentant des problèmes d’addiction comportementale tels que le jeu problématique. Une intervention psychosociale doit permettre de limiter les dommages associés au jeu excessif.
Dans le dispositif hospitalier présentant l’offre de soins graduée en trois niveaux (I, II, III) selon le plan pour les addictions, des consultations spécialisées pour des joueurs problématiques doivent être ouvertes (au moins au sein des structures de niveau III).
Le groupe d’experts recommande d’installer dans chaque inter-région, un centre de référence universitaire, inscrit au sein d’une structure de niveau III, dévolu aux problèmes de jeu pathologique et impliquant des missions de soin, d’enseignement, de recherche et de formation.
Enfin, le groupe d’experts recommande de mettre en place une coordination de ces centres permettant de développer des approches cliniques et thérapeutiques coordonnées s’appuyant sur l’utilisation d’outils diagnostiques, de protocoles thérapeutiques et de procédures communes d’évaluation.

Développer des formations de thérapeutes pour la prise en charge des joueurs excessifs/problématiques et pathologiques

Pour améliorer la prise en charge des joueurs pathologiques, il semble important d’accroître le niveau de compétence des thérapeutes en addictologie et en psychiatrie sur le jeu pathologique. Il s’agit de consolider leurs connaissances sur le repérage, les critères diagnostiques, les comorbidités qui sont très fréquentes et les stratégies de prises en charge qui ont montré leur efficacité dans le jeu pathologique.
Le groupe d’experts recommande de former en premier lieu les équipes des centres possédant une compétence large et transversale en addictologie. Seraient sollicités dans ce contexte des formateurs ayant déjà une expertise importante dans le domaine tant au niveau national qu’international.
L’importance de l’association entre le jeu pathologique et les autres addictions justifie la mise en place de formation des intervenants en addictions au repérage et à la prise en charge du jeu pathologique. Il faudrait donc proposer dans un deuxième temps aux équipes qui le souhaitent (professionnels des centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie, consultations hospitalières…) une formation validée en mobilisant les ressources disponibles.
Des études étrangères récentes montrent que le médecin généraliste représente un partenaire majeur dans le repérage et la prise en charge des joueurs pathologiques, surtout chez ceux se plaignant de dépression et d’anxiété. Les patients disent que le médecin généraliste constitue pour eux la personne appropriée pour les aider et ils acceptent volontiers de remplir des auto-questionnaires pour le dépistage.
Le groupe d’experts recommande de proposer une formation aux intervenants de première ligne tels que les médecins généralistes, les intervenants en santé mentale (psychologues) et les travailleurs sociaux. Des programmes de courte durée (quelques jours au maximum) ont été expérimentés dans certains pays. Au-delà de ces formations, des ateliers de perfectionnement sont proposés par les promoteurs des programmes.

Développer des recherches

Pour adapter une politique de santé publique, il est indispensable de connaître la prévalence du jeu problématique et du jeu pathologique en France. En outre, des recherches pluridisciplinaires s’imposent pour appréhender l’ensemble des pratiques et socialisations ludiques contemporaines (intégrant les jeux en ligne et les jeux vidéo) et évaluer leurs conséquences individuelles et collectives, par exemple dans le cadre d’un observatoire des jeux. Il importe également de comprendre comment se définit l’addiction au jeu par rapport aux autres addictions déjà bien étudiées, ce qui est commun et ce qui est différent.

Promouvoir une enquête nationale de prévalence et des études associées

On ne connaît pas la prévalence du jeu problématique et du jeu pathologique en population générale en France. La France est presque un des seuls grands pays développés à ne pas avoir mis en œuvre ce type d’enquête qui permet de prendre la mesure du problème. Cette connaissance est indispensable à élaboration d’un plan d’action cohérent en santé publique.
Les études en population générale menées aux États-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Nord de l’Europe indiquent une prévalence vie du jeu pathologique autour de 1 % auquel on peut ajouter une prévalence de 2 % de joueurs problématiques ou excessifs. Il s’agit, dans une large majorité de cas, d’enquêtes spécifiquement centrées sur la question du jeu de hasard et d’argent. Parfois, cette problématique est abordée dans le cadre d’une investigation plus large sur une thématique santé mentale ou plus globalement santé. Cette approche apporte une plus-value intéressante car elle permet une analyse approfondie des liens entre les déterminants et caractéristiques individuels de santé et les comportements de jeu problématique.
Les enquêtes les plus récentes privilégient la « prévalence-année » à la « prévalence-vie » depuis que le caractère chronique du jeu pathologique est discuté.
Ces études font ressortir des facteurs associés à ces comportements qui sont globalement identiques à ceux déjà impliqués dans les autres comportements addictifs. Il y a un lien fort entre jeu pathologique, consommation de produits psychoactifs et présence de troubles psychiatriques.
Le groupe d’experts recommande de promouvoir une enquête de prévalence nationale s’appuyant sur le corpus d’expériences accumulées dans les autres pays. Il souligne l’intérêt d’articuler une telle démarche avec une approche abordant plus globalement les addictions et la santé mentale. Cette étude de prévalence devrait permettre de préciser les caractéristiques socio-démographiques et économiques des personnes les plus touchées.

