| |
| Med Sci (Paris). 35(3): 271–274. doi: 10.1051/medsci/2019045.Régulation du métabolisme lipidique par les hormones
thyroïdiennes Rôle de l’hypothalamus Catherine Hottin,1 Bastien Simoneau,1 and Hervé Le Stunff2 1M1 Biologie Santé, Université Paris-Saclay,
91405Orsay,
France 2Équipe neuroendocrinologie moléculaire de la prise
alimentaire, Université Paris-Sud, CNRS UMR 9197, Institut des neurosciences
Paris-Saclay (Neuro-PSI) - CNRS UMR9197, Orsay, France |
Équipe pédagogique
Karim Benihoud (professeur, université Paris-Sud)
Sophie Dupré (maître de conférences, université Paris-Sud)
Olivier Guittet (maître de conférences, université Paris-Sud)
Hervé Le Stunff (professeur, université Paris-Sud)
karim.benihoud@u-psud.fr
Série coordonnée par Laure Coulombel. L’obésité est un problème de santé majeur : selon l’Organisation mondiale de la santé, en
2016, il y avait plus d’1,9 milliard d’adultes en surpoids dans le monde, dont 650
millions considérés comme obèses [1]. L’obésité est due à une dérégulation de l’homéostasie énergétique qui
favorise le développement du diabète de type 2. Les hormones thyroïdiennes jouent un
rôle important dans la régulation de l’homéostasie énergétique : ainsi, un défaut de
synthèse des hormones thyroïdiennes conduit à l’hyperphagie alors que l’hyperthyroïdisme
est associé à une perte de poids [2]. Ces observations ont permis le développement de molécules mimétiques des
hormones thyroïdiennes afin de lutter contre l’obésité. Bien que les effets de ces
hormones aient été attribués à leur action sur les tissus périphériques, cette action
peut être aussi indirecte et impliquer le système nerveux autonome (SNA) [3]. En effet, il a été montré que
l’action hypothalamique des hormones thyroïdiennes était associée à une amélioration de
la sensibilité à l’insuline des tissus périphériques [4]. Pour clarifier ce rôle, une récente étude du
groupe de Miguel Lopez publiée dans Cell Metabolism [5] a déterminé si l’action centrale des
hormones thyroïdiennes s’exerçait au niveau de l’hypothalamus - contribuant ainsi à
l’homéostasie énergétique -, et se traduisait aussi sur les tissus périphériques
via une voie de communication entre le système nerveux central
(SNC) et les tissus périphériques. |
L’action centrale des hormones thyroïdiennes affecte la régulation du métabolisme
lipidique périphérique par l’intermédiaire du système nerveux autonome Ces chercheurs ont montré que l’injection intra-cérébro-ventriculaire d’hormones
thyroïdiennes entraîne une stimulation de la lipogenèse hépatique. Elle le fait
entre autres via l’augmentation de l’expression de la
diacylglycérol-O-acyl-transférase 1 (DGAT1) qui catalyse la transformation du DAG en
triglycérides [5]. Ces hormones induisent
également une augmentation de la thermogenèse dans le tissu adipeux brun en agissant
sur l’augmentation de l’expression de la protéine découplante UCP1
(uncoupling protein) et sur la taille des mitochondries. Il en
résulte une augmentation de la dépense d’énergie et une diminution du quotient
respiratoire, ce qui suggère la stimulation du métabolisme des lipides
via leur oxydation par le tissu adipeux brun. Par ailleurs, les
hormones thyroïdiennes favorisent l’entrée des acides gras dans le foie et le tissu
adipeux brun, permettant ainsi l’augmentation de la thermogenèse (Figure 1). Dans le SNC, ces hormones
agissent au niveau du noyau arqué de l’hypothalamus pour réguler la prise de poids
[6]. Plus récemment, le
noyau ventro-médian de l’hypothalamus (VMH) a également été impliqué dans le
contrôle de l’homéostasie glucidique [4]. Il
s’avère que c’est par l’intermédiaire de ce noyau que les hormones thyroïdiennes
agissent sur le métabolisme lipidique périphérique. En effet, le traitement de cette
zone par les hormones thyroïdiennes reproduit les effets observés lors de leur
injection par voie intra-cérébro-ventriculaire.
