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Med Sci (Paris). 35(1): 78–79.
doi: 10.1051/medsci/2018305.

Un genre nouveau, le polar éthique ?

Reviewed by Anne-Marie Moulin1*

1CNRS UMR SPHERE 7219 Université Paris 7, bâtiment Condorcet, 4, rue Elsa Morante, 75013Paris, France
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo © Inserm/Universcience/Virtuel - Réalisateur : Demerliac, François - Conseiller scientifique : Delpuech, Claude).

L’épidémie d’Ébola en Afrique de l’Ouest ne cesse de tenter les romanciers, avec des degrés variables d’invention : Sybile Vardin (alias Sylvie Briand), Babel Epidemic, Ebola aux cent visages (2015) [1] ; Paule Constant, Des chauves-souris, des singes et des hommes (2016) [2], bande dessinée parue en 2018 ; Véronique Tadjo, En compagnie des hommes (2017) [3], etc.

David Gruson, ancien conseiller du Premier ministre pour les questions de santé et directeur d’hôpital à la Réunion, tente ici un polar aux allures de science-fiction [4]. La scène se déroule en 2024, la santé publique est désormais en grande partie assurée par des robots, dont un système au nom de code (SARRA), chargé de la surveillance des émergences épidémiques et de la riposte. Il entre en action après la détection à Paris d’un cas d’Ébola (patient Zéro), porteur d’une souche du virus inconnue jusqu’ici. D’où vient-elle ? Est-ce un groupe de terroristes, Les « Fils du Djihad », qui aurait eu accès à un laboratoire de haute sécurité ? Et surtout, bénéficie-t-elle d’un mode de propagation inédit, déjouant les idées reçues jusque là sur l’épidémiologie de la MVE (maladie due au virus Ébola) ? Si c’est le cas, cela expliquerait que le virus ait pu d’un coup d’aile passer des forêts d’Afrique à la capitale française par aérosols, via une chaîne de patients asymptomatiques.

Évidemment, à côté des robots, s’agite une pléiade d’acteurs en chair et en os, qui dévoilent dans des mails privés leur quotidien, amours et amitiés, leurs stratégies professionnelles, pas toujours ragoûtantes, surtout quand il s’agit de promouvoir rapidement un nouveau vaccin protecteur dans un périmètre de sécurité installé au cœur de Paris, autour des sujets-contacts.

L’idée était excellente, la réalisation un peu ennuyeuse : les personnages vivants restent abstraits, au fond assez peu différents des robots, mais peut-être est-ce fait exprès. Contrairement aux héros des autres romans sur Ébola, ils sont si peu attachants qu’on reste indifférent à leur triste sort. Car la catastrophe se déclenche… mais la recension d’un roman policier ne doit pas révéler qui est l’auteur du crime, au risque de tuer dans l’œuf l’intérêt du lecteur !

Belle idée donc, mais une réalisation qui n’arrive pas à la hauteur des grands classiques de la science-fiction : peut-être est-on trop proche de la période actuelle, et comme l’intrigue ne réussit pas à décoller vraiment, l’imagination ne s’emballe pas non plus. En revanche, les lecteurs initiés se feront peut-être forts d’identifier des personnages clés, même si, bien sûr, l’auteur nie toute ressemblance avec des personnalités existantes…

David Gruson et la publicité du livre le qualifient de « polar éthique », premier du genre, au sens où le véritable coupable (mais comment le poursuivre ?) pourrait bien être en fait l’intelligence artificielle, la fameuse SARRA. Est-il éthique de remettre la santé d’un pays entre les mains de ce monstre froid ? Comme dans les cauchemars, SARRA s’émancipe en effet au décours de l’épidémie et prend en otages les autorités de santé publique, les experts médicaux et, finalement, le président de la République lui-même, que l’on voit à la fin acculé à fournir à ses concitoyens une pâtée de mensonges éhontés, sous couvert de la Raison d’État, pour couvrir le désastre.

SARRA illustre le rapprochement, voire la fusion, à propos d’Ebola et des virus émergents, des fictions et des scénarios réels, et la fatigue actuelle des citoyens, qui se laisseraient volontiers aller, semble-t-il, en proie à un sérieux doute sur leurs propres capacités de raisonnement, à s’abandonner à des systèmes experts.

Il s’agit bien d’un polar éthique, si c’est la leçon que l’auteur a voulu donner à ses lecteurs.

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Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Vardin S. Babel epidemic: Ebola aux cent visages . Paris: : L’Harmattan; , 2015::378. p.
2.
Constant P. Des chauves-souris, des singes et des hommes . Paris: : Gallimard; , 2018::80. p.
3.
Tadjo V. En compagnie des hommes. Paris: : Don Quichotte; , 2017 ::176. p.
4.
Gruson D. SARRA . Une intelligence artificielle. Préface de G. Vallancien . Paris: : Beta Publisher; , 2018 ::320. p.