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Med Sci (Paris). 35(1): 46–54.
doi: 10.1051/medsci/2018308.

L’ADN mitochondrial, un potentiel codant mésestimé

Annie Angers,1* Philip Ouimet,1 Assia Tsyvian-Dzyabko,1 Tanya Nock,1 and Sophie Breton1

1Département de sciences biologiques, université de Montréal, pavillon Marie-Victorin, faculté des arts et des sciences. CP 6128, succursale centre-ville, Montréal QC, H3C 3J7, Canada
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Manuel Rojo).

Le génome mitochondrial

L’établissement de la relation endosymbiotique entre une cellule eucaryote primitive et une α-protéobactérie1 aérobie est à l’origine des mitochondries modernes. Cette relation a permis de compartimenter les réactions de conversion d’énergie de la phosphorylation oxydative (ou PhosOx), et a assuré le succès évolutif des eucaryotes [1]. Au fil d’approximativement deux milliards d’années d’évolution, une relation toujours plus étroite entre les organismes symbiotiques s’est établie. La plupart des gènes de la bactérie primitive ont été perdus ou transférés au génome nucléaire de la cellule eucaryote, mais les mitochondries conservent un génome restreint (l’ADN mitochondrial ou ADNmt), codant des protéines essentielles à la production d’ATP par la voie PhosOx et la capacité de produire localement ces protéines. Cette évolution s’étant effectuée en parallèle, au fil de la séparation des lignées évolutives, les génomes mitochondriaux peuvent être fort divergents selon les groupes taxonomiques (Figure 1).

Ainsi, le nombre de protéines codées par le génome mitochondrial varie grandement selon les espèces, allant de seulement trois séquences codant des protéines chez le protozoaire Plasmodium, à plus d’une soixantaine chez certains flagellés [2]. Les ARNm correspondants sont traduits à l’intérieur de la mitochondrie, mais la plupart des facteurs essentiels à la transcription et à la traduction du génome mitochondrial sont importés du cytoplasme [1]. Malgré cette grande variabilité en nombre, les séquences codant certaines protéines fondamentales sont conservées dans la plupart des génomes mitochondriaux. À l’échelle des métazoaires, dont l’homme, le génome mitochondrial conserve approximativement le même contenu, c’est-à-dire 13 séquences codant des protéines, 2 codant des ARN ribosomaux (ARNr) (12S et 16S) et 22 des ARN de transfert (ARNt) [3] (Figure 1).

Jusqu’à relativement récemment, on considérait que cette poignée de gènes constituait la totalité du génome mitochondrial animal. Toutefois, il s’avère que le plein potentiel codant des mitochondries reste à découvrir [46] ().

→ Voir la Nouvelle de S. Breton et H. Doucet Beaupré, m/s n° 11, novembre 2007, page 1038

Par exemple, certaines espèces de méduses et d’éponges possèdent un intron mitochondrial contenant une endonucléase [5]. Des séquences formant des cadres de lecture ouverts (ORF) codant des protéines, au rôle toujours incompris, ont par ailleurs été trouvées dans les génomes mitochondriaux de plusieurs espèces de bivalves, et semblent être associées à la détermination du sexe chez ces animaux [79]. Même les mitochondries humaines renferment des gènes supplémentaires [4, 10], certains cachés à l’intérieur des gènes qui codent les ARN ribosomaux 12S et 16S, suggérant que le répertoire fonctionnel de l’ADN mitochondrial a été sous-estimé. Ces gènes supplémentaires sont présentés dans le Tableau I et décrits dans les prochaines sections.

L’humanine, premier peptide dérivé des mitochondries découvert

Décrite pour la première fois en 2001 par Hashimoto et al. [11], l’humanine est un petit peptide de 24 acides aminés. Ce peptide, appelé « humanine » car il aurait des caractéristiques humanisantes en inversant les effets des processus neurodégénératifs associés à la maladie d’Alzheimer et autres démences, a été découvert par un test fonctionnel dans lequel des ADN complémentaires (ADNc) générés à partir des tissus corticaux d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer étaient surexprimés dans des cellules avant d’en induire l’apoptose. Hashimoto et al. ont ainsi démontré que la surexpression de l’humanine protégeait les cellules de l’apoptose. L’humanine a également été identifiée comme un partenaire d’interaction de Bax, une protéine proapoptotique de la famille Bcl-2 (B-cell lymphoma 2) : en interférant avec Bax et en empêchant son recrutement à la membrane mitochondriale, l’humanine inhibe l’apoptose cellulaire [12].