 | Figure 1. Régulation du métabolisme lipidique périphérique par
l’action des hormones thyroïdiennes au niveau de
l’hypothalamus. L’injection d’hormones
thyroïdiennes (T3) au niveau de l’hypothalamus stimule la lipogenèse
hépatique et la thermogenèse du tissu adipeux brun. La stimulation de la
synthèse des lipides hépatiques se fait par l’intermédiaire du nerf
vague du système nerveux parasympathique. Cela provoque une augmentation
de l’expression d’ARNm codant DGAT1, qui catalyse la transformation du
DAG en triglycérides. Au contraire, la T3 agit sur le tissu adipeux brun
via le système nerveux sympathique ce qui conduit à
une absorption accrue de glucose et de lipides et à une augmentation de
l’activité mitochondriale. Ceci est associé à l’augmentation de
l’expression d’ARNm codant pour UCP1 qui stimule la thermogenèse qui est
alimentée par les triglycérides provenant du foie. Au final, cette
thermogenèse permet une augmentation de la dépense énergétique qui
entraînera une perte de poids. AMPK : AMP-activated protein
kinase ; DAG : diacylglycérol ; DGAT1 : diacylglycérol
O-acyl-transférase 1 ; SNPS : système nerveux parasympathique ; SNS :
système nerveux sympathique ; T3 : triiodothyronine ; TG : triglycérides
; UCP1 : uncoupling protein 1. |
Quelles sont les voies de communication de cette information entre le noyau
ventro-médian de l’hypothalamus et les tissus périphériques ? Les auteurs ont émis
l’hypothèse selon laquelle le système nerveux autonome pourrait être un
intermédiaire. De fait, le blocage du système nerveux parasympathique par une
vagotomie supprime l’effet de l’injection d’hormones thyroïdiennes dans le noyau
ventro-médian sur la lipogenèse hépatique, mais pas son effet thermogénique. Les
hormones thyroïdiennes stimulent le tonus sympathique du tissu adipeux brun
caractérisé par une activation des récepteurs β3-adrénergiques. De façon
intéressante, l’inhibition pharmacologique de ces récepteurs abolit l’effet
thermogénique des hormones thyroïdiennes. |
Les hormones thyroïdiennes agissent au niveau central en inhibant l’AMPK
hypothalamique Historiquement, la voie AMPK (AMP-activated protein kinase) est
connue pour réguler le métabolisme lipidique et relayer les effets centraux des
hormones thyroïdiennes sur la thermogenèse [3]. L’expression d’un dominant négatif de l’AMPK dans le noyau ventro-médian
reproduit les effets des hormones thyroïdiennes, suggérant que l’inhibition de
l’AMPK relaye l’action de ces hormones dans l’hypothalamus. Cette déduction est
confortée par le groupe de Miguel Lopez qui a montré que la surexpression d’une
forme constitutivement active de l’AMPKα dans le noyau ventro-médian inhibe les
effets des hormones thyroïdiennes au niveau du foie et du tissu adipeux brun. On
sait que, dans le noyau central, les neurones exprimant le facteur stéroïdogénique 1
(SF11) jouent un rôle dans la régulation du
métabolisme [7]. De façon
intéressante, les auteurs ont montré qu’une délétion spécifique de la voie AMPK dans
ces neurones SF1 reproduit les effets centraux des hormones thyroïdiennes. Ces
résultats suggèrent que ces hormones contrôlent le métabolisme lipidique
via l’inhibition de l’AMPKα 1 dans les neurones SF1. |
Les hormones thyroïdiennes activent la thermogenèse dans le tissu adipeux brun en
inhibant le stress du réticulum endoplasmique hypothalamique Comme l’AMPKα a un rôle dans la régulation du métabolisme lipidique, les auteurs ont
déterminé l’impact de l’inhibition de l’AMPK par les hormones thyroïdiennes sur les
lipides présents dans l’hypothalamus [8]. Si le taux de la plupart des lipides est augmenté en réponse
aux hormones thyroïdiennes, en revanche, celui des céramides est diminué. Or, les
céramides exercent une lipotoxicité hypothalamique par leur induction d’un stress du
réticulum endoplasmique (RE), avec comme conséquence une prise de poids [9]. De ce fait, la diminution
du taux de céramides en réponse aux hormones thyroïdiennes est associée à une baisse
du stress du RE, se traduisant par une diminution des protéines UPR
(unfolded protein response) et une augmentation de GRP78
(glucose-regulated protein 78, une chaperone de la famille des heat shock
protein) (Figure
2). Par ailleurs, la surexpression de l’AMPKα dans le noyau
ventro-médian empêche l’inhibition du stress du RE par les hormones thyroïdiennes.