Développer des études sur les nouveaux types de jeux

Les études portant sur l’addiction à Internet ou aux jeux vidéo (Playing) sont plus récentes (depuis le milieu des années 1990), en nombre limité et encore centrées sur les problèmes de concepts et de méthodes. Il est donc difficile en France comme ailleurs d’estimer l’ampleur du phénomène d’addiction à ces nouveaux types de jeux. Deux études en population générale chez les jeunes (pays scandinaves) et chez les adultes (États-Unis) indiquent des prévalences de joueurs pathologiques de 2 % et 1 % respectivement. Ces prévalences apparaissent proches de celles observées pour les jeux de hasard et d’argent.
Il apparaît nécessaire de mener des recherches sociologiques afin de mieux comprendre ces jeux, en tant que nouvelle forme de loisir ou en tant que pratique quasi sportive par exemple. Ces recherches pourraient étudier l’évolution des pratiques culturelles en relation avec l’univers de la technologie, l’imaginaire et l’interactivité.
Le groupe d’experts recommande de développer des travaux sociologiques pour comprendre les pratiques vidéo-ludiques qui s’inscrivent dans les transformations de notre société. Concernant l’addiction à ce type de jeux, il recommande de valider en premier lieu des concepts et des outils pour repérer le jeu problématique et de réaliser ensuite des études en population.

Promouvoir des études de cohortes pour mieux connaître les trajectoires des joueurs

Les conséquences économiques, sociales, pathologiques des jeux de hasard et d’argent n’ont pas encore été étudiées sur des cohortes suffisamment larges pour qu’il soit possible d’en tirer des conclusions scientifiquement recevables. Les enseignements tirés des pays étrangers, en majorité anglo-saxons, pour intéressants qu’ils soient, ne sauraient remplacer des études in situ.
La plupart des études disponibles ne permettent pas de préciser la chronologie exacte de l’histoire des pratiques plus ou moins contrôlées de jeu de hasard et d’argent. Ceci souligne le manque d’études longitudinales sur des durées suffisamment longues et également l’insuffisance de documentation des guérisons « spontanées » par arrêt ou reprise d’une pratique contrôlée (qui n’est pas propre aux conduites de jeu pathologique mais régulièrement soulignée également à propos des addictions à des substances psychoactives). L’absence de stabilité dans le temps du statut de joueur pathologique est une caractéristique fréquemment rapportée dans les études. Moins de 40 % des joueurs qui remplissent les critères de jeu pathologique vie entière ont encore ce diagnostic lors de leurs phases de jeu les plus récentes.
Par ailleurs, beaucoup d’auteurs ont souligné ces dernières années l’intérêt de pouvoir identifier des sous-groupes au sein de la population des joueurs pathologiques, caractérisés par certaines particularités cliniques mais aussi par un certain nombre de facteurs plus ou moins spécifiques (sociologiques, psychobiologiques…). Les études montrent que plus l’initiation au jeu de hasard et d’argent est précoce, plus le délai entre cette initiation et le recours à un traitement en cas de jeu pathologique est grand et ceci de façon identique dans les deux sexes. Certaines études soulignent en revanche les différences entre les hommes et les femmes : problème de jeu plus tardif chez les femmes, moins d’association avec la dépendance à une substance psychoactive et recherche plus rapide de soins. Il serait important également de savoir si les conduites délinquantes dérivent des problèmes de jeu ou bien si les problèmes de jeu et les conduites délinquantes découlent d’antécédents d’ordre personnel (vulnérabilité, conduite antisociale, conduite à risques) et familial (pratiques parentales excessives et transgressives).
Le groupe d’experts recommande de développer des études de cohortes sur de longues durées à la fois en population générale et sur des joueurs suivis dans des structures de soins pour les problèmes liés au jeu. Il s’agit de mieux cerner la réalité complexe de ces parcours et les facteurs impliqués au niveau des périodes de rétablissement aussi bien que de rechute, de façon à en tirer le maximum d’enseignements en termes de prévention et d’indications thérapeutiques.

