Plusieurs myosines de type 1 possédant une seule chaîne lourde (myosines 1b, 1c et 1d) ont été identifiées dans le cerveau [1, 2]. Elles contribuent dans d’autres types cellulaires au trafic membranaire le long des voies d’endocytose et d’exocytose et participent à la formation de protrusions cellulaires, comme les filopodes ou les lamellipodes [3-5]. Étant donné leur interaction avec les filaments d’actine due à leur activité motrice, elles régulent également l’architecture des réseaux de filaments d’actine [3, 5]. De plus, elles interagissent directement avec les lipides membranaires via un motif homologue à la pleckstrine (PH) dans leur domaine carboxy-terminal [3]. Couplant le cytosquelette d’actine aux membranes, elles peuvent contrôler la forme de ces dernières [5]. Nous avons étudié récemment le rôle d’une de ces myosines, la myosine 1b (Myo1b), dans le développement de neurones en culture primaire et en particulier, la formation de l’axone [6].
Les axones sont l’autoroute de l’information transportant toutes les données que nous utilisons pour détecter notre environnement et réagir en conséquence. Au cours du développement, différents types de neurones présentent dans un premier temps une morphologie multipolaire avec des protrusions, ou neurites, dynamiques de tailles similaires [7] (→).
(→) Voir la Nouvelle de R. Chérau et al. m/s n° 1, janvier 2018, page 17
Puis, l’allongement rapide d’un neurite induit la polarisation du neurone et spécifie le site d’initiation de l’axone (Figure 1A, ARNi contrôle) [8]. Nous avons observé que la réduction, par ARN interférent (ARNi), de l’expression de Myo1b inhibe la formation de l’axone (Figure 1A et 1B), alors que la surproduction de la protéine augmente le nombre de protrusions apparentées à un axone [6]. Les filaments d’actine participent à la formation de l’axone à deux niveaux : les cônes de croissance, à l’extrémité aplatie des neurites (Figure 1A GC), et la propagation le long des neurites de structures apparentées aux cônes de croissance, appelées vagues d’actine (Figure 2). Nous avons étudié l’impact de Myo1b sur ces deux types de structures.
![]() | Figure 1. Impact de Myo1b sur les cônes de croissances et la formation des axones. A. Les cellules de culture primaire de neurones corticaux de souris ont été transfectées avec des ARNi contrôle ou ARNi dirigés contre Myo1b et analysées par immunofluorescence pour la distribution des filaments d’actine (Actine-F) et des microtubules (MT), ce qui permet de visualiser les neurites et les cônes de croissance (GC). Après deux jours de culture, on note que le neurone transfecté avec les ARNi contrôle présente un neurite allongé alors que celui transfecté avec les ARNi Myo1b présente des neurites de tailles similaires (barre = 5 mm). B. Pourcentage de neurones présentant 0, un ou plusieurs axones après transfection d’ARNi contrôle ou ARNi Myo1b après 4 jours de culture. Les axones sont identifiés à l’aide d’un anticorps dirigé contre la protéine Tau. 80 % des neurones transfectés avec des ARNi Myo1b ne présentent pas d’axone alors que 84 % de ceux transfectés avec l’ARNi contrôle présentent un axone à ce stade. C. Images représentatives de la distribution des filaments d’actine dans des cônes de croissance de neurones transfectés avec des ARNi contrôle ou Myo1b et analysées par microscopie super résolutive SIM (illumination structurée). On note une augmentation importante de la densité du réseau de filaments d’actine en absence de Myo1b ainsi que des filopodes très courts en comparaison avec le cône de croissance d’un neurone contrôle (barre = 2 mm). |
![]() | Figure 2.