Il apparaît ainsi que celles-ci stimulent la thermogenèse du tissu adipeux brun par
leur fonction d’inhibition de la synthèse des céramides et du stress du RE au niveau
hypothalamique.
 | Figure 2. Action centrale des hormones thyroïdiennes sur la
régulation du métabolisme lipidique. Les hormones thyroïdiennes
(T3) se fixent sur leurs récepteurs (TR) dans les neurones SF1
présents dans le noyau hypothalamique ventro-médian
(VMH). Ceci entraine une inhibition de l’AMPKα
spécifiquement dans ces neurones. Cette inhibition entraine la
stimulation de la voie JNK1 qui conduit à la stimulation de la
lipogenèse hépatique par l’intermédiaire du nerf vague (SNPS).
L’inhibition de l’AMPKα entraîne également une diminution du stress du
RE en abaissant les taux de céramides, de protéines UPR et une
augmentation de la protéine GRP78. L’inhibition du stress du RE conduit,
via l’activation du SNS, à la stimulation de la thermogenèse au niveau
du tissu adipeux brun. AMPK : AMP-activated protein
kinase ; GRP78 : glucose-regulated protein 78
Kda ; JNK1 : c-Jun N-terminal kinase 1 ;
RE : réticulum endoplasmique ; SF1 : steroidogenic factor
1 ; SNPS : système nerveux parasympathique ; SNS : système
nerveux sympathique ; T3 : triiodothyronine ; UPR : unfolded
protein response ; VMH : noyau hypothalamique
ventromédian. |
|
Les hormones thyroïdiennes stimulent la lipogenèse hépatique via l’activation de
la voie JNK1 hypothalamique Au niveau de l’hypothalamus, la voie c-Jun N-terminal kinase 1
(JNK1) est connue pour son rôle dans la régulation du métabolisme glucidique et de
la prise alimentaire [10].
En réponse à l’injection d’hormones thyroïdiennes dans le noyau ventro-médian, les
auteurs observent une augmentation de la forme active et phosphorylée de JNK (pJNK).
