Vignette (Photo © Inserm - Patrick Delapierre).
« Acceptons-nous que l’embryon humain devienne un cobaye ? » : tel est le titre du préambule de Mgr Aupetit, archevêque de Paris et par ailleurs médecin, du Livret bioéthique. Comprendre les enjeux de la révision des lois de bioéthique, diffusé par l’Église catholique de Paris, à l’occasion de la révision des lois de bioéthique. Dès mars 2017, en amont des États généraux, un groupe de travail a été créé au sein de la Conférence des Évêques pour proposer des outils aux catholiques, notamment des fiches « bioéthiques » reprises dans ce livret1. L’opposition catholique à la recherche sur l’embryon s’exprime de façon souvent ouverte et s’était déjà manifestée lors de la précédente révision des lois de bioéthique. C’est à cette mobilisation catholique contre la recherche sur l’embryon que le présent billet voudrait s’intéresser, tant elle apparaît extrêmement sensible et porte en elle de forts enjeux éthiques. Par mobilisation catholique, on voudrait décrire ici les diverses façons dont se fait entendre dans les débats la parole de cette confession, du point de vue surtout de l’institution qui la porte.
Dans le contexte de la nouvelle révision en cours de ces lois, l’Église catholique est de nouveau très active. Cela n’est pas sans rappeler ce que certains, à propos des manifestations lors du mariage pour tous, avaient désigné d’« activisme bioéthique » [1]. Quelles sont les manifestations de cet engagement ? Dans les discours certes, dans les prises de position au travers de différents médias, mais aussi, en 2018, par une forte participation aux États généraux de la bioéthique, que les représentants de l’institution catholique ont appelé de leurs vœux2,. Parmi les autres formes d’intervention utilisées, citons, outre les médias, internet et les prises de parole publique, par exemple dans le cadre d’auditions, au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) ou à l’Assemblée nationale3.
Relevons d’abord que les catholiques sont loin d’être unanimes à s’opposer à la recherche sur l’embryon, que le décalage entre dogme, pastorale et fidèles est à souligner4,. Mais ils entendent, au travers de leur Église et ses représentants, comme d’ailleurs, l’ensemble de ceux (cultes religieux, associatifs, scientifiques) qui se sont exprimés à l’occasion des États généraux de la bioéthique, bien être associés au processus de fabrication des normes5 en matière de bioéthique : leur institution entend marquer sa légitimité à intervenir dans ce domaine, s’appuyant ici sur le dogme [2]. Au-delà, la question qui se pose ici est précisément la réception de cette mobilisation de l’Église catholique. Comment la société dans son ensemble et le corps scientifique réagissent-ils à cette opposition ? Ceux qui se mobilisent ici sont-ils des « lanceurs d’alerte » [3], c’est-à-dire ceux qui ont pour but de porter à la connaissance de l’opinion publique un danger qui menacerait les êtres humains et la société ?
L’histoire de la question de la recherche sur l’embryon humain prend son véritable essor avec la naissance en 1978 au Royaume-Uni, du premier bébé issu d’une fécondation in vitro (FIV), Louise Brown, puis la naissance en 1982 d’Amandine, premier enfant en France conçue par FIV. Le débat public s’installe alors. Le premier avis du CCNE de 1984 [4], qui considère que « l’embryon doit être reconnu comme une personne humaine potentielle », propose une voie médiane entre les catégories bioéthiques de « personnalisation » et de « réification » de l’embryon. Cet embryon est humanisé mais n’est pas une personne [5].
Très tôt, dans les années 1980, la mobilisation catholique contre la recherche sur l’embryon est forte. Dans ce contexte, plongeant certains médecins et théologiens catholiques dans la perplexité6,, l’instruction papale Donum vitae en 1987 énonce fermement la doctrine sur l’embryon : « L’embryon est une personne dès le commencement de la vie »7,. L’encyclique Dignitas personae de décembre 2008, réitère ce point de vue de Donum vitae et rappelle que l’embryon possède « une pleine qualification anthropologique et éthique et a donc, dès le commencement, la dignité propre à la personne ». Certains théologiens, tel Patrick Verspieren8,, considèrent néanmoins qu’« il s’agit de prendre acte de l’impasse dans laquelle on se trouve de décongeler ces embryons et de laisser s’éteindre leur vie »9, et exprimant ainsi un trouble sur la question de la destruction des embryons surnuméraires en l’absence de projet parental. La destruction apparaît d’une certaine façon comme un moindre mal au regard de l’expérimentation.