La séquence de l’ADNc de l’humanine a été localisée dans le génome mitochondrial, à l’intérieur de la séquence de l’ARNr 16S [13]. L’origine mitochondriale de l’humanine a été quelque peu controversée. Sa position au niveau du gène codant l’ARNr 16S mitochondrial suggère en effet que, d’une part, un ARNm soit issu de ce transcrit, normalement déjà engagé dans la constitution du ribosome. Avec l’avènement du séquençage profond (deep sequencing) qui montre l’existence d’une grande variété de transcrits mitochondriaux, la présence de promoteurs non caractérisés est cependant probable [14]. Ainsi, malgré sa localisation dans le gène codant l'ARN 16S, il est plausible que l’humanine soit transcrite indépendamment, à partir du génome mitochondrial, bien que les évidences en ce sens manquent toujours.

Une seconde source de contestation de l’origine mitochondriale de l’humanine provient du fait que plusieurs séquences très similaires à celle du gène de l’humanine ont été repérées dans le génome nucléaire humain, certaines d’entre elles semblant produire des peptides fonctionnels [15]. Ceci n’est pas nécessairement étonnant si l’on considère les très nombreux transferts génétiques qui ont été réalisés entre le génome mitochondrial et le génome nucléaire. On estime en effet que plus de 755 insertions mitochondriales sont dispersées dans le génome nucléaire humain [16]. Néanmoins, si, chez l’humain, l’humanine peut avoir, au moins en partie, une origine nucléaire, il n’en est pas de même chez d’autres espèces de mammifères. Par exemple, le génome nucléaire du rat ne contient pas d’insertion correspondant à la séquence de l’humanine (désignée rattine dans cette espèce). Le peptide peut néanmoins être détecté par western-blot dans des extraits de mitochondries purifiées, et par immunohistochimie au niveau des mitochondries elles-mêmes. De plus, l’abondance du peptide est diminuée dans les lignées cellulaires dépourvues d’ADN mitochondrial, les cellules rho0, mais n’est pas affectée par les traitements à la cycloheximide, qui inhibent principalement la synthèse cytoplasmique [17]. La découverte de l’humanine établit donc un précédent et a amené la communauté à reconnaître que les génomes mitochondriaux peuvent contenir davantage d’information codante qu’anticipé.

En plus de son origine mitochondriale, l’humanine génère beaucoup d’intérêt de par les nombreux effets métaboliques qui lui sont attribués. Dans la plupart des modèles animaux, elle est retrouvée dans les tissus ainsi que sous forme circulante plasmatique. Deux types de récepteurs de l’humanine ont été identifiés. Elle agirait comme antagoniste du récepteur FRPL1 (N-formylpeptide receptor-like 1), qui, lorsqu’activé par les peptides β-amyloïdes (Aβ), induit une cytotoxicité neuronale participant à l’évolution de la maladie d’Alzheimer [18]. L’humanine jouerait un rôle semblable dans les cellules β des îlots de Langerhans, où l’accumulation de peptide Aβ est également cytotoxique [19]. L’activité antagoniste de l’humanine contre les peptides Aβ est également attribuable à sa capacité à lier les peptides amyloïdes mal repliés et ainsi prévenir leur accumulation pathologique [20]. L’humanine active également la voie de signalisation anti-apoptotique PI3K(phosphatidylinositol-4,5-bisphosphate 3-kinase)-Akt(protéine kinase B)/GSK(glycogen synthase kinase)-3β, en se liant à des récepteurs de cytokines [21]. La phosphorylation d’Akt qui en découle améliore significativement la survie des cellules, tant dans un contexte de maladie neurodégénérative que lors d’ischémies induites [21, 22].