Des résultats similaires sont obtenus dans l’hypothalamus des souris dont les
neurones SF1 n’expriment pas l’AMPK, suggérant un rôle inhibiteur de l’AMPKα sur
l’activation de la voie JNK. De façon intéressante, l’inhibition pharmacologique ou
génétique de JNK1 empêche la stimulation de la lipogenèse hépatique par les hormones
thyroïdiennes. Ainsi, c’est par le contrôle de la voie JNK1 au niveau hypothalamique
que ces hormones activent la lipogenèse hépatique (Figure 2). |
Conclusions et perspectives N. Martínez-Sánchez et al. ont montré que les hormones thyroïdiennes
régulent le métabolisme lipidique par une action au niveau des neurones SF1 du noyau
ventro-médian dans le SNC [5]. Cette action
centrale entraine une baisse d’AMPKα avec deux conséquences au niveau de
l’hypothalamus : l’une sur la voie des céramides et du stress du RE, l’autre sur
celle de la protéine JNK1. L’inhibition de l’axe céramide-stress du RE conduit à
l’activation de la thermogenèse dans le tissu adipeux brun, et l’activation de la
voie JNK1 stimule la lipogenèse hépatique. Or, la thermogenèse est fortement
dépendante de la synthèse lipidique hépatique [11]. Ces résultats suggèrent donc que les
hormones thyroïdiennes améliorent les capacités métaboliques de ces tissus, ce qui
entraîne une perte de poids sans modification de la prise alimentaire. Il reste
néanmoins à identifier les mécanismes moléculaires conduisant à l’inhibition de la
signalisation AMPK par les hormones thyroïdiennes et la régulation de l’activité
neuronale par l’axe céramides-stress du RE. Il est possible que les hormones
thyroïdiennes altèrent les contacts entre le réticulum et les mitochondries, connus
pour moduler l’activité neuronale [12]. L’étude du groupe de Miguel Lopez révèle ainsi le rôle clé du
cerveau comme médiateur majeur des effets des hormones thyroïdiennes ; cette
intervention au niveau central aux dépens d’une vision périphérique de leur action
pourrait avoir des conséquences pour le traitement de l’obésité et des pathologies
associées. |
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les
données publiées dans cet article.
|
Footnotes |
2. Mullur
R,
Liu
YY,
Brent
GA. Thyroid hormone
regulation of metabolism . Physiol Rev.
2014; ; 94 :
:355.–382. 3. Lopez
M,
Varela
L,
Vazquez
MJ, et al.
Hypothalamic AMPK and fatty acid metabolism mediate thyroid
regulation of energy balance . Nat Med.
2010; ; 16 :
:1001.–1008. 4. Fliers
E,
Klieverik
LP,
Kalsbeek
A. Novel neural
pathways for metabolic effects of thyroid hormone .
Trends Endocrinol Metab.
2010; ; 21 :
:230.–236. 5. Martínez-Sánchez
N,
Seoane-Collazo
P,
Contreras
C, et al.
Hypothalamic AMPK-ER stress-JNK1 axis mediates the central
actions of thyroid hormones on energy balance . Cell
Metab.
2017; ; 26 :
:212.–229. 6. Varela
L,
Martınez-Sanchez
N,
Gallego
R, et al.
Hypothalamic mTOR pathway mediates thyroid hormone-induced
hyperphagia in hyperthyroidism . J Pathol.
2012; ; 227 :
:209.–222. 7. Dhillon
H,
Zigman
JM,
Ye
C, et al.
Leptin directly activates SF1 neurons in the VMH, and this action
by leptin is required for normal body-weight homeostasis .
Neuron.
2006; ; 49 :
:191.–203. 8. Lopez
M,
Nogueiras
R,
Tena-Sempere
M,
Diéguez
C. Hypothalamic
AMPK: a canonical regulator of whole-body energy balance .
Nat Rev Endocrinol.
2016; ; 12 :
:421.–432. 9. Contreras
C,
Gonzalez-Garcıa
I,
Martınez-Sanchez
N, et al.
Central ceramide-induced hypothalamic lipotoxicity and ER stress
regulate energy balance . Cell Rep.
2014; ; 9 :
:366.–377. 10. Tsaousidou
E,
Paeger
L,
Belgardt
BF, et al.
Distinct roles for JNK and IKK activation in agouti-related
peptide neurons in the development of obesity and insulin
resistance . Cell Rep.
2014; ; 9 :
:1495.–1506. 11. Bartelt
A,
Bruns
OT,
Reimer
R, et al.
Brown adipose tissue activity controls triglyceride
clearance . Nat Med.
2011; ; 17 :
:200.–205. 12. Dietrich
MO,
Liu
ZW,
Horvath
TL. Mitochondrial
dynamics controlled by mitofusins regulate Agrp neuronal activity and
diet-induced obesity . Cell.
2013; ; 155 :
:188.–199. |