Une vague d’actine le long d’un neurite. Un neurite de neurone cortical de souris en culture primaire a été analysé par immunofluorescence et microscopie super résolutive SIM (illumination structurée) pour la distribution des filaments d’actine (Actine-F) et des microtubules (MT). On note un réseau d’actine formant une « vague d’actine » le long de ce neurite (barre = 2 mm). |
En accord avec les observations précédentes montrant que les cônes de croissance et les vagues d’actine sont des structures apparentées, nous avons observé en microscopie électronique que ces deux structures présentent une architectures des filaments d’actine similaires avec des réseaux branchés et des faisceaux [6, 9]. Nos travaux indiquent également que Myo1b est un constituant commun à ces deux structures. Myo1b est présent dans les cônes de croissance et se propage le long des neurites avec l’actine. Comme rapporté pour la myosine 1 de l’amibe Dictyostelium, nous avons détecté une accumulation de Myo1b endogène à l’avant de certaines vagues [10]. Après leur propagation vers l’extrémité du neurite, les vagues d’actine fusionnent avec les cônes de croissance et entraînent l’allongement du neurite [9]. Nous avons observé que la déplétion de Myo1b inhibe la propagation antérograde des vagues d’actine. En contribuant à la direction de la propagation des vagues d’actine, Myo1b participe par conséquent à l’élongation du neurite qui formera l’axone. Il a été récemment montré qu’en élargissant les neurites, les vagues d’actine augmentent la polymérisation des microtubules et en conséquence le transport de protéines déterminantes pour former l’axone à l’extrémité du neurite [11]. En accord avec cette étude, nous avons observé que l’inhibition de l’expression de Myo1b perturbe les mouvements stochastiques de Kif5C, une kinésine qui transporte des protéines impliquées dans l’initiation de la formation de l’axone. À l’inverse l’augmentation de l’expression de Myo1b accélère le déplacement de cette kinésine à l’extrémité des neurites. Ainsi, en régulant la propagation antérograde des vagues d’actine le long du neurite, Myo1b favorise l’élongation des microtubules et l’acheminement des facteurs nécessaires à la formation de l’axone à son extrémité.
Le réseau d’actine impacte également la polymérisation des microtubules dans les cônes de croissance et en conséquence le transport de protéines impliquées dans la spécification des axones jusqu’à l’extrémité du neurite qui deviendra un axone [11, 12]. Plus le réseau d’actine est stable et important moins les microtubules et le transport dépendant des microtubules peuvent atteindre l’extrémité des cônes de croissance. Nous avons observé que l’inhibition de l’expression de Myo1b augmente la taille du réseau d’actine dans les cônes de croissance (Figure1A et 1C) alors que la surexpression de Myo1b en restreint la taille [6]. En régulant la taille du réseau d’actine dans les cônes de croissance, Myo1b peut donc aussi réguler la polymérisation des microtubules et le transport des protéines qui initient la formation de l’axone.
Ces résultats indiquent que Myo1b contribue à la formation de l’axone en régulant l’architecture de l’actine dans les vagues et les cônes de croissance. Dans ces deux cas, une partie des filaments d’actine s’organisent en faisceaux pour former les filopodes, protrusions qui bordent le cône de croissance (Figure 1C) et sont présentes à la surface des vagues d’actine ; ces protrusions déterminent la direction du mouvement des cônes de croissance et des vagues d’actine en explorant l’environnement. L’inhibition de l’expression de Myo1b diminue la durée de vie des filopodes présents dans les vagues d’actine et les cônes de croissance, réduit leur longueur et réduit la densité de l’actine dans les filopodes des cônes de croissance (Figure 1C) [7]. La formation d’un filopode nécessite que les filaments d’actine organisés en faisceaux interagissent avec la membrane plasmique [13]. La manipulation d’un mutant pour l’interaction de Myo1b avec les lipides membranaires ainsi que l’analyse d’un mutant dépourvu de son activité motrice ont montré que ces deux propriétés de Myo1b sont nécessaires à la formation des axones. En liant mécaniquement les faisceaux d’actine à la membrane, Myo1b peut stabiliser les filopodes à la fois dans les vagues d’actine et les cônes de croissance.
En conclusion, nos données [7] démontrent que Myo1b est nécessaire à la formation de l’axone dans des cultures primaires de neurones en contrôlant l’organisation de l’actine dans les vagues d’actine se propageant le long des neurites et dans les cônes de croissance à l’extrémité des neurites. Myo1b régule notamment la formation des filopodes dans ces deux structures et affecte indirectement la polymérisation des microtubules et le transport des facteurs initiant la formation de l’axone. Le rôle de cette myosine pour la régénération des axones et les pathologies axonales reste à explorer.