MOTS-c : agent d’homéostasie métabolique et de sensibilité à l’insuline

L’émergence de l’humanine en tant que peptide produit par les mitochondries a naturellement ouvert la porte à la recherche d’autres séquences codant des peptides fonctionnels au sein de ce génome. L’analyse in silico de l’ADNmt humain a révélé la présence d’un cadre de lecture ouvert codant 16 acides aminés dans la séquence de l’ARN 12S. Comme pour l’humanine, les évidences expérimentales suggèrent l’origine mitochondriale du peptide. Son expression est indétectable dans les lignées cellulaires dépourvues de mitochondries, ou après un traitement des cellules à l’actinonine, une drogue causant la dégradation des ARN mitochondriaux. Ici aussi, le génome nucléaire du rat est dépourvu de séquence correspondante, mais le peptide est détecté dans les tissus de l’animal. Ce peptide a été nommé MOTS-c (mitochondrial open-reading-frame of the twelve S rRNA type-c) [23].

L’origine mitochondriale de MOTS-c ouvre un nouveau débat, car le second codon du cadre de lecture de MOTS-c est un codon AGG, normalement assigné à un arrêt de la traduction dans la mitochondrie. En effet, les codons AGA et AGG (ou AGR), assignés à l’arginine dans le code génétique standard, sont supposés être des codons stop dans la mitochondrie, l’ARNt correspondant étant absent du génome mitochondrial. Toutefois, dans les 13 ARNm (ARN messagers) mitochondriaux humains, on ne retrouve ces codons qu’au niveau des derniers codons des gènes cox1 (cyclooxygénase-1) et nad6 (NADH dehydrogenase subunit 6) [24]. Outre leur position à l’extrémité 3’ de leurs transcrits respectifs, ces codons sont précédés d’un nucléotide U, requis pour lier le facteur de terminaison mitochondrial dans un mécanisme qui implique le décalage rétrograde d’une position par le ribosome [24]. Il est donc plausible que les codons AGR n’agissent pas comme des codons stop dans un autre contexte. Il a été proposé que des ARNt portant des anticodons AGR puissent être importés du cytoplasme vers la mitochondrie, permettant l’usage de ces codons particuliers pour l’arginine [25]. Alternativement, l’ARNm de MOTS-c pourrait être exporté de la mitochondrie afin d’être traduit au niveau du cytoplasme. Toutefois, un tel mécanisme d’exportation n’a pas encore été décrit formellement [23].

Les cellules surexprimant MOTS-c, ou traitées avec un peptide MOTS-c synthétique, présentent des altérations au niveau du cycle de l’acide folique et de la méthionine, lui-même intimement lié à la biosynthèse de novo des purines [23, 26]. MOTS-c altère l’expression de certaines enzymes impliquées dans ce cycle, entraînant notamment une diminution de la quantité de 5Me-THF (5-methyltetrahydrofolate), la forme plasmatique de l’acide folique. Cette baisse s’accompagne d’une diminution de la méthionine et d’une augmentation de l’homocystéine, ainsi que d’un blocage de la biosynthèse de novo des purines, avec, pour conséquence, une accumulation d’AICAR (5-aminoimidazole-4-carboxamide ribonucleoside) [23]. AICAR est un intermédiaire de la biosynthèse des ribonucléotides. Il active la kinase dépendante de l’AMP (AMPK), une kinase jouant un rôle fondamental dans le maintien de l’équilibre métabolique cellulaire, et qui est impliquée dans l’oxydation des acides gras et dans l’assimilation du glucose par les muscles [27]. L’administration de MOTS-c semble ainsi avoir un effet semblable à l’exercice physique, en termes de bienfaits procurés dans un contexte de diète riche en gras. Il est donc possible que MOTS-c puisse être utilisé comme supplément, ou même servir de substitut à l’exercice, chez les personnes à mobilité réduite [28], comme cela avait été suggéré pour AICAR [29].

