Vignette (Photo © Inserm - Patrick Delapierre).
Quel monde voulons-nous pour demain ? » : c’est autour de cette question que, durant le premier semestre 2018, ont été organisés sous l’égide du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE)1,, les États généraux de la bioéthique2, inaugurant les débats sur la prochaine révision des lois de bioéthique3. Leur vocation était d’animer le débat public et d’éclairer le gouvernement qui devrait prochainement soumettre au législateur un projet de loi.
Lorsque le 25 septembre 2018, le CCNE rend public son avis 1294, et se prononce en faveur de l’ouverture de la PMA (procréation médicalement assistée, parfois nommée AMP, assistance médicale à la procréation) aux femmes seules et aux couples de femmes (comme il l’avait déjà fait dans son avis 126 du 15 juin 2017 intitulé « Avis du CCNE sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation »), les oppositions s’expriment rapidement. Le soir même, la « Manif pour tous » manifeste devant les locaux du CCNE et le dimanche suivant, le 30 septembre, dans un entretien au Parisien, l’archevêque de Paris, Monseigneur Aupetit, invite les catholiques à se mobiliser par une parole contre cette extension, au nom du respect de la dignité humaine5,. La déclaration de la Conférence des évêques de France publiée le 20 septembre6, avant donc la publication de l’avis 129, constitue quant à elle un texte documenté, argumenté et fidèle à ses principes. Mais que penser de toute cette mobilisation, qui peut surprendre dans le contexte français laïque ?
On le sait, les évolutions très rapides de la science posent des questions qui mettent en conflit les représentations du vivant : quelle attitude avoir devant certaines innovations ? Qu’autoriser ? Qu’interdire ? Que contrôler ? À propos de thèmes aussi divers que le début et la fin de vie, la procréation médicalement assistée, l’intervention médicale sur le vivant, les discussions et questions sont multiples. De nombreux acteurs sociaux s’y intéressent : médecins, chercheurs, religieux, associations.
Les États généraux de 2018 ont voulu ouvrir le débat citoyen, dans un processus alliant échanges et souci du consensus. Mais ces débats ne participent-ils pas également à la formation des principes moraux en matière de bioéthique ? Sur quelles bases établir un consensus ? Quelle place pour les différentes religions7,, les courants de pensée, les associations (familiales, LGBT8, féministes, citoyennes), les sociétés savantes dans l’élaboration de ces principes éthiques ?
Depuis les années 1980, en France, les questions de bioéthique se sont constituées comme un enjeu social et politique d’importance [1] et se traduisent en 1994 dans la loi de bioéthique [2, 3] (→) puis par la création de l’Agence de la biomédecine en 20049 En prévision de la seconde révision (initialement prévue pour 2010, et qui s’est traduite par la loi 2011-214 du 7 juillet 2011 ; la première ayant conduit à la loi 2004-800 du 6 août 2004) des premiers États généraux de la bioéthique, pilotés par Jean Léonetti, ont été organisés en 2009. Pour ce qui concerne la PMA, l’un des enjeux principaux est alors la question de la levée de l’anonymat des dons de gamète, qui sera maintenu [4]. Actuellement, la PMA10 n’est pas ouverte aux femmes célibataires et aux couples de femmes ; la gestation pour autrui (GPA) demeure interdite. En 2012, les virulents débats sur le « mariage pour tous », qui aboutiront à la promulgation de la loi n° 2013-404 (dite « Loi Taubira ») du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, modifient la donne. Lors de la révision de 2011, des médecins ont déclaré publiquement avoir orienté des femmes vers des cliniques étrangères pour un recours à la PMA, et des témoignages de femmes seules ou homosexuelles se sont multipliés. La société a-t-elle évolué ?
(→) Voir l’Éditorial de H. Chneiweiss, m/s n° 2, février 2018, page 107
Les tout récents débats organisés lors des États généraux de la bioéthique de 2018 ont abordé neuf thèmes : cellules-souches et recherche sur l’embryon humain ; examen génétique et médecine génomique ; dons et transplantations d’organes ; neurosciences ; données de santé ; intelligence artificielle et robotisation ; santé et environnement ; procréation et société ; prise en charge de la fin de vie. Le thème « procréation et société », objet de plus de la moitié des débats, sera l’objet d’un prochain billet, car il donne à voir la façon dont s’érigent des principes éthiques en matière procréative et familiale [5, 6]. Les acteurs sociaux sont nombreux à vouloir contribuer à l’élaboration de ces principes, parmi lesquels les représentants des religions11, notamment catholique, dont l’institution souhaite réaffirmer son autorité morale sur ces questions [7, 8].
La PMA est une question politiquement centrale, puisque Emmanuel Macron, lors de sa campagne présidentielle, s’est engagé à l’ouvrir aux femmes seules et/ou homosexuelles. Si la société semble avoir fortement évolué sur cette question [9], certains groupes religieux et groupes conservateurs s’y opposent. À cet égard, quelle place les récents débats, qui ont voulu associer les « citoyens au processus de révision », ont-ils laissé à ces différents groupes ? Comment, dans un espace démocratique, s’articulent débat citoyen et débat politique ? Comment ces conservateurs et les autres participants se sont-ils fait entendre ? Quel poids ont-ils eu ? Et comment leur répondent ceux qui, parfois dans leurs rangs, sont favorables à l’élargissement des modalités d’accès à la PMA ? Comment a été entendue – ou pas – la parole religieuse, celle des institutions et celle des croyants, sur les questions de bioéthique ?12, À l’intérieur des différentes confessions religieuses, comment s’expriment les divergences ?13 L’examen durant les prochains mois des débats citoyens, des débats parlementaires et des médias tentera d’apporter des éléments de réponse à ces questions. Mon prochain billet s’intéressera, à partir de la participation à certains de ces débats, aux prises de parole religieuses lors de ces États généraux de la bioéthique.