Mais qu’en est-il du point de vue de la loi ? La première loi de bioéthique de 1994 interdit la recherche sur l’embryon. Dans son article 16, « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ». La loi de 2011 maintient l’interdiction de la recherche sur l’embryon, mais les dérogations sont élargies : elles sont accordées sans limite de temps et sous simple condition de « progrès médicaux majeurs », tout en demandant de favoriser des recherches alternatives. Une clause de conscience est possible pour les chercheurs qui ne souhaitent pas faire de recherche sur les embryons. La dernière loi du 6 août 2013, qui fait suite à la révision des lois de bioéthique de 2011, supprime le « principe d’interdiction des recherches sur l’embryon » pour le remplacer par un régime d’autorisation sous conditions, ainsi que l’obligation de favoriser des recherches alternatives. Cette recherche doit être menée sous le contrôle de l’Agence de la biomédecine. Enfin, la loi « de modernisation de notre système de santé » du 26 janvier 2016 a procédé à quelques aménagements10.
Dans le contexte actuel de la nouvelle révision des lois de bioéthique, certains, notamment des représentant de sociétés scientifiques, plaident en faveur de l’élargissement des possibilités de la recherche sur l’embryon. Face à eux, une forte mobilisation catholique11,, qui s’exprime sur le site des États généraux de la bioéthique12,, dans la rubrique « cellules souches et recherche sur l’embryon ». Si cette question n’a fait l’objet que de deux débats en région, elle est la troisième en termes de contributions, derrière les rubriques « Procréation et société » et « prise en charge de la fin de vie »13.
Dans ces rubriques, des propositions sont faites. Pour ne prendre que les deux premières d’entre elles, celles mises en avant par le site (« épinglées » selon les termes utilisés par ses rédacteurs), plus de la moitié des votes s’oppose à la première proposition, élaborée par les rédacteurs du site : « Les recherches sur les cellules souches embryonnaires permettent des avancées considérables ». Les arguments déployés empruntent bien souvent à un discours proche de celui du dogme catholique selon lequel l’embryon est une personne « dès le commencement de la vie ». Ainsi, parmi les interventions sur le site qui se présentent bien souvent sous un pseudonyme, celle de « Rem » considère que « l’embryon est une personne humaine : interdiction absolue de faire des expériences sur l’embryon ». Azais, pour sa part, cite Jean-Paul II et son discours fait à l’Académie Pontificale pour la vie au Vatican14, et indique le lien pour accéder au texte de ce discours. Sur le site, en regardant attentivement les propositions, on peut lire à de nombreuses reprises que « l’embryon est une personne humaine » ou bien encore : « Ce ne sont pas des vies en devenir, ce sont déjà des vies ! », « l’embryon n’est pas un matériau de recherche, il a une dignité, en tant qu’être humain en devenir ». La proposition, « une société civilisée est une société qui protège ses plus petits ; le plus petit d’entre nous est l’embryon » recueille 275 votes, dont 252 pour. Cette conception de la vulnérabilité est certainement partagée par d’autres pans de la société15, en sorte que la mobilisation catholique parle certainement à des cercles au-delà de sa sphère. Relevons de nouveau que cette mobilisation catholique n’est pas représentative de l’ensemble des catholiques français, elle voit s’exprimer ceux soucieux de défendre le dogme. Mais à lire les commentaires et les votes, on saisit que ce sont majoritairement ces catholiques-là qui se sont fait entendre dans les débats.
Le rapport de synthèse des États généraux relève que « beaucoup de contributeurs s’interrogent sur le statut de l’embryon » et que « pour beaucoup d’entre eux, un embryon est un être humain ». L’éventuelle appartenance confessionnelle de ces contributeurs n’est ici pas mentionnée. Ce même texte indique que pour d’autres, « l’embryon est un ‘amas de cellules’ qui potentiellement pourrait devenir un être humain, ou qu’il ne le deviendra seulement qu’après plusieurs semaines » [7]. Les premiers s’opposent ainsi fermement à la recherche sur l’embryon. En face, les sociétés savantes auditionnées se sont pour leur part majoritairement prononcées pour un aménagement et un assouplissement de la loi16.
Dans un espace démocratique où il y a place pour l’expression de positions différentes, cette mobilisation d’opposants à la recherche sur l’embryon mérite d’être relevée et décrite. Mais cette expression peut-elle atténuer les craintes17 et les fantasmes autour de cette question qui contient véritablement des défis bioéthiques ? On peut se demander quelle sera son éventuelle influence sur la révision en cours des lois de bioéthique.