La fluctuation des niveaux de MOTS-c pourrait également être impliquée dans le vieillissement des cellules et la santé en général. Un polymorphisme a été décrit au niveau de l’ADNmt chez l’haplogroupe2, D4b2, spécifique d’une population japonaise. Ce polymorphisme, m.1382A>C, implique un changement de la lysine14 en glutamine dans la séquence protéique de MOTS-c et est associé à une longévité exceptionnelle chez les individus du groupe [30]. MOTS-c est également à l’origine d’une augmentation intracellulaire de NAD+ (nicotinamide adenine dinucleotide), un activateur (entre autre) des sirtuines, elles-mêmes reconnues pour être des molécules régulatrices du vieillissement [31]. Enfin, la réduction du métabolisme de la méthionine induite par MOTS-c est associée à une augmentation de la longévité allant jusqu’à 45 % chez les rongeurs [32]. Le peptide aussi a un effet bénéfique en supprimant la perte de tissu osseux conséquente d’une ovariectomie, ce qui lui attribue un potentiel thérapeutique contre l’ostéoporose [33]. MOTS-c constitue ainsi une voie de traitement potentielle pour une variété de pathologies chez l’homme.

SHLP : plus de séquences cachées dans le gène codant l’ARNr 16S

L’analyse in silico de la séquence du gène de l’ARNr 16S de la mitochondrie humaine a révélé l’existence de six petites séquences potentiellement codantes, désignées SHLP (small humanin-like peptide) 1 à 6. La présence de peptides dérivés de cinq d’entre elles a été démontrée dans des extraits mitochondriaux par western blot. Comme l’humanine et MOTS-c, des séquences homologues sont présentes dans le génome nucléaire. Le séquençage de produits de transcription inverse et d’amplification d’ARN isolés de cellules prostatiques a confirmé que SHLP1, 4, 5, et 6 étaient d’origine strictement mitochondriale, tandis que des transcrits d’origines nucléaire et mitochondriale ont été trouvés pour SHLP2 et 3. Il n’a donc pas été possible d’établir avec certitude l’origine strictement mitochondriale de ces peptides. Ils exercent cependant un rôle régulateur sur le métabolisme mitochondrial. Ils activent également la prolifération cellulaire et inhibent ou promeuvent l’apoptose [34]. SHLP2 a été associé, comme biomarqueur, au cancer de la prostate [35]. Il aurait des propriétés protectrices contre la dégénérescence maculaire [36].

Gau : un peptide mitochondrial conservé

La présence d’un autre cadre de lecture ouvert relativement long a été mise en évidence sur le brin complémentaire du gène cox1 par une analyse bio-informatique de tous les génomes mitochondriaux connus au moment de l’étude. Le fait que cette séquence soit conservée dans tous les taxons3, et chez plusieurs α protéobactéries, a poussé les chercheurs à la dénommer gau, pour gene antisens ubiquitous [37]. Plusieurs espèces présentent des gènes nucléaires hautement homologues de gau, mais un anticorps spécifique de la portion N-terminale du peptide mitochondrial montre, de façon non équivoque, sa présence dans la mitochondrie [37]. Aucun des gènes nucléaires susceptibles de coder des homologues de Gau ne montre la présence d’une préséquence d’adressage codant un peptide-signal de localisation dans la mitochondrie, suggérant que la protéine immunoréactive révélée dans la mitochondrie est effectivement codée par le génome mitochondrial. À ce jour, aucune fonction précise n’est attribuée à ce peptide.