Développer des études en neuropsychologie dans les cohortes

L’impulsivité (résultant d’une difficulté d’autorégulation ou d’autocontrôle) est au cœur de la définition du jeu problématique/pathologique. Pour l’essentiel, les recherches confirment que les difficultés d’autorégulation sont en lien avec le jeu problématique/pathologique. Cependant, l’apport de ces études reste assez limité dans la mesure où elles ont été réalisées sans référence claire à un modèle théorique spécifiant à la fois les différentes facettes de l’autorégulation (ou de l’impulsivité) ainsi que la contribution de chacune de ces facettes au développement et/ou au maintien du jeu problématique/pathologique.
Dans le futur, des recherches doivent être entreprises sur la base des modèles récents qui ont identifié les différentes dimensions de l’autorégulation ainsi que les mécanismes psychologiques (cognitifs et motivationnels) impliqués dans ces dimensions.
Le groupe d’experts recommande de mener des travaux dans une perspective longitudinale et dynamique, en se focalisant sur les moments de changement dans le comportement de jeu (début, accroissement, réduction, automatisation ou création d’habitudes, prise de conscience du problème, recherche ou non d’aide, interruption du traitement, rétablissement spontané).
Outre les processus d’autorégulation, il s’agirait également d’explorer longitudinalement les buts et motivations, affects, style cognitif, croyances et perceptions de soi (conscientes et non conscientes) des joueurs, en lien avec différents types d’activité de jeu et en prenant en compte différentes variables socio-démographiques.
Ces recherches devraient considérer le jeu pathologique, non pas comme une entité isolée, mais comme une des manifestations des troubles dits externalisés (incluant le comportement antisocial et les abus de substances). En effet, de plus en plus de données suggèrent qu’il existe un continuum au sein de la population générale concernant le risque de présenter des troubles externalisés multiples.

Développer des études sur le coût social

Il n’existe pas d’étude sur le coût social des jeux de hasard et d’argent en France. L’estimation de ce coût social suppose tout d’abord l’identification de l’ensemble des dommages engendrés par cette pratique, puis leur monétarisation, en respectant un cadre méthodologique rigoureux. La construction de cet indicateur apparaît particulièrement utile à la mesure du problème et à la configuration des politiques publiques.
Du fait de l’importance des questions qui restent encore en débat, il est évident que les estimations du coût social du jeu réalisées jusqu’à présent dans d’autres pays doivent être considérées avec précaution. Ces estimations présentent l’intérêt de montrer que les coûts familiaux et les coûts intangibles (douleur des proches, coûts psychologiques liés à une séparation ou à un suicide…) pourraient représenter environ 90 % du coût total estimé.
Le groupe d’experts recommande d’identifier les données économiques disponibles sur les jeux de hasard et d’argent et de développer des études de coût social en population générale. Celles-ci doivent impérativement s’accompagner d’une définition de la part attribuable aux jeux de hasard et d’argent et spécifier les différents types de jeux et de joueurs. D’autres types d’études économiques portant, par exemple, sur les bénéfices provenant des activités de jeu (calculs de surplus des consommateurs et des producteurs) et sur leurs liens avec le développement économique, les inégalités ou la criminalité (vol, escroquerie, usage de faux…) seraient également souhaitables.

Adapter et valider des outils de repérage des joueurs à problème

Les tests de repérage les plus utilisés dans le monde en matière de jeu excessif/problématique et pathologique sont le South Oaks Gambling Screen (SOGS) (de loin le plus utilisé), le test adapté du DSM-IV et le Canadian Problem Gambling Index (CPGI). Ils sont utilisés comme moyen de dépistage ; le DSM-IV restant l’outil de référence pour le diagnostic. Cependant, leur pertinence pour les jeunes joueurs et pour les seniors est discutée.
Le groupe d’experts recommande d’adapter et de valider les outils de dépistage et de diagnostic existants, à l’intention des adolescents d’une part, et des seniors d’autre part, pour lesquels ils paraissent inadaptés. Les outils de dépistage doivent être validés pour les jeux de hasard et d’argent traditionnels mais également pour les jeux de hasard et d’argent en ligne.