Les gènes ORFans mitochondriaux (mtORFans) chez les bivalves

L’étude des génomes mitochondriaux des mollusques bivalves a révélé une particularité très étonnante de ces animaux. Alors que chez les autres espèces animales, seules les mitochondries femelles sont normalement transmises lors de la reproduction sexuée, certaines espèces de bivalves conservent les mitochondries paternelles dans les gonades des individus mâles. Ce mode de transmission unique a été nommé transmission uniparentale double, ou DUI [4, 38]. Le système DUI implique, d’une part, que chacun des sexes possède sa propre variante d’ADNmt, et, d’autre part, que ces deux variantes ont un mode de transmission qui est propre au sexe. Ces génomes mâle (M) et femelle (F) peuvent, chez les moules d’eau douce, diverger de plus de 40 % au niveau de la séquence nucléotidique (mais pratiquement pas en terme de contenu informatif, voir ci-après) [39]. Le génome F est transmis de la mère vers la progéniture mâle et femelle. Le génome M est, quant à lui, transmis du père uniquement vers la progéniture mâle, où il s’établira dans la lignée germinale (Figure 2) [4, 38]. Chez les moules d’eau douce, une corrélation absolue a été observée entre gonochorisme4 (espèces à sexes séparés) et présence de la DUI, ainsi qu’entre hermaphrodisme et transmission mitochondriale strictement maternelle (donc avec une perte de la DUI et de l’ADNmt mâle).

Les génomes mitochondriaux des bivalves à transmission uniparentale double sont, eux aussi, uniques en leur genre. Ils portent chacun, en plus des 37 gènes typiques retrouvés chez les autres espèces animales (correspondant aux 13 codant des protéines, 2 des ARN ribosomaux et 22 des ARN de transfert), un gène supplémentaire distinct codant une protéine, le gène f-orf spécifique de l’ADNmt femelle, et le gène m-orf spécifique de l’ADNmt mâle. Chez les espèces de moules d’eau douce hermaphrodites, la séquence du gène f-orf a subi des macromutations importantes qui rendent la protéine codée très divergente de la protéine F-ORF des espèces gonochoriques4, proches, ce qui suggère une perte ou une modification de sa fonction chez ces espèces. Cette séquence a ainsi été renommée h-orf chez les hermaphrodites (Figure 3) [7]. Ces gènes sont de type ORFans (en référence au terme orphelin, « orphan », en anglais), ce qui signifie qu’ils ne possèdent aucune similarité importante avec l’ensemble des séquences retrouvées dans les bases de données [40] et ne correspondent à aucune protéine identifiée. En raison de l’absence de comparaison possible, les protéines codées par ces gènes ne peuvent donc être caractérisées que de manière informatique ou expérimentale, afin de révéler leur origine et leur fonction.

La découverte de ces nouveaux gènes chez les bivalves a rapidement conduit à la nécessité de déterminer si les protéines qu’ils codent sont bel et bien exprimées. Des analyses biochimiques ont été menées chez la moule d’eau douce Venustaconcha ellipsiformis. L’existence des protéines F-ORF et M-ORF a été confirmée chez cette espèce par western blot, qui a révélé la présence de F-ORF dans les gonades femelles, et de M-ORF dans les gonades mâles [41]. Un marquage par anticorps en microscopie électronique a par ailleurs montré la présence de F-ORF dans les mitochondries, la membrane nucléaire et le nucléoplasme [7]. Chez la moule marine Mytilus edulis, un signal spécifique de la protéine F-ORF est détecté par western blot et immunofluorescence dans les mitochondries des cellules du manteau5 des moules mâles et femelles (nos résultats, P. Ouimet, non publiés).

Des analyses bio-informatiques ont permis d’établir certaines caractéristiques de ces nouveaux gènes, et, malgré des divergences de séquence, les structures protéiques prédites semblent plutôt similaires entre elles, ce qui suggère des fonctions similaires pour ces protéines à travers les différents taxons [42]. Ces analyses ont aussi permis l’annotation de certains domaines protéiques prédits. Ainsi, les domaines qui semblent les plus conservés parmi les différentes espèces à DUI sont un domaine de liaison aux acides nucléiques et une hélice transmembranaire. La liaison aux acides nucléiques suggère un rôle dans la régulation de la transcription tandis que l’association aux membranes mitochondriales pourrait suggérer un rôle dans la régulation de l’apoptose [43].

Un modèle de l’implication de ces gènes mitochondriaux dans la régulation de la DUI peut être proposé à partir de ces analyses. La protéine M-ORF utiliserait son domaine de liaison au cytosquelette afin de permettre l’agrégation des mitochondries, issues des spermatozoïdes, dans une zone spécifique de l’embryon mâle de stade précoce (Figure 2, panneaux 5 et 6). Par un mécanisme toujours inconnu, ces mitochondries seraient alors protégées du processus de dégradation des mitochondries spermatiques, leur permettant de subsister dans une cellule précurseur du tissu gonadique et assurant leur transmission à la génération suivante [4, 38, 43]. Au contraire, les mitochondries issues des spermatozoïdes seront éventuellement détruites chez les embryons destinés à devenir des femelles [38]. M-ORF agirait donc comme un facteur masculinisant. F-ORF serait, en parallèle, un facteur féminisant, qui inhiberait le développement du tissu testiculaire chez les embryons destinés à devenir femelles. Cela pourrait expliquer que les espèces hermaphrodites n’inhibent pas entièrement le développement de ce tissu, les mutations de leur gène h-orf empêchant la protéine d’être entièrement fonctionnelle [42]. Selon ce modèle, qui demeure spéculatif puisqu’il repose en très grande partie sur des données bio-informatiques, les gènes mtORFans et les protéines qu’ils codent joueraient un rôle central dans la détermination du sexe chez ces espèces.

Conclusion

Face à la masse importante de données générées par les projets génomiques, l’annotation des génomes ne considère habituellement que les cadres de lecture ouverts comptant plus de 100 acides aminés potentiels. Cette limite n’existe évidemment pas dans la nature. Cela implique que plusieurs peptides fonctionnels seront ignorés par les algorithmes utilisés qui ont été conçus pour identifier des séquences codantes dans les différents génomes [44].

Il est pourtant connu que les génomes nucléaires codent des peptides fonctionnels qui sont de taille inférieure à ces 100 acides aminés. De petits peptides, de 20 à 50 acides aminés, régulent ainsi la contraction du cœur et des muscles chez les insectes, ou l’embryogenèse du poisson-zèbre et des drosophiles, ainsi que la morphogenèse des plantes [44].

La difficulté d’identification de peptides fonctionnels dans le génome mitochondrial ne repose pas nécessairement sur la taille des cadres de lecture ouverts identifiables. La taille restreinte du génome mitochondrial permet aisément un recensement exhaustif de ces séquences, nonobstant leur nombre. Les obstacles principaux sont ici plus fondamentaux et reposent sur l’incertitude qui existe toujours quant aux mécanismes permettant la transcription et la traduction de séquences particulières dans les mitochondries. Ce fait est illustré de façon remarquable si l’on considère les peptides dérivés mitochondriaux, dont l’existence peut être démontrée expérimentalement, mais pour lesquels l’examen des séquences, en se fondant sur les connaissances actuelles de la machinerie mitochondriale, ne permet pas de prédire la traduction.

Les génomes mitochondriaux regorgent de séquences ouvertes potentiellement exprimées. L’examen du génome mitochondrial humain révèle à lui seul l’existence de plus de 200 cadres de lectures ouverts d’au moins 20 acides aminés (Figure 4). Le potentiel fonctionnel est donc énorme, même pour un génome aussi réduit.

Il est fort probable que plusieurs autres peptides dérivés seront découverts et leur étude permettra de comprendre certainement les mécanismes fondamentaux régulant la traduction et la transcription mitochondriale, et révèlera encore davantage le lien métabolique intime établi entre la mitochondrie et la cellule.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Les protéobactéries sont des bactéries à Gram négatif. Elles sont classées en cinq groupes sur la base de l’analyse du gène de leur ARN ribosomique 16S : α, β, γ, δ, ε.
2 Ensemble d’haplotypes définissant une population.
3 Un taxon correspond à une entité d’êtres vivants regroupés parce qu’ils possèdent des caractères en communs du fait de leur parenté, et permet ainsi leur classement.
4 Un seul sexe par individu, contrairement aux hermaphrodites.
5 Comme l’huître, la moule possède un manteau permettant de fabriquer la coquille, d’être sensible au milieu extérieur et d’enserrer les branchies dans une cavité où circule l’eau. Chez Mytilus, les gonades sont principalement produites dans le manteau.
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