Développer des études d’évaluation de protocoles de prise en charge

Un ensemble de politiques et de mesures, destinées à prévenir et traiter le développement d’habitudes de jeu excessives, ont été développées dans plusieurs pays. Étant donné les comorbidités importantes, les protocoles thérapeutiques doivent prendre en compte ces troubles associés. Ces associations entre jeu pathologique et autres addictions d’une part, et entre jeu pathologique et autres troubles psychiatriques d’autre part, sont surtout retrouvées chez les joueurs pathologiques ayant débuté de manière précoce (à l’adolescence) leur conduite de jeu pathologique.
Le groupe d’experts recommande de développer des études d’évaluation de protocoles de prise en charge et des études d’impact des approches thérapeutiques, aussi bien psychothérapiques que chimiothérapiques et sociales.

Poursuivre des recherches fondamentales sur les mécanismes en cause dans l’addiction au jeu

Le jeu est-il une drogue au même titre que les psychostimulants, les opiacés, l’alcool ou le tabac ? Cette question n’est pas aujourd’hui résolue. Une des questions centrales à propos des addictions sans drogue est de savoir si on peut utiliser, pour les comprendre, les modèles validés dans les addictions à des substances psychoactives.
Parmi ces modèles, l’un d’entre eux a montré que la prise répétée de produits aussi différents que les psychostimulants (cocaïne, amphétamine), les opiacés (morphine, héroïne) ou l’alcool entraîne la dissociation (ou découplage) de la régulation mutuelle des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques. Ce découplage se traduirait, entre autres, par le malaise que décrivent les toxicomanes. Reprendre de la drogue permettrait un recouplage artificiel de ces neurones et un soulagement temporaire, expliquant ainsi les rechutes.
Le jeu peut-il par lui-même entraîner un découplage identique ? La réponse n’est pas simple car la très grande majorité des joueurs excessifs souffre de pathologies associées. Il est donc possible que ce soient ces pathologies, y compris la présence d’addictions au tabac et à l’alcool, qui rendent vulnérable le sujet, le jeu pathologique n’étant alors qu’une des expressions et non pas l’origine de la pathologie addictive.
Cependant, on ne peut exclure que le simple fait de s’adonner au jeu puisse, comme le ferait une drogue d’abus, entraîner des modifications du système nerveux central puisqu’il semble exister des joueurs pathologiques n’ayant aucune addiction ni aucun trouble psychique associés. Une des hypothèses qui pourrait être étudiée est que, chez certaines personnes, le stress et l’angoisse que peut engendrer le jeu augmentent de façon chronique la sécrétion de glucocorticoïdes et reproduisent, en l’absence de produit, des activations neuronales et un découplage analogues à ce qui est obtenu avec les drogues addictives.
Le groupe d’experts recommande d’une part, d’effectuer des recherches pré-cliniques pour tester le rôle du stress dans le développement d’une addiction au jeu et d’autre part d’analyser, à partir des types de jeux auxquels sont attachés les joueurs pathologiques, s’il existe des jeux plus susceptibles que d’autres, de déclencher un phénomène d’addiction.
On peut par ailleurs considérer qu’un objet d’addiction n’est addictogène que dans la mesure où il est consommé par un individu préalablement vulnérable. Cette vulnérabilité pourrait résulter des comorbidités diverses observées chez les joueurs pathologiques, de conditions délétères préexistantes en matière d’éducation et d’environnement, de troubles de la personnalité, de trajectoires de vie stressantes. Les troubles développés sont donc complexes : propres à l’objet et propres aux comorbidités. Si vulnérabilité et comorbidité ont des traductions neurobiologiques, les progrès à accomplir sont considérables avant d’obtenir des données scientifiques de référence.
Le groupe d’experts recommande d’étudier les différences inter-individuelles qui sous-tendent la vulnérabilité et les conditions d’entrée dans le processus addictif au jeu. Les neurosciences avec les autres disciplines peuvent contribuer à ces études. Ces recherches pourraient concourir à établir les fondements de politiques de prévention et de